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THE BOSTON PUBLIC LIBRARY
JOAN OF ARC COLLECTION
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La Première Histoire en date de JEANNE D'ARC
(1625-1630;
HISTOIRE
LA PUCELLE D'ORLÉANS
EDMOND RICHER
Docteur de Sorbonne,
Syndic de la Faculté de Théologie de Paris.
TEXTE GOLLATIONNE ET PUBLIE
d'après le manuscrit
de la bibliothèque nationale, fonds français, cote 10448
Philippe-Hector DUNAND
Chanoine théologal du Chapitre de Toulouse,
Auteur de X'Histoire complète de Jeanne d' Arc, de la Dissertation
sur l'abjuration de Saiut-Ouen
el autres Études critiques sur l'histoire de l'héro'ine,
couronnées en 1904 par l'Académie française.
Prix Marcelin Guérin.
* A la gloire de Dieu et à l'honneur de la France.
E. RicHER, Advertissement au Lecteur.
TOME PREMIER
PARIS
DESGLÉE, DE BROUWER ET G'*
30, RUE SAINT-SULPICK, 30
1911
statue monumentale de Jeanne d'Arc
Par H. LOUIS-NOEL
A ériger sur le Fort Sainte- Catherine à Rouen
SOUSCRIPTION INTERNATIONALE
lÈGE SOCIAL : 6. RUE GARANCIÈRE, PARIS (vi**)
PRÉSIDENTS d'honneur
MM. Chari.es WOESTE, ministre «l'État de Belgique, membre de la Chambre des représenlani»
à Bruxelles ;
Louis-Onésime LORANGER, ancien ministre du gouvernement de Québec, membre «lu
Bureau des gouverneurs de l'Université Laval, à Montréal.
président
M. Emile FLOURENS, ancien ministre des Affaires étrangères, à Paris.
MEMBRES
MM. AusTiN (Alfred), Poète- Lauréat, auteur du sonnet Jeanne d'Arc, à Ashford (Angleterre);
BiNDER (Frantz), directeur des Tablettes historiques et politiques, à Munich ;
BoiSMOREL (Ozenne de), à Paris ;
Cleveland (Miss Rose-Elisabeth), auteur de Joan of Arc, à New-York.
Déchin (Jules), statuaire, auteur de la Jeanne d'Arc de l'église Saint-Maurice de Chinoo
(médaillée au Salon de 190u), à Paris;
DuNAND (l'abbé Philippe-Hector), chanoine théologal, auteur de VHistoire complète de
Jeanne d'Arc et des Eludes critiques, à Toulouse;
GoYAo (Georges), auteur de Jeanne d'Arc devant l'opinion allemande, à Paris;
JoBiN (le docteur), avocat, à Berne ;
JouiN (l'abbé), curé de Saint-Augustin, auteur du • Mistère » de Jeanne d'Arc, à Pans.
Lannoy {Jean de), membre du Conseil de V Action catholique française, à Paris;
Lespinay (M™" la marquise de). Présidente du Comité de la Ligue des J^emmes fran-
çaises, à Paris;
Maugeret (M"» Marie), secrétaire de la Fédération Jeanne d'Arc, à Paris;
Radziwill (M'"° la princesse Antoine), à Berlin;
RoLAND-GossELiN (Dominique), directeur de la Semaine de Rome, à Rome:
Saint-Laurent (M"» la comtesse de), présidente générale de la Ligue des Femmes fran-
çaises, à Lyon ;
Véron (M"'o l'amirale), à Paris ;
ViGNAUD (Henry), conseiller honoraire de l'Ambassade des États-Unis, Président de la
Société des Ainéricanistes, à Bagneui, près Paris.
trésorier
L. O É L I IV E T, Administrateur de la Maison du Peuple du Vl« arrondissement.
i, rue de la Planche, Paris.
secrétaire général
Htîiiry JOUIPi", Historien d'Art, 6, rue Garancièrc, Paris.
Hauteurs : Fort Sainte-Catherine, 130 m. 20; socle 11 m. 50; statue, 10 m. 20. — Hauteur
totale : 157 m. 82 au-dessus des quais.
Le monument dominera de 0 m. 70 la flèche de la Cathédrale de Rouen (loi m. 12), la plu»
élevée de l'Univers.
Toutes les souscriptions, si minimes qu'elles soient, seront publiées dans la Revue bi-mensuellc
de l'Œuvre, et un numéro parviendra au souscripteur. Abonnement à la Revue, 6 francs par
an, de Janvier à Décembre.
Les souscripteurs ou groupements qui auront versé 50 francs et plus, seront mentionnés sur
des plaques de bronze à l'intérieur du Colosse. Un reçu personnel sera délivré a tout souscrip-
teur d'une somme de 10 francs et au-dessus
HISTOIRE
PUCELLE D'ORLÉANS
1630^
La Première Histoire en date de JEANNE D'ARC
(U) -25- 1(330)
HISTOIRE
LA PUCELLE D'ORLÉANS
EDMOND RICHER
Docteur do Sorbonne,
Syndic de la Faculté de Théologie de Paris.
TEXTE COLLATIUNNE ET PUBLIE
d'aprks i,e manuscrit
DE LA BlBLlOTHÈglE NATIONALE, FONDS FRANÇAIS, COTE 10448
PAR
Philippe-Hector DUNAND
Chanoine llii-oloKal du C.liapilre de Toulouse,
Auteur do VHisloire complète de Jeanne d'Arc, de la Disserlalioii
sur l'abjuration de Saint-Ouen
et autres Ktudes critiques sur l'histoire do l'héroïne,
couronnées en 1904 par l'Académie franoaise.
Prix Marcelin Gi;iiRiN.
« A la gloire de Dieu et à l'honneur de la France.
E. Ric»ER, Advertissemenl aie Lecteur.
TOME PREMIER
PARIS
DESCLÉE, DE BROUWEK ET C'
30, RUE S A I N T - S U L P I C E , 30
1911
>^^
V I
MPRIMATUR :
Toulouse, le 22 février 19H.
^- JEAN-AUGUSTIN
Arclievôque <le Toulouse.
A Monseigneur Alfued BAUDRILLART
Rectrur de l'Institut (Iatholioue de PARIS
Daigne Monseigneur le RECTEUR
agréer l'hommage de « la première Histoire en date
de la Pucelle » ;
ouvrage laissé manuscrit en 1631 par fauteur,
publié en 1909-1911
par les soins dit « Comité de la Statue monumentale
de Jeanne d'Arc ».
L'UNIVERSITK DE PARIS DU XVIP SIECLE
Au Jeune INSTITUT CATHOLIQUE DU XX« :
« Depositum custodi. »
Pour le Comité :
Emile FLOURENS. président ;
Abbé JOUIN, curé de Saint-Augustin, à Paris :
Chan. DUNAND. théologal du chapitre de Toulouse,
éditeur du texte et annotateur.
EDMOND RICHER
DOCTEUR DE L LMVEKSlTii DE l'AlUS
PREMIERE HISTOIRE EN DATE DE JEANNE D'ARC
INTRODUCTION
« Les livres ont leurs destinées », a dit Horace : Ha-
bent sua fata libelli. Elles sont parfois étranges. Il y a
des livres que les contemporains accueillent avec un en-
thousiasme qui déconcerte la postérité, qui n'est jamais
ratifié par elle, et qui ne tarde pas à faire place à un
discrédit dont ils ne se relèvent plus. Telle a été la fortune
du poème de Chapelain sur la Pucelle d'Orléans. Les
douze premiers chants qui parurent d'ahord eurent
douze éditions en dix-huit mois. Aujourd'hui, qui a lu
et qui lit ce poème admiré du grand siècle, et, si le nom
en a survécu, n'est-ce pas le ridicule (jui le sauve de
l'ouhli ?
En regard de ces livres il en est d'autres qui, malgré
un mérite dont tout le monde convient, ne parviennent
point à conjurer le sort fatal qui semble avoir été jeté
sur eux. Les contemporains les ont à peine remarqués.
La postérité, à qui leur valeur a été signalée, fait comme
les contemporains ; elle renvoie à plus tard le soin de
I
- LA PUEMIEliE HISTOir.E EN DATE DE JEANNE D AUC
leur rendre justice. Ainsi en a-l-il été, ainsi en est-il
encore de la première histoire en date de la Pucelle
d'Orléans, de la première histoire digne de l'héroïne et
de la France ; histoire écrite con amore par un prêtre,
docteur de Sorbonne, et Français ; histoire enfin signée
d'un nom qui retentit souvent dans les premières an-
nétïs du xvn" siècle, et dont l'auteur, syndic de
la Faculté de théologie de la capitale, esprit dont on
peut ne pas approuver les idées, mais esprit vigoureux,
homme rude — Edmundus Richerius, acer homo, disait
Bossuet [Defeiuio cleri Gallicani, Pars 2', lih. Yl, cap.
xxiv), — fut un de ces hommes dont on est forcé d'ad-
mirer l'énergie et le caractère, car il ne craignit pas de
résister en face au tout-puissant et dominateur cardinal
de Richelieu. Lorsque Edmond Richer fut surpris par la
mort, il venait d'achever cette histoire, travail considé-
rable dont le texte manuscrit ne compte pas moins de
1028 pages in-folio. Il avait obtenu la permission néces-
saire pour la faire imprimer, mais il ne put mettre son
dessein à exécution. Le manuscrit de l'histoire de la
Pucelle attendait hier encore dans les casiers de la
Bibliothèque nationale, fonds Français, n" 10448, (jue
des âmes srénéreuses le tirassent de l'oubli.
Il n'entre pas dans notre dessein de donner une no-
tice complète sur la vie et les œuvres du docteur Av
l'Université de Paris. Le lecteur trouvera, dans la bio-
graphie qu'a écrite d'Edmond Richer Adrien Baillet, les
détails dont nous ne pouvons parler ici, et un exposé
intéressant de ses doctrines théologiques dans l'ouvrage
EDMOND RICHER. INTRODUCTION 3
(le M. l'abbé Ed. IHiyol qui a pour titre : Etude hutori-
que et critique sur la rénovation du, Gallicanisme an
commencement du dix-septième siècle , 2 volumes in-S",
Paris, Tli. Olmer 1876. Nous ne nous occuperons, dans
cette introduction, que de Riclier Iiistorien de Jeanne
d'Arc.
Edmond Ricber naquit en 1560 de parents peu fortu-
nés à Chaource ou Cbource, localité du diocèse de Lan-
gres en Gbampagne — aujourd'hui canton et paroisse
du diocèse de Troyes. — A dix-huit ^ns il vint à Paris,
A vingt ans, il était reçu maître es arts ; il soutenait
ensuite ses thèses de docteur en théologie et s'adonnait
à la prédication. En 1594, il était nommé grand maître
et principal du collège du cardinal Lemoine. Censeur
de l'Université dès 1600, il composait en 1606 un éloge
du chancelier Gerson. Le 2 janvier 1608, il était élu
syndic de la Faculté de théologie de Paris. Gallican
déclaré, il fut l'adversaire des Jésuites. Son livre sur la
Puissance ecclésiastique et politique composé en 1611
donna lieu à de nombreuses protestations. Les évoques
de plusieurs diocèses censurèrent l'ouvrage. On parla
d'emprisonner l'auteur et de le déposer du syndicat. La
menace fut exécutée, et en 1612 il était déposé par let-
tres patentes du roi. Cependant, en la même année, il
obtenait un canonicat à Notre-Dame. Le reste de sa vie
ne fut qu'une lulte doctrinale continuelle dans laquelle
il eut pour adversaire Richelieu lui-môme. Il mourut le
28 novembre 1631 après sept mois de maladie, et fut
inhumé dans la chapelle de la Sorbonne. Il venait
d'achever l'histoire de la Pucelle et songeait à la faire
paraître. Comment en avait-il conçut l'idée, et (|uelle
4 LA PItEMiÈRE HISTOIRE EN DATE DE JEANNE d'ARC
valeur convient-il d'alfribuer à son travail, tels sont les
points dont nous voudrions dire quelques mots.
II
Lu biographe d'Edmond Riclier, Adrien Baillet, parle
long-uement dans sa biographie des ouvrages ihéologi-
ques du docteur de Sorbonne, de son culte pour Gerson,
de son ardeur infatigable à défendre les doctrines chères
à l'Université de Paris, de ses incessants et graves dé-
mêlés avec les puissants du jour : ministres, princes,
évêques, ordres religieux. Ce que Baillet ne nous dit
pas, c'est par quelles circonstances l'auteur ultra-galli-
can du traité de la Puissance ecclésiastique et j^olitigue
fut amené à écrire l'histoire de la Libératrice d'Orléans.
Car, c'est dans les dernières années de sa vie qu'il en
conçut le dessein. En 1628, il n'en était encore qu'au
deuxième livre ; — c'est lui-même qui nous l'apprend,
en parlant des armes d'Angleterre gravées sur les murs
delà Sorbonne; — « elles y étaient demeurées, dit-il,
jusqu'à cette présente année 1628, que ce logis a été
entièrement démoli'. » [Histoire manuscrite, livre II,
f'° 4, recto.)
Si nous sommes condamnés à ignorer ces circonstan-
ces, nous pouvons néanmoins entrevoir quelques-unes
des raisons qui décidèrent le docteur de Paris à traiter
cet important et nouveau sujet.
Edmond Richer était tout ensemble un des plus sa-
vants théologiens de l'Université de Paris et l'un des
1. Il s'ensuivrait de ce ronseignemenL que Fouvrage aurait élc coi
raencé en 1626 ou 1627 et Icnniné en 1629 ou 1630.
EDMOND RICHER. — INTUODUCTION 5
liommes les plus érudits de son temps. C'était, en ou-
tre, un Français de race, fier de l'être, et soucieux de
tout ce qui pouvait obscurcir ou accroître l'honneur du
nom français. Chez un tel homme, quatre choses expli-
(}uent la résolution de donner à la FYance une histoire
authentique de sa Libératrice, histoire vraiment digne
de riiéroïne et de son pays :
En premier lieu, l'absence, le défaut de toute histoire
semblable ;
En second lieu, les calomnies que les Anglais ne ces-
saient de répandre sur le compte de la jeune fille qui
les avait vaincus ;
En troisième lieu, l'extrême importance qu'il y avait
à dissiper, à la lumière de documents absolument di-
gnes de foi, ces légendes calonmiatrices, afin de faire
définitivement justice des accusations mensongères for-
mulées contre la France et contre l'Eglise, contre les
rois descendants de saint Louis et contre les Pontifes
romains ;
En quatrième lieu, la pensée de protester, à titre de
membre de l'Université de Paris, contre la conduite in-
qualifiable de l'Université de Paris du temps de Jeanne,
et de montrer qu'on admirait au xvii^ siècle la Libéra-
trice de la France autant qu'on l'avait méconnue au x\^
Un mot sur chacun de ces points.
1° Au commencemenL du xvii" siècle, il n'avait
encore paru aucune histoire de Jeanne d'Arc qui en
méritât le nom. L'on ne saurait qualifier ainsi l'ouvrage
qui fut écrit vers l'an 1500 par ordre de Louis XIT, à
l'instigation de l'amiral Louis Malet de Graviile : ou-
vrage qui n'a pas de titre, dont l'auteur est demeuré
0 LA l'IlEMIKRE lIISTOlRli: EN DATE DE JEAXNE D AUC
inconnu et dont on n'a imprimé que des fragments (Voir
J. QiiicHERAT, Procès, t. IV, pp. 234-256). Comparé au
texte du Procès, dont il est l'abrégé, ce travail « n'en est
qu'une très incomplète et très fautive reproduction )>.
{ibicL, p. 261, n. 1.)
Ce n'est pas non plus une histoire de la Pucelle (jue
l'opuscule publié en 1012 par un descendant du troisiè-
me frère de Jeanne d'Arc, Hordal Jean, professeur à
l'Université de Pont-à-Mousson. Le titre dudit opuscule
induirait à le croire, étant ainsi conçu : Heroiihv nobilis-
simée Joharmœ Darc, Lotliaring;p..., Historia. Mais, bien
que Hordal ajoute qu'il a tiré les éléments de cet écrit
de divers auteurs très graves et très dignes de foi, —
Historia ex vaiTÏs gravissimœ atque incorrupt.u fidel
scriptoribus excerpta; — ces éléments ne sont pas des
documents historiques, mais des éloges empruntés à
ces auteurs divers, car Hordal ne nous laisse pas igno-
rer qu'il se propose, non de raconter en ses détails la
vie de l'héroïne, mais « d'en admirer l'unité et la
beauté » [Op. cit., p. 7). Sur 231 pages que contient cet
écrit, 12 seulement, de la page 8 à la page 20, sont con-
sacrées au narré des faits. Un seul texte est extrait du
Procès de 1456, celui de la sentence de réhabilitation,
de la page 194 à la page 2'05, Les lettres d'anoblisse-
ment octroyées par Charles VII à la famille de Jeanne,
des éloges empruntés à divers auteurs français et étran-
gers, et des considérations sur la loi sali(}ue remplis-
sent le reste du volume.
2° Si, au temps d'Edmond Richer, il n'existait pas
d'histoire de la Libératrice d'Orléans, ce n'est pas que
le silence et l'oubli eussent recouvert de leur voile sa
EDMOXD UICIIEIÎ. — INTRODUCTION 7
mission merveilleuse et ses hauts faits. Depuis son sup-
])lice, on n'avait cessé en France et à l'étranger de s'en
occuper ; les uns admirant et exaltant sans réserve la
jeune fille qu'ils regardaient comme l'envoyée de Dieu;
les autres ne trouvant pas assez d'injures pour satis-
faire leur haine et flétrir à jamais la suppliciée de
Koucn.
Richer connaissait et ces injures et ces éloges, les dé-
tracteurs de Jeanne et ses admirateurs. A la suite et à
l'exemple de Jean Hordal, il remarque avec une joie
manifeste « que bon nombre d'autheurs de toutes les na-
tions chrétiennes ont rendu le fidèle témoignage ({ui
était dû aux mérites de la Pucelle, encore qu'ils n'aient
jamais vu les actes de son prétendu procez, ni la revi-
sion d"icelluy ». Et c'est ce témoignage que nous fait en-
tendre la quatrième partie de son histoire, partie dans
laquelle des écrivains aux titres les plus divers, « théo-
logiens, ecclésiastiques, jurisconsultes, médecins, his-
toriens, poètes », et jusqu'à des Anglais, expriment leur
admiration pour notre grande Française. (E. Richer,
manuscrit cité, TV'' partie, f° 1Û9.)
Mais, précaution que Jean Hordal n'avait point songé
à prendre, Richer ne présente au lecteur ces louanges
veimes de toutes parts qu'après avoir montré, avec pièces
aulhentifjues à l'appui, qu'elles étaient méritées, et
qu'après avoir exposé tout au long les faits de la vie
entière de Jeanne et prouvé (ju'ils les justifiaient. Aussi
bien était-ce le seul moyen d'avoir définitivement rai-
son des calomnies odieuses, des affirmations menson-
gères, des insinuations perfides qui avaient cours et qui
trouvaient créance chez certains esprits, à celte époque
où les vraies sources de l'histoire de la Pucelle, les deux
8 LA PREMIKRE HISTOIRE EX DATE DE JEANNE D ARC
Procès de condamnation et de réhabilitation, étaient
généralement ignorées. Obéissant à un même sentiment
de haine inextinguible, Anglais et faux Français met-
taient à profit cette ignorance pour accréditer leurs in-
ventions ignominieuses.' N'est-ce pas un spectacle dont
Richer fut témoin que celui d'un grand seigneur, histo-
riographe officiel de France, jetant à pleines mains la
boue sur la figure virginale de la Libératrice d'Orléans
et du pays? Ce qui faisait dire à notre Docteur, dans
un sentiment d'indignation qu'il ne pouvait conte-
nir : « Mesmeles historiens anglais n'ontpas escrittant
au désavantage de la Pucelle que Du Haillan^.. Pour
moy, je ne puis me persuader que Du Haillan, natif de
Guienne, ne fust de quelque extraction anglaise, n'ayant
pu celer la haine qu'il portait à cette vierge. Le litre
d'historien que cet homme a usurpé l'obligeait de voir
et d'examiner le procez de cette fille et sa justification
attestée par cent douze témoins, et d'en juger selon les
règles de Thistoire. » Aussi, conclut Richer, ai-je ouï
« défunt M^ Pierre Pithou parlant avec mespris de l'his-
toire de Du Haillan comme d'un homme téméraire et
ignorant «. (Manuscrit de la Bibl, Nation., f'" 27, 28.)
3° Mieux que personne, le syndic de la Faculté de
théologie de Paris était en situation de saisir l'intérêt
majeur qu'il y avait, pour l'Église et pour l'État, à voir
se dissiper sans retour ces légendes de mensonge et <à
voir apparaître la figure de la Pucelle dans toute sa
beauté. Il v allait de l'honneur de la maison de France
1. Bernard do Girard, seigneur du Haillan, liisloriographe de Franee,
né à Bordeaux en 1535, mourut en 1610. il fut donc un des contempo-
rains d'Edmond Riclier. qui vivait entre 1560 et 1031.
EDMOND RICHER. INTRODUCTION y
que le royaume et la chrétienté fussent convaincus, à
n'en pouvoir plus clouter, que Gliarles VII devait sa
couronne et ses États, non point à une fille d'auberg-e,
à une aventurière de mauvaises mœurs, à une villa-
geoise suspecte de pratiques démoniaques, non point
même à une fille à la rigueur honnête, mais s'étant prê-
tée volontiers par vanité et inconscience à jouer le rôle
d'une prétendue envoyée de Dieu ; la couronne de Fran-
ce et son beau royaume, Charles VII en était redevable
à la plus pure, à la plus vaillante, à la plus généreuse
des vierges, à une enfant de dix-neuf ans morte dans
les flammes du supplice, martyre du patriotisme et de
la chasteté.
Il y allait aussi de l'honneur de l'Église qu'il fût dé-
montré sans réplique possible, d'une part, que la res-
ponsabilité de l'infâme Procès de Rouen et de la sen-
tence cruelle à laquelle il avait abouti remontait unique-
ment au prélat félon, vendu à l'Angleterre, dont un
grand siège épiscopal convoité devait payer la trahison;
d'autre part, que si cette œuvre d'iniquité avait été mise
à nu, stigmatisée, flétrie, condamnée sans appel ; si la ca-
lomnie avait été confondue, l'innocence de la victime
proclamée de la façon la plus solennelle devant les peu-
ples et les monarques, devant l'histoire et la postérité,
c'est au Chef de l'Église catholique, au pape Calixte III,
d'impérissable mémoire, qu'en revenait la gloire.
Edmond Richer avait l'âme trop haute, l'intelligence
trop ouverte, il aimait trop son pays et l'Église pour
ne pas sentir ([uel intérêt puissant il y avait à ce que
la lumière se fit complète sur les dits et gestes de
Jeanne d'Arc et sur le drame lugubre du Procès de
Rouen.
10 I.V l'IiEMIÈRE HISTOIRE EX DATE DE JEANNE DARC
4" Il est une dernière considération qui, à coup sûr,
l'impressionna vivement en tant que membre et digni-
taire de l'Université de Paris. S'il balançait à se déci-
der, cette considération était de nature à Iriomplier de
ses bésitations, et à rétablir fermement dans le des-
sein d'écrire une véritable bistoire de notre grande Fran-
çaise.
Nous disions tout à l'iieure (jue la responsabilité de la
condamnation inique de la Pucelle remontait unique-
ment à Pierre Gauchon, évéque-comte de Beauvais vl
pair du royaume. En cela, nous sommes allés peut-être
trop loin; plus d'un historien est d'avis que l'Université
de Paris de 1430 partage cette responsabilité. N'est-ce
pas, en elFet^ l'Université de Paris, dont Pierre Caucbon
était un des suppôts préférés, qui le signala au duc de
Betbford, régent de France, comme le personnage le
plus capable de mener à bonne fin le procès de la Pu-
celle ? V Aima mate?', lorsque Betbford eut accédé
à sa requête, ne prit-elle pas le soin d'envoyer à
l'évèque de Beauvais, à titre de conseillers et d'asses-_
seurs de choix, six de ses docteurs les plus habiles et les
plus réputés? Enfin, ladite Université, par sa consul-
tation sur les douze articles, n'a-t-elle pas tracé la voie
aux membres du tribunal et n'a-t-elle pas provoqué la
sentence finale de condamnation ?
Edmond Richer n'ignorait pas cette triste page de
f histoire du corps illustre auquel il appartenait. Ni ses
collègues ni lui ne pouvaient la détruire. Mais à cette
page, on pouvait en opposer une autre, page tout en-
semble de protestation et de réparation. Edmond Ri-
cher se chargea de l'écrire. Le Procès de condamnation
de Jeanne, mis en forme par maître Thomas de Courcel-
EDMOND RICHEn. INTRODUCTION 11
les. nous (lit ce que, au xv'" siècle en 1431, VAli/ia
mater Univcrsi/afis Paris le lis is pensait de la Libéra-
trice d'Orléans. L'histoire manuscrite d'Edmond Riclier
nous apprend ce (ju'en ont pensé, au xvii" siècle,
les Maîtres et Docteurs de la môme Université .
Dans ce conflit entre ceux que les contemporains de
Jeanne d'Arc nommaient les faux Français et les Fran-
çais loyaux, le dernier mot est resté aux vrais et loyaux
Français.
III
Ainsi le monde des lettres — on disait alors ia Répit-
hlique des lettres — est redevable à un docteur de Sor-
bonne, à un fils et dignitaire de la vieille Université,
d'une histoire de la Pucelle digne de ce nom ; d'une his-
toire écrite en français, non en latin; d'une histoire
composée d'après les règles de la plus saine critique,
puisée aux sources les meilleures ; histoire digne du su-
jet, malgré les quelques défauts qui s'y accusent; œu-
vre d'art et de méthode, œuvre de critique également,
d'une oi'donnance des plus naturelles, marquée au coin
de l'unité et de la simplicité, — simplex dumtaxat et
unnm ; — ayant son point de départ précis, sa marche
proigressive et lumineuse, ses péripéties dramaticjues et
son dénouement. Le récit que l'auteur se propose de
donner à ses contemporains est un récit complet, sans
lacunes, des gestes et dits de la Pucelle, n'ayant à ce
point de vue rien de commun avec les récits répandus
dans le public. « Auparavant ce jourdhuy, dit Richer,
1 histoire de la Pucelle d'Orléans n'a été traitée que par
lambeaux ou parcelles. » Lui l'exposera tout entière
dans son ensemble; (juatre livres y seront consacrés.
12 LA PREMIEHE HISTOIRE EX DATE DE JEANNE D ARC
« Quant au premier livre de cette histoire, il contient
bien exactement, remarque-t-il, la vie de cette fille, re-
cueillie tant de ses propres dépositions que de celles de
cent et douze témoins qui ont été ouys en la revision du
procez ;
« Le second livre est l'examen de tout son procez;
« Le troisième, la revision d'icelluy;
« Et le quatrième sera dédié à ses éloges que nous
avons extraits de divers auteurs de toutes nations. »
(Manuscrit de la Bibl. Nat., Advertisscment au lecteiir.)
Mais le point qu'Edmond Richer a le plus à cœur,
c'est l'autorité et la pureté des sources auxquelles sont
puisés ses éléments d'information. Avec une loyauté par-
faite et un sens critique remarquable, il ne veut pas
« qu'on ajoute plus de foy à son récit que ne le permel-
tent les actes publics et pièces originales desquelles
nous l'avons extrait et corrigé ; car nous tenons pour
très véritable maxime que c'est un très grand sacrilège
de mentir en matière d'histoire, puisque l'escrire n'est
autre chose que sacrifier à la vérité, comme disait un
ancien ». [Advertissement cité.)
Ces « actes publics et pièces originales » dont l'auteur
s'est servi pour écrire son histoire, constituent des « piè-
ces authentiques » et des documents de premier ordre ;
on peut y ajouter foi sans aucune crainte, car telle en
est la haute valeur que « jamais histoire humainement
escrite ne fut plus véritable ».
Sans doute, en dehors des deux procès, Richer n'a eu
(ju'un petit nombre de documents à sa disposition : il
les indique dans son Advertissement ou préface. Il n'a
connu ni la Clironique de la Pucelle que Denys Gode-
froy publia seulement en 1061, ni la plupart des elironi"
EDMOND RICHER. liSTRODUCTION 13
ques et pièces rassemblées par Jules Quichcrat dans les
quatrième et cinquième volumes de son édition des
Procès. Mais là ne se trouvent pas les sources vitales
de riiistoire de Jeanne d'Arc ; pour les trouver, il faut
remonter au texte môme des deux Procès. Si bien que,
en possession de ce texte, on peut se passer de toutes
les chroniques; et aucune cln^onique ne pourrait com-
bler le vide que ferait la perte du texte des deux Pro-
cès.
Edmond Richer puisa donc ses informations sur
l'histoire de la Pucelle aux vraies sources, car il eut
entre ses mains, avec le Journal du siège d'Orléans,
l'une des cinq copies authentiques du Procès de con-
damnalion et un exemplaii'e non moins authentique du
Procès de réhabilitation. Aussi invoque-t-il à chaque
instant au cours de son premier livre, de nombreux
passages tirés de ces deux documents, en attendant qu'il
les discute à fond dans un deuxième et troisième livre.
L'auteur n'omet pas de faire observer avec beaucoup
d'à-propos (jue la plupart des passages qu'il cite étant
empruntés « aux actes du procez que les ennemys con-
jurés de la France, les calomniateurs de la Pucelle, les
Anglais, lui firent faire », il n'en peut jaillir sur sa mé-
moire qu'un « jour et une lumière très certaine » ; de
telle sorte encore une fois, « que jamais histoire humai-
nement escrite ne fût plus véritable ». [Advertissement
au lecteur.)
A cette lumière, remarque-il, s'adjoint celle de la
revision qui fut faite du Procès de condamnation, vingt-
cinq ans après. Par une disposition admirable de la
Providence, « plusieurs des juges, conseillers, notaires
et autres officiers du tril)unal qui avaient été contrains
14 LA PREMIERE IIISTOIUE EX DATE DE JEANNE D ARC
et forcez par les Anglais d'assister au procez de 1431
étaient encore pleins de vie en 1453, année où il fut revu
par autliorilé spéciale du Saint-Siège apostolique ».
Aux enquêtes de cette revision furent appelés à dépo-
ser de très nombreux personnages, « tesmoins hors de
tout reproche, entre lesquels il y a des princes, plu-
sieurs grands seigneurs, des gentilshommes, des per-
sonnes bien qualifiées qui avaient par un long temps
conversé avec la Pucelle, tant aux armées qu'ailleurs » ;
ce qui amène Richer à tirer une troisième fois cette con-
clusion, que c( n'y eût onques histoire humaine assistée
et fortifiée de tant de tesmoins, d'autheurs et historio-
graphes », et qui se présente avec d'aussi imposantes
garanties de vérité. (Manuscrit cité, IV" partie, ï" 119,
verso.)
Puisée aux sources les plus sûres, l'histoire de la
Pucelle par Richer fut, de plus, écrite en français.
En ces premières années du xvn'' siècle, tout historien
qui avait souci de sa réputation de lettré n'avait garde
d'écrire ses ouvrages en langue vulgaire; c'était bon, à
la rigueur, pour les auteurs de mémoires et de chroni-
ques; mais un humaniste qui se respectait ne pouvait
composer une histoire qu'en latin. L'homme que Bos-
suet a pro('lamé a le grand auteur, le fidèle historien »,
le président Jacques-Auguste de Thou, écrivit en latin
ÏHisloire de son Icmps, l'un des j)lus beaux monuments
des temps modernes. Edmond Richer s'écarta, en la
composition de son ouvrage sur la Pucelle, de l'exemple
de de Thou ; mais il s'en écarta pour d'excellentes rai-
sons et à bon escient.
« Il m'eust été beaucoup plus facile, observe-t-il,
KDMOND RICIIER. INTRODUCTION 15
(ri-scriru celle liisloire on lalin qu'en langue vulgaire,
considéré mesme que le procez, lous les acles et traitez
s'y rapportant sont couchez en latin. Neantmoins, pour
faire connaître à ma patrie combien, après Dieu, elle
est obligée à cette fille qui ne imrloit que très bon fran-
rois, j'ay mieux aymé l'escrire en noslre langue, afin
(jue ceux qui n'entendent pas le latin, et mesme les
femmes et les filles, puissent profiter et reconnaître les
merveilles de Dieu envers le royaume de France, duquel
il a toujours eu un soin particulier. » [Advertissement
(lu lecteur.)
lY
Les érudits qui ont pu juger par eux-mêmes de la
valeur du manuscrit de Riclier, s'accorderont à conve-
nir que Tauteur réunit deux parties qui ne vont pas
toujours ensemble, celle de critique et celle d'historien.
A ces parties, il en joignait deux autres non moins
nécessaires à l'écrivain qui entreprend d'étudier à fond
les faits et dits de la vierge Lorraine, celles de cano-
iiiste et de théologien.
Comme critique, Richer est le premier qui a décou-
vert les vraies sources de l'histoire de Jeanne : sources
qui se trouvent, nous l'avons rappelé, non dans les
chroniques, annales, mémoires de l'époque, mais dans
les deux Procès de condamnation et de réhabilitation.
Comme historien, Richer a puisé largement et princi-
palement à ces sources. Le moment venu d'exposer les
actes des deux Procès, il ne s'est pas contenté d'en
donner une idée sommaire ; il en a reproduit et traduit
tout au long les pièces les plus importantes, el, repre-
nant de plus belle son rôle de critique, il les a fait sui-
16 LA PREMIERE HISTOIRE EN DATE DE JEANNE D ARC
vro iX advcrtissements dans lesquels il les discute, il les
apprécie au point de vue des règles de la critique histo-
rique, des principes du droit soit positif, soit naturel,
et, quand le sujet le demande, au point de vue de la
théologie dogmatique et morale. C'est une des supério-
rités qu'on ne pourra refuser à Richer sur J. Quicherat.
L'éditeur des deux Procès a d'autres mérites, sans
doute, que nous nous garderions bien de contester.
Mais la « lourde histoire » du Sorhoniste jette sur les
points obscurs des deux Procès des clartés qu'on cher-
cherait en vain dans la publication de l'habile paléo-
graphe et des Aperçus nouveaux.
On l'oublie trop facilement, l'histoire de la Pucellc
est une liistoire à part ; elle sort complètement du cadre
des histoires ordinaires! D'un bout à l'autre, de Dom-
remy au bûcher de Rouen, il n'y est question que d'ap-
paritions, de visions, de révélations. Dans la vie de
Jeanne, quelque importants que soient les faits exté-
rieurs, ils tiennent beaucoup moins de place que les
faits intérieurs. Cette vie est celle d'une vierge guer-
rière, d'une héroïne libératrice de son pays ; mais elle
est avant tout la vie d'une âme grandie, soulevée, ins-
pirée par les deux sentiments les plus puissants de la
nature iiumaine, la foi religieuse et la foi patriotique.
Cette vie s'écoule en un commerce quotidien avec un
monde invisible et supérieur. De ces hautes régions
vient à la jeune fille, avec la lumière qui l'éclairé et lui
montre la voie où il faut absolument qu'elle s'engage,
l'ardeur indomptable qui la soutient ; Jeanne ne des-
cendra de ces régions (jue pour accomplir les ordres,
pour réaliser les inspirations qu'elle y a reçues. Une vie
pareille, aussi merveilleuse, aussi supérieure, aussi
EDMOND mCHER. — IN'TRODUCTION 17
spirituelle, aussi transcendante, aussi surhumaine; une
vie dont la foi chrétienne portée à son plus haut degré
est de toute évidence le principe inspirateur, qui pourra
la démêler, la décrire, l'apprécier et la jup^er, sinon
l'historien pour qui la science théologique n'a point de
secrets ?
Des écrivains étrangers à cette science se sont ima-
giné que, dans le cas dont nous parlons, elle était utile
mais nullement nécessaire, et que le savoir philosophi-
que ou scientifique pouvait y suppléer. Ces écrivains
n'ont pas pris garde à cette règle fondamentale de la
critique : que, pour saisir la vraie physionomie des per-
sonnages et des faits du ressort de l'histoire, il est indis-
pensable de les considérer dans le cadre des mœurs,
des idées, des croyances oi^i s'est produite leur action.
Prêter à la société de notre xix" siècle les idées, les
croyances du xv% serait tout aussi peu raisonnable que
de prêter à la société du xv*' siècle les idées, les croyan-
ces du xix", comme l'a fait l'un des derniers biographes
de l'héroïne'. Or, au temps de Jeanne d'Arc, les faits
dits surnaturels étaient généralement admis, et au nom-
bre de ces faits figuraient les visions, les révélations,
les apparitions. Des règles théologiques spéciales per-
mettaient de déterminer si ces faits étaient d'origine dia-
bolique, céleste ou simplement humaine. Appliquer avec
intelligence et discernement, avec loyauté surtout, ces
règles au cas de la Pucelle était l'unique raison d'être
du procès ouvert à Rouen, Gomment l'historien pourra-
t-il, s'il ignore ces règles, si, en un mot, il n'est pas
1. M. A. Franco, ((ui fait de Jeanne queUiuc cliosc comme une
pensionnaire de Charcot et de la Salpètrière. Voir sa Vie de Jeanne
il' Arc, t. 1, préface, p. ni et suiv.
18 LA l'UEMIERE HISTOIRE EN DATE DE JEANXE D ARC
Uiéologien, avoir la preuve expresse que les jugées de
Jeanne ont, oui ou non, fait œuvre d'iniquité ? Fonte-
nelle nous aurait-il laissé des éloges si intéressants, si
précis et néanmoins si exacts au point de vue scienti-
lique, des Leibnitz, des Newton, des Bernouilli, s'il eùL
ignoré la haute algèbre et les éléments du calcul infini-
tésimal ?
La tiiéologie pénètre toutes les parties de la vie de
Jeanne d'Arc ; c'est pourquoi l'historien qui veut l'étu-
dier à fond doit n'être pas étranger à la science théolo-
gique. D'un autre côté, les deux Procès de condamna-
tion et de réhabiUtation ont été instruits, menés, conclus
conformément aux règles du droit canonique ; c'est
pourquoi l'historien de la Pucelle doit être tout ensem-
ble canoniste et théologien. Il faut qu'il ne coure pas à
chaque instant le risque de s'égarer dans les détours de
la procédure inquisitoriale ; car elle aussi, tout comme
notre procédure actuelle, avait ses maquis : l'évêque de
Beauvais s'est chargé d'en fournir la preuve.
Chez Edmond Riclier, disions-nous, l'historien était
doublé d'un critique ; il l'était également d'un canoniste
et d'un théologien. Si, comme abondance d'informa-
tions, son histoire de la Pucelle doit céder le pas aux
histoires publiées de nos jours, comme sûreté de méthodt!
elle ne le leur cède en aucune manière ; comme exposé
critique des deux Procès, elle leur est supérieure et elle
forme une œuvre à part que l'on consultera toujours
avec intérêt et profit.
A ce propos, qu'il nous soit permis de protester
contre une légende en train de s'accréditer ; légende (jue
répudieraient assurément les érudits au bénéfice des-
quels elle paraît s'établir. On dit volontiers dans un cer-
EDMOND KICIIER. INTUODUCTIOX I9
tain monde, ou bien l'on donne à entendre, qu'à notre
xix" siècle revient l'honneur d'avoir découvert la vraie
Jeanne d'Arc, la Jeanne d'Arc héroïque et sainte, et
d'avoir découvert également la haute importance des
deux Procès de condamnation et de réliabilitation comme
sources principales et vitales de son histoire.
Voilà ce (jue l'on dit : voici ce que répondent les
faits.
Ce n'est point au xi.\^ siècle, c'est au xv^ qu'a été
découverte, proclamée, présentée à l'admiration du
monde la vraie Jeanne d'Arc. L'honneur en revient non
à nos auteurs récents, mais à Galixte III, le pontife qui
a fait instruire le Procès de réhabilitation, mais aux
prélats qu'il a délégués à cet elfel et qui ont rendu en
son nom l'arrêt suprême qui, en llétrissant à jamais le
Procès inique des juges de Rouen, a reconnu et pro-
clamé l'innocence, riiéroïsme et les admirables vertus
de la Libérati-ice de la France.
Après Galixte III, après les prélats, org-anes du chef
de l'Église, et, pour n'oublier personne, après les évè-
ques et docteurs dont les Mémoires furent adjoints au
procès de revision, le mérite d'avoir fait connaître la
vraie Jeanne d'Arc et d'avoir présenté au public le por-
trait en pied de l'héroïne et de la sainte, avec preuves
et documents à l'appui, revient à l'auteur de la première
histoire française de la Pucelle, à E. Richer, docteur de
Sorbonne et syndic de la Faculté de théologie de l'Uni-
versité de Paris; histoire écrite cent quatre-ving^ts ans
environ après le jugement de réhabilitation, deux cent
vingt ans avant la publication des deux Procès par
Jules (Juicherat au nom de la Société de l'histoire de
France.
20 LA l'KEMIKRE lIISTOIIUi; EX DATE DE JEANNE D ARC
De même, ce n'est ni Jules Quiciierat, ni L'Averdy,
ni Lenglet Dufresnoy qui ont, les premiers, compris
l'importance des deux Procès comme sources authenti-
ques principales de l'histoire de la Pucclle; c'est encore
à Edmond Richer, à un prêtre français, à un docteur de
l'Université, qu'appartient cet honneur ; les sept cents
pages in-folio qu'il a consacrées à exposer, traduire,
examiner et discuter ces Procès le prouvent jusqu'à
l'évidence.
Il y a plus : l'excellente idée de publier et de mettre à
la portée du public lettré lé texte des deux Procès,
qu'eut en 1840 la Société de l'histoire de France et que
Jules Quicherat fut chargé de réaliser, Edmond Riclier
l'avait eue dès 1628, plus de deux siècles auparavant.
« Vrayment, dit-il en son Advertissement au lecteur, il
serait à désirer que pour conserver ces pièces origi-
nales, j'entends le procès et la revision d'icelluy, quel-
qu'un en fist imprimer cent ou six vingt exemplaires en
un beau charactère, pour les mettre en diverses biblio-
thèques, afin de les conserver et transmettre à la posté-
rité ; car autrement ils se perdront par l'injure du temps,
Pour mon regard, j'offrirais volontiers ma peine et mon
travail à revoir et conférer les copies et impressions sur
les originaux, w
Il nous resterait maintenant, si nous ne craignions de
dépasser la mesure, à montrer par quelques analyses
rapides, quelques citations discrètes, les principales
qualités, bon sens, gravité, originalité, clarté, logique,
parfois aussi élévation de pensée et de langage, (jui se
EDMOND RICHER. INTRODUCTION 21
l'eniarquent dans la manit're de l'iiistorien. La page sui-
vaiilu permettra d'en juger à quelque degré.
Jeanne vient d'arriver à Cliinon. Convient-il de s'en
rapporter à sa parole et de l'instituer chef de guerre ?
Que pensent, que disent les conseillers du jeune roi ?
« Tous les princes, capitaines et gens de guerre ne
pouvaient gouster le conseil de cette fille, et n'étaient
d'advis qu'on se commist à elle, principalement aux
alTaires de la guerre, vu les grands périls qui les accom-
pagnent ordinairement, et qu'il n'est loisible d'y faillir
deux fois. Et remontrait-on que le Roy, tout son conseil,
voire tous les François seroient la fable des nations
étrangères et nommément des Anglois, notés à jamais
de témérité, au cas que ce que disoit cette bergère ne
succédast (réussît), et que les gens du Roy fussent vain-
cus et deffaits par leurs ennemys, déjà trop puissants et
insolents. Que par la loy fondamentale de l'Estat, les
François n'avoient voulu onques reconnoître les femmes
pour leur commander; et que la guerre n'estoit entre-
prise contre les Anglois, sinon parce qu'on avoit donné
pour dot le royaume de France à Madame Catherine
que le Roy d'Angleterre avait espousée ; que c'étoit for-
tifier les prétentions de l'Anglois au cas qu'on employast
cette bergère et que les gens de guerre combatissent
sous son estendard ^ » (Manuscrit cité, fol. 21, recto et
verso.)
N'est-ce pas de la sorte qu'écrivent les historiens
hommes d'État ?
Nous sommes grandement étonnés, nous Français,
lorsque nous nous voyons accusés, dans les ouvrages
I. Rapprociier de celte page celle où Riclier rapporte la délibération
sur le voyage de Reims.
22 I.A ['UEMlKliE lIISTOIIiE EX DATE DE JEANNE D AUC
venus de réLranger, (ring;ratilude envers nos gloires Itîs
plus pures. Mais, quelque indignés que nous soyons,
que pouvons-nous l'épondre lorsque, à l'appui de cette
accusation, on invoque, par exemple, l'oubli dans lequel
le nom et la mt^moire de la Pucelle sont restés en France
pendant plus de quatre cents ans? En ce long espace de
temps qu'ont fait, pour honorer ce nom, glorifier cette
mémoire, les représentants autorisés du pays, les prin-
ces, les monarques, les orateurs, les poètes? Rien, ou à
peu près. Qu'on ne se rejette pas sur les éloges de
l'héroïne qu'ont pieusement rassemblés Jean Hordal et
Edmond Richer d'abord, plus tard Lenglet Dufresnoy.
La plupart de ces éloges ont pour auteurs des étrangers :
quand ils sont dus à des Français, ces Français sont ou
des écrivains médiocres, ou des écrivains inconnus.
Parlerons-nous des princes qui, depuis Charles Yli,
ont régné sur la France ? On dirait, en vérité, que ces
princes, de Louis XI à Louis XVI, se sont efforcés de
faire oublier à leurs sujets et d'oublier que si, un jour
ils sont allés recevoir « leur digne sacre » dans la vieille
cathédrale de Reims, c'est qu'une toute jeune fille prit
la peine, en 1429, de ramasser la couronne qu'un de
leurs prédécesseurs laissait traîner à terre et que, la lui
mettant sur la tête, elle lui rappela que le descendant de
saint Louis devait être, non un « roi de Bourges », mais
le roi de France.
Au soleil de la Renaissance, palais et châteaux s'élè-
vent comme par enchantement. En ces monuments d'un
art exquis, les Valois donnaient une royale hospitalité
aux déesses du vieil Olympe et aux Piirynés de leur
temps. François F'', Henri II ont-ils jamais songé à
demander à leurs artistes préférés, au Primatice, à
EDMOND lilCIIER. INTRODUCTION 23
Léonard do Vinci, à Pliilibert Delorme, un tableau,
une slatue, un panneau sculpté en l'honneur de Jeanne
d'Arc ?
Louis XIV fait construire le château de Versailles; il
remplit le parc d'un peuple de statues. Une chapelle
s'élève dans laquelle les orateurs sacrés entretiendront
leur royal auditoire des devoirs qu'imposent la fidélité
et la reconnaissance. Dans ce parc immense, dans cotte
chapelle étincelante d'or, oii aperçoit-on l'image, la sta-
tue do l'héroïne sans laquelle Louis XIV n'eût jamais
été Louis le Grand?
Corneille, le poète de Pauline et de Polyeucte, Racine,
le chantre d'Esther, ont-ils pensé quelquefois à la mer-
veilleuse histoire de la vierge de Domremy ? Et cepen-
dant, pour des poètes tragiques, quel plus beau sujet
de tragédie que la France arrachée par une jeune fille
à ses éternels ennemis les Anglais ^ ?
Le panégyriste, le juge éclairé de toutes les gloires,
Çossuet, sur les six cents pages de son Abrégé de
rUistoue de France, en accorde à peine deux à Jeanne
d'Arc. Encore accepte-t-il sans protestation la donnée
mensongère de Monstrelet qui fait de la Libératrice
d'Orléans une vulgaire fille d'auberge.
L'habile éducateur du petit-fils de Louis XIV, Féne-
lon, charme son royal élève au récit des aventures de
Télémaque, de 3Icntor, d'Aristonoiis ; mais a-t-il jamais
parlé des exploits de la martyre de Rouen, de la Libé-
ratrice du rovaume ? Nous avons cherché dans ses
1. Nous ne i^arlous pus du poème de Chapelain. Quelque mauvais
qu'il soit, il n'en reste pas moins une protestation contre le silence
gardé pur le grand siècle sur la Pucelle. Voir dans les Etudes des
RR. pères Jésuites, o septembre l'JOS, p. 64b-648, notre article à ce
sujet.
24 I.A PHEMIERE IIJSTOIRE EN DATE DE JEANNE D ARC
nombreux écrits ; nous avons eu la douleur de cons-
tater que la Pucelle n'y était pas une seule fois nom-
mée.
Un homme, cependant, a senti ce (ju'il y avait de
regrettable pour son pays dans ce silence deux fois sécu-
laire. Il eut à cœur de le rompre et il écrivit la pre-
mière histoire de Jeanne d'Arc qui mérite ce nom.
Ce n'est pas chose indifférente pour des Français
d'apprendre que, dès le premier quart du xvii'' siècle,
un prêtre français a écrit une histoire de la Pucelle qui,
en somme, fait honneur à riiéroïne, à l'auteur et au
pays. Supprimez l'œuvre de Richer et vous serez obligé
d'avouer que de 1431 à 1753, c'est-à-dire dans un laps
de temps de plus de trois cents ans, il ne se serait pas
rencontré un seul écrivain qui eût songé à raconter les
hauts faits de la jeune fille sans laquelle la France serait
actuellement une province anglaise.
YI
Est-ce à dire, toutefois, parce que l'histoire d'Edmond
Richer est demeurée manuscrite, qu'elle n'ait jamais
attiré l'attention des érudits ? Non, assurément. Au
cours du XVIII'' siècle, l'abbé d'Artigny la trouva en
excellent état à la bibliothèque du Roi où M. de Fonta-
nieu l'avait déposée après la mort de l'auteur, et il son-
gea sérieusement à la faire paraître. Mais l'abbé Lenglet
Dufresnoy ayant publié en 17o3 son His/oirc de Jea/tnc
d'Arc dans laquelle, d'après Le Brun de Cliarmettes, il
n'a fait que « piller Richer outrageusement », l'abbé
d'Artigny renonça à son projet.
L'auteur du Grand Diciionnaire hisloriquc, l'abbé
EDMOND RICIIER. — INTRODUCTION 25
Louis Moréri (1643-1080), à l'arlicle Richcr (Edmond)
avait mentionné son « liistoire de Jeanne d'Arc, avec
les extraits des procès de condamnation et de justifica-
tion, et les extraits des auteurs qui en ont parlé. »
{Grand Dictionnaire, t. X, p. 191. In-f", Paris, 1759.)
L'abbé Ladvocat (1700-170.^), docteur de Sorbonne,
qui, sous le pseudonyme de Vosgien, chanoine de Vau-
couleurs, publia le Dictionnaire géographique portatif,
ne se borna pas à mentionner l'histoire de Richer ; il
sig-nale sa profonde érudition et tout particulièrement
l'esprit critique dont il fait preuve : « mérite qui de son
temps était fort rare. » [Ouvrage cité^ in-12, Paris,
17o9.)
L'auteur des Notices sur les deux Procès, François de
L'Averdy, tenait en haute estime l'iiistoire de la Pucelle
du docteur de Paris et il en place le manuscrit au pre-
mier rang- parmi ceux qu'il mentionne.
« Richer, dit-il, a composé son ouvrage en langue
française avec le plus grand soin sur les manuscrits
authentiques des deux procès en latin qu'il cite dans son
Advertisseinent an lecteur. Si on voulait l'imprimer à
présent, ajoute-t-il, sa forme scholastique et son style
antique lui nuiraient beaucoup. Mais le manuscrit n'en
est pas moins précieux, et il peut être utile à ceux qui
écriront dans la suite l'histoire de Jeanne. » [Notices et
extraits des manuscrits de la Bibliothèque du Roi, t. HT,
p. 185-189: dans les Mémoires de l'Académie des ins-
criptions et belles-lettres.)
Si, abordant le xix" siècle, nous demandons à ses
crili(|ues et historiens ce qu'ils pensent d'E. Richer et de
son histoire, nous verrons qu'ils en reconnaissent géné-
ralement le mérite : ainsi en ont jugé Le Brun de
26 LA. l'UKMIÈRE IIISTOIUE ICX DATK Dlî JKANNE d'aHC
Cliarmetles, Daunou, Micliaud. Jules Quiciierat seul
fait exception. Lui qui, dans son édition des deux Pro-
cès, saisit toutes les occasions de rendre justice à
Lenglet Dufresnoy, à L'Averdy, à Le Brun do Cliar-
mettes ; lui qui se fait un devoir de citer les documents
que ces érudits avaient signalés avant lui touchant la
Pucelle, g-arde le silence quand il s'agit des titres
d'E. Riclier et ne porte sur son histoire qu'un jugement
peu flatteur.
Les titres du premier historien de Jeanne, mais il est
aisé de s'en rendre compte et d'en apprécier la valeur.
Nous avons déjà fait ohserver que seul, dans une
grande histoire, il a rompu le silence gardé durant trois
siècles par les historiens français sur les dits et faits de
la Libératrice du pays. Il y a plus encore.
Supprimez son œuvre, et pas plus du sein de YAi))ia
jualer studii pca^isiensis que de la foule de ses suppôts
et élèves, docteurs, prélats, évéques, lettrés, il ne s'élè-
vera postérieurement à la sentence de 1456, sous forme
de récit historique documenté, un cri de protestation
contre le triste rôle joué par TUniversité de Paris dans
le procès de Rouen.
Avant Edmond Richer, les manuscrits des deux Procès
n'étaient connus que d'un petit nombre d'érudits.
Etienne Pasquier avait gardé quatre ans le texte du pro-
cès de condamnation et s'en était servi pour composer
les chapitres iv et v du sixième livre des Recherches de
la France.
Richer est le premier historien en date (jui ait puisé
dans les deux procès la matière de son Histoire de la
Pucelle. Il est le premier et le seul qui ait traduit le
procès de Rouen presque tout entier, et analysé, en joi-
EDMOND lilCIIElt. INTRODUCTIOX 27
giiant à son analyse de nombreux extraits, le procès de
réhabilitation.
En outre, il a fait suivre le texte des interrogatoires
du procès de Rouen et des principales séances de
réflexions sous la rubrique Adveriissements, qui font res-
sortir les iniquités et les irrégularités de la procédure.
Enfin, deux cents ans avant la Société de l'Histoire
de France — on ne saurait trop le redire — Edmond
Rieher avait compris et signalé l'importance de la publi-
cation des manuscrits des deux Procès et il avait olfert,
en vain bélas ! son temps et sa peine pour la revision
des textes à (jui consentirait à se charger des frais de
l'édition.
Ce sont là des titres incontestables qui méritaient
d'être portés à la connaissance du public lettré. Jules
Quicht-rat ne les ignorait pas. Pourquoi, à l'exception
du projet concernant la publication des manuscrits, n'en
dit-il pas un mot dans la notice littéraire de son cin-
(|uième volume? Les citations qu'il fait du docteur de
Sorbonne dans son ouvrage prouvent que, s'il a gardé
sur son compte un silence qu'il n'a pas gardé sur celui
<les érudits que nous avons eu occasion de nommer', il
l'a fait à bon escient.
De son récit des faits et dits de la Pucelle, il n'en
parle que d'un ton de dédain. Il le qualifie, dans ses
Aperçus nouveaux, de « vieille et lourde histoire ».
Op. cit.. p. 163.) Vieille et lourde histoire, tant qu'on
voudi'a; mais histoire d'un méri-te peu commun, juste-
ment parce qu'elle est la première en date, histoire que
1. Voir t. IV. p. 42.") et l. V, p. 408 de sa publication, lu ju.stiec
'|uil rend à Lenglel Dufresnoy et à Le Brun de Charmettes. i'our(|uoi
ne traitc-t-il pas de même Edmond Richcr '?
■ZH LA PREMIERE HFSTOIRK EN DATE DE JEANNE D ARC
J. Quiclierat n'a point osé écrire, histoire (jue Riclier
après tout a puisé aux sources véritables et dont il a
traité les parties difficiles avec un savoir et une compé-
tence indéniables.
La justice que l'éditeur des deux Procès a mesurée à
notre docteur de Sorbonne, des maîtres autorisés, des
historiens de valeur la lui ont rendue pleinement en ce
xix'' siècle. Gomme épigraphe du Discours préliminaire
qu'il amis en tête de son récit, Le Brun de Charmettes
cite une longue page extraite du récit môme de Richer ;
celle dans laquelle le vieil historien décrit les ravages
que les invasions annuelles des Anglais exerçaient en
France : de telle sorte qu'on « ne pouvait ni labourer,
ni cultiver les terres, ni recueillir le peu qu'on avait
ensemencé «. [Histoire de Jeanne cr Arc, t. I, p. \. In-8%
Paris, Arthur Bertrand, 1817.)
En novembre 1817, Daunou, membre de l'Institut,
écrivait dans le Journal des Savants :
« L'ouvrage de Richer composé en 1628 sur les pièces
aullientiques alors connues, doit être envisagé comme
le premier travail considérable sur Jeanne d'Arc, comme
le germe déjà très développé de tout ce qu'on a publié
depuis. ))
De son côté, à la date de 18:î7,, l'année même oii
J. Quiclierat sortait de l'École des Charles avec son
diplôme d'archiviste paléographe, Michaud, de l'Acadé-
mie française et historien des Croisades, parlait de
Richer en ces termes :
« On trouve aux manuscrits de la Bibliothèque du
Roi une Histoire de la Pucelle d'Orléans par Edmond
Richer, que les historiens modernes ont souvent mise à
contribution et qui mériterait bien de voir le jour. Son
EDMOND RICIIER. — INTRODUCTION 29
mérite, et c'en est un grand, consiste dans une parfaite
exactitude '. »
Un peu plus loin, Michaud ajoutait :
« Edmond Richer s'affliecait nue les manuscrits des
deux Procès ne fussent pas imprimés. Plus de deux
siècles se sont écoulés et les deux Procès sont encore
en manuscrit. L'ouvrage de ce pauvre Edmond Richer
n'a pas un meilleur destin. Son Histoire de la Pucelle
et les deux Procès dorment dans la même tombe ou
dans la môme poussière. «
Grâce à l'initiative de la Société de l'Histoire de
France, les deux Procès se sont éveillés de leur sommeil
et sont sortis de leur poussière. Grâce au patriotisme
de quelques Français, admirateurs soucieux de nos
gloires nationales, il en sera de même de l'Histoire
manuscrite d'Edmond Richer.
Lorsque les érudits en auront sous les yeux le texte
imprimé, ils pourront juger de la justesse des juge-
ments que nous venons de rappeler. On verra, confor-
mément à ce qu'avance Daunou, que, môme après les
nombreuses histoires parues au cours du xix" siècle,
l'Histoire de la Pucelle par E. Richer « doit ôlre envi-
sagée comme le germe très développé de tout ce qu'on
a publié ». Et l'on pourra constater la justesse du mot
de l'académicien Michaud, « que le mérite de cette his-
toire consiste dans une parfaite exactitude ».
vn
En résumé, pour conclure, la publication du manus-
crit d'Edmond Richer sur la vie et les deux Procès de
1. Michaud et Poupuulal. Nolice sur Jeanne d'Arc, p. 271-273, in-8°.
Paris, 1837.
30 I^A PREMIERE lIISTOIltE E\ DATE DE JEANNE D ARC
la Pucolle est, pour la science historique, d'un intérêt
dont on saisira sans difficulté les raisons.
Elle met au jour, elle place sous les yeux des érudils,
des catiioliques et des Français la première histoire en
date de Jeanne d'Arc, écrite en français d'après les
vraies sources par un auteur fort connu des théolog-iens,
mais très peu des lettrés, lequel était tout ensemble un
historien', un docteur de Sorbonne et un Français,
Elle traite avec les égards qui lui étaient dus une
œuvre ensevelie depuis trois siècles dans la poussière
de la Bibliothèque nationale.
Elle enrichit d'un document de valeur le dossier his-
torique de l'héroïne française. On ne pouvait que
regretter l'absence dans ce dossier d'un document aussi
important et aussi ancien. Avec les chapitres iv et v du
livre VI des Recherches de la France d'Etienne Pasquier,
il forme deux anneaux précieux de la tradition nationale
dont le procès de réhabilitation est le point d'attache et
le procès de béatification le point d'arrivée.
A considérer le savoir, le caractère et l'indépendance
de Richer, l'esprit critique le plus sûr et l'impartialité
la plus consciencieuse ont présidé à cette histoire com-
posée dans le premier quart du xvii' siècle par un
membre de ce clergé français à qui l'on a reproché son
indiflérence envers Jeanne d'Arc, par un des membres
les plus distingués de cette Université de Paris qui, au
xv° siècle, avait été si peu française et si partiale.
A considérer l'œuvre môme, dès la pi'cmière heure
elle met en pleine lumière l'héroïsme et la sainteté de
1 . La vie de la Pucelle n'est pas le seul ouvrajic (riiisloiio que Richer
ail ('cfil. il a composé aussi, mais en latin, une histoire des Conciles
gciiéiau.'c. Hisloria Con-:'diovum r/eneralium, in 4 ii/jr. distributa.
EDMOXD RICJIEP.. — INTRODUCTION 3f
la LibéraLrico du pa)s. Sur ces points, los historiens
les plus récents n'ont rien ajouté aux traits essentiels
signalés par E. Kiclier. A la fin du récit, comme consé-
quence logique de ce qu'il vient de raconter, l'auteur
consacre une dissertation spéciale à établir tliéologi-
quemenl la mission surnaturelle de Jeanne, son parfait
héroïsme et la sainteté de sa vie. D'où il suit que, en
élevant la martyre de Rouen aux honneurs du culte
public, l'Église catholique ne vient pas d'évoquer des
litres ignorés et de glorifier un personnage de fantaisie :
elle a simplement vérifié et approuvé le témoignage
i-endu pendant cinq cents ans aux vertus héroïques de
la servante de Dieu et elle J'a glorifiée comme elle le
méritait.
L'image de la Bienheureuse que le chef de l'Église
ull'rait le 18 avril 190'J, dans la basilique vaticane, à
la vénération de vingt mille Français et du monde
catholique, était bien celle dont les jug-es et les prélats
de la réhabilitation, dont les Pasquier, les Bossuet et
les E. Riclier, aux x\f et xv!!*" siècles, les Lenglet
Dufresnoy et lés L'Averdy au xviii% les Chateaubriand,
les JMichaud, les Guizot, les II. Wallon au xix% ont
reproduit les traits et proclamé la vérité historique.
I'hilippe-Hector DUNAND,
CliaQoinr liliilaiit", llicologal du chapitre de Toulouse,
llisloneii de Jeanne d'Arc.
JO novembre 1009.
DU MANUSCRIT D'EDMOND RIGIIER
ET DE LA PRÉSENTE ÉDITION
Nous devons au lecteur quelques explica lions sur louvage même
de E. Richer et sur les règles auxquelles nous nous sommes con-
formé en publiant cette édition.
DU MANUSCRIT
Le manuscrit de l'histoire de la PiiccUe par le docteur de lUni-
versité de Paris, najant pu être imprimé de son vivant, fut déposé
à la Bibliothèque du Roi, actuellement la Bibliothèque nationale.
Il y est encore aujourd'hui parmi les manuscrits du fonds français
sous la cote 10448. (Je manuscrit est unique et il n'a pas été
exécuté de copie authentique propre à le remplacer, s'il venait à
être altéré substantiellement, perdu ou détruit. L'écriture en est
assez forte, très nette et très lisible. Toutefois ce n'est pas l'écriture
de l'auteur lui-même, mais d un secrétaire ou d'un copiste. 11 n'y a
qu'une feuille volante de la main de Richer; elle y fut insérée
après coup pour suppléera quelque omission, et l'écriture en est
complètement différente de celle des autres feuillets.
Le nombre des feuillets est de 314, avec recto et verso, ce qui
donne un total de 1.028 pages.
L'Adcertissemcnt au lecteur comprend 4 feuillets, soit 8 pages;
Le livre premier : Vie de la Pucelle: 106 feuillets, soit 2l2pages:
Le livre second : Examen de son procès; 231 feuillets, soit 462
pages ;
Le livre troisième : Heii'>ion d'icehiij; 108 feuillets, soit 210
pages;
Le livre quatrième : Elo</cs tires de diccrs auteurs; €>'.'> feuillets,
siit 130 pages;
En tout 514 feuillets et 1 .028 pages.
34 OBSERVATIONS l'UKLIMINAIRES
DK i/hISTOIKK MKMi:, DK LA LANGUE, DE LA PONCTUATION,
DE l'orthographe
L'exposé des dits et faits de la Pucello se présente sous la forme
d'un récit tout d'une pièce, sans distinction de chapitres, de la
première ligne à la dernière, et avec des alinéas assez longs. La
ponctuation en est très simple. E. Richcr n'use guère que de
virgules, de deux points et de points. Et encore les place-t-il d'assez
bizarre façon. Son français et son orthographe sont ceux de la fin
du xvi" siècle. On ne saurait mieux les comparer qu'à ceux
des flecherches de la France d'Etienne Pasquier.
Nous avons respecté la langue de lauteur. On pourra juger
que le français du récit n'est pas du français rajeuni. Mais dans
l'intérêt même de l'ouvrage, pour en rendre le récit plus clair et
la lecture plus courante, nous l'avons divisé en un certain nombre
de chapitres, lesquels du reste sont tout indiqués par l'auteur, et
nous avons multiplié les alinéas. Le lecteur eût été déconcerté si
nous avions gardé la ponctuation du manuscrit telle quelle ; nous
l'avons légèrement modernisée.
En général, nous avons respecté la forme archaïque des mots
et du français de Richer, et nous ne nous sommes permis que
les modifications indispensables. Ainsi l'auteur supprime à
peu près toute espèce d'accents; il place des trémas là où aujour-
d'hui on n'en met plus. Nous avons habituellement supprimé ces
trémas et nous avons mis des accents là où ils étaient à peu
près indispensables pour que le sens des mots apparaisse sans
difficulté.
En fait de voyelles. Richer aime beaucoup les y, et il les pro-
digue là où ils sont non seulement inutiles, mais contraires à l'éty-
mologie. Il orthographie couramment amy, ennemy, party, mary,
scrvy, suivy, aussy, ainsy, parmy, etc. Nous avons cru pouvoir, sans
inconvénient, et même avec avantage, écrire ces mots et autres
semblables comme on les écrit aujourd'hui.
Pour les consonnes, notre auteur les redouble en plusieurs cas. Il
écrira traitter, jetler, deffaitte, etc.. sans raison autre que celle de
l'usage. A l'usage du xvi" siècle nous avons substitué celui des
siècles suivants.
Si nous en avons usé de la sorte, c'est que nous étions persuadé
que la physionomie linguistique et littéraire de l'ouvrage n'en serait
aucunement altérée. Nous avions d'ailleurs été frappé d'une
remarque de Ferdinand Brunetiére à propos du système suivi par
OBSERVATIONS PRELIMINAIRES 35
Auguslc Molinier, de l'Ecole des Charles, dans une édition nou-
velle des Pensées de Pascal.
« Une innovation très singulière de M. Molinier. remarque le
critique académicien, c'est, sous le prétexte d'absolue fidélité, de
reproduire impitoyablement l'orthographe du manuscrit. En vérité
je demande à quoi peut bien servir, dans un texte imprimé pour
lusage de la lecture, le pédantesque étalage de cette orthographe
bizarre. Ne poussons pas trop loin le respect des autographes'. »
Il nous est agréable de penser que Brunetière ne nous eût pas
désapprouvé « de ne pas reproduire impitoyablement, en cette
édition d'Edmond Kicher, l'orthographe de son manuscrit ».
Une dernière ol)servation.
Dans son Histoire de la Pucelle, Edmond Kicher ne donne pas
habituellement de références : pas plus dans son livre premier,
quoique les deux procès lui en aient fournis la substance, que dans
les livres II et III, où il parle théologie et droit canon : il ne cite ni
chroniqueurs, ni théologiens, ni canonistes. Son Adcerlissement au
lecteur a mentionné les sources auxquelles il a puisé, il n'en dira
pas davantage.
-Nous ne tenterons pas ce qu'il a cru ne pas devoir faire. Il suffit
que nous nous soyons assuré de la fidélité des emprunts tirés des
deux procès et des mémoires qui- figurent au procès de réhabili-
tation. Dans quelques cas d'importance seulement, nous donnerons
la référence des textes invoqués, en renvoyant le lecteur à
l'édition des procès publiée par la Société de l'Histoire de ï'rance
et collationnée par Jules Quicherat. C'est à cette édition que
renverront les notes indiquées de cette façon : Procès, t. 1 ou H
ou m, p. 10, 20. etc.
1. Ferdinand Brunetière, Etudes critiques sur l'histoire de la littéra-
ture franraise, in-12, 1" série : Paris, Hachette, 1896.
ADVERTISSEMENT AU LECTEUR
Auparavant ce jourd'huy, l'histoire de la Piicelle n'a
esté traitée que par lambeaux ou parcelles : laquelle nous
expliquerons en quatre livres, et ferons veoir que jamais his-
toire humainement escrite ne fut plus véritable, comme
prenant son jour et lumière très certaine des ennemis con-
jurez de la France. Car les Anglois voulans calomnier le
secours duquel Dieu favorisoit Charles VII, et faire perdre
l'honneur et réputation à ce prince, ont fait faire le procez à la
Pucelle en tant que sorcière, idolâtre, hérétique, et employans
toutes sortes d'impostures, médisance et calomnies pour la
diffamer.
Toutefois leurs calomnies demeurent amplement refutées,
tant par les actes de leur prétendu procez, que par la revision
et examen d'icelluy fait vingt et cinq ans après la mort de
cette fille : Dieu, par sa providence, ayant voulu que la plu-
part des juges, conseillers, notaires, et autres officiers qui
avoient esté contrains et forcez par les Anglois d'assister à ce
procez, l'an 1431, et d'y opiner selon leur conspiration, sur-
vesquissent jusqucs à l'an 1455, qu'il fut revu par authorité
spéciale du St-Siège apostolique : le Roy Charles VII n'y ayant
pu faire travailler auparavant, tant à cause des grands
affaires qu'il avoit sur les bras, que pour le différent survenu
entre le concile de Basle et le pape Eugène IV.
Tout ce que nous déduirons est recueilli de pièces origi-
nales bien authentiques. Premièrement d'un discours du
siège d'Orléans escrit en vieil langage par quelqu'un qui
38 IIISTOIUE DE LA l'UCELI.Ii
assista à ce siège et y a remarqué bien parliculicrement
jour par jour ce qui s'y est passé. Ce discours a esté tiré de
riiostel de ville d'Orléans, et imprimé deux, fois, scavoir l'an
1576 par Saturnin Jlottot, et l'an 1606 par Olivier Boynard et
Jean Nyon, libraires en l'université d'Orléans : sur lequel
discours et autres mémoires tirez pareillement de l'hostel
de ville d'Orléans, Jean Louis Miguellet, principal du collège
d'Orléans, l'an 1560, lit imprimer un livret bien latin des
expéditions de la Pucelle qu'il dédia à M. le Cardinal de
Lorraine, lequel nous avons aussi bien soigneusement
feuilleté.
L'autre pièce originale est le procez que les Anglois firent
à cette fille, signé et contresigné en chascun feuillet Bosguil-
laume^ (et non point Bosguille, ainsi que Estienne Pasquier
et autres lisent, ne prcnans pas garde à une abréviation). J'ay
vu la déposition originale en la revision du procez, où ce
notaire se nomme Guillaume Colles surnommé Bosguillaume.
Il estoit le second notaire, et confesse avoir escrit cinq copies
de ce procez, l'une desquelles fut consignée entre les mains
du Roy d'Angleterre, l'autre de Messire Pierre Cauchon,
Evesque de Beauvais, et la tierce de frère Jean Magistri-,
Dominicain, docteur en théologie, suffragant de l'Inquisiteur
de la foy, juge en cette cause avec l'Evesque de Beauvais.
Monsieur du Puis^ m'a preste l'original de ce procez signé
1. Ou « Boisguillaume, » d"apivs l'orlhograplie dont a usé J. Qui-
chcrat. Procès, t. 1, p. 8 et passim. L'attestation écrite au bas du pre-
mier feuillet du manuscrit du procès par le greffier lui-mèmo porte :
BoscguiUaume ; et il en est de même de la signatuve mise au bas du
recto de chaque feuillet : Afflrmo ut supra BoscguiUaume. Ibid., p. 4.
2. Jean Lemaltre. Voir Procès, t. I, p. 2.
3. Il ya eu trois Dupuj% contemporains d'E. Richcr. Ils élaiont frères
et c'est à l'un d'eux que très vraisemblablement Richer fait allusion.
L'aîné avait pour prénom Christophe et était tiiéologien. Il était fils
d'un conseiller au parlement et gai'dien de la bibliothèque du roi. Né à
Paris en I.jSO, il mourut à Rome en 1654. C'est lui qui empêcha l'his-
toire du président de Thou d'être mise à Vindex.
Le second des trois frères s'appelait Pierre. 11 naquit en 1582 à
Agenet mourut en 1657. Il s'adonna d'une façon toute particulière à
l'étude de l'histoire de France, s'occupa de l'inventaire du trésor des
ADVEnTISSEMENT AU LECTEUR 39
de trois notaires, ù sçavoir de Guillaume Colles Bosguillaumo,
de Guillaume Manchon, premier notaire, lequel gardoit tuutes
les notes et minutes, et de Nicolas Taquel qui fut nommi'
par frère Jean Magistri pour troisiesme notaire. Gette copie
originale est scellée de deux sceaux : le plus grand est de
TEvesque de Beauvais, et le plus petit de frère Jean Magistri,
inquisiteur de la foy. Et [je] me persuade que cette pièce soit
l'un des originaux qui fut déposé entre les mains de l'Evesque
de Beauvais ou dudit Magistri.
La troisiesme pièce originale est la re vision de ce procez
dont j'ai eu deux originaux, lun du trésor de l'Eglise Nostre
Dame de Paris, l'autre de la Bibliothèque de Monsieur du Lis,
conseiller du Roy et son advocat général en sa cour des Aides :
lesquels originaux sont signez et contresignez à chascun
feuillet, Dionijsms Comitis et Francïscus Ferrebouc, notaires
qui ont instrumenté en la revision du procez, où furent pro-
duits six traitez latins pour servir de griefs et contredits
contre les actes et prétendues accusations des ennemis de la
Pucelle.
Le premier de ces traitez est un opuscule que M" Jean
Gerson composa en faveur de cette fille, incontinent qu'elle
eut fait lever le siège d'Orléans.
Le second est de messire Hélie de Bordeilles, cordelier,
évesque de Perigueux, et depuis archevesque de Tours et
cardinal.
Charles, réunit un vaste recueil de mémoires, qu'il communi-
quait aux savant, et publia un certain nombre d"ouvragcs et d'études
historiques. On ne se trompera guère en supposant que c'est de ce
savant qu'il est question dans la préface d'E. Richer.
Le Iroisièmo des frères Dupuy avait prénom Jacques. Né en 158ti,
mort en 1656, il devint gar(tien de la bibliollièque du roi. Il publia,
avec son frère, plusieurs éditions de l'histoire de son parent de Thon,
et un Inde.v des noms qui y sont latinisés.
Dans son Mémoire pour sentir à l'histoire des hommes illustres (44 vol-
in-12. Paris 1727. t. I, p.3J6-H17), Niceron rapporte que Ménage rece-
vait tous les mercredis, ce qu'il appelait sa mercuriale, mais que « les
auUes jours, il alloit assiduement au Cabinet de Messieurs Dupuy ».
les deux frères dont nous venons de parler.
40 IMSTOmE DE LA PL'GELLE
Le troisiesme a pour nom ces trois lettres capitales M. E. N.,
souscrites à la fin du discours'.
La quatriesme est de frère Jean Brehal, Dominicain, doc-
teur en théologie, inquisiteur de la foy au Royaume de
France par commission du St-Siège.
Le cinquiesme, de Robert Ciboule, docteur en théologie et
chancellier de l'Université de Paris,
Le sixiesme, de M* Guillaume Bouile {Bouille), docteur en
théologie et doyen de l'église de Noyon.
Lesquels autheurs déclarent expressément que la Pucelle
n'estoit en rien justiciable de l'Evesque de Beauvais, attendu
qu'elle n'avoittiré sa naissance, ni eu domicile, ni mesme
esté prise en son diocèse-, et parlent de choses qu'ils sçavoient
très bien.
Outre lesquels opuscules j'uy encore vu et bien examiné
quatre autres traitez latins, l'un de Paulus Pontanus, advo-
cat de Rote, l'autre de Theodoricus, auditeur de Rote, le
troisiesme de messire Thomas Bazin, Evesque de Lisieux.
grand jurisconsulte : et le quatriesme est un sermon que
W Guillaume Erard, docteur en théologie de Paris, fit à
Rouen au cimetière St-Ouen, lorsque les Anglois contrai-
gnirent la Pucelle de se retractei" sous peine d'estre bruslée
toute vive^'.
Jacques Meyer, en l'histoire de Flandre, tient inventaire
d'un autheur sans nom, lequel asseure avoir eu commande-
1. On pourrait croire que ce mémoire est celui de Jean de Montiguy,
docteur en décret, dont parle .1. Quiciierat, t. III, p. 319, 3'20, et que
M. Lancry d'Arc a publié dans son recueil des Consultations sur lo
procès de la Pucelle, p. 276 et suiv. (in-8», Paris, A. Picard 1889).
Mais le manuscrit dont le texte est reproduit n'a de souscription d'aucune, .
sorte, tandis que trois capitales, M. E. N., dans le manuscrit que cite
Richer, figuraient à la fin comme souscription.
2. Cette dernière assertion n'est pas cvacte. Les docteurs de la réha-
bilitation se bornent à dire que l'évèque de Beauvais n'avait pas juri-
diction sur la Pucelle, alors même qu'elle eût été prise sur le territoire
de son diocèse, parce qu'elle n'y avait commis de crime d'aucune sorte
3. C'est grand dommage que le texte de ce sermon n'ait pu être
retrouvé.
ADVERTISSEMENT AU LECTEUH 41
ment du Roy Charles V[[ d'examiner le procez de la Pucellc,
et dit avoir fait des griefs en latin sur icelluy, lesquels je
n'ay pu recouvrer, ni scavoir qui en est l'autheur : nous en
ferons registre au livre des Eloges et de tous les autheurs et
historiens qui ont parlé de cette fille.
Ayant ouï dire qu'il y avoit un original de la revision du
procez au thrésor de l'Eglise de Beauvais, j'ay priéplusieuis
chanoines et autres personnes de cette ville de m'en esclaircir
et faire sçavoir s'il y auroit point quelques autres pièces con-
cernans ce sujet ; mais je n'ay trouvé aucun qui m'en ayc pu
rien dire. Et d'autant que plusieurs qui ont traité cette his-
toire tesmoignent avoir pris ce qu'ils ont escrit de la biblio-
thèque St Victor de Paris, comme d'un thrésor bien authen-
tique, j'ay eu la curiosité de veoir et y ai trouvé un volume
auquel sont escrites à la main les copies suyvantes non
signées, scavoir le discours du siège d'Orléans cy dessus
mentioné, item le procez fait à la Pucelle avec la revision
d'icelluy'. Et m'estant enquis d'où provenoient ces copies,
le père ïhoulouze, chambrier de St-A'ictor, qui a fait un
recueil de l'histoire de leur ordre, m'a asseuré que l'an mil
quatre cens soixante et douze, sous le règne de Louis XI, un
de leurs religieux, nommé Xicasius de Ulmo {Nicaise De-
lorme), estoit prieur d'une maison de leur ordre appelée
Bussy, distante environ six lieues d'Orléans, et qu'il escrivoit-
lors ces copies dont nous avons fait inventaire; la mémoire
des expéditions de la Pucelle et de sa justification estant
encore toute récente.
Quant au premier livre de cette histoire, il contient bien
exactement la vie de cette fille recueillie tant de ses propres
1. Voir sur ce manuscrit lio Saint-Victor la notice «jue J. Quiclierat
lui consacre. Procès, t. V, pp. 398-400 et 40."i, 440, 445, 452. 453. Comme
lindique L. Richer, ce manuscrit n'est qu'une copie de l'un des manus-
crits originaux.
- Ou mieux, fil e.iécnler ... Remarque de J. Quicherat, op. cit.,
p. 400.
42 y-- lUClIER. — LA PUCELLE I) ORLEANS
dépositions que de celles de cent cl douze lesmoins qui ont
esté ouys en la revision du procez*.
Le second est l'examen de tout son procez;
Le Iroisiesme, la i-evision d'icelluy;
EL le quatriesme sera dédié h ses éloges que nous avons
extraits de divers autheurs de toute nation. A quoy Jean llor-
dal, docteur et professeur en droit à l'université de Pont-à-
Mousson, a dignement travaillé en latin : au moyen de quoy
ce dernier livre ne nous sera si difficile à traiter que les trois
autres.
Et possible n'y eut-il jamais histoire plus enveloppée pour
ce qu'elle contient, à cause des intrigues calomnieuses et
malignes chiquaneiies dont les Angloisont rempli ce procez.
Toutefois, nous espérons, à la gloire de Dieu et à l'honneur
de la France, relever bien haut cette pièce et la mettre en
son vray jour naturel, qui est la simple et naïve vérité, sans
laquelle l'histoire ressemble à un cheval aveugle duquel on
ne se peut servir, ainsi que disoit Polybe.
Au reste, il m'eust esté beaucoup plus facile de l'escrire en
latin qu'en langue vulgaire, considéré mesme que le procez,
tous les actes et traictez ci dessus inventoriez sont couchez en
latin. Neantmoins, pour faire cognoistre à ma patrie combien
après Dieu, elle est obligée à cette fille qui ne parloit que
très bon françoys, j'ay mieux aymé l'escrire en nostre langue,
à ce que {afin que) ceux qui n'entendent pas le latin, et mes-
me les femmes et les filles, y puissent profiter et recognoistre
les merveilles de Dieu envers le royaume de France duquel
il a toujours eu un soin particulier.
Vrayment il seroit à désirer que, pour conserver ces pièces
originales, j'entend leprocezet la revision d'icelluy, quelqu'un
en fist imprimer cent ou six vingts exemplaires en un beau
1. Les témoignages recueillis dans ks enquêtes de la révision s'élè-
vent au nombre de cent quarante-quatre. Mais il n'y eut que cent
vingt-cinq témoins, quelques-uns d'entre eux ayant été entendus plu-
sieurs fois.
ADVERTISSEMRNT AU LECTEUR 43
chaiactère, pour les mettre en diverses bibliothèques, afin de
les conserver et transmettre fidèlement à la postérité, car
autrement elles se perdront par l'injure du temps. Pour mon
regard, jofïrirois volontiers ma peine et mon travail à
reveoir et confeier les copies et impressions sur les originaux.
Et ne seroit besoin faire imprimer les traitez des autheurs
que nous avons cy devant alléguez, pour ce qu'ils sont trop
peu clabourez, polis, et tumultuairemcnt escrits, mesme en
un siècle auquel la barbarie triomphoit.
Certes, attendu le secours miraculeux que la Pucelle apporta
à la couronne de France et race royale, je m'esbahys fort que
nos pères ayent eu si peu de soin de faire veoir la vérité de
cette histoire. Or, je ne fais point de doubte que tant de
pièces originales et traitez latins qu'il a esté nécessaire de
bien veoir, reveoir, conférer, examiner et développer, n'ayent
esté plus que suffisants pour détourner maintes personnes
d'entreprendre cet œuvre laborieux. Mais à ce que {a/în que)
tout le monde cognoisse nostre candeur et la fidélité que nous
y voulons garder, nous ne désirons qu'aucun y ajouste plus
de foy que permettent les actes publics et pièces originales
desquelles nous l'avons extraite et colligée : car nous tenons
pour très véritable maxime que c'est un très grand sacrilège
démentir en matière d'histoire, puisque l'escjire n'est autre
cboseque sacrifier à la vérité, comme disoit un ancien*.
1. Pline le Jeune exprimait une idée semblable lorsque, dans une de
ses lettres, il signalait « la puissance, la dignité, la grandeur, la majes-
té ot, en quelque sorte, la divinité de l'histoire : — quanta polesfas,
fjiianla diqmtas, quanta majeslas, quantum denique numen sit histo-
riée quum fréquenter alias, tu)n proj:ime sensi. » [Lettres de l'îine.
livre IX, 27, in-12, Paris, Garnior, sans date.)
HISTOIRE
LA PUGELLE D'ORLEANS
LIVRE PREMIER
DE SA NAISSANCE A SA CAPTIVITÉ
CHAPITRE PREMIER
COUP D'ŒIL SUR LE RÈGNE DE CHARLES VI ET SUR LES
COMMENCEE EiNTS DE CELUI DE CHARLES VII
C H A R L r^ S VI
Ceux qui ont quelque cognoissance de notre histoire de
France ne peuvent ignorer en quelles misères et confusions
l'Estat fut réduit sous le règne de Charles VI, surnommé
Charles le bien aymé : lequel nos histoires tiennent avoir
esté un très bon mais très infortuné prince. Il espousa Isaboau
de Bavière qui fut fatale à la France, et en eut six enfants :
trois fils, scavoir Louys, Jean et Charles, et trois filles, Isabelle,
Catherine et Michelle de Franco. Louys fut Dauphin et duc de
Guyenne, et prit à femme la fille de Jean, duc de Bourgogne.
Son frère Jean espousa la fille du duc de Bavière qui estoit
comte de llainaut. Louys décéda Tan 1415, et Jean Tannée
suivante IV16 : tellement que Charles qui estoit le plus jeune
et naquit Fan 1402 (vieux style) depuis les intervalles^ de
1. Dopuis los accès do folie auxquels Cliarlcs VI lui sujet.
46 E. UICIIKK. — LA l'H.KU.E I) ORLÉANS
son père, fui Uaiiphin environ Tàge de treize ans^ Il estoit
de très bon naturel, mais de petite coniplexion et peu aymé
de sa mère; et, après la mort de son père, succéda à la cou-
ronne.
Quanta Mesdames Isabelle et Catherine- de France, elles
furent mariées en Angleterre : celle-là en l'âge de sept ans
au Roy Richard, de la maison d'York, qui fut tué par les
menées de Henry de Lancastre, lequel après s'empara de la
couronne d'Angleterre; et Madame Isabelle fut renvoyée en
France auparavant le mariage consommé avec Richard, et
depuis mariée à Charles, fils du duc d'Orléans. De Madame
Catherine nous en parlerons ailleurs. Michelle fut mariée à
Philippe, fils unique de Jean, duc de Rourgogne, de laquelle
il n'eut aucun enfant, et décéda, quelques années après que
Jean de Rourgogne fut tué à Montereau Faut-Yonne.
Le duc de Rretagne vouloit mal de mort au connétable de
Clisson. Et le seigneur de Craon, Angevin, confident du duc
de Rretagne, fit assassiner Olivier de Clisson, connestable de
France, l'an 1392. Et s'estant réfugié en Rretagne, le roy
Charles VI tout nouvellement relevé d'une grande maladie,
pendant les plus grandes chaleurs de l'année, au mois de juil-
let, dressa un armement pour avoir raison du sieur de Craon
et du duc de Rretagne qui le protégeoit. Et s'estant avancé avec
son armée jusqu'au païs du Maine, fut là saisi d'une fièvre
chaude dont il a esté travaillé par intervalles (par accès) tout
le reste de sa vie et plus il avançoit sur l'âge; de quoy presque
ensuivit la ruine totale de la France. Car durant ces intcrvalles-
du Roy qui n'agissoit point, et [à cause de] la grande faiblesse
de l'Estat, toul le ro^^aume estoit en perpétuelle combustion,
les grands faisant tout ce que bon leursembloit, et vouloient
tous commander. Vraye image de ce que l'Escriture repré-
sente au [livre] <3 des Juges : En ces jours qu'il n'y avait
point de Roy en Israël, chacun faisoit tout ce que bon luy
sembloit.
1. Charles VU naquit le 14 février 1402. l'aum'C alors coininençant
à Pâques ; — en 1403, d'après noire manière présente de compter,
l'année commentant le 1" janvier.
2. Ces (( accès de folie ».
DE DOMUEMY A COMPIEGNE 47
El lors Jean de Bourgogne, prince fort populaire, ambi-
lieux et puissant, employa toute son industrie et ses
moyens pour venir au gouvernement de l'Estat. Et cognois-
ï^ant le crédit auquel estoit en ce temps l'Université de Paris,
il acheta l'affection et faveur de ce corps lettré, et par ce
moyen aussi celle de tout le peuple de Paris, voire de la plus
grande partie du royaume do France. Certes, nos histoires
font foy que pour acquérir réputation et faveur parmi le
pt'uple, il suifisoit lors d'être porté et assisté de l'Univer-
sité, pour ce qu'en toute la France il n'y avoit d'autre eschole,
ou à tout le moins [aucune] qui n'eust puisé en cette source :
car on tiroit de là les Evesques, Abbez, Cui-ez, prédicateurs.
Outre que plusieurs théologiens et autres suppôts de l'Uni-
versité estoient stipendiez du duc de Bourgogne, qui s'en
servoit tout ainsi que Jules César faisoit de Marc Antoine et
fie Curion, tribuns du peuple, et les maintenoit par sa puis-
>ance; d'où arrivèrent plusieurs insolences et séditions au
royaume de France.
Louys, duc d'Orléans, frère unique du Roy, esloiten faveur
auprès de son frère, lequel pour l'affection qu'il lui portoit,
ne recognoissoit presque autres personnes que lui et Valen-
line, sa femme, fille du duc de Milan, au plus fort de ses inter-
valles'; et relevé qu'il estoit de maladie, leur déféroit beau-
coup. Ce que le duc de Bourgogne, quiaffectoit- le gouverne-
ment de l'Estat, tiroit en envie de sortilège, à cause que le
duc d'Orléans empeschoit ses desseins. C'est pourquoy il le
lit tuer l'an 1407 : estant, en outre, irrité de je ne sais
(|uelles jeunesses du duc d'Orléans. Et eut à gages un certain
docteur en théologie, nommé Jean Petit, cordelier, natif de
Normandie, ainsi que tesmoigne Belleforest, pour deffendre
cet assassinat. Ce docteur d'iniquité, assisté et porté du duc
(li> Bourgogne présent, en pleine face du Roy et de tout le
l'onseil, osa tout premièrement dire qu'il avait entrepris la
ilefTense de cette cause parce que le duc de Bourgogne estoit
son bienfaiteur : secondement que le duc d'Orléans estoit un
1. Môme sens que ci-dessus.
2. « Aiubilionnail. »
48 E. niCHEU. LA l'UCKLLE D OULKAXS
tyran, et qu'il estoil loisible à quelque parliculiei- que ce soit,
de son propre et privé motif, sans avoir ordre ni commande-
ment daucun supérieur, de tuer, voire mcsme assassiner un
tyran par embûches et autres pratiques et moyens quelcon-
ques*. Et Jean Gerson chancelier de l'Université de Paris,
ayant entrepris de faire condamner celte doctrine comme
hérétique, les Bourguignons appeloient ceux qui l'avoient
condamnée, la secte de Gerson, à la vie duquel ils voulurent
attenter maintefois.
Or, pour la grande faiblesse de l'Estat, il fallut que le
Koy et tout son conseil passassent tout cela sous silence et,
davantage [de plus], tolérassent encore plusieurs autres
désordres, séditions et meurtres causez par le duc de Bour-
gogne et ses partisans. De sorte que la France fut des-
chirée en deux factions, aucuns tenans à gloire d'estre sur-
nommez Bourguignons, et chantans « Noël, Noël, » quand
ce duc arrivoit à Paris; et, par grand opprobre et injure,
appeloient Armagnacs tous ceux qui ne pouvoient agréer leur
séditieux parti, à cause du comte d'Armagnac, connestable
de France, très bon et très fidèle au Roy et à l'Estat, auquel
tous ceux qui aymoient leur patrie adhéroient.
Pour cette occasion, les gens du duc de Bourgogne con-
duits par le sieur de l'Isie Adam, ayant de nuit surpris la
ville de Paris par trahison de quelques bourgeois, le connes-
table d'Armagnac fut enlevé de son lit et massacré avec
une infinité d'autres personnes de toutes qualitez, âge et
sexe, sans pardonner aux femmes grosses et à leurs enfants,
[aux] docteurs en théologie et Evesques tenans le parti du
Roy. Et Charles, Dauphin, estoit en très grand danger de sa
personne, sinon que Taneguy du Chastel, prévost de Paris,
son bon serviteur, l'alla prendre en son lict et le porta bien
hastivement en la bastille de Paris, et de là fut conduit à
Melun, âgé d'environ seize ans.
Et dès lors le duc de liourgognc et Isabeau de Bavière,
l'cine de France, complotèrent de marier Madame Catherine
1. Voie co discours de Jean Polit dans Monsirolot, I, cliap xxxi.x.
l'aris, in-4», t. I, lo'JO.
DE DÛMllEMV A CoMPÎEGNE 49
de France au Roy d'Angleterre, qui la faisoit rechercher pour
avoir moyen de toujours empiéter dans le royaume de France
pendant nos divisions et la grande faiblesse de l'Estat. Car
les Anglois s'estoient desjà emparez de toute la Normandie,
excepté Rouen qu'ilz tenoient assiégé, et l'emportèrent par
famine. Et en ce mesme temps le sieur de l'Isle Adam, grand
partisan et confident du Bourguignon, livra Pontoise aux
Anglois. Quant au Roy, il estoit opprimé de sa maladie,
n'agissoit point du tout, et mesme manquoit des choses
nécessaires à la vie humaine. Nos histoires racontent qu'une
des gouvernantes qui eslevoit ses enfans, luy estant venu
dire, toute épleurée, qu'elle n'avoitde quoy vestir ni donner
à manger aux enfans de France, ce pauvre prince, la larme
à l'œil, respondit qu'il n'en avoit pas pour lui-même.
Or, le Dauphin âgé de dix-sept ans environ, et son conseil
ayans meurement considéré toutes ces choses, et voyans que
la Reine avoit affection d'avancer Madame Catherine de
France au détriment du Dauphin son fils, quoique héritier
présomptif de la couronne, jugèrent pour remédier à ce mal
n'y avoir rien de plus expédient que de rechercher le duc
.lean de Bourgogne pour asseurer quelque bon accord, ou
bien de s'en deffaire. Et afin de parvenir h. leurs desseins fut
moyennée l'entrevue de Montereau Faut-Yonne. Et Dieu
ayant résolu de chastier les François, Bourguignons et An-
glois, permit que les gens du Dauphin prinrent le pire et plus
infâme conseil, et, contre la religion des promesses données
et serments solennels, tuèrent le duc de Bourgogne l'an
1419 : tout ainsi qu'il avoit faict massacrer le duc d'Orléans,
nonobstant qu'ils eussent aussi solennellement juré amitié
par ensemble. Et depuis chascun eut tout loisir d'essuyer et
faire panser ses playes.
Et les Anglois à l'occasion de ce meurtre ayans voulu
empiéter le royaume de France, en furent du tout chassez, et
mesme y perdirent la Normandie qu'ils avoient usurpée
depuis plus de trente ans, et la Guienne qu'ils tenoient, il y
avoit près de deux cens ans. D'autre part, le Bourguignon
qui pensoit avoir pour sa part la Picardie et partie de la
Champagne dont il s'empara, fut ruiné par Louis XI. De
4
50 E. RICHER. — LA l'UCELLE D ORLEANS
sorte que lesaliil de la France provint d'où l'on craignoil la
la ruine : tant les jugements de Dieu sont adnairables et incon-
nus aux hommes! Lequel eut pitié de ce pauvre Estât et du
Dauphin, attendu qu'il cstoit en minorité et en la possession
d'autruy, quand le duc de Bourgogne fut assassiné ; car ses
gens le gouvernoient tout ainsi que bon' leur sembloit. Oui
est en somme ce que la Pucelle d'Orléans ^ en esprit de pro-
phétie, prédit aux Anglois et Bourguignons qui lui firent son
procez, comme nous verrons.
Cette cruelle tragédie ainsi exécutée par les gens du Dau-
phin, Philippe II, fils du duc Jean de Bourgogne, âgé de
vingt et trois ans, qui avoit espousé Madame Michello de
France, succéda aux estais de son père et se résolut d'en ven-
ger la mort. Et à ces fins se rendit incontinent à Paris
auprès de la reine Isabeau de Bavière, et conjoinctement
firent faire au roi contre son propre fils tout ce que bon leur
sembla; car depuis ce long temps ce pauvre prince estoiten la
puissance d'autruy et accoustumé à faire tout ce que l'on vou-
loir La reine fut déclarée régente du royaume et, assistée du
duc de Bourgogne, .^ils] conclurent à Troyesen Champagne le
mariage de xAladame Catherine de France avec Henry, Uoy
d'Angleterre, aux conditions qu'après le décez de Charles VI
et d'Isabeau de Bavière le Roy d'Angleterre seroit Roy de
France, etrégent du royaume durant leur vie. Et conséquem-
ment la loy salique,[loy] fondamentale del'Estat, fut abrogée
sans aucune assemblée d'Estats, et le Dauphin exclu de la cou-
ronne. Lequel encore, pour comble d'ignominie, fut appelé
à trois briefs jours à la table de marbre du palais de Paris, au
nom du Roy d'Angleterre en tant que régent, pour rendre
compte d u meurtre commis en la personne du d uc Jea n de Bour-
gogne. De manière que dès lors Paris, toute la Hrie, Champa-
gne, Beausse et Picardie vinrent en la possession de l'Angloiset
du Bourguignon, outre ce qu'ils possédoient desjà en propre
au royaume de France. Et la mesme année que le duc de
Bourgogne fut tué, l'Anglois emporta la ville de Rouen par
famine, et s'y rendit [maitre] absolu.
1. A savoir (juo « le sulul vint ù lu l"'iaiicr d'où paraissait devoir
venir la ruine».
T)K DÙMUEMY A CoMl'IKDNK 51
|[
CHAP.I, RS VII
Le Roy Charles VI mourut l'cin ['t^i : auquel le Dauphin,
âgé de vingt ans ou. environ succéda, tous les bons François
l'aj^ant recognu, comme d'autre part ceux de la faction de
Bourgogne receurent le Roy d'Angleterre. Et les Anglois firent
lors de très grands progrès par toute la France et resser-
rèrent le Roy Charles Vil au delà de la Loire. Et parce que
son séjour ordinaire estoit à Bourges, par dérision et moc-
querie ils le surnommoient « Roy de Bourges». Le Roy
d'Escosse luy envoya cinq mille Escossois conduits par Jean
Stuard, connestable d'Escosse, et Guillaume Stuard son frère,
très valeureux chevaliers qui assistèrent à la bataille de Ver-
neuil au Perche, que nous perdismes l'an 1424, où il
demeura cinq mille François sur la place, outre plusieurs
grands seigneurs qui furent prisonniers, et entre autres le
duc d'Alençon, prince du sang. De quoy toute la France et
principalement la noblesse demeura grandement estonnée,
voyant tout succéder au souhait des Anglois, lesquels pour
lorshonoroient et favorisoient grandement tout le clergé : h
raison de quoy tous les chapitres, collèges et communautez
ecclésiastiques se portoient passionnément à leur parti. Ce
qui donna subject à Louis XI deconsentir quela Pragmatique
sanction fust abrogée par le Pape Pie II ' ; d'autant que le
clergé faisoit souvent élection de prélats peu agréables a ce
prince qui les appeloit « bons Anglois ».
Le duc d'Orléans estoit prisonnier en Angleterre depuis
l'an I4L'), qu'il fut pris à la bataille d'.Vzincourt, sur la fron-
1. Km 1471. Mais elle ne lut abrogée que noiuinaleaienl, jusqu'au
Concoi-flat de Léon X avec Fi'ançois l", en lolô. — Cette Pragmatique
sanction consistait en un recueil de règlements admis à Bourges par
rassemblée du clergé en 1438 et sanctionné par le roi. Ces règlements
concernaient les questions ecclésiastiques. Empruntés aux décisions du
Concile de; Bâle, ils étaient accommodés au.K usages du royaume et aux
circonstances. Cette Pragmatique sanction qui porte le nom de Char-
les Vil ne doit pas être confondue avec celle qu'on attribue à saint
Louis.
o2 E. IIICIIEU. — LA l'LCELLE U ORLEANS
lière du Païs bas, que nous perdisuics aussi par téméraire
valeur. Le duc de Bethford ou de Sommersct, prince très
advisé, Régent pour le Iloy d'Angleterre au royaume de
France, avoit promis au duc d'Orléans de ne rien entrepren-
dre sur son duché d'Orléans, comté de Blois, et dépendances
d'iceux : lesquelles villes, quoyque Françoises d'affection,
demeuroient comme neutres par la prison de leur seigneur.
Mais l'Anglois voyant que la ville d'Orléans empeschoit le
progrès de ses conquestes au delà de la rivière de Loire,
résolut de l'assiéger nonobstant la promesse donnée au duc
d'Orléans, préférant l'utilité à l'honneur et à la religion de
son serment, ainsi que Lysandre et plusieurs autres capi-
taines en ont usé. Donc, pour se préparer à ce siège, il se
saisit premièrement de Jargeauqui est sur la rivière de Loire,
au-dessus d'Orléans, et de Meung et de Bois-Gency (Beau-
gency), qui sont au-dessous, entre Blois et Orléans. Et le
douziesme octobre 14^28, (les Anglois) formèrent leur siège,
et firent abattre et brusler tous les moulins tant à mont qu'à
val la rivière de Loire servans à la ville, laquelle ils vou-
loient emporter par famine : et, à cet effet, l'avoient bloquée
de toutes parts, et environnée de fortes bastilles, rompu tous
les chemins, faict plusieurs retranchements et lignes corres-
pondantes à leurs forts, pour empescher qu'aucun secours
d'hommes ni de vivres y pussent entrer ou en sortir. Le
milord de Monlagu, comte de Salibery (Salisbury), vaillant
capitaine, estoit général de l'armée angloisc à ce siège, et y
fut tué d'un coup d'artillerie par ceux dOrléans.
Au commencement de ce siège, le Boy envoya à Orléans,
pour gouverneur, le sieur de Gaucour, très sage et vaillant
seigneur, grand maistre de Ihostel du lîoy et gouverneur
du Dauphiné, qui fut assisté de Jean de Brosse, sieur de
S'* Sévère et de Boussac, mareschal de France, de Jean, Bas-
tard d'Orléans, des sieurs de Chabanes, de Loré, de La Ilire,
Poton de Saintraillcs, et de plusieurs autres vaillans chefs de
guerre, outre des recrues de gens de pied, Italiens et Fran-
çois qu'on y envoya.
Les affaires du Boi alloient toujours de mal en pis, ayant
à grand'peine de quoy entretenir bien pelitement son train :
DE nOURKMY A COMPIKGNE y3
l't fui résolu au Conseil, au cas qu'Orléans se perdist, que le
|{03' se relircroiten Dauphinépourtascherde leconserveravec
le Lyonnais et autres provinces adjacentes. A raison dequoy le
sicurde Gaucour fut envoyé en Dauphiné d'où il estoit gouver-
neur, et le Bastard d'Orléans laissés à Orléans, pour y comman-
der. Aucuns estoient d'avis que le Roy se retirast en Espagne,
vers le lloy de Castille, qui lui cstoit ami et allié. Brief, le
Boy estoit saisi d'une telle tristesse qu'on avoit bien de la
peine ù le consoler. Et, pour le divertir, ayant faict un jour
un ballet, La Ilire sestant trouvé comme il répétoit ce ballet,
et "le Roy] ayant demandé à ce chevalier sans peur ce qui lui
en semb'oit, Baptista Ignatius et le chancelier de l'Hospilal
racontent que La Hire dit qu'on n'avoit jamais vu ni ouy
parler qu'aucun prince perdist si gayement son Estât que
lui. Ce qui fut cause que le Boy se résolut et prist a cœur
ses affaires un peu plus qu'auparavant, quoy que les Anglois
prospérassent de jour à autre.
Car le samedi, douziesme febvrier, veille des brandons ^
ainsi qu'on parloit alors — c'est le premier dimanche de
caresme — les Anglois faisans venir de Paris un grand con-
voy de vivres, harens et autres provisions de caresme pour
leur armée, les François pensans enlever ces vivres et sur-
prendre les Anglois auparavant qu'ils se feussent barricadez
de leur paux - et charroy, selon leur coustume, le comte de
Clermont, depuis duc de Bourbon, général de l'armée du Roy,
ayant empesché nos gens de faire opportunément charge,
donna tout loisir aux Anglois de se retrancher et fortifier,
au grand mescontentementdu Bastard d'Orléans, de la Hire,
Poton et autres. Et Jean Stuard, conncstable d'Escosse, avec
son frère, s'estant témérairement jetés dans l'embarras des
chariots, furent suivis de tous nos gens qui mirent pied à
terre et quittèrent leurs chevaux pour les secourir. Et furent
1. Le premier dimanche de Carême était alors appelé Dimanche des
l>ra7i(lons, parce que ce jour-là, le peuple allumait des ieux, dansait
à Icntour, et parcourait les rues et les campagnes, en portant dos bran-
dons ou des tisons allumés.
On appelait brandons des cspi'ccs do flambeaux luits avec de la
paiilo tortillée.
i. l'aux, pluriel de pal.
5i E. UlCHKU. — LA PUCELLK U ORLEANS
(leflaitz, el on deineuru plus de quatre cens sur la place,
entre antres plusieuj-s seigneurs de remarque, comme le sieur
d'Albret, d'Orval, Jean et Guillaume Stuard, Escossais, les
sieurs de La Roche-Chouard, de Ghasteaubrun, de Chabot;
et le Bastard d'Orléans y fut grièvement blessé.
C'est la défaite que nos historiens appellent la journée des
Haren's, laquelle incommoda tellement les affaires du Roy et
la ville d'Orléans, qu'il fust tenu conseil et résolu de prier le
duc de Bourgogne prendre la ville d'Orléans en sa protection,
et de lui plus tost consigner entre les mains que de permet-
tre qu'elle tombast en la puissance de l'Anglois. Et remontra-
t-on au Roy que cela serviroit d'acheminement pour faire
quelq'ue accord avec le duc de Bourgogne, et en tout événe-
ment mettroit de la jalousie entre lui et l'Anglois. Pour ces
causes, Poton de Saintrailles, assisté de quelques autres sei-
gneurs, fut envoyé au duc de Bourgogne, lequel eut pour
agréable l'offre qu'on lui faisoit, et dit qu'il en falloit confé-
rer avec le duc de Bethford, auquel il envoya un ambassa-
deur pour cet effet. Mais l'Anglois ayant respondu qu'il ne
vouloit battre les buissons et qu'un autre prist les oiseaux,
cela donna sujet au Bourguignon de retirer quelques gens
qu'il avoit envoyez au siège d'Orléans, et au duc de Bethford
de faire de nouvelles recrues pour emporter Orléans par
famine, car il y avoit grande disette de vivres.
De sorte qu'après le retour de Poton, tout sembloit déses-
péré, et le Roy et sa noblesse estonnez ne plus ne moins que
s'ils eussent esté frappez de quelque esclat de tonnerre; et
tout ainsi qu'en une armée saisie de terreur panique, chas-
cun pensoit plus à se sauver en particulier que de pourvoir
au général, au moyen de quoy tous demeuroient en proie à
l'ennemi commun. Certes, les Anglois-ct le duc de Bourgogne
n'eurent onques de plus braves et vaillans chefs de guerre,
ni en si grand nombre qu'ils avoient lors ' : et toute la Picar-
die, qui estoit en ce temps pleine de grandes maisons, des-
quelles il ne reste presque aujourdhuy que le seul nom, estoit
en la puissance du Bourguignon.
\. Ri-fulation de l'opinion émisr par quoique.* iiistoriens peu infor-
m('"s qui parlent de la faiblesse des troupes assiégeant Orléans.
Dli DÛMar.MV A COMPIEGNE SS
Or, les affaires du Uoy réduites à ce point qu'humaine-
nieut on tenoit tout désespéré, la Providence divine, qui a
toujours eu un soing particulier du royaume de France, et
contre l'espérance des hommes l'a maintefois protégé à
rencontre de ses ennemis, et rendu plus florissant lorsqu'il
sembloit estre proche de sa ruine, suscita une pauvre fille
d'entour les troupeaux de brebis qu'elle gardoit, pour déli-
vrée ce tant désolé Estât. Secours inespéré qu'on peut à bon
droit comparer à celui que Dieu envoya au royaume d'Israël
par Uebbora, simple femme, de laquelle l'Escriture, aux
Juges 4, rend ce tesmoignage qu'on peut véritablement attri-
buer à la Pucelle : « Les vaillans personnages ont cessé entre
les Israélites, jusques h ce que Debbora se présentast et se
présentast pour mère en Israël. » Pourroit davantage encore
estre conféré avec celui de David, petit berger, qui terrassa
de sa fronde les blasphèmes du géant Goliath ; ou mesme de
.ludith, qui fit lever le siège de la ville de Béthulie.
Les empereurs Romains, durant leur paganisme, adoraient
la fortune, ne plus ne moins que quelque divinité faisant
largesse de toutle bonheur et malheur qui se veoit au monde :
et pour cette cause gardoient en leur cabinet et recevoient
religieusement sa statue, ensemble je ne scay quel feu qu'ils
appeloient sacré. Etsevoyans proche de payer le tribut à
nature, envoyoient tout cela à leur successeur, estimans lui
transmettre quant et quant tout le bonheur de l'empire.
Les Uois d'Israël, par grâce et faveur spéciale de Dieu, ont
eu les onctions sacrées, comme un précieux charactère de
bonheur qui devoit accompagner leur règne et gouverne-
ment. Et Saûl s'estant rendu indigne de l'onction que Samuel
luy avoit conférée par ordonnance du ciel. Dieu commanda
H Samuel d'aller oindre David : lequel, pareillement proche
de la mort, donna ordre à Sadoch, grand prestre, et au pro-
phète Nathan, de sacrer Salomon pour lui succéder à la cou-
ronne de Juda.
Très saincte coustume qui a heureusement passé au Chris-
tianisme, et depuis Clovis a toujours esté sainctement gardée
par les Roys de France. Mais les Anglois et Bourguignons
s'estans emparez du royaume, de manière qu'il estoit impos-
56 E. RICIIER. — LA PUCELLE d'oRLÉANS
sible au Uoy Charles Vil d'aller à Rheims pour se faire sacrer
et recueillir la grâce et le bonheur de celte saincte onction.
Dieu lui envoya la Pucelle d'Orléans pour lever toutes ces
diffîcultez, et le faire passer au milieu de toutes les armées et
forces de ses ennemis et des plus fortes villes et places qu'ils
occupoient, et le mener h Rheims où mesme ils avoient une
puissante et forte garnison ; qui est le principal but de la
mission de cette fille. Et à ce secours envoyé de Dieu par
personnes de basse condition ne peut-on pas aussi justement
associer le Bastard d'Orléans, duc de Longueville ; lequel
pareillement Dieu suscita au mesme temps comme un autre
Jephté, pour conduire si heureusement les armées et exploi-
ter tant de faits d'armes merveilleux sous le règne de
Charles VII. Aussi avoit-il pris pour devise : Non fecil (aliter
omni nationi.
CHAPITRE II
JEANNE DARG. SA NAISSANCE, SA FAMILLE,
SA PIÉTÉ
Or, cette fille nasquit à Dompremy, un gros hameau de la
paroisse de Greux, située en France sur la rivière de Meuse,
au ressort de la prévosté de Andelot, bailliage de Chaumont
en Bassigny, élection de Langres. Néantmoins celte paroisse
est enclavée dans le diocèse de Toul, en Lorraine^ qui s'estend
jusques en quelques endroits de France. D'où nous appre-
nons que cette fille estoit vraynient Françoise de nation et
d'afïection.
Son père avoit nom Jacques Darc et nasquit à Selfond, près
de Montirandel ', en Champagne, diocèse de Troyes, et sa
mère avoit nom Isabeau Romée. Le sieur du Tillet et quel-
ques autres l'ont appelée Isabeau Vaultheur, au lieu d'Isabeau
Vouthon ■-.
G'estoient de fort gens de bien craignans et aymans Dieu,
mais qui avoient peu de moyens et vivoient d'un peu de
labourage et de bestiaux qu'ils nourrissoient. Ils eurent cinq
enfants, sçavoir trois fils et deux filles \ L'aisné s'appeloit
1. Aujourd'hui Monliérender, rhc-r-lieu de canton de la Haute-Marne,
diocèse do Langres. — Richer n'assigne pas de date à la naissance de
riiéroïne. Il se contente, au livre II, feuillet 20 verso, de reproduire sa
réponse au.v juges de Rouen, Procès, t. I, p. 46 : « Interrogée de son
âge, répond qu'elle peut avoir dix-neuf ans, comme elle pense. » Ce
qui la ferait naître en 1412.
2. (( Vouthon est un village proche de Dompremy auquel cette femme
nasquit. On a oscrit qu'estant grosse de la l'ucellc, elle songea qu'elle
devoit accoucher d'un foudre. Aussi la Pucelle a esté un foudre de
guerre contre les Anglois. » {Remarque d'E. Richer.)
3. La sœur de Jeanne avait nom Catherine. Elle fut mariée à Colin
<io Greux et mourut avant le départ île la Pucelle pour Chinon. Il
semble qu'elle ait été son ainéc, quoique Richerdiseplus bas le contraire.
58 E. RICIIEH. — LA l'UCELLE d'uRLÉAXS
Jacqueiilin, comme qui diroit le petit Jacques : il mourut de
regret, et son père scmblablemcnt, après la mort funeste de
la Pucelle. Les deux autres frères, scavoir Jean et Pierrelot
Darc, accompagnèrent leur sœur venant en France, et furent
advancez par les bienfaits du Roy Charles Vil. Jean Darc, en
la revision du procez, est qualifié : « Prévost de Vaucouleur »,
et par un idiosmedu païs de Lorraine, surnommé Jean Ualiz,
pour dire Jean du Liz, parce que le Roy avoit permis aux
frères de la Pucelle de porter le nom et les armes du Liz, en
mémoire des faits héroïques de leur sœur ^
Cette fille fut baptisée par messire Jean Minet, prestre de
la paroisse de Greux, et eut pour parrains Jean Morclly,
(Morel), habitant de Neufchastel, Jean Longeart et Jean Barré
de la paroisse de Greux. Ses marraines furent Jeanne, femme
d'Estienne ïhévenin, charron de son mestier. et Jeanne,
veufve de feu Thiestelin le Clerc, ainsi que les mesmes par-
rains et marraines ont déposé en la revision du procez. Tou-
tesfois, la Pucelle interrogée par les juges qui l'ont condam-
née, respondit avoir appris de sa mère que l'une de ses mar-
raines s'appcloit Agnez, l'autre Jeanne, et la troisième
Sybille. Ses parrains lui imposèrent le nom de Jeanne, et
pendant tout son bas âge on Tappeloit Jeannette Romée,
parce qu'en ce païs les filles portent le nom de leurs mères.
Depuis qu'elle fut en France, on la surnomma Jeanne la
Pucelle ou la Pucelle d'Orléans.
Dès sa première enfance, sa mère lui apprit à faire le
signe de la croix en toutes ses nécessitez, et son Paler nos-
ter, Ave Maria, Credo in Deum, et sa créance, ainsi que
peuvent faire gens de village qui ne savent lire ni escrire, et
ne sçauroient prononcer le latin. Dès sa tendre jeunesse, elle
s'adonna fort à la dévotion et, le plus souvent qu'elle pouvoit,
entendoitlamesse, se plaisoitgrandementà donner l'aumosne
1. Kicher ne dit pas pour quelle raison il écrit Darc sans apostrophe.
I.'ortliographe D'Arc avec apostroplie est aujourd'hui généralement
adoptée. En ce qui concerne les parrains et marraines de Jeanne, elle
en eut douze en tout, quatre parrains et huit marraines. Voir notre His-
loire complète de Jeanne d'Arc, t. I, note VII, à la fin du volumo.
(L'éditeur.)
DK DdMRRMV A COMPlÈli.NL: 59
aux pauvres, mcsme leur abandonner son propre lit, ayniant
mieux coucher au foyer pour les accommoder. O^iand elle fut
en France en meilleure condition, elle les secouroit de tout
ce qui lui estoit possible. [EUeJ se confessoit et comniunioit
souvent, jeusnoit durant le caresme et tous les vendredis de
l'année, sinon qu'elle fust aux armées, portant la fatigue.
Elle] avoit une particulière dévotion à la Vierge mère de
Dieu, et pour cette cause, avec une sienne sœur plus jeune
quelle, fréquentoit souvent l'église ou hermitage de Notre-
Dame de Beaumont (Bermont), proche du village de Greux.
Le curé de cette paroisse disoit ordinairement que c'estoit la
meilleure et la plus saincte ame qu'il eut jamais cogneue,
ainsi qu'il a esté déposé en la revision du procez, et la
proposoit en exemple à toutes les autres iilles du village
pour l'imiter ^.
Ceux qui l'ont condamnée l'interrogèrent si elle se confes-
soit chacun an. Elle respondit que oui, et toujours à son pro-
pre curé ; ou, au cas qu'il fust empesché, qu'elle lui deman-
doitperniission de se confesseràunautreprestre. Davantage ^
qu'estant à Neufcha?tel en Lorraine, où elle fut environ
quinze jours à cause des gens d'armes, elle s'estoit con-
fessée deux ou trois fois aux frères mendiants de Neufchas-
tel. Venue qu'elle fust en France, elle se confessoit et
reccvoit souvent la saincte Eucharistie, et allant par le païs
avec les gens de guerre, ne l'avoit jamais receue armée, mais
bien avec son habillement qui estoit son habit de guerre.
Plusieurs gens doctes et maistres en théologie qui l'ont
entendue de confession, asseurent n'avoir onques cognu une
ame plus simple, humble et résignée à la volonté de Dieu ; et
que n'ayant aucun sens acquis, elle estoit néantmoins douée
de grandes parties, tant pour sa conduite parmi le monde
que pour la piété, ainsi que l'on recognoist par les admira-
bles responses qu'elle a faites à ceux qui l'interrogèrent sur
1. Procès. I. II, p. 43;;, 434.
2. Davantage, c'est-à-dire, déplus. CcUi- locution revient souvent sous
la piuine de notre auteur.
GO E. RICHER. LA PLXELLE d'oIILÉANS
de hautes et sublimes question de théologie, lui faisans son
procez.
Le comte de Dunois, bastard d'Orléans et lieutenant géné-
j-al pour sa Majesté très chrestienne, atesmoigné que le sieur
Dolon (D'Aulon), conseiller du Roy etséneschal de Beaucaire,
estoit recognu pour le plus sage gentilhomme de tout le
loyaume de France ; que, pour cette cause, le Roy le choisit,
afin d'avoir soin de la Pucelle et l'intendance de sa maison.
Or, ce seigneur, en la revision du procez, a déposé avoir
esté et vécu continuellement avec cette fille plus dun an
entier, et jusques à ce qu'elle fut prise; que c'estoit la plus
simple et dévote créature qu'il ait jamais cognue, qu'elle
cntendoit très dévotement le divin service, a sçavoir aux
jours solennels la messe, avec toutes les heures subséquentes,
tierce, sexte, none et vespres : que tous les autres jours, elle
oyoit une messe, si lui estoit possible, se confessoit et rece-
voit le corps de Notre-Seigneur bien souvent et avec grande
dévotion ; qu'un jour l'ayant prié de lui faire voir son Con-
seil, elle respondit cela ne pas dépendre d'elle, mais de la
volonté de Dieu et de la probité de ceux auxquels il lui plaît
se manifester; qu'il ne l'avoit jamais ouy jurer ni blasphé-
mer le nom de Dieu ni de ses Saincts pour quelque cause que
ce soit; au contraire, entendant jurer quelqu'un, pour grand
seigneur qu'il fust, le tançoit et reprenoit, voire mesme fiist-
il prince du sang, ainsi que le duc d'Alençon a déposé, ayant
esté blasmé par icelle pour avoir juré en sa présence ^
Son chapelain, qui estoit un docte religieux et lecteur de
l'ordre des Augustins, a tesmoigné la mesme chose que le
sieur Dolon. Et Seguin, docteur dominicain, (raconte) que
cette fille, entendant jurer Estienne de Vignoles, surnommé
la Ilire, le reprenoit et le prioit (de) ne jamais jurer que par
son baston, attendu qu'il en portoit toujours un en main ;
que ce brave cavalier, toutes les fois qu'il voyait la Pucelle,
luy montrant son baston, luy disoit en riant : « Jeanne, je
renie mon baston-. »
1. Procès, t. m. p. lo ol 209-220.
2. Procès, t. III. p. 100112 et 200.
DE UOilUEMY A COMPIKGNE 61
Kl aliiî de traiter en une seule fois de sa piété et dévotion,
et du grand zèle qu'elle avoit au service divin, (nous adjou-
tcrons que) quand elle pouvoit avoir de l'argent, elle le don-
noit aux gens d église pour dire la messe ou faire quelques
autres prières, ainsi qu'ils ont attesté. Et durant sn prison,
n'y avoit chose qui la travaillast tant que de ce qu'on ne lui
pcrmettoit d'ouyr la messe; car les Anglois ne lui voulurent
jamais permettre. Et comme elle fut citée pour comparoir
devant l'Evesquede Beauvais, et respondre aux chefs d'accu-
sation qu'on lui imputoit faussement, la première chose
qu'elle demanda fut qu'on lui permist d'entendre la messe
auparavant que d'estre interrogée : ce que cet évesque lui
dénia, prétextant qu'elle estoit habillée en homme '.
Davantage : voyant qu'en toutes les séances de son procez
— il y en a plus de quinze, — ses juges exigeoient à cha-
cune fois son serment, et ayant juré les deux premières fois
et promis de dire vérité, craignant d'offenser Dieu en jurant
par tant de fois réitérées, elle se plaignoit qu'on la grevoit
par trop, et promettoit dire plus franchement la vérité de ce
qu'on lui demanderoit, pourvu qu'on ne la fist pas jurer
davantage. Ne voulant aussi se vanter des bonnes œuvres
qu'elle faisoit, (elle) tenoit pour un grand grief qu'on lui
demandast si elle jeusnoit chacun jour de caresme, et leur
demanda si un tel interrogatoire pouvoit appartenir à leur
procez. Et lui ayant esté respondu que oui, répliqua avoir
jousné tous les jours du caresme.
G'esloit la coustunie de la paroisse de Greux que les filles
grandelettes gardassent chascune à leur tour le bétail aux
champs, comme les brebis, vaches, etc. Et la Pucelle estant
un peu avancée d'âge y alloit à son tour, et, au lieu de s'amu-
ser à chanter comme les autres les refrains ordinaires des
pastres et bergers, s'occupoit à prier Dieu, et entendant quel-
que part sonner les cloches, et principalement à la consé-
cration du corps de Nostre Seigneur, se mettoit incontinent
à genoux, se retirant à l'écart derrière quelque arbre ou
]. l/jid., 1. 1. p. 4.5.
62 E. RICIIER. — LA PUCELLE D ORLÉANS
buisson, afin de faire ses prières avec plus d'attention.
Au reste, sçavoit très bien filer et coudre, et, comme elle
respondit a l'Evesque de Beauvais, n'en craignoit femme de
Rouen '. Quand elle fut devenue plus grande, elledemouroit
à la maisttn de son père pour faire le mesnage avec sa mère,
et jamais ne se tenoit oisive et ne la voyoit-on point villuter
parles rues, sinon qu'elle allast au labourage ou h la mois-
son, pour aider à son père et à ses frères.
Dès sa première jeunesse aymoit naturelloment la France,
sa patrie, de sorte qu'entendant parler des factions (]ui
régnoienL lors, les uns se disans Bourguignons et par injure
appelans les autres Armagnacs, estoit esmeue à grande com-
passion et concevoit une certaine aversion contre les Bour-
guignons : vraye disposition pour l'ecevoir les semences
qu'il plut à Dieu mettre au cœur de cette fille pour la paix el
réunion de la France ; tout ainsi que l'affection de Moïse à
l'endroit de ses compatriotes captifs en Egypte, servit d'ache-
minement et disposition au choix que Dieu fit de sa personne
pour délivrer le peuple d'Israël de la servitude d'Egypte,
ainsi que saint Augustin remarque. Toute la paroisse de
Greux où nasquit cette fille estoit entièrement dévouée au
service du Roy, et n'y avoit qu'un seul Bourguignon : de
sorte que les enfans de cette paroisse combattoient souvent
contre ceux d'un village voisin nommé Maxey, lequel estoit
totalement Bourguignon, et aucune fois de part et d'autre
s'enlre-blessoient, pour monstrer ce que les factions et la
haine politique ne fait pas-.
1. i'rocès, I. I, p. .■)2.
2. Jbi(/.. p. 66.
CHAPITUE ITI
LA PUGELLE ET SES VOIX
L'an 1422 que Charles VII vint à la couronne, la Pucelle
pouvoit estre sur la Ireiziesme année de son âge. Ce fut lors
que Dieu premièrement l'inspira, lui donnant saint Michel
pour conseil extraordinaire, et saintes Catherine et Margue-
rite pour ordinaire. Et saint Michel lui apparut par trois
diverses fois en forme d'un preud'homme, auparavant qu'elle
y voulut adjouster foy. Ce qui monstre qu'elle ne croyoit pas
de léger, ainsi que ses juges lui ont voulu faussement impu-
ter. Mais attendu qu'elle avoit une spéciale et particulière
dévotion à sainctes Catherine et Marguerite, sainct Michel lui
enjoignit nommément de suivre le conseil et motif de ces
saintes pour son gouvernement et direction. Et d'autant que
l'esprit de Dieu qui gouverne l'Eglise s'accommode à notre
infirmité, ainsi que tesmoigne saint Paul, je tiens comme
plus probable et conforme au sens de l'Ecriture saincte, qui
nous apprend que les Anges sont des Esprits que Dieu
envoyé aux hommes pour accomplir quelques ministères,
que c'estoicnt des anges qui apparoissoient à cette fille sous
la forme et figure de ces deux sainctes qu'elle honoroit selon
l'usage et pratique de l'Eglise catholique i. liaison qui peut
satisfaire à toutes les objections qu'on pourroit alléguer des
légendes des sainctes Catherine et Marguerite, ne plus ne
moins que si elles estoient apocryphes.
La première fois quelle entendit les voix de ces sainctes fut
I . Cette e.icplication d'E. Richer est conforme à l'enseignement des
tlicologiens sur les apparitions de Notre-Seigneur et des saints. Voir,
dans notre Etude critique Les visions et les voix, la noie XXVII à la
lin du volume. (In-S", Paris, Poussielgue, 1903.)
6i E. HICllER. — L\ PUCELLE I) OItLEAXS
environ midi, estant au jardin de son père '. et apercent en
mesme temps une grande lumière venant ducosté dextre de
l'Eglise, el de premier abord demoura fort cstonnée, ainsi
qu'il est arrivé à tous ceux qui ont eu des visions célestes ;
mais incontinent après, [fut] grandement consolée et tran-
quille en son àme, désirant ou que ces voix lui fussent tou-
jours présentes, ou bien qu'elles l'emmenassent avec elles.
Durant toute sa vie elles lui donnèrent deux sortes de con-
seils. Le premier regardoit son gouvernement particulier, à
sçavoir d'estre bonne et vertueuse fille, de bien et saincte-
ment vivre, d'aller souvent à l'église, à confesse et [à] la saincte
communion, et garder sa virginité tant de l'âme que du
corps : ce qu'elle voua lors et promit à Dieu. Depuis qu'elle
fut inspirée par ce divin conseil, on la vit soudainement
changer et quitter toutes sortes de récréations et esbatte-
ments auxquels jeunes gens et principalement les filles
s'adonnent en leur bas âge, comme danses, chansons, pro-
menades et autres plaisirs ordinaires, aymant mieux estre à
l'église que partout ailleurs : de manière que les jeunes gens
de son âge avec lesquels elle vouloit converser auparavant,
la voyant si retirée, s'en mocquoient, ainsi qu'ils ont déposé
depuis sa mort. Et d'autant qu'elle s'estoit accoustumée dès
sa jeunesse à prier Dieu quand elle entendoit les cloches son-
ner, ses voix lui apparoissoient ordinairement lorsqu'on son-
noit matines et compiles -. Et ne les a jamais trouvées en deux
diverses ou contraires paroles, et ne lui manquèrent onques
de bon et salutaire conseil et consolation de ses adversitez
jusques au dernier soupir. Sainctes instructions et consola-
tions qui ne peuvent provenir d'ailleursque des nnges de lu-
i . Los documento ne disent pas en quel endroit ni à quelle heure les
saintes se montrèrent à Jeanne d'Arc pour la première fois. Ils ne
le disent que pour la première apparition de saint Michel. Voir Procès,
t. I, p. b2.
2. Pure hypotlièsf. Cotte allégation ne se trouve que dans los pro-
londues dépositions de l'Information posthume. Procès, t. I, p. 480,
document faliiiqué par l'évoque de Beauvais pour les besoins do la
cause. Voir, dans notre 2« série d'Iitudes critiques, l'Elude spéciale sur
l' In formation posthume, p. 523 606. Notons toutefois que, en soi, le fait
i\o ces apparitions en de telles circonstances n'a rien d'invraisemblable.
DE DOMHEMY A CUMI'IEGNE 65
mièrc ; car les malins esprits ressemblent aux feux follets de
l'automne qui vont de nuit sautillans devant les personnes,
et les éblouissent d'une fausse et transparente lumière pour
les jeter en quelque dangereux précipice.
L'autre sorte de conseil touche le public, car saint Michel,
ange gardien de la France (en l'honneur duquel Louis X[
quelque temps après institua Tordre des chevaliers de Saint-
Michel), advertit la Pucelle d'aller au secours du Roy de
France, comme firent pareillement saintes Catherine et
Marguerite, lesquelles deux ou trois fois chascune sepmaine
lui ramentevoient (rappelaient) cela, sans lui donner aucune
relasche, et nommément depuis que le siège d'Orléans fut
formé.
Toutefois, hésitant sur ce conseil et leur demandant par
quel moyen elle pourroit l'exéquuter, ses voix lui dirent
qu'elle s'adressast à Robert de Baudricour, capitaine de Vau-
couleur, qui lui donneroit gens et chevaux pour aller trou-
ver le Roy. Mais s'excusant encore sur son sexe, son âge et
impuissance, — tout ainsi que Iliérémie et plusieurs autres
prophètes, — disant n'estre capable d'aller à la guerre, de
monter à cheval, de porter les armes, que c'estoit chose
prodigieuse de vcoir une fille de sa sorte parmi les gens
d'armes, elle se trouvoit toujours de plus en plus invitée et
confirmée, ne pouvant arrester en aucune place, ni résister
à ces divins advertissements, car oii il plaist à Dieu nous
appeler il faut s'y ranger, et les hommes ne nous en sçau-
roicnt empescher.
Sesjugesl'interrogèrent diversement et de plusieurs hautes
questions de théologie sur ces révélations, ainsi que nous ver-
rons au second livre : à quoi elle satisfit pleinement. Et
l'ayant voulu blasmer pour n'avoir premièrement communi-
qué à son curé ou à quelque autre ecclésiastique, hors la
confession sacramentelle, ce conseil que ses voix lui don-
noicnt, respondit n'avoir osé, craignant que cela vint à la
cognoissance des Bourguignons et qu'ils ne l'empeschassent.
Et néantmoins asseura que ses voix ne lui avoient [pas] def-
fendu de communiquer ce conseil aux gens d'Eglise. J'ay
dit : hors la confession ; pour ce qu'elle en parloit ordinaire-
66 E. niCllER. LA l'UCELLE D ORLÉANS
ment ;i ceux auxquels elle se confessoil, ainsi que nous ver-
rons '■.
Les parents de cette fille voyans ses desportemens - et ce
qu'elle publioit lui estre enjoint de la part du Roy du ciel,
estoient en très grand esmoi. Et à ce propos sa mère lui
raconta que son père avoit songé qu'elle s'en estoit allée avec
les gens d'armes, et qu'il disoit que s'il pcnsoit cela devoir
arriver, qu'il la noyeroit, ou commanderoit à ses enfants,
frères de la Pucelle, de la jeter dans la Meuse. A raison de
quoy elle estoit fort tenue de court par ses parens, nommé-
ment lorsqu'il passoit des gens d'armes par leurs quartiers.
Et pour cette occasion se réfugièrent une fois à Neufchastel
en Lorraine pour quinze jours, à cause des Bourguignons qui
passoient, et se logèrent chez une honneste femme nommée
la Rousse, la Pucelle avec eux. Et pendant ce séjour à Neuf-
chastel, un jeune homme ayant pris cette fille en affection
pour l'espouser, la fit citer devant l'offîcial de Tout, impo-
sant qu'elle lui avoit promis mariage. Sur quoy estant prise
à serment, jura n'avoir onques promis ni pensé à mariage
avec la partie ni autre quelconque, et fut renvoyée hors de
cour et de procez, ainsi que ses voix lui avoient prédit
qu'elle seroit expédiée à son consentement. Et pouvoit lors
avoir de quatorze à quinze ans.
Ses parents, pour la divertir de ses opinions, désiroient
qu'elle eust voulu entendre à se marier : mais il n'y avoit
aucun moyen de la fléchir ou faire penser à cela. Ouelquefois
conversant avec ses compagnes, \e\\e\ leur racontoit que dans
peu de temps une fille du païs, sans se nommei-, relèveroit la
France et le sang royal opprime', et môneroit le Dauphin à
Rheims pour estre sacré. D'autrefois, asseuroit que les Fran-
1. 11 !('sulle des (ir'po3ition.s recueillies dans le pays de Jeanne que;
la jeune lillc parla maintes l'ois do ses révélations et de ce (ju'elles lui
enjoignaient à des amis d'enfance. Mais ce ne fut pi-obahlement ([ue peu
de temjjs avant sa démarche auprès de Baudricourt. Voir notre Ilisloire
complète, t. I, chap. v, Vaucouleurs. 11 dut en arriver i|uel(]ue cIkiso
aux oreilles de ses parents, comme le suppose Riclier.
2. (( Ses desporteinoils : o sa manière de pai'ler et d"aiiir. Il ne i'aut
pas prc.'îdre ce mol en mauvaise j)arl.
DE DOMREMY A COMPIEGNE G7
çois, assistez de Dieu, feroient quelque grand el mémorable
exploit de guerre, et que le Dauphin demeureroit [posses-
seur] paisible du royaume, qui lui appartenoit "comme vray
héritier de la couronne : qu'elle voudroit bien qu'on la
menast on France pour le grand profit du Dauphin : que le
retardement de ce voyage lui estoit aussi sensible et cuisant
qu'on disoit estre le travail d'enfant à une femme grosse ;
que le royaume de France avoit esté ruiné par une femme,
et qu'il seroit remis en splendeur par une Pucelle; entendant
parler d'Isabeau de Bavière, comme il est croyable, laquelle
avoit donné en mariage au Roy d'Angleterre Madame Cathe-
rine de France, et le Royaume pour dot, auquel toutes fois
elle n'avoit aucun droit par les loix de l'Estat.
Aucuns dupais de cette fille, entendans les bruits qui cou-
roient d'elle, disoient qu'elle estoit inspirée et avoit pris ces
opinions sous un arbre qu'ils appellent au pais le Beau May.
C'est un beau et grand hestre assez proche de l'église de
Donipremy, lequel est sur le grand chemin de Neufchastel,
auprès duquel il y a une fontaine. Et durant le printemps et
tout l'esté, les jeunes gens, fils et filles, s'y vont pourmener :
el comme j'ay appris de personnes du païs, continuent
encore aujourd'huy ^ . Les branches de ce fau [du latin
fagus, hêtre], sont toutes rondes et rendent une belle et
grande ombre pour s'abriter dessous, comme presque l'on
feroit au couvert d'une chambre. Et faut que cet arbre aye
pour le moins trois cens ans, qui est une merveille de nature.
Et non guère loin d'icelui on veoitles ruines d'un vieil chas-
teau qui appartenoit jadis au sieur de Bourlemont, seigneur
du village de Dompremy, lequel chasteau estoit ruiné long-
temps auparavant que la Pucelle fust née. Et du temps que
ce seigneur vivoit, avoit de coustume de s'aller pourmener
avec sa femme et ses damoiselles vers cet arbre. Et, selon les
contes fabuleux des villageois, on tenoit que jadis les fées
hantoient sous ce hestre, auparavant qu'on y allast en pro-
cession aux Rogations, et qu'on y chantast l'Evangile. L'un
I. De nos jours, les liabitants de la vallée de la Meuse ne font plus
U'urs « fontaines. » Nous le tenons des curés qui desservent ces
paroisses.
i
68 E. RICHElt. — I-A PUCELLE D ORLEANS
des frères de la Pacelle lui ayant raconté ce qu'on disoil
d'elle au païs, clic respondit cela estre faux, et qu'on en
cognoistroit la vérité à l'etïet^. Ces contes fabuleux des fées
apprestèrent aux Anglais de quoy calomnier la Pucellc, et lui
imputer qu'elle estoit sorcière : maléfice duquel aucun de ses
parens n'a jamais esté soupçonné, et répugne à une fille vierge
bien vivante, et âgée de treize ans, qui est le temps auquel
elle fut premièrement visitée de saint ]\Iichel et de ses voix.
1. Voir ce (jue disait la Pucellc à ses juges à propos du Bel arbre,
Procès, t. 1, p. 68-70.
CHAPITRE IV
LA PUGKLLE A YAUGOULEURS
Or, la Pucelle, ne cessant depuis cinq ans de parler aux
uns et aux autres des grandes misères de la France et du
secours que Dieu promettoit au Ro}'', et chacun cognoissant
sa sainte vie, finaleiuent un sien oncle nommé Durand
Laxart\ du Petit Burey, qui est un village proche de Domp-
remy, estant allé en la maison du père de la Pucelle, environ
l'Ascension de Nostre-Seigneur/1 428, (c'estoit alors qu'on par-
loit [du projet] du siège d'Orléans, et que les Anglois se sai-
sissoient des villes au-dessus et au-dessous, et empeschoient
qu'on y menast des vivres), esmeu des doléances de sa nièce,
la mena à Baudricour, capitaine pour le Roy à Vaucouleur.
Lequel cette fille cognut de premier abord par l'advertisse-
ment de ses voix, quoy qu'elle ne l'eust jamais veu. Et lui
déclara qu'elle venoit à lui par commandement du Roy du
ciel pour estre conduite en France à Monsieur le Dauphin
et qu'il l'advertist de ne pas donner bataille à ses ennemis,
que dans la mi-caresme Dieu lui envoyeroit du secours :
que le Royaume lui appartenoit, qu'il en demeureroit paisible
i possesseur], et qu'elle le mesneroit à Rheims pour estre
sacré en dépit de tous les Anglois et Bourguignons. Ce que
Baudricour ayant entendu, et considéré l'impossibilité des
discours de cette fille, car alors tout rioit aux Anglois et
Bourguignons, il tança grandement Durand Laxart de [la]
1. Durant LaxarL n'était que cousin par alliance de la Puccile. Mais
ayant seize ans de plus qu'elle, une coutume du pays dont on cite de
nombreux exemples encore de nos jours faisait que Jeanne l'appelait
son oncle. Voir Boucher de Molandon, La famille de Jeanne d'Arc,
p. 146-147.
i
/O E. UICHKIÎ. — LA rUCELLE U OUl.EANS
lui avoir amenée, disant qu'il la ramenasl à son père et qu'il
lui donnastsur la joue, que c'estoit une folle ^
Pendant qu'elle estoit à Vaucouleur, entendant son hostessc
se plaindre du désastre de la France en ces termes ou sem-
blables - : « Hélas! faut-il que le Roy soit chassé de son
royaume et que nous soyons Anglois! » « Non, dit la Pu-
celle, il demeurera victorieux de ses ennemis ». Et asseura
qu'elle estoit venue au Baudricour afin qu'il la fist mener au
Dauphin de la part du Roy du ciel, mais qu'il n'avoit tenu
compte de tout ce qu'elle lui avoit dît : néantmoins que dans
la mi-caresme il falloit qu'elle y fut menée. Dieu l'ayant
ainsi ordonné, et choisie afin de conduire le Dauphin à
Rheims pour y estre sacré et couronné, et qu'il demeureroit
paisible [possesseur] du royaume : que pour son regard, elle
aymeroit beaucoup mieux vivre en sa condition champestre
auprès de ses parens, que d'entreprendre un tel voyage :
que ce n 'estoit sa condition ni sa profession d'aller aux
armées : toutefois qu'elle estoit contrainte d'obéir à Dieu^
La renommée de cette fille divulguée premièrement par
les marches de la Champagne et de la Lorraine, et depuis
par toute la France, tous les bons François l'attendoient en
grande dévotion, principalement ceux d'Orléans depuis
qu'ils furent assiégez. Et semble que Dieu, par sa provi-
dence, l'aye voulu choisir à un recoing et extrémité du
royaume de France, le plus éloigné de la cour du Roy, et au
païs où les Anglois et Bourguignons estoient les plus puis-
sants, et fort grossière, menant une vie toute champestre,
afin de lever tous les soupçons qu'on pourroit former
quelle auroit esté chifflée et instruite pour jouer ce person-
nage. Ceux qui la cognoissoient estoient grandement esbahys
de sa résolution, veu mesme sa rudesse et simplicité, et l'es-
time que tout le monde avoit de sa probité et sainteté de
1. Procès, l. H, p, 456.
2. C'est à Jean do Metz, l'un des offu-iers de Baudricourt qui la
menèrent à Ghinon. qu'appartient ce propos, non à l'hôtesse de la Pucelle
la femme Catherine Le Royer. Procès, t. 11. p. 436.
3. Ibid.
DE DOMREMV A COMPIKGXE 71
vie : ce qui faisoit juger à plusieurs qu'elle avoit des mouve-
ments divins.
Après le premier rebut qu'elle reçut de Baudricour, son
oncle la mena en pèlerinage à Saint-Nicolas en Lorraine
durant les festes de la Pentecoste. Et Charles, duc de Lor-
raine, en ayant ouy parler, lui envoya un passeport pour le
venir veoir à Nancy où il estoit malade, et l'interrogea pre-
mièrement sur le bruit qui couroit qu'elle vouloit aller secourir
le Roy. Ce qu'elle confessa estre véritable, et le supplia instam-
ment de commander à son fils^ de la vouloir conduire vers
Monsieur le Dauphin, et qu'elle prieroit Dieu pour sa santé-.
Ce duc lui demandoit ce qu'elle pensoit de sa maladie. Elle
respondit qu'il faisoit mauvais mesnage avec la duchesse sa
femme, qui estoit une vertueuse dame ; que s'il ne changeoit
sa vie, il ne guériroit pas. C'est la déposition d'une demoi-
selle, femme du trésorier du Roy, à Bourges, où logeoit la
Pucelle, qui a dit lui avoir ouy dire cela •'. Le duc de Lorraine
lui donna quatre francs qu'elle bailla à son oncle Laxart, qui
la ramena en sa maison.
Mais voyant qu'elle continuoit tousjours à parler du conseil
que ses voix donnoient, et qu'elle estoit résolue de prendre
un habillement d'homme pour s'acheminer vers le Dauphin,
il la mena pour la seconde fois à Vaucouleur, où elle fut
encore rebutée par Baudricour. Finalement, le siège d'Or-
léans formé au mois d'octobre 1428, et les François ayant
esté deffails par les Anglois la première sepmaine de ca-
resme, elle fit de si grandes doléances qu'elle esmouvoit tout
le monde à compassion. C'est pourquoy Durand Laxart la
ramena pour la troisième fois à Baudricour*, lequel at-
1. A son gendre, le futur « bon roi Roni', » car Charles de Lorraine
n'avait pas de lils.
'2. Le pèlerinage à Saint-NicoIas-du-Port et le voyage à Nancy eurent
lieu non à la première venue de Jeanne à Vaucouleurs, mais lors de la
seconde.
3. Dame Marguerite la Touroulde, femme René de Bouligny. Voir
Procès, t. in, p. 85 et seq.
4. Confusion de faits. Il n'y a eu que deux voyages de la Pucelle à
Vaucouleurs avec Laxart. Le voyage à Nancy et à Saint-Nicolas-du-Port
eut lieu pendant le deuxième séjour de Jeanne à Vaucouleurs.
i
72 E. niCIIEl'.. LA PUCELLE D OULEANS
tendu l'cslat déplorable des afîaires de la France, l'enlcndit
toutefois avec difficullé.
Elle logea chez un nommé Henry Uoyer, charron de son
mestier, et y fut bien trois sepmaines. Durant lequel temps
se confessa au curé de Vaucouleur, messire Jean Fournier,
lequel un certain jour, accompagné de Baudricour, vint au
logis de la Pucelle, avec une étole au col comme pour l'exor-
ciser. Et cette fille l'ayant apperceu, incontinent s'alla jeter
à genoux devant lui, lequel en présence de Baudricour
lui dit : que si elle esloil de la pari de fennemi, elle se
retirast d'entre eux ; que si de la part de Dieu, elle y
demourast.
Et par après la Pucelle dit à son hostesse qui avoit veu
tout ce mystère, que messire Jean Fournier l'ayant entendue
de confession ne faisoit pas bien. Comme voulant dire que
c'estoit en confession qu'il lui devroit remonstre r tout ce
que bon lui sembleroit sur ce qu'elle lui avoit déclaré de ses
apparitions, et que c'estoit révéler le secret de la confession.
Doîi l'on peut cognoistre de quel esprit et de quel sens agis-
soit cette fille ne sçachant lire ni escri-re : car un théologien
n'en eust pu dire davantage en général. Et mesme elle craint
de scandaliser, disant que son confesseur n'a pas bien fait, et
s'abstient positivement de dire qu'il a mal fait.
Et de là on recueille que ce qu'elle a déposé à ses juges
n'avoir parlé de ses révélations à son curé ou à quelques
autres gens d'Eglise, s'entend hors la confession sacramen-
telle.
A ce dernier voyage qu'elle fit à Vaucouleur, elle advertit
Beaudricour que le Dauphin avoit fait une grande perte
devant Orléans, le samedi douziesme febvrier, veille des
brandons. De quoy il fut bien esbahy après qu'il en eut
appris la vérité par le bruit que l'ennemi en fit courir. Donc
il résolut de l'envo^'^er au Roy.
Les habitants de Vaucouleur, qui estoient bon Franrois,
firent gaycment la dépense nécessaire à l'équipage de cette
fille, et fournirent un habillement d'homme complet, sça-
voir : pourpoint, ou comme on parloit lors un gippon, haut
DK DOMREMY A C(niPIEGNE 73
et bas de chausses, casaque, chapeau, bottes, espérons et un
cheval qui cousta douze francs ^ Baudricour ne lui donna
autres armes qu'une espée, et choisit deux gentilhommes des
marches de Champagne auxquels il fit faire serment de la
bien et seurement conduire en cour, ainsi qu'ils ont déposé
en la revision du procez. L'un s'appeloit Bertrand de Polen-
gy, et l'autre Jean de Novelompont, surnommé de Metz,
assistez de leurs gens et serviteurs, sçavoir Colas de Vienne,
Richard, arbalestrier, Julien, serviteur de Novelompont;
outre Jean et Pierrelot d'Arc qui l'accompagnèrent tous-
jours-; de sorte qu'ils estoient neuf personnes. Et ces deux gen-
tilshommes firent les frais et la dépense nécessaire à ce voyage.
De Polengy fut depuis escuyer de l'escurie du Boy. A partir
de Vaucouleur, Baudricour voyant la Pucelle montée à cheval
pour faire son voyage, lu}^ dit : Va et adoienne tout ce qui
pourra, ainsi qu'elle mesme a déposé.
La crainte qu'elle avoit que son père et sa mère ne traver-
sassent son voyage fut cause qu'elle ne les advertist point de
son départ, de quoy ils conceurent une grande fascherie. Et
asseuroit que son conseil l'avoit laissée en sa pure liberté de
[lej leur communiquer ou non. Toutefois, incontinent qu'elle
fut arrivée en France, leur rescrivit et demanda pardon,
qu'ils lui octroyèrent de bon cœur; attendu que depuis cinq
ans elle les avoit toujours tenu advertis du conseil que ses
voi.x lui donnoient^ et comme elles la pressoient incessam-
ment de partir.
Interrogée par ses juges si elle pensoit avoir bien fait de
partir sans le congé de son père et de sa mère, auxquels Dieu
commande d'obéir, respond leur avoir tousjours obéi en
toutes autres choses, et demandé humblement pardon : mais
que Dieu commandant quelque chose, il faut obéir et préposer
ses commandements, voire à ceux de cent pères et de cent
mères; que mesme si elle eustesté fille unique du Boy, elle fut
■1. Douze Irancs d'or, c'est-à-dire cent-soLvante francs environ.
2. Les frères de Jeanne la rejoignirent plus tard, mais ils ne parti-
rent pas avec elle <le Vaucouleurs. L'escorte de la Pucelle ne coiiiplait
(jue six personnes.
3. Pure hypothèse d'E. Richer.
/4 E. lUCIIER. l,\ l'UCELLE D OnUCAXS
partie sur l'ordonnance de Dieu^ Laquelle response est toute
conforme à l'Escriture qui nous enjoint d'aimer Dieu sur
toutes choses, et de postposer les commandements des
hommes aux siens, ainsi que Pierre respondit aux Princes
des prestres et aux séniours [Anciens] voulans empescher les
apostres de publier l'Evangile.
1. Procès, t. I, p. 128, 12'J.
CHAPITRE y
LA PUGELLE A GHINON
A partir de Vaucouleur, [la Pucelle] alla loger en un vil-
lage appelé Sainl-Urbain, au diocèse de Chalons, en Cham-
pagne, et couchèrent dans l'abbaye. De là, tirèrent à Auxerre
qui tenoit pour les Bourguigons, oii elle ouyt la messe en
l'église cathédrale et gagnèrent Gien qui estoit au service du
Roy. De sorte que dans onze jours, sur la fin du mois de feb-
vrier 1429, ils arrivèrent à Sainte-Catherine-de-Fierbois en
Touraine, distant de Vaucouleur d'environ cent cinquante
lieues, sans recevoir aucun empeschement par les chemins. Ils
estoient quelquefois contraincts de marcher toute la nuit.,
crainte d'estre rencontrez. Et lors ses conducteurs, pour l'es-
prouver, disoient qu'ils estoient poursuivis des ennemis, fei-
gnans ne sçavoir que faire, ni quel conseil et résolution
prendre. Mais elle leur disoit au contraire estre duement
advertie qu'il n'y avoit que craindre, et qu'ils arriveroient en
la cour du Roy sans aucune incommodité et seroienttrès bien
receus du Dauphin : qu'ils prissent courage.
Véritablement, si les Anglois eussent surpris cette fille sur
les chemins, habillée en homme, n'eust-elle pas esté perdue
d'honneur et de réputation ? Et est chose comme miraculeuse
que la Pucelle et son escorte ayent pu en telle prospérité
faire tant de chemin et traverser tant de pays ennemi, durant
les guerres les plus inhumaines qui ayent onques esté. Car
outre les places Angloises,on n'estoitguères plus asseuré des
garnisons qui logeoient aux villes du Roy, lesquelles do
leur costé ravageoient et pilloient, chascun faisant du pis
qu'il pouvoit, ainsi qu'il arrive ordinairement aux con-
fusions des guerres civiles, durant lesquelles amis et ennemis
ib E. RICHEU. LA PUCELLE D OIILEANS
sont de bonne prise, et les passeports ne servent guères,
sinon que l'on soit bien escorté.
ftlaistrc Pierre de Versailles, docteur en théologie, abbé de
Talemont et depuis évesque de Meaux, — c'est l'un de ceux
que le Roy commit pour examiner la Pucelle à Poitiers, —
asscurait avoir ouy dire a des gens de guerre du parti du
Roy qu'ils avoient fait leur efîort de surprendre et de déva-
liser cette fille et ceux qui la conduisoient, depuis qu'ils
eurent passé à Gien; mais que pensans exéquuter leur
dessein, jamais ils ne se purent remuer du lieu oii ils
s'estoient mis en embuscade.
Encore qu'en tout son voyage la Pucelle ne perdist une
heure de temps, si est ce que le bruit de son arrivée fut bien
plus soudain et la devança de plusieurs jours, parce que
chascun disoit à la cour du Roy qu'elle estoit arrivée, et
principalement ceux d'Orléans, fort pressez de famine, et
l'attendoient en grande dévotion. Et s'y rendit lorsque tout
estoit humainement désespéré : le mal et le péril estant
beaucoup plus grand qu'on ne le sçauroit représenter par
l'histoire qui ne traite que généralement des affaires. Ce
que mesme le Bastard d'Orléans tesmoigne en sa déposition,
asseurant qu'il estoit lors lieutenant général pour le Roy et
gouverneur d'Orléans, et qu'il eut nouvelles comme la
Pucelle estoit arrivée à Gien, et envoya incontinent en cour
pour en donner advis à sa 31ajesté : et qu'alors deux cens
Anglois donnoient la fuite à mille François; mais, depuis
que la Pucelle eut envoyé sa lettre aux chefs de l'armée
Angloise, qu'une terreur les saisit, de sorte que cinq cens
François attendoient toute l'armée Angloise et la mettoient
en désordre ^ D'autres ont escrit que les Anglois n'avoient
presque pas la force de bander leurs arbalestes et mettre la
main aux armes ; ainsi que Meyer, auteur Bourguignon,
raconte avoir lu en un historien de ce temps-là.
Le Roy estoit à Cbinon quand cette fille arriva à Sainte-
Catherine-de-Fierbois. Auquel elle envoya les lettres du capi-
1. l'rocèfi, t. m, p. 2-16.
DE DOMREMY A COMPIEGXE 77
tainc Baudricour, afin de recevoir ordre pour aller saluer sa
Majesté : et lui manda avoir fait cent cinquante lieues pour
le venir secourir de la part du Roy du ciel. Le conseil du
Roy n'estoit point d'avis qu'on s'arrestast aux fantaisies de
cette fille, estimant qu'elle fut démenée de quelque humeur
mélancolique, ou subornée par les ennemis pour jouer
ce personnage et faire porter la parole aux François : telle-
ment que l'on fut deux jours entiers à délibérer si on l'en-
tendroit, sans lui faire aucune response. De quoy les gentils-
hommes qui l'avoient amenée estoient fort esbahys. Mais elle
les asseura toujours qu'ils seroient favorablement receus.
Donc ayant esté mandée, elle se rendit au chasteau de
Chinon, et fut présentée au Roy sur le soir, aux flambeaux,
y ayant grand nombre de seigneurs en la chambre du Roy,
et plus de cinquante flambeaux. l'our l'esprouver, le Roy fut
conseillé de se desguiser et dissimuler, comme il fit, tant
pour l'habit que pour la séance et révérence qu'on a coustume
de faire aux Roys, s'estant mis parmi la presse tout ainsi
qu'une personne de basse condition. Néantmoins, la Pucelle
qui ne l'avoit onques veu, l'alla choisir et saluer au milieu
de cette grande presse, se jetta à ses pieds, l'embrassant par
les jambes, quoique le Roy et plusieurs autres la rebutassent
disans qu'elle se mesprenoit. Mais au contraire respondit
qu'elle cognoissoit fort bien le Dauphin. Sa harangue fut
telle :
« (îentil Dauphin, le Roy du Ciel m'a envoyé pour vous
secourir. S'il vous plaist me donner gens de guerre, par
grâce divine et force d'armes je feray lever le siège d'Orléans
et vous mènerai sacrer à Rheims, malgré tous vos ennemis.
C'est ce que le Roy du ciel m'a commandé de vous dire, et
que sa volonté est que les Anglois se retirent en leur païs et
vous laissent paisible [possesseur] de votre Royaume comme
en estant le vray, unique et légitime héritier. Que si vous en
faites offre à Dieu, il vous le rendra beaucoup plus grand et
florissant que vos prédécesseurs n'en ont joui. Et prendra
mal aux Anglois, s'ils ne se retirent. »
Le Roy et toute sa cour furent grandement esbahys, voyans
qu'elle l'avoit ainsi cogneu et abordé sans l'avoir jamais veu
78 E. niCHEl!. — I.A PUCELLK D ORLEANS
auparavant, attendu aussi l'assurance avec laquelle celte
bergère parloit, coinnie ayant mission et autorité du Ciel.
Sa Majesté commanda au bailly de Troyes, en Champagne,
nommé Guillaume Bellier, lieutenant de M. de Gaucourt,
grand maistre de l'hostel du Roy, de la loger et bien traiter :
à quoy la femme du dit Bellier, grandement vertueuse et
dévote, s'employa; et [la Pucelle] fut logée dans le chasleau
de Chinons Cependant le Roy fit envoyer à Vaucouleur, vers
le capitaine Baudricour, et à Greux d'où estoit cette fille,
pour apprendre [ce] que cestoit de son fait, de toute sa vie
et de ses parens. Et n'en fut rapporté que tout bien et
honneur, conformément à ce que nous avons ci-devant
exposé.
Tous les princes, capitaines et gens de guerre ne pouvoienl
gouster le conseil de cette fille, et n'estoient d'advis qu'on
se commist à elle, principalement aux affaires de la guerre,
veu les grands périls qui les accompagnent ordinairement,
et qu'il n'est loisible d'y faillir deux fois; et aucuns la
tenoient pour démoniaque. Et remonstroit-on que le Roy,
tout son conseil, voire tous les François, sej'oient la fable et
l'opprobre des nations étrangères et nommément des Anglois,
notez à jamais d'infamie et témérité, au cas que ce que
disoil cette bergère ne succédast, et que les gens du Roy
fussent deffaits et vaincus par leur ennemis qui n'estoient
déjà que trop puissans et insolens. Que par la loy fonda-
mentale de l'Estat, les François n'avoient onques voulu
recognoistre les femmes pour les commander, et que la
guerre n'estoit entreprise contre les Anglois, sinon pour ce
que on avoit donné pour dot le royaume de France <à
Madame Catherine, que le Roy d'Angleterre avait espouséc :
que c'estoit fortifier les prétentions de l'Anglois, au cas
qu'on employast cette bergère et que les gens de guerre
combatissent sous son estandart, chose qu'il seroit impos-
sible de leur persuader. C'est en somme la résolution du
conseil de guerre proposée en présence du Roy séant en .'<on
i. Dans la tour du Couklcay, corps de logis compris dans la Iroisiciuc
enceinte du château royal.
UK DOMREMY A COMPIEGNE 70
grand Conseil, auquel assistèrent plusieurs évesqucs et autres
prélats, chevaliers, capitaines, docteurs en Théologie, droit
canon et civil, où le duc d'Alençon estoit aussi présent, tout
nouvellement retourné d'Angleterre où il avoit esté détenu
prisonnier plus de trois ans.
Pour examiner cette fille furent commis mcssires Rénaux.
[Regnault] de Chartres, archevesque de Rheims \ chancelier
de France, ayant succédé au sieur de Trêves en Testât de
chancelier, Christophe de Ilarcourt, l'évesque de Castres,
confesseur du Roy, Guillaume Charpeigne, évesque de Poi-
tiers, Nicolas le Grand, évesque de Sentis, l'évesque de Mont-
pellier, maistre Jourdain Morin, docteur en théologie de
Paris, qui avoit assisté au concile de Constance avec M" Jean
Gerson, et plusieurs autres docteurs; lesquels, en présence
du duc d'Alençon, interrogèrent premièrement cette fille sur
sa foy et créance, comme elle servoit Dieu, depuis quel
temps et en quelle façon elle avoit eu les révélations qu'elle
publioitlui estre apparues et [lui avoir) donné conseil, quels
enseignements elle en tiroit, et comment; qui l'avoit mue
d'aller au Raudricour, et prendre un habillement d'homme,
et se mesler des afi"aires de la guerre, veu que cela estoit
prohibé par la loy de Dieu; quels moyens elle avoit d'exé-
quuter et faire réussir ses promesses, veu que les forces des
Anglois et Bourguignons estoient beaucoup plus puissantes
que celles du Roy, etc.
A quoy a3^ant respondu de point en point, et avec une
grande simplicité, modestie et prudence, suivant ce que
nous avons narré ci-dev^int (quant à l'habit viril qu'elle
portoit, nous en parlerons ailleurs), tout le conseil assemblé
pour faire cet examen jugea y avoir grande apparence que
Dieu se voulust servir de cette bergère pour exploiter quel-
que chose de grand et faire cognoistre à toute la chrestienté
que le Roy et le Royaume de France estoient en sa spéciale
protection et delïense. De quoi on fil rapport à sa .Majesté.
1. Il y a ici confusion des deu.x examens de Cliinon cl Poitiers. La
cuiiiinissiori royale qui eut pour président Regnault de Cliartres fut celle
de Poitiers, non celle de Cliinoii.
80 li- Rien EU. — LA PUCEl-LK 1) (JULEAXS
Et lors la Pucelle estant en la chambre du Roy le tira à
part pour lui dire en secret des prières mentales qu'il avoit
adressées h la ^'iergc mère de Nostre Seigneur. De quoy elle
mesme fait mention en général aux dépositions qu'elle a
faites devant les juges qui la condamnèrent ; car lui ayant
demandé quel signe elle avoit donné à son Roy pour l'in-
duire à croire qu'elle estoit envoyée de Dieu, repartit lui
avoir donné un signe de ses propres faits. Ce fut le vingt
septiesme febvrier 1430 S séance quatriesme, qu'elle fit
cette response. Ce signe est que le Roy, depuis le siège d'Or-
léans formé (aucuns ont cscrit que ce fut la nuit de la vigile
de tous les Saints), estant couché seul en son lit et ne pou-
vant dormir à cause du piteux estât auquel ses affaires
estoient réduites; considérant que sa mère avoit assigné
pour dot à Madame Catherine, sa sœur, reine d'Angleterre,
le royaume de France, et flottant en plusieurs irrésolutions,
comme doutant s'il estoit le légitime héritier du royaume,
il se leva en sursaut de son lit, se mit à deux genoux pros-
terné en terre, les larmes aux yeux, et comme pauvre
pécheur se réputant indigne d'adresser son oraison à Dieu,
les mains jointes, fit une prière mentale, suppliant la N'ierge
mère de consolation et refuge des affligez, vouloir intercéder
pour lui envers Nostre Seigneur Jésus Christ son fils, à ce
qu'il lui pleust lui donner secours et consolation, au cas
qu'il l'eust choisi pour héritier du royaume; que si, au
contraire, il n'estoit celui qu'il avoit ordonné pour succéder
à la couronne, il lui fist ouverture de sa volonté, à laquelle
il se résignoit entièrement, et mesme de le vouloir retirer du
monde, si besoin estoit pour sa gloire -.
Après que la Pucelle eut déclaré au Roy les prières
secrètes qu'il avoit ainsi adressées à la Bienheureuse Vierge, et
lui eut dit avoir ordre du Roy du ciel de l'asseurer que le
royaume lui appartenoit, et de le mener à Rheims pour y
1. Vicu.v style. Tannéo alors ne coinmen<;ant qu'à Pâques. Voi r /'cocè.f,
t. I,p. 11). Inlerrof/ata ppinl v'dlain de Cliinon, Iiabuil rex suiis sifjnuin
de factis suis.
2. Voii' Procès, t. IV, p. 258. 259. 271, 272. 280. et la Chronique de la
l'ucoUc, p. 27i, édition do Vallet de Viriville.
DE DOMREMY A CÛMPIÈGNE 81
cstre sacré et couronné malgré tousses ennemis, et qu'après
son sacre Dieu le rendroit paisible [possesseur] du royaume
beaucoup plus ample et opulent que ses prédécesseurs n'en
avoient joui, on vit tout à coup le Roy quitter la grande
tristesse qui l'accabloit, et prendre toute autre résolution
qu'auparavant l'arrivée de cette fille en sa cour. Et dit en
général à son confesseur et à quelques seigneurs que la
Pucellelui avoit révélé des choses qu'il n'avoit jamais dites à
personne et ne pouvoient estre cognues qu'à Dieu seul. Or,
sur la cognoissance qu'elle avoit eue des prières secrètes et
gémissements du Koy, doutant s'il estoit le vray héritier de
la couronne, elle asseura premièrement Baudricour que le
Royaume appartenoit au Dauphin, et depuis le lit sçavoir
aux Anglois par la lettre qu'elle leur envoya.
Sa Majesté, en mémoire des prières mentales qu'il avoit
adressées à la Vierge et de ce que cette fille lui avoit révélé,
incontinent après la revision du procezet que sentence eust
esté donnée pour la justification de la Pucelle, l'an 1456, fit
construire §ur le pont d'Orléans une belle croix de bronze,
avec une N%stre-Dame de Pitié, et au costé dextre sa propre
représentation, et à main gauche celle de la Pucelle, lun et
l'autre .à genoux, armez de toutes pièces excepté du heaume,
qui est devant eux à leurs genoux.
L'histoire de Normandie, faite un peu après que les
Anglois furent chassez de France, Richard de Wassebourg
et quelques autres historiens ont tenu mémoire de ce que la
Pucelle raconta au Roy de ses propres faits; et le duc
d'Alençon a tcsmoigné lui avoir entendu dire à sa Majesté
qu'elle avanrast le plus qu'elle pourroit son sacre, parce que
le temps de sa mission pour le servir estoit terminé seule-
ment à un an ou environ, et que quatre choses adviendroient
dont nous dirons ci-après l'inventaire. On demanda lors h
cette fille pourquoy elleappeloit le Roy Dauphin. Respondit
par ce qu'il ne recouvreroit point son royaume qu'il n'eust
esté sacré, et qu'après son sacre ses affaires prospércroient
toujours de bien en mieux.
CHAPITRE VI
LA VIRGINITÉ DE LA PUCELLE ET SA CHASTETÉ
Au reste, on voulut sçavoir si elle estoit homme ou femme,
vierge ou corrompue; de quoy la Rojne de Sicile, belle-mère
du Roy, donna la charge à Mesdames de Gaucour, de Trêves
et autres qui la firent visiter par des sages-femmes en leur
présence et [celle] de la Royne de Sicile; et la trouvèrent
vierge. De quoy on donna incontinent advis au Roy et à son
Conseil. Et le bruit de cela publié par la cour, un courtisan
monté à cheval, voyant la Pucelle passer, dit en blasphé-
mant le nom de Dieu que si elle avoit couché une nuit avec
lui elle ne seroit plus pucelle. Ce qu'ayant entebdu [la Pu-
celle] répliqua tout haut : Hélas ! tu renies Dieu, estant bien
proche de la fin! Car quelques heures après il fut noyé,
ainsi que rapportèrent plusieurs personnes qui l'avoient vu
et [avoient] entendu ce que cette fille avoit dit^; de quoy
tout le monde fut grandement esbahy.
Encore fut-il trouvé, par le rapport des sages-femmes et
des matrones qui fréquentoient avec elle, qu'elle n'estoit
[pas] subjecte aux maladies ordinaires des femmes, et toutes
fois estoit âgée de dix-sept à dix-huit ans quand elle arriva
à la cour. Et semble que Dieu l'ayant destinée à porteries
i. Ce propos fut tenu le jour même de l'audience royale de Chinon,
au monierit où la Pucelle fi-anchissail le seuil du château. C'est l'au-
mônier de Jeanne, l'rore Pasquerel, qui le rapporte dans sa déposition.
Procès, t. III. p. 102.
En ce même passage, frère Pasquerel mentionne la visite qui donna
la preuve de la virginité de l'hcroïne. Inventa fuit mulier, virgo tamen
et puellu.
Le chevalier d'Aulon. l'rocès, t. III, p. :il!), relate les mêmes choses,
sa virginité et l'exemption de l'infirmité à laquelle les femmes sont
sujeltes.
DE DOMREMY A COMPIEGNE 83
armes, il l'eust expressémenl dispensée de cette maladie, à ce
qu'elle n'en fust affoiblie et empeschée de faire continuelle-
ment la faction de la guerre, comme elle y estoit incessam-
ment attachée.
En son visage on voyoit reluire une pudeur virginale, telle
qu'on la recognoist encore aujourd'huy en tous les portraits
tirez au vi f sur son naturel^. Et quoy qu'elle fust douée d'une
beauté naturelle, si est-ce que Dieu l'avoit nantie et accom-
pagnée d'une si grande modestie et retenue, que tous ceux
qui la regardoient attentivement, excepté les Anglois qui la
voulurent violer, estoient induits à une honte et refroidis
de toute charnelle concupiscence, ainsi que plusieurs gentils-
hommes, seigneurs et princes, qui ont souvent conversé et
fréquenté avec elle aux armées, ont affirmé en la revision
du procez. Et premièrement les sieurs de Polengy et de
Metz, auxquels Baudricour la recommanda pour la mener au
Roy; secondement le sieur Dolon [d'Aulon], seneschal de
Beaucaire, auquel le Roy la donna en garde, qui estoit
comme surintendant de sa maison, et l'a toujours accom-
pagnée jusques à sa prise, a déposé avoir quelquefois pris le
soin de l'esguilleter, de l'armer, de lui panser deux plaies
qu'elle reçeut, l'une sur le col tirant sur l'espaule, et l'autre
en une cuisse percée de part en part, et lors n'avoir ressenti
aucun désir ni mouvement de sensualité, ainsi qu'il arrive à
ceux qui regardent attentivement une belle femme, telle que
la Pucelle estoit naturellement. Davantage, asseure avoir veu
et entendu faire le rapport aux dames et sages-femmes qui
la visitèrent à son arrivée par commandement de la Royne
de Sicile, mère de la Royne de France, et qu'elle fut trouvée
vierge, et en outre non subjecte aux maladies ordinaires
des femmes, ainsi que nous avons desja remarqué. Le duc
d'Alençon, prince du sang, a tesmoigné qu'estant lieutenant-
général pour le Roy en ses armées, il a veu maintefois la
Pucelle coucher à la paillade toute habillée, ainsi que l'on
fait aux armées, et le matin comme elle s'accommodoit, sans
1. Il y avait donc, au temps d'E. Riclier, des portraits authentiques
de la Pucflle. C'est chose regrettaljle qu'il n'ait pas désigné ceux qu'il
connai.ssait.
84 E. RIGHER. — LA l'UCELLE D ORLEANS
toutes fois avoir ressenti aucune peine ni démangeaison de
charnalité. Le comte de Dunois, duc de Longueville, Bastard
d'Orléans, et plusieurs autres seigneurs qu'il seroit trop
ennuyeux de nommer, ont attesté la mesme chose ^
Elle fut si soigneuse de conserver sa réputation que, pour
ce subject, elle prit un habillement d'homme, et depuis son
•parlement de Vaucouleur pour venir en France, elle couchoit
tousjours toute vêtue et bien esguilletée, et ses deux frères
en sa chambre. Et du commencement qu'elle fut aux armées,
elle se voulut accoustumer de coucher avec son harnais, le
casque excepté; de quoy elle fut malade, et neantmoins s'y
accoustuma à la longue, tant elle avoit décourage.
Qand elle estoit aux villes ou villages, on la logeoil tous-
jours en quelque honneste maison où il y avoit d'honnestes
dames et filles avec lesquelles elle couclioit : et aymoit tou-
jours mieux coucher avec de jeunes filles pucelles qu'avec
des femmes qui eussent été mariées. Véritablement les
Anglois lui ont fait son procez et imputé calomnieusement
plusieurs crimes atroces d'hérésie, de schisme, sortilège,
cruauté, etc. ; mais ils n'ont jamais pu trouver sur elle que
redire en ce qu'elle maintenoit estre vierge, ni osé l'accuser
du contraire. Leur prétendu procez fait foi qu'elle a esté
mainte fois examinée là dessus : car ils lui demandèrent si
son bonheur dépendoit de sa virginité, et si, estant mariée,
ses voix désisteroient de la visiter et consoler : à quoy elle
repartit n'en avoir aucune révélation et qu'elle s'en rappor-
toit à Dieu.
Maistre Thomas de Courcelles, docteur en théologie, qui
assista au procez et depuis fut doyen de Nostre Dame et
proviseur de Sorbonne, tesmoigne avoir ouy dire à l'evesque
de Beauvais qu'elle estoit vierge, et que si elle ne l'eust esté,
on ne lui eust pas pardonné, et qu'on en eust tenu registre
au procez-. Maistre Jean Fabri (Lefèvrc) aussi docteur en
1. Voir, dans J. Quiclieral, Procès, t. II et l. lil, la déposilion des
personnages nom niés.
2. Voir i'rocès. t. III, p. 59, la déposition de ce docteur.
DE DOMREMY A COMPIÈGXE 83
théologie, qui assista seniblablenient au procez, et depuis a
esté evesque — Demetriensis, (je pense que c'est quelque
titre d'cvesclié)', a déposé qu'on reprocha à cette fille, en l'in-
terrogeant, qu'elle se faisoit appeler Pucelle; et avoir
répliqué généreusement que de vérité elle l'estoit, et con-
sentoit estre visitée par honnestes et vertueuses matrones qui
leur en feroient rapport véritable. De quoy ils n'ont eu
garde de faire inventaire en leur procez, non plus que de
plusieurs autres choses qui servoient à la justification de
cette fille.
Estant prisonnière en une tour du chasteau de Rouen, du-
quel le comte de Warwic avoit la garde, on lui avoit donné
quatre gros houspaillers anglois pour geôliers et gardes, les-
quels s'efforcèrent maintes fois de la violer : et pour cette oc-
casion estoit contrainte d'estre jour et nuit vêtue avec son
habillement d'homme, et bien esguilletée ; de quoy elle se
plaignit au comte de Warwic et à l'evesque de Beauvais, qui
ne lui en firent aucune raison.
Toutefois ses plaintes et doléances [étant] venues à la co-
gnoissance de la duchesse de Bethford, qui estoit Française,
propre sœur du duc de Bourgogne, elle voulut sçavoir si cette
fille estoit vierge, et pria son mari qu'on la fist visiter. Et
pour cet effet ils choisirent des sages-femmes et matrones
de leur faction, une desquelles s'appeloit Anne Bavon. Le duc
de Bethford et sa femme estoient présents à cette Visitation,
derrière une tapisserie. Et fut trouvée vierge, et que, pour
avoir esté ordinairement à cheval, elle s'estoit blessée-. A rai-
son de quoy la duchesse de Bethford fit deffendre aux An-
glois qui l'avoient en garde de plus attenter à son honneur.
Et lors, on ouyt dire à des seigneurs Anglois que véritable-
ment ce seroit une brave femme, si elle eust été Angloise.
Depuis la première sentence donnée contre cette fille, ayant
esté contrainte de prendre un habillement de femme, et né-
antmoins laissée encore en la garde des Anglois au chasteau
1. C'était celui de Déniétriadc, in parlibus infidelium, Y. Procès,
t. III. p. 173.
■2. Déposition de Jean Mas.siou, à l'enquête de Rouen. Procès, t. III,
p. lo5.
80 E. lUCHER. LA PUCELLE D ORLÉANS
de Rouen, un grand seigneur Anglois la voulut violer. Et
pour cette cause dit à ses juges avoir repris son habillement
viril et laissé celui de femme. Ce grand seigneur ne pouvoit
estre que le comte de Warwic qui avoit la garde du chasleau
de Rouen ^ ; et toutefois cette fille ne l'osoit nommer par son
nom, crainte d'estre plus mal traitée.
Plutarque a fait un discours de la malignité d'Hérodote,
pour ce qu'il avoit malicieusement parlé au désavantage de
quelques républiques et personnes signalées. Les tesmoigna-
ges susdits tirez du procez et de la propre bouche des enne-
mis de la Pucelle estant exempts de tout reproche, servent
pour confondre l'impudence et malice de du Haillan et autres
semblables écrivains, qui ont osé publié que cette fille s'es-
toit prostituée à Baudricour, au Bastard d'Orléans, et autres
qu'ils disent l'avoir instruite à jouer le personnage qu'elle
avoit joué ; calomnie qui mérite une rigoureuse punition,
nommément en des escrivains François, pour ce qu'elle ap-
puie les conviées et calomnies des Anglois ennemis mortels
de la Pucelle, et davantage imprime une note d'infamie à la
France et au conseil du Roy, ne plus ne moins que sil avoit
de premier abord et sans aucun examen adjousté foy à une
fille de joye que Baudricour nous auroit envoyée, après lui
avoir bien fait et recordé sa leçon.
Vrayment les Anglois qui l'ont condamnée n'ont pas oublié
de l'interroger sur ce fait-là : sçavoir si elle avoit esté in-
duite par la persuasion de Beaudricour ou de quelque autre.
Et telles péronnelles que du Haillan imagine n'ont garde de
faire les miracles que la Pucelle a exequutez. Le titre d'histo-
rien que cet homme a usurpé l'obligeoit de voir et examiner
le procez de cette fille, et sa justification attestée par cent
vingt-cinq tesmoins libres de tout reproche, et d'en juger
selon les règles de l'histoire. Que s'il n'avoit pu avoir les ac-
tes du procez, ou n'avoit voulu prendre la peine de les lire,
au moins ne devoit-il ignorer ce que Monslrelet, partisan du
Bourguignon, a escrit au mesme temps, sçavoir que la Pu-
1. Accusation dont on n'a point la preuve.
DE DOMREMY A COMPIÈGNE 87
colle avoit osté bien examinée, el qu'on fui un long temps au
conseil du Roy auparavant que de lui vouloir adjouster au-
cune créance.
Mesme les historiens Anglois, comme Polydore Virgile,
n'ont pas escrit tant au desadvantage de la Pucelle que du
[laillan lequel encore, pour déprimer tous ses faits héroï-
ques, attribue le changement et prospérité des affaires du
Roy principalement à ce que le duc de Bourgogne retira quel-
ques gens qu'il avoit envoyés au siège d'Orléans, et aveuglé
qu'il est, ne considère pas que, l'espace de plus de huit ans,
le mesme duc assista de toutes ses forces et des plus braves
hommes et vaillans capitaines qu'il eust, le duc de Bethford,
mesme quand le Roy lui présenta la bataille après son sacre,
et alla taster le pouls aux. habitants de Paris, ainsi que le
mesme Monstrelet tesmoigne, outre encore le siège de Com-
piègne, etc.
Pour moy, je ne me puis persuader que du Haillan, natif
de Guienne, ne fust de quelque extraction angloise, n'ayant
pu celer la haine qu'il portoit à cette vierge. Et mesme pour
faire l'homme d'Estat et l'entendu aux affaires politiques, [Hj
a osé révoquer en doute la sainte Ampoule et les fleurs de lis
apportées du ciel. Plus tost devoit-il n'en point parler du
tout, que d'en escrire de la sorte : ainsi que j'ay autrefois ouy
dire à defunct M'= Pierre Pithou parlant avec mépris de l'his-
toire de du Haillan, comme d'un homme téméraire et igno-
rant. lAIais retournons à l'examen de la Pucelle.
CHAPITRE YIl
A POITIERS ET A TOURS
Le Parlement et l'Université de Paris estoient transferez à
Poictiers, où le Roy alla tout exprès pour faire encore exami-
ner la Pucelle, qui fut loge'e en la maison de l'advocat géné-
ral du Parlement nommé Kabateau. Et durant tout le temps
quelle fut à Poictiers, on lui donna certaines prudes femmes,
vertueuses et dévotes, qui vivoientetconversoient ordinaire-
ment avec elle, la laissaient faire tout ce qu'elle vouloit, sans
la contrôler ni la contredire en aucune chose, afin de l'es-
pier en toutes ses actions. Et asseurèrent qu'elle estoit fort
vertueuse, de sainte vie et d'une conversation exemplaire,
grandement sobre, beuvoit peu de vin, et encore bien trempé.
Le Parlement n'estoit d'advis qu'on s'arrestast à ce qu'elle
disoit, estimant n'estre que pure folie. Toutefois, l'archeves-
que de Rheims, chancelier de France, qui lui estoit aussi
bien contraire, eut ordre de faire assembler le grand Conseil
du Roy et plusieurs docteurs en théologie, jurisconsultes et
autres qui interrogèrent celte fille sur tout Testât de sa vie,
de ses exercices, de son employ depuis qu'elle avoit l'usage
de la raison, brief sur tous les points desquels elle avoit esté
examinée h Chinon. Et ayant donné contentement par ses
responses, de sorte que tout le Conseil en demeura ravi d'ad-
miration, elle asseurant avec effusion de larmes que le Roy
du ciel avoit en sa protection le Dauphin et le royaume de
France, pour délivrer le peuple des misères et calamitez qu'il
souffroit depuis un si long temps, M*^ Guillaume Aymeri, doc-
teur en théologie, voulant davantage l'esprouver, repartit que,
si Dieu avait résolu ce quelle disoit, il n'estoit besoin d'ar-
mée ni de gens de guerre qui ne feraient tousjours que Ira-
DE DOMnEMV A COMPIKUNE 89
vailler et ruiner le peuple et tout le pais. Mais elle répliqua
soudain que le Roy du ciel vouloit qu'on s'aydast, et que,
bien peu do gens d'armes combattant en son nom, il donne-
roitla victoire.
Seguin, religieux dominicain, docteur et doyen de la Fa-
culté de théologie de Poictiers, remonstra que ce seroit ten-
ter Dieu et une extrême témérité, voire impiété, d'adjouster
foy aux personnes qui se disent avoir mission du ciel par
privilège extraordinaire, sinon qu'elles donnent de bons et
suffisans tesmoignages de leur dire, soit par miracles et au-
tres signes indubitables, et que autrement chascun contrefe-
roit le prophète et feindroit d'estre envoyé immédiatement du
ciel, et que tout fourmilleroit de révélations supposées :
qu'il n'y avoit aucune apparence qu'à sa simple relation,
mesme estant une femme, on luy commist une armée, et
qu'il falloit au préalable confirmer sa mission par certains
et manifestes signes.
— En nom Dieu, dit-elle, je ne suis pas envoyée pour faire
des signes à Poictiers, mais au siège d'Orléans et à Rheims,
où j'ay ordre d'aller, et y ferai voir à tout le monde les signes
certains de ma mission.
Outre plus; asseura que quatre choses adviendroient dont
elle avoit desjà donné advis au Roy, présent le duc d'Alençon,
sçavoir : que le siège d'Orléans seroit levé environ l'Ascen-
sion de Notre-Seigneur, et qu'elle y seroit blessée ; et les An-
glois contraints à force d'armes de se retirer et deffaits ;
néantmoins, qu'elle les sommeroitau préalable de donner la
paix au Roy et à la France, et qu'il faute de ce faire, mal leur
on prendroit ;
En second lieu, qu'elle mèneroit le Roy à Rheims pour y
estre sacré et couronné ;
Davantage, que Paris se rendroit à son obéissance ;
Quatriesmement, que les Anglois soroient du tout chassez
de la France, et que le duc d'Orléans retourneroit d'Angle-i
terre où il estoit détenu prisonnier : toutes lesquelles choses
sembloient lors totalement impossibles, et néantmoins ont
succédé tout ainsi qu'elles avoient esté prédites par la
Pucelle. Et le mesme docteur, en la revision du procez.
90 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
asseure les avoir veu réussir. Dépose semblablcment que
lui ayant demandé quel langage ses voix parloient à elle,
avoir respondu : Bien meilleur françois qu'il ne faisoit, pour
ce qu'il étoit Limosin et baragouinoit '.
A ces interrogatoires faits tant à Poictiers qu'à Chinon,
il se passa environ un mois : de quoy cette fille n'esloit gué-
res contente, sachant que sa mission cstoit bornée à un peu
plus d'un an, ainsi qu'elle avoit asseuré Sa Majesté. C'est
pourquoy elle estoit bien marrie qu'on lui fist perdre le
temps à parler, qu'elle debvoit employer à chasser l'Anglois
de la France.
Or, les Prélats et docteurs de Poictiers, après cet examen
solennel, firent leur rapport : premièrement, que ce n'est pas
chose contraire à la foy et religion, ni aux traditions de
l'Eglise catholique, apostolique et romaine, de dire qu'on aye
des révélations, pourveu qu'on les manifeste par bons et
vertueux effets et sainteté de vie semblable à celle de la Pu-
celle, en laquelle on ne voyoit rien qu'on put soupçonner
d'aucune sorcellerie, maléfice, superstition, ou autres cho-
ses prohibées par les lois divines et humaines, ni d'aucun
autre mauvais ou pernicieux dessein ; et qu'attendu la né-
cessité des affaires du Roy, et qu'elle mesme vouloit exposer sa
vie au péril et hazard de la guerre, tout ainsi que les autres
gens d'armes, on la pouvoit employer sans scrupule de cons-
science -.
[Fut] résolu au conseil du Roy de son équipage. Dieu fai-
sant réussir les choses qu'il avoit ordonnées, et disposant les
cœurs, tant du Roy que de tous les Princes, seigneurs et gens
de guerre, pour marcher sous l'enseigne de cette bergère, et
se confesser et communier quand elle leur diroit : qui n'est
pas certes un petit miracle, principalement aux Français qui
combattaient contre l'Anglois pour la loi Salique.
Nous avons dit que le Roy avoit choisi le sieur Dolon, [plus
tard] seneschal de Beaucaire, comme le plus sage gentilhomme
1. Déposition du trùrc Seguin, dominicain, /Vocès, t. III, p. ^0-'. La
date de l'Ascension fixée à la levée du siège ne se trouve pas dans la
déposition du frère Seguin.
2. Voir le résumé de ce Rapport dans J. Quiclierat, t. V. p. 471.
DE DOMUEMV A COMPIÈGXE 91
de France, pour avoir soin de cette fille, à ce qu'elle fust très
bien traitée, logée, armée et fournie de toutes choses nécessai-
res, et qu'allant parmi les armées elle ne fust mesprisée, mais
honorée comme estant envoyée du ciel. Et à ces fins, le
Roy lui donna deux hommes de son escurie pour lui servir
d'escuyers, sçavoir Louys de Coûtes, et un nomme Raymond,
deux pages pour la servir de main, deux laquais, un maistre
d'hostel, un chapelain, outre ses frères qui estoient de sa
maison, et deux hérauts d'armes, l'un desquels s'appeloit
Guienne et l'autre Ambleville. Elle avoit cinq beaux grands
coursiers, et sept ou huit trottiers, ainsi qu'elle les appelle :
(ce sont chevaux de service pour aller au trot). Le Roy voulut
en outre que pour aller plus à l'aise, elle eust une haquenée
qui fut achetée de l'évesque de Senlis deux cents saluts d'or.
Toutes fois, la Pucelle ayant recognu que le cheval estoit trop
faible pour porter un homme armé, et sceu que l'évesque de
Senlis estoit mal content de ce qu'on Tavoit desmonté, ren-
voya cette haquenée à Georges, sieur de la Trémouille, qui
[la] lui avoit fait donner par commandement de Sa Majesté.
Son chapelain se nommoit frère Jean Pasquerel, religieux
de l'ordre des Augustins, qu'elle prit au couvent de Tours où
il estoit lecteur ordinaire, et néantmoins pro.fès du couvent
de Bayeux : et a tousjours esté avec elle jusques h sa prise
devant Gompiègne, et [a] rendu fidelle tesmoignage de sa
piété, sainteté de vie, et de plusieurs autres choses que nous
avons ci-devant articulées, et selon les occurrences de l'his-
toire les représenterons véritablement.
Le Roy lui voulut donner une belle espée qu'elle refusa, le
suppliant d'envoyer à sainte Catherine de Fierbois en quérir
une qui estoit derrière le maistre autel, en laquelle il y avoit
cinq croix, au haut de la lance vers la poignée, et jadis avoit
servi à un chevalier et fut enterrée avec lui, et n'estoit guère
avant en terre, ainsi que la Pucelle a déposé.
Le Roy lui demanda si elle avoit veu autrefois cette espée.
Respondit que non, mais que son conseil (ses voix) lui avoit
donné cet advis.
Donc le Roy l'envoya quérir par un armurier de Tours.
*)2 E. RICtlER. — LA PUCELLE d'ORLÉAXS
Elle estait toute rouillée, et, ayant esté un peu frottée, la
rouille tomba sans avoir esté fourbie. Les ecclésiastiques de
sainte Catherine de Fierbois y firent faire deux gaisncs,
l'une de velours rouge et l'autre de drap d'or. Pour son
regard, elle [la Puccllej y fit faire un fourreau de cuir bien
fort.
Au reste, estoit fort bien à cheval, et eust-on dit qu'elle
avoit esté dressée toute sa vie par de bons cscuyers. La pre-
mière fois qu'elle monta en cour à cheval ', on lui amena un
coursier noireaudes plus farouches et rude en course, lequel
elle fit approcher auprès d'une croix pour le monter,
et par après le mania à son plaisir à l'admiration de la
cour.
Un jour, le Uoy s'cstant allé pourmener en la prairie de
Ghinon, elle monta à cheval, fit une carrière la lance en
main de si bonne grâce, que le Roy et tous ceux qui la regar-
doient en furentmerveilleusementeshahys; etleduc d'Alençon,
la voyant si adroite, lui donna un des plus beaux chevaux
de son escurie.
Ce mesme prince tesmoigne qu'estant lieutenant général
pour le Roy en ses armées, il a veu mainte fois la Pucelle en
besongne, et teiioit pour miraculeux tout ce qu'elle faisoit et
disoit aux affaires de guerre, soit pour donner conseil sur
le champ, ordonner et faire marcher les gens de guerre en
bataille, assaillir l'ennemi, ou faire seurement des retraites,
pointer l'artillerie pour battre les villes et aller à l'assaut :
asseurant que des capitaines qui auroient fait la faction de
guerre et conduit des armées vingt-cinq ou trente ans, ne se-
roient plus experts et advisez qu'elle estoit : dont on ne
se doit esbahyr, estant envoyée et instruite par le Dieu des
armées.
Messieurs de Longueville et de Gaucour ont tesmoigne la
mesme chose, tous lieutenants généraux. Et le Bastard d'Or-
léans dit encore que cette fille estant aux armées parmi les
gens de guerre, pour leur donner courage, racontoit plu-
1. Confusion tic laits. C'est devant 1(> jeune seigneur île Laval, avant
la campagne (le la Loire, et non à sa venue à la cour, que la Pucelle
monta ce noir et rude coursier.
DR DOMREMV A COMPIE'JXE 93
sieurs choses qui no sont advenues, mais que, parlant sérieu-
sement avec les seigneurs et capitaines de sa mission, ne
leur avoit jamais tenu autres propos que des quatre choses
ci-devant mentionnées.
Le Roy vouloit que ses habillements de guerre fussent
richement accommodez, car cela donne terreur à l'ennemi,
ainsi que les Lacédémoniens, plus austères que tous les hom-
mes du monde, disoient. Il lui donna une huque de toile d'or
tailladée et ouverte de tous costez, qu'elle porloit sur ses
armes, avec laquelle elle fut prise à Compiègne. C'estoit
comme une houpille en hongrelline, laquelle ses ennemis ne
faillirent pas de détorquer à vanité et gloire mondaine.
Et toutefois recognoissent qu'elle estoit grandement sévère.
Jamais ne vouloit permettre que ceux de sa compagnie allas-
sent à la picorée, et n'eust pas mangé d'aucune chose que
les gens de guerre eussent pris sur le pauvre peuple. Aussi,
tout ce qu'elle a jamais demandé au Roy n'a esté que pour
payer ses gens, à ce qu'ils ne fussent contraints de picorer
ou de voler.
Onques, où elle estoit, n'a voulu souffrir de folles femmes,
et, si elle en rencontroit aucunes, leur donnoit asprement la
chasse, comme elle fit dès sa première arrivée, s'acheminant
pour faire lever le siège d'Orléans, et depuis à Chasteau-
Thierry et à Saint-Denis, les poursuivant l'espée nue en
inain.
Quand on alloit par païs, les fourriers et maréchaux des
logis avoient ordre de la très bien loger, et principale-
ment avec d'honnestes et vertueuses femmes, estant aux hon-
nies villes.
Le sieur Dolon, gouverneur et surintendant de sa maison,
la mena à Tours pour lui faire forger des armes propres h
son corsage : sçavoir heaume, cuirasse, brassars, et l'équiper
de toutes autres choses dont elle auroit besoin. 11 lui lit aussi
forger une petite hache d'armes qu'elle porta bien peu de
temps, ayant recognu que sa mission estoit seulement pour
mener les François à la guerre, et relever leur courage abattu
par tant d'infortunes et adversilez.
Elle fit faire en attendant, par le conseil de ses voix, un es-
LA PUCELLE D ORLEANS
tandart qui estoit de toile ou de boucassin blanc, frangé de
crespine de soye. Le champ estoil d'azur, tout semé de fleurs
de lis : auquel estandart elle lit peindre l'image du Roy du
ciel tenant un monde, avec un ange de chacun costé et le
signe de la croix, ensemble ces deux mots Jésus Maina. Et
allant à la guerre, le portoit par commandement de ses voix,
le tenant en main, et crainte despandre le sang humain ne
s'aydoit d'aucune arme offensive, ainsi qu'elle respondit à
ses juges ^ qui lui firent de merveilleux, ridicules et mali-
cieux interrogatoires, tant sur cette enseigne que sur l'espée
qu'elle portoit, lui voulant faire accroire qu'elle avoit ensor-
celé ses armes et tout ce qu'elle portoit, afin d'estre mieux
fortunée ; et mesme un anneau de cuivre doré que ses parents
lui avoient donné, auquel estoit engravé un Jésus Maria.
Outre, lui imposèrent encore qu'elle avoit fait porter des
pièces de toile toutes entières comme en procession à l'en-
tour de l'église et du maistre autel, pour faire des enseignes
et panonceaux aux gens de guerre, à ce qu'ils fussent mieux
fortunez : de quoy il sera parlé au second livre.
C'estoit sa coustume de se mettre tousjours à l'avant-garde
de l'armée pour donner courage aux soldats et capitaines, et
terreur aux ennemis, disant aux François : « Entrez hardi-
ment avec moy au plus fort des Anglois. » Lesquels ont con-
fessé l'avoir plus redoutée elle seule que cent des plus vail-
lants chevaliers, et des mieux armez et montez. Car meslée
parmi les ennemis, elle ressembloit à un ange exlermina-
teur, et tous fuyaient devant elle. Et faisoit tousjours la
retraite, se mettant sur le derrière de l'armée pour faire reti-
rer les gens de guerre en toute seureté : ce qui fut cause de
sa prise au siège de Gompiègne ; ayant eu plus de soin de
sauver ses compagnons qu'elle-mesme, ainsi que tesmoigne
Monstrelet. Pour cette raison, le Roy d'Angleterre, aux
lettres qu'il escrivit à l'empereur Sigismond, au duc de Bour-
1. Joaniio n'a jamais dit qucllo navait blessé personne, mais que
jamais elle n'avait frappé un adversaire mortellement. Pour se défendre,
elle dut plus d'unp lois, par exemple le jour de la prise des Augustins,
faire usage de son épée. v DLvil (^»0(/ nuM^juam interlecil liominoni.»
Procès, t, I, p. 78.
DE DOMREMV A CÙMPIÈGXE 95
gogne, et aux prélats et seigneurs de son obéissance, après
qu'il eut fait mourir la Puceile, se plaint des grands et in-
croyables dommages qu'elle lui a faits, ayant fait mourir ou
pris prisonniers tous ses plus braves capitaines ou chefs
d'armée. Au reste, hors l'effort de la guerre, elle estoit
douce, simple et humble comme un agneau.
CHAPITRE YIII
LA PUCELLE A BLOIS. — LA LETTRE AUX AXGLALS.
DÉPART POUR ORLÉANS.
Tout son équipage de guerre et sa maison dressez, le Uoy
lui donna environ six mille hommes, et de Tours s'ache-
mina à Blois où elle séjourna quelques jours attendant que
cette petite armée fust assemblée, et qu'on eust appresté un
grand convoy de vivres et autres munitions nécessaires pour
la ville d'Orléans, car, faute d'argent, tout demeuroit en
arrière, ainsi que le duc d'Alençon a déposé.
Elle arriva à Blois environ la sepmaine de la Passion ^ le
dix-huit ou le dix-neuviesme mars 14!28 (vieux style), où
elle fit faire une enseigne de dévotion en laquelle Jésus-
Christ estoit représenté en l'arbre de la Croix. Et chascun
jour qu'elle y séjourna, faisoit assembler tout le clergé de
Blois, et son chapelain à la teste portant cette bannière en
procession, sans vouloir permettre qu'aucun y assistast s'ils
n'avoient été à confesse, non pas mesme les soigneurs et
gens de guerre.
Davantage, afin de ne point perdre temps, le samedi veille
de Pasques, vingt-sixiesme mars, dicta en son langage une
lettre qu'elle envoya aux Anglois par ses hérauts pour les
sommer de lever le siège d'Orléans, de se retirer en Icurpaïs
€t donner la paix à la France ; qu'autrement elle avoit charge
de les debeller. Dénonciation conforme à la loi de Dieu,
chapitre 20 du Deutéronome : « Quand tu voudras assiéger
une ville ou faire la guerre contre quelqu'un, tu lui offriras
1. Erreur de date. C'est en avril 142!) seulement que la Pucelle vint à
Blois.
DE DOMUEMY A COMPlÈr.NE 97
premièrement la paix, et s'il ne veut entendre, tu le com-
battras. »
Ensuit la teneur de sa lettre que j'ay tiré mot pour mot
de l'original de son procez : d'autant que ces lettres sont
deffectueuses et corrompues en l'histoire de Nicolle (îilles de
lielleforest, et mesme au discours du siège d'Orléans
ci-devant mentionné, lequel rapporte les dites lettres avoir
esté escrites le mardi ^2 mars en la sepmaine sainte, date
qui contrevient à la vraye de samedi vigile de Pasques,
vingt-sixiesme mars.
f JESUS MARIA f
« Roy d'Angleterre, et vous duc de Belhford, qui vous
dites régent du royaume de France; vous, Guillaume de la
Poulie, comte de Sutïort, Jean sire de Tallebot, et vous Tho-
mas, sire d'Escales, qui vous dites lieutenant du dict duc de
J3ethford, faites raison au Roy du ciel. (Rendez à la Pucelle
qui est icy envoyée de par le Roy du ciel '), les clefs de
toutes les bonnes villes que vous avez prises et violées en
France. Elle est ici venue de par Dieu pour réclamer le sang
royal. Elle est toute preste de faire paix, si vous lui voulez
faire raison : par ainsi que France vous mettiez jus, et
payerez ce que vous l'avez tenue. Et entre vous, archiers,
compagnons de guerre gentils et autres qui estes devant la
ville d'Orléans, allez-vous-en en votre païs de par Dieu, et si
ainsi ne le faites, attendez les nouvelles de la Pucelle qui
vous ira voir briesvement à vos bien grans dommages. Roy
d'Angleterre, si ainsi ne le faites (je suis chef de guerre),
et, en quelque lieu que je atteindrai vos gens en France, je
les ferai aller, veuillent ou non veuillent. Et s'ils ne veullent
obéir, je les ferai tous occire. Je suis envoyée de par Dieu le
Roy du Ciel (corps pour corps), pour vous bouter ^hors de
toute France. Et si veullent obéir, je les prendray à mercy.
Et n'ayez point en votre opinion, car vous ne tiendrez pas le
royaume de France, de Dieu le Roy du ciel, fils de sainte
1. Los mois entre purcnlhèscs sont, eoinme Riclior le dit plu5 bas.
'■euv que la Pucelle disait à ses juges, p. o5, 8i du Procès, t. t. avoir été
changés. Mais ces changements sont sans importance.
98 E. RICHER. l.A l'UCELLE D ORLEANS
Marie ; ains le tiendra le Roy Charles, vray héritier, car Dieu
le Roy du ciel le veut, et lui est révélé par la Pucelle ; lequel
(Charles) entrera à Paris à bonne compagnie. Si ne voulez
croire les nouvelles de par Dieu et la Pucelle, en quelque
lieu que vous trouverons, férirons dedans, et y ferons un si
grand ahay, que encore a-t-il nuls ans que en France ne fut
si grand, si vous ne faites raison. Et croyez fermement que
le Roy du ciel envoyera plus de force à la Pucelle que vous
ne lui sçauriez mener de tous assaux à elle et à ses bons gens
d'armes. Et aux horions verra-t-on qui aura meilleur droit
de Dieu du Ciel. Vous, duc de Bethford, la Pucelle vous prie
et vous requiert que vous ne vous faciez mie destruire. Si
vous lui faites raison, encore pourrez venir en sa compa-
gnie, où que les François feront le plus bel effect que on-
ques fut faict pour la chrestienté. Et faites response si vous
voulez faire paix en la cité d'Orléans, et si ainsi ne le
faites, de vos bien grans dommages vous souvienne bries-
vement. Escrit ce samedi sepmaine sainte ^ »
Ces lettres contiennent une prophétie que la Pucelle révéla
au Roy incontinent qu'elle fut arrivée à Chinon : sçavoir
qu'il estoit le seul et vray héritier de la couronne ; que si les
Anglois, après avoir été advertis, ne se retiroient ils seroient
defîaits, ainsi qu'ils furent à Orléans, Jargeau et Patay;
que Paris se mettroit en l'obéissance de sa Majesté, et que
les Anglois seroient entièrement chassez du royaume de
France.
Les juges qui ont fait le procez à cette fille ont souvent
remué ces lettres, lui voulans imposer qu'elle les avoit
4. Lire dans l'ouvrage de M. Germain Lefévre-Pontalis; Les sources
allemandes de l'Iiisloire de Jeanne d'Arc, (in-S», Paris 1903) à la page 42
et suivantes, les observations sui' cette lettre deJeanne aux Anglais, sur
son authenticité, sur le peu d'importance des altérations qu'on a dénon-
cées, et sur les documents divers dans lesquels le te.xle en est reproduit.
Le texte donné par E. Riclier est le seul <iont M. G. Letèvre-Pontalis
n'ait point parlé. Entre ce texte et celui qui' .1. Quiclierat donne aux
pages 240, i>41 du Procès, t. 1, il n'y a que deux ou trois dili'érences.
Là où J. Quicherat écrit: «encore a-t-il mil ans...,» Richer met:
encore a-t-il nuls ans. » Et à la iîn : « Escript ce mardi sepmaine
saincte : » leçon de J. Quicherat et du procès. « Escrit ce samedi sep-
maine saincte ; » leçon de Richer.
DE DOMREMY A COMPIEGNE 99
escrites par la suggestion des esprits malins quelle consul-
toit ; et mesme auroit mis à la teste d'icelles deux croix avec
ces mots Jésus Maria. Ils lui demandèrent premièrement si
elle les avoit ainsi escrites et couchées. Respondit que oui,
et les avoir dictées, trois ou quatre choses exceptées qu'on y
avoit changées ou adjoustées, de quoy il sera parlé au second
livre. Ces choses sont celles qui sont imprimées [plus haut^
en italiques et enfermées par parenthèse. Et est chose admi-
rable que ne sçachant ni lire ni escrire, elle aye pu se sou-
venir de ce qu'on avoit changé ou adjousté en ses lettres.
Ne faut passer sous silence que quelque temps après elle
envoya semblement des lettres et des hérauts au duc de Bour-
gogne pour le prier et exhorter aussi à la paix ; ce qui fait
cognoistre de quel esprit elle estoit régie. Ses juges lui ont
reproché que par ces lettres elle s'arrogeoit l'office des
anges, disant qu'elle estoit envoyée de par le Roy du ciel.
Véritablement Ange ne signifie autre chose que « Messager
envoyé de Dieu ». Et peut-on dire asseurément qu'elle a .
servi au Roy et à la France d'un Ange de paix pour en exter-
miner totalement les Anglois : car tant qu'ils ont eu la
Giiienne et la Normandie, il estoit impossible aux François
de jouir de la paix.
Et ne se peut rien imaginer de plus misérable qu'estoit le
pauvre peuple de France. Tous les ans, au temps que la
moisson approchoit, les Anglois faisoient une descente à
Calais ou en quelque autre port de mer. Et de là couroient
et ravageoient toute la France jusques en Auvergne, et repas-
soient en Guienne, bruslant et saccageant tout ce qu'ils ren-
controient. Et n'y avoil que les grosses villes et forts chas-
teaux exempts de cette calamité et désolation. De sorte qu'on
ne pouvoit labourer ni cultiver les terres, ni mesme recueil-
lir le peu qu'on avoit ensemencé. Et si aucun vouloit brouil-
ler ou remuer mesiiage en France, il estoit asseuré d'avoir
tousjours les Anglois à sa dévotion. Calamitez qui ont duré
plus de soixante ans. Et pour ce sujet disoit-on en commun
proverbe ^ue les Anglois, par leur puissance, avaient fait
venir les bois en France ; ainsi qu'il me souvient l'avoir
100 E. niCIIEIt. — LA PUCELLE d'ûRLÉAXS
mainte fois ouy dire en ma jeunesse à de vieilles gens qui
certifioient avoir veu toute la France déserte et remplie de
bois ; que leurs pères avoient expérimenté les ravages des
Anglois, et que sous le règne de Charles V[I et Louis XI, on
avoit commencé à essarter les bois, défricher les champs et
rebastir les villages : qui est en somme le grand bien qu'il a
pieu h Dieu nous moyenner par la Pucelle, qui devroit autant
avoir de statues de bronze en France que jadis on en dressa
à Demetrius Phalereus, en Grèce, le méritant beaucoup
mieux.
Celui qui a escrit jour pour jour le siège d'Orléans asseure,
comme fait aussi le comte de Dunois en la revision du pro-
cez^ que les Anglois furent extrêmement irritez des lettres
de la Pucelle, et qu'ils lui dirent moult de vilaines injures,
l'appelant ribaude, vachère, et la menaçant de la faire brus-
1er; et que contre le droit des gens, ils retinrent un de ses
hérauts nommé Guienne, qui leur avoit porté les dites lettres,
et tournèrent à dérision tout ce qu'elle leur escrivoit : ne
considérans pas que Dieu élit les choses basses et plus in-
firmes pour confondre les plus hautes, sourcilleuses et bouf-
fies d'orgueil, comme les Anglois estoient lors, aveuglés de
la prospérité qui les caressoit.
Mais la Pucelle, estant à Blois, pressoit tous les seigneurs
et capitaines de partir, sçavoir le mareschal de Boussac ou
de Sainte-Sévère, Gilles de Laval, mareschal de Raiz, le
sieur de Gaucour, La Ilire, Poton, Ambroise de Loré, l'admi-
rai de Culant, Jamet du Tilloy, etc., lesquels elle fit tous
confesser et communier, les asseurant du secours que Dieu
leur donneroit, mettans en bon estât leur conscience. De
plus, fit assembler les ecclésiastiques de Blois sous l'enseigne
de Jésus-Christ en croix qu'elle avoit fait peindre, laquelle
son chapelain portoit devant le clergé, faisant prières et
chantant des psaumes et hymnes à la teste du convoy de
vivres que les gens de guerre conduisoient par terre à
Orléans du costé de la Sologne.
Pour lors la rivière estoit fort basse ; tellement qu'il estoit
impossible que les bateaux que le Bastard d'Orléans avoit fait
Dli: DOMREMV A COMPIEGNE 101
préparer pour recevoir les vivres arrivassent jusques au
bord de la rivière ; davantage, le vent estoit contraire qui se
changea tout à coup et [se] rendit propice : pareillement
aussi la rivière crût, de sorte qu'on deschargea aisément
dans les bateaux tous les vivres et munitions qui furent ren-
dus à Orléans de plein jour, sans que les Anglois y donnas-
sent aucun empeschement. Ce que considéré, le Bastard d'Or-
léans asseure avoir lors conçeu très bonne espérance des
promesses que faisoit la Pucelle.
Elle désiroit que les gens de guerre qu'elle avoit amenez
passassent du costé de la Beausse.où estoit le comte de Suf-
fort, le sire de Tallebot et autres chefs de guerre anglois avec
la plus grande force de leur armée qu'elle vouloit combattre,
et pour voir sans délai les signes de sa mission, et que, bien
peu de gens de guerre bataillant au nom et à la faveur du
ciel, ils emporteroient aisément la victoire, ainsi qu'elle
avoit déclaré à Poictiers. Toutes fois, les seigneurs et capi-
taines françois furent de contraire opinion, jugeans que le
passage estoit beaucoup plus libre et moins périlleux du
costé de la Sologne.
Et ayans celé leur dessein à la Pucelle, néantmoins elle le
recognut bien. Car arrivée qu'elle fut avec les vivres et mu-
nitions au-dessus d'Orléans, du costé de la Sologne, le Bas-
tard d'Orléans estant venu pour la recevoir, elle lui demanda
incontinent s'il n'estoit pas le Bastard d'Orléans, et s'il avoit
esté d'advis qu'on passast plustost de ce costé-là que par la
Beausse.
Ce seigneur respondit que tous les chefs et gens de guerre
avoient esté de cette opinion et [avoient] jugé que c'estoit le
meilleur conseil qu'on pouvoit prendre.
— En nom Dieu, dit-elle, car c'estoit son serment, le con-
seil du ciel est bien plus sage et asseuré que le vostre. Vous
me pensez trompez, et vous-mesme vous trompez. Car je
vous amène le meilleur secours qui soit jamais arrivé à
aucune ville : le secours du Roy du ciel qui vous envoyé, non
pour l'amour de moy, mais par l'intercession et requeste
de saints Louys et Gharlemagne, et ne veut pas que les
Anglois ayant le duc d'Orléans qu'ils tiennent prisonnier, et
102 E. lUCHER. L\ ITCELLE d'oRLÉANS
sa ville d'Orléans, laquelle le Roy du ciel tient en sa pro-
tection.
C'est la propre déposition du Bastard d'Orléans qui pria
lors la Pucelle avoir pour agréable que les forces qu'elle
avoit amenées retournassent encore à Blois quérir un second
convoy de vivres et munitions, attendant tousjours que l'ar-
mée du Roy grossist; veu aussi que la ville d'Orléans avoit
plus besoin de vivres que de toutes autres choses. A ces
remonstrances la Pucelle ne pouvoit consentir, disant
qu'elle avoit fait confesser et communier tous les gens de
guerre, et pendant qu'ils estoient bien disposez qu'ils les fal-
loit employer. Elle avoit semblablement chassé les femmes
desbauchées qui, auparavant son arrivée, nichoient à l'ar-
mée ; et lui faschoit grandement de perdre temps. Toutes
fois, elle se laissa persuader, et conséquemment les forces
retournèrent à Blois.
Or, le vendredi vingt-neufviesme avril, le Bastard d'Or-
léans fit passer la rivière à la Pucelle à l'endroit de Ghécy,
qui est un petit village distant d'Orléans d'environ deux
lieues, du costé de la porte de Bourgogne, où il avoit laissé
quelques gens de guerre pour la garder. Et partirent de ce
village sur le soir et entrèrent à Orléans sur les huit heures,
afin d'éviter le tumulte du peuple qui brusloit du désir de
voir la Pucelle. Elle estoit armée de toutes pièces excepté de
son heaume, et montée sur un cheval blanc, faisant porter
devant elle son enseigne de guerre par un de ses escuyers,
ayant au costé gauche le Bastard d'Orléans, gouverneur de la
ville. Et estoient suivis de plusieurs autres seigneurs, capi-
taines et gens de guerre.
Elle fut très bien receue par les bourgeois de la ville, avec
grand quantité de flambeaux, tous les habitants faisant pa-
reille resjouissance que s'ils eussent veu un Ange descendre
du ciel pour les secourir. Comme elle entroit dans la ville,
ceux qui portoient les flambeaux mirent le feu aux franges
et crespines de son estandard : ce qu'ayant aperceu, elle
donna des espérons à son cheval et brusquement s'avança
jusqu'à celui qui portoit l'cstandart, si soudainement et de si
DE DÛMREMY A COMPIEGNE 103
bonne grâce qu'elle en esteignitle feu avec la main : de quoy
on s'esbahyssoit, la voyant si adextre (adroite) et si bien ma-
nier un cheval.
Elle fut descendre à l'Eglise cathédrale d'Orléans, et, après
y avoir fait ses prières, [fut] conduite en l'hostel du tréso-
rier du duc d'Orléans nommé Jacques Boucher, où elle fut
receue avec son train, sçavoir le sieur Dolon, ses deux frères
et tous ses gens. xV son arrivée, il n'estoit pas fils de bonne
mère qui ne la touchoit, aucuns lui baisans les mains, les
autres ses vestements, et d'autres ne pouvant en approcher
de plus près touchoient son cheval.
A raison de quoy elle fut un jour sérieusement admonestée
pas; M" Pierre de Versailles, docteur en théologie, duquel
nous avons parlé ci-devant, qu'elle se donnast bien garde
que telles caresses et applaudissements n'induisissent le peu-
ple à idolâtrie.
Elle répliqua estre assez marrie de cela et, autant qu'elle
pouvoit, désiroit l'empescher. Recognut mesme ingénue-
ment que, si Dieu ne la préservoit, elle tomberoit en vaine
gloire.
Estant à Bourges logée chez la veuve du trésorier du
Roy, quelques femmes et autres personnes lui apportoient
leurs chapelets, marques et médailles pour les toucher. De
quoy elle se prit fort à rire, asseurant qu'eux mesmes les
ayant desjà touchées, elles avoient tout autant de vertu que
si elle lesmanioit. Et les renvoya ainsi.
Ses juges n'oublièrent pas de la vouloir noircir pour ce
que le peuple couroit ainsi après elle, et l'interrogeant sur
cela, [elle] respondit premièrement qu'elle ne pouvoit estre
mal voulue de ceux de son parti ; secondement, les pauvres
exceptez qu'elle soulageoit autant qu'il lui estoit possible,
estre assez marrie que d'autres lui fissent tant de caresses,
et, autant qu'elle pouvoit, l'empeschoit.
Encore lui voulurent-ils faire accroire que, depuis sa
prise, les François de son parti avoient fait dire des messes
et prières à son honneur, tout ainsi que l'on fait aux saints
canonisez que l'Eglise révère et honore. Mais elle répliqua,
posé que cela fust comme il n'estoit pas véritable, qu'elle
104 E. niCIIER. L\ PUCELLE I) ORLEANS
n'en pouvoit mais, veu que ce n'estoit par son conseil ni de
son consentement. Bien croyoit-elle qu'on faisoit prier Dieu
pour elle, et que ce n'estoit point mal fait. Tant l'iniquité de
ses juges fut extrême de vouloir imputer à idolâtrie les
prières que les François faisoient pour cette pauvre captive !
CHAPITRE IX
LA l'UGKLLE DANS ORLÉANS — LEVÉE DU SIÈGE
Le samedi dernier d"avril, lendemain de son arrive'e à
Orléans, la Piicelle envoya sur le soir deux trompettes aux.
Angloispour les sommer de lui renvoyer Guienne son héraut.
Et le Bastard dOrléans leur manda que s'ils ne le renvoyoient
sain et sauf, il feroit mourir tous les prisonniers anglois
qu'il tenoit à Orléans, et mesme les seigneurs de qualité
qu'on y avoit envoyez pour y traiter de la rançon des pri-
sonniers : que le droit des gens estoit toujours demeuré
saint et inviolable, mesme entre les nations les plus bar-
bares, qu'à plus forte raison le devoit-il estre parmi les-
Chrestiens. Ce qu'entendu, les Anglois donnèrent liberté à
ce héraut, avec charge expresse de faire entendre à la Pucelle
qu'elle estoit la p '.... des Armagnacs, qu'elle retournast
garder les vaches, et qu'ils la feroient brusler.
Le lendemain, sur le soir, qui estoit un dimanche S cette
fille alla au boulevard des Tournelles où les Anglois avoient
fait une forte bastille, tout au bout du pont vers le porte-
reau, et adressant la parole au capitaine Classidas et autres-
qui commandoient en celte bastille, les exhorta pour la
seconde fois de donner la paix à la France, et se retirer en
leur pais vies et bagues sauves, qu'autrement il leur mescher-
roit en brief. Sur quoy ils l'injurièrent de plus belle, et
Classidas enchérissoit sur tous les autres.
Le Bastard d'Orléans sortit le mesme jour avec forces pour
aller au-devant des mareschaux de sainte Sévère et de Rays
1. C'est le samedi, non le dimanche, que la Pucellc vint à portée de
la bastille du pont et fut injuriée par Classidas (Glasdale). Journal du
siège, p. 79, édit. Cuissard.
106 E. RinirER. — r.A pucelle d orleans
qui amenoient de Blois un second convoy de vivres du costé
de la Sologne'. Et le quatriesme jour de mai, la Pucelle
assistée des sieurs de Villars, Florent d'IUiers et de La Hire,
sortit d'Orléans avec cinq cents hommes de guerre pour
recevoir ce convoy de vivres, lequel fut rendu à Orléans,
comme le premier convoy, sans aucune incommodité et sans
que les Anglois y donnassent aucun empeschement ou osas-
sent faire semblant de sortir de leurs forts.
Certes, depuis que la Pucelle fut arrivée à Orléans, on
eust dit que les Anglois cstoient assiégez en leurs bas-
tilles, et non pas qu'ils tenoient Orléans assiégé. Polydorc
Virgile, qui tiroit gage des Anglois pour escrire leur
histoire, voulant mettre au rabais ce secours miracu-
leux, rapporte que la Pucelle (soit qu'elle eust trompé les
garnisons angloises, ou qu'elle fust protégée de Dieu), entra
de nuit à Orléans, parmi les armes des ennemis, avec les
vivres sans aucun empeschement : et que les Anglois cognois-
sant l'extrême famine qui travailloitceux d'Orléans, faisoient
négligemment la garde, et voyans qu'il y estoit entré des
vivres, se résolurent finalement d'y donner un furieux assaut :
narration toute déguisée et colorée à l'honneur des Anglois;
de quoy il ne se faut esbahyr, veu mesme que cet auteur
asseure contre la vérité des propres actes que nous avons
des Anglois, que la Pucelle, après avoir esté condamnée,
voulant prolonger sa vie de neuf mois, feignit estre grosse,
et qu'elle fut gardée tout ce temps là et après exéquutée. Or,
est-il qu'en l'espace de sept jours, ils ont prononcé et exé-
quuté contre elle deux diverses sentences, l'une de rétracta-
tion le 25, et l'autre de mort le 80 mai 1431, ainsi que nous
verrons au livre second ; et conséquemment l'imposture de
Polydore Virgile demeure confutée par les propres actes du
procez.
Certes la Pucelle n'estoit ^point] envoyée de Dieu pour
taverner la guerre, comme disoient les anciens, mais pour
la faire ouvei-tcment et chasser de vive force les Anglois,
1. Erreur. Le socoml convoi se dirigea et cnlra dans Orléans, non
par la roule de la Sologne, rive gauche de la Loire, mais par la route
de la Beauce, rive droite.
DE UUMREMY A COMPIÈGNE 107
après avoir refusé de se retirer sur la sommation qu'elle leur
avoit faite, comme Ion cognoit par tous les actes de sa vie.
Ce que pour faire entendre, et comme les Anglois ont été
contraints à force d'armes de lever le siège d'Orléans, et en
quel estât estoit cette ville quand la Pucelle y arriva, nous
en représenterons ici le plan.
Orléans en 1429
Elle est bastie sur un haut qui est un peu en pente vers la
rivière de Loire qui l'arrose du costé du midi K Au septen-
trion est la porte Banière (Bannier), du costé de Paris ; à
l'orient, celle de Bourgogne ; au midi, la porte du Pont, joi-
gnant laquelle est la porte de la Faux, autrement la porte du
port, au bout de quel port est l'église Saint-Laurent qui est
une paroisse. A l'occident est la porte de la Magdeleine.
Et faut sçavoir que, depuis le siège, la ville a esté grande-
ment accrue et que l'on y a enclos les faubourgs. Les Anglois
l'avoient entourée (sur la rive droite) de sept forts ou bas-
tilles bien flanquées et retranchées, qui s'entre-secouroient
l'une l'autre : ayans fait rompre tous les chemins, mo3'en-
nant certains retranchements qui servoient comme de ligne
de communication. Du costé de la Sologne il y avoit trois
forts, car au-dessus d'Orléans, au plus haut de la rivière
[sur la rive gauche], ils avoient fortifié l'Eglise de Saint-
Jean-le-Blanc où sont aujourdhuy les Capucins, et plus bas,
tout au bout du pont d'Orléans, avoient fait une grande et
forte bastille, bien remparée de gros boulevards, larges et
profonds : bastille qu'on tenoit lors comme imprenable, et
lui avoient imposé le nom de Londres, se vantant qu'elle
seroit aussi malaisée à tirer de leurs mains que la ville de
Londres, capitale d'Angleterre.
A la porte de Bourgogne ils avoient basti un fort qu'ils
appeloient Saint-Loup, parce qu'il estoit proche de l'Eglise
1. Celte description d'Orléans en 1 1±) est Uvs insuffisante et inexacte.
Par exemple, la bastille do Londres que Richer place sur la rive gau-
che avec celle de Saint-.Joan-le-Blanc était sur la rive droite vers la
Croix-Morin. Xo'ir Y Histoire du sièffe d'Orléans par le chamoine Dubois,
in-8», Orléans 1894, et notre Histoire complète, t. U, chap. xm, xiv.
lU» E. RICHER. LA PUCELLE D ORLEANS
Saint-Loup qui est un couvent de religieuses. Semljlable-
ment, à la porte Bannière, proche de Saint-Lazare et de
Saint-Paterne, une autre bastille secouroit celle de Saint-
Loup, et l'appeloient Paris, attendu qu'elle estoit devers
Paris, et donnoit aussi secours à celle qui estoit h l'occident,
où est aujourd hui la porte de la Magdeleine, laquelle bastille
ils appeloient Rouen, et faisoit espaule à celle de Saint-Lau-
rent qui est sur le port d'Orléans vers l'occident.
Tous lesquels forts et leur situation monstrent qu'il estoit
impossible humainement de secourir Orléans avec le peu de
forces que le Itoy avoit alors. Mais incontinent que ces
vivres et gens de guerre furent rendus à Orléans en toute
seureté, les seigneurs et capitaines qui ne se fioient et asseu-
roient pas à ce que disoit la Pucelle, tinrent conseil à son
desceu (insu) et d'autant que la ville estoit bien munie de
vivres et de toutes choses nécessaires, résolurent qu'on ne
hasarderoit rien, et que l'on attendroit encore de nouvelles
forces pour contraindre l'ennemi de lever le siège ; car de
toutes parts le Roy s'efforçoit de faire des levées.
Le sieur de Gaucour, gouverneur du Dauphiné et grand
maistre de l'hùtel du Roy, eut charge de garder la porte de
Bourgogne et de ne laisser sortir personne ; car les mains
démangeoient à toute l'infanterie qui brusloit du désir de
combattre, comme faisoit pareillement la Pucelle pour faire
cognoistre les signes de sa mission. Et dès le grand matin,
un bon nombre de nos arbalestriers, c'estoient les gens de
pied de ce temps-là, sortirent par des poternes et allèrent
donner l'alarme à la bastille de Saint-Loup où plusieurs
furent blessez. De quoy la Pucelle eut advis par son conseil,
et tança fort ses escuyers, leur faisant reproche que pen-
dant qu'ils dormoient à la françoise, l'ennemi avoit espandu
le sang des François. Elle se fit vistement armer, monta à
cheval, demandant son estandard qui lui fut baillé par la
fenestre d'une chambre haute où elle logeoit, et courut à la
porte de Bourgogne de telle roideur que son cheval faisoit
sortir le feu du pavé. Le sieur de Gaucour ne put jamais
cmpescher qu'elle ne fist sortir avec elle quelques hommes,
partie d'arbalestiers, partie de cavaliers, à la teste desquels
DE DOMUEMY A COMPIEGNE 109
s'estanl mise, son ostandart en main toul déployé, fui teslc
baissée donner l'assaut à la bastille de Saint Loup où elle
rencontra plusieurs de nos gens blessez.
Les seigneurs voyans qu'on ne l'avoit pu empcvscher de
sortir, la suivirent incontinent, et comme oh assailloit cette
bastille, le mareschal de Boussac, de Rays, le sieur de Gra-
ville et autres au nombre de six cens cavaliers s'avancèrent
du costé de la bastille de Saint-Ladre. Et les Anglois qui y
estoient en garnison, assistez de quelques autres troupes
qu'on leur avoit envoj^ées de renfort, ayant voulu faire une
sortie pour secourir ceux de Saint-Loup, furent repoussez,
tellement que à leur barbe cette bastille fut enlevée, desmolie
et bruslée.
L'assaut dura plus de quatre grosses heures : et demeurè-
rent morts sur la place cent quatorze Anglois, et des prison-
niers au nombre de plus de deux cents. La Pucelle sauva les
gens d'Eglise anglois qui se trouvèrent en cette bataille,
s'estans présentez à elle revestus de leurs habits et ornements
d'Eglise, et les amena à Orléans quant et soy, les fit bien
traiter et après les renvoya sains et saufs, prenant mesme le
soin, quand elle rencontroit quelque soldat anglois blessé,
de le faire confesser et advertir de son salut, et demander
pardon à Dieu, exerçant toutes sortes de bons offices et
œuvres de charité en leur endroit, ce qu'ils n'ont pas fait au
sien.
Le jeudi, cinquiesme mai, jour de l'Ascension de Nostre
Seigneur, fut tenu conseil entre la Pucelle, le Bastard d'Or-
léans, les marcschaux de Boussac et de Rays, Poton, La Hire,
Ambroise de Loré, etc., et conclu que le lendemain au matin,
on passeroit la rivière pour donner l'assaut aux trois bas-
tilles qui estoient devers la Sologne, afin de rendre le passage
libre de ce costé-là, passage que les Anglois avoient le plus
avantageusement fortifié, sçachant bien que c'estoit de cette
part que ceux d'Orléans pourroient tirer secours de Sa
Majesté.
Donc le vendredi, sixiesme mai, avant que le soleil fust
levé, nostre Pucelle s'estant tenue preste, dit à son hoste
110 E. RICHE». — LA PUCELLE D ORLEANS
qu'elle leur apporleroildc bonnes nouvelles et qu'elle lenlre-
roit en la ville par dessus le pont ' : qui estoit à dire que les
bastilles seroienl prises, comme il fut. Elle sortit d'Orléans,
assistée d'environ trois à quatre mille hommes de guerre qui
passèrent la rivière en bateau entre Saint-Loup et la tour
neufve, et allèrent premièrement attaquer la bastille de saint
.lean-le-Blanc. La Pucelle fit crier par ses hérauts qu'on ne
fist aucun tort aux Eglises ni aux ecclésiastiques.
La garnison de ce fort voyant les François teste baissée
venir à eux, le quitta soudainement et se retira partie en la
bastille des Tournelles, partie au fort des Augustins où les
Anglois combattirent vaillamment, mais à la fin furent
forcez et contrains de se rendre. Et sur le soir, les nostres
passsèrentà la bastille des Tournelles pour faire leurs appro-
ches et préparatifs, afin qu'au lendemain matin, septiesme
mai, on assaillit cette bastille munie de toute sorte d'artillerie,
de vivres et autres choses nécessaires, et de cinq à six cens
hommes de guerre d'eslite comn)andez par Classidas et
autres vaillans capitaines Anglois, lesquels, ainsi que nous
avons desjà remarqué, n'eurent jamais plus de braves hom-
mes qu'ils avoient lors,s'estans rendus capables par les guerres
continuelles qu'ils avoient eu avec les nostres depuis la prise
du Roy Jean.
Or, la Pucelle avec l'armée campa et demeura toute la nuit
devant cette bastille-. Et le Bastard d'Orléans repassa en la
ville à deux fins : premièrement, pour donner l'ordre que
l'on fist bon guet et que l'on se gardast de surprise au dedans,
pendant qu'on travailloit pour enlever aux Anglois leurs
dehors; et d'ailleurs, pour establir commissaires afin d'en-
voyer tout ce qui seroit nécessaire aux gens de guerre qui
tenoient la bastille assiégée car on ne pensoit pas qu'elle
dust estre si tost emportée. Et d'autant que ceux d'Orléans,
pour empescher que les Anglois n'approchassent plus près
de leur ville, avoient fait rompre plusieurs arches du pont,
i. C"est le .saiiK^di 7 mai, non le vendredi, que Jeanne tint ce propos
à son hôte.
2. Erreur : Jeanne rentra dans Orléans et y passa la nuit du ven-
dredi au samedi.
DE DOMIÏEMV A COMl'IEC.NE
ils firent mettre des pièces de bois pour passer par dessus
les arches. Et le premier de tous, Nicolas de Giresme, com-
mandeur de Rhodes, se hasarda de passer par dessus une
pièce de bois fort estroite, ne voulant attendre qu'il y en
eust d'autres, tant le désir qu'il avoit d'estre à l'assaut estoit
grand. Toute la nuit, ceux d'Orléans couroient à la file pour
soutenir leurs gens do tout ce qu'ils avoient besoin, vivres et
autres choses.
Le soleil ne fut pas si tost levé qu'on sonna pour aller à
l'assaut, et la Pucelle selon sa coustume se mit à la teste, son
estandart à la main, et s'avança sur le fossé, et prist une
échelle pour la dresser contre le boulevard, donnant courage
aux. François. Mais à bien assailli bien deffendu : et fut-on
jusque sur le vespre à combattre, et la Pucelle atteinte et
blessée entre le col et les espaulesd'un trait d'arbaleste qu'ils
appeloient vireton.
Le coup entamoit la chair de plus d'un doigt d'espaisseur,
et en longueur d'un demi-pied : blessure de laquelle elle
avoit eu advis par ses voix, et en quinze jours fut guérie,
sans jamais discontinuer pour cela d'aller à cheval et faire la
faction.
Le Bastard d'Orléans la voyant toute en sang, et que les
Anglois se defïendoient si vaillamment, et qu'il estoit desjà
fort tard, vouloit faire sonner la retraite. Ce que la Pucelle
empescha disant qu'ils eussent courage, continuassent l'as-
saut, et que la victoire leur estoit tout acquise. Elle donna
son enseigne à un gentilhomme, lui en chargea expressé-
ment de l'advertir quand la queue tourneroit vers le boule-
vard des Anglois. Cependant elle se retira à l'escart en une
vigne proche, afin de prier Dieu et panser sa plaie, son cha-
pelain avec elle, ainsi qu'il a déposé. Et cette fille pleuroit et
gémissoit, craignant que sa blessure ne fist perdre courage
aux gens de guerre, et qu'ils n'eussent plus de créance en
elle, ne plus ne moins que si elle n'eust pas esté envoyée du
ciel. Mais Dieu avoit permis cela pour l'humilier et la tenir
en son devoir, tout ainsi qu'il voulut que saint Paul ressentit
des infirmitez de la nature humaine parmi tant d'autres
grâces qu'il lui avoit départies.
112 E. RICIIER. LA l'UCELLE D OllLÉAXS
Un cei'lain gentilhomme voulut charmer sa playe.
— A Dieu ne plaise, dit-elle. J'aymerois mieux mourir de
mille morts que de permettre qu'on usast d'aucune sorce-
lerie en mon endroit, ni de mon consentement.
On y appliqua seulement de l'huile et du lard vieil.
Celui auquel elle avoit donné en garde son cstandait lui
dit:
— Jeanne (car on ne l'appeloit point aulrement), vostre
estandart et toutes les enseignes et panonceaux de rarmée
sont tournés du costé du boulevard.
Alors elle s'escria que la victoire estoit à eux, qu'ils allas-
sent hardiment à l'assaut. Le sieur Uolon, son gouverneur,
dit à un gentilhomme Basque, vaillant de sa personne, qu'il
prist l'enseigne de la Pucelle et qu'il s'advançast quant et
lui pour la porter sur le boulevard. Cette fille qui relournoit
de faire ses prières et de panser sa playe, voyant qu'on
emportoit son estandart sans l'attendre, et ne sçachant pas
que ce fust le sieur Dolon et ceux de sa compagnie, couroit
après eux criant : Mon estandart, mon estandart ! Et les ayant
atteints, les .Vnglois furent assaillis de telle révolution qu'ils
succombèrent à la valeur des François et tous mis au fil de
l'espée ou noyez, aucuns exceptez qui évitèrent la fureur des
gens de guerre. Et Glassidas qui avoit honni la Pucelle d'in-
jures plus que tout autre, chose indigne d'un grand capi-
taine et d'un homme d'honneur, fut submergé avec les sieurs
de Moulins, de Pommier, le bailly de Mantes et maints autres
de qualité et de remarque : lesquels s'estant retirez en une
tourelle en laquelle on mit le feu, pensans se sauver par le
pont, il fondit sous eux et tombèrent dans la rivière tous
armez.
Les prisonniers racontèrent que durant l'assaut, il leur
sembloit voir tout le monde armé à leur ruine, et qu'il ne
leur restoit aucun moyen de se deffendre contre un si puis-
sant assaut. Mesme aucuns pensoient voir des anges en l'ar-
mée combattre pour les François. Le duc d'Alençon tesmoigne
avoir ouy dire aux chefs de guerre et seigneurs qui estoient
à l'assaut en cette bastille qui avoit esté prise en un jour,
que c'estoit vrayment un miracle (comme le comte de Dunois
DE DOMREMY A CÛMPIEGNE 113
l'a pareillomenl certifié), et que, le siège d'Orléans estant
levé, lui mesme voulant recognoistre ce qui en estoit, en
visita tous les forts, principalement cette bastille du pont.
Kt s'osbahissoit comme on l'avoit pu emporter en si peu de
temps, estant si bien retranchée et flanquée de gros ravelins
et profonds fossez, munie de toutes choses nécessaires :
asseurant qu'avec bien peu de gens il eust voulu entrepren-
dre de la garder au moins l'espace de six ou sept jours contre
la plus puissante armée qui se pourroit présenter.
Toute la nuit les gens de guerre demeurèrent sur le champ
de bataille pour le garder en signe de victoire, et recognois-
tre si les Anglois qui restoient aux autres forts et estoient en
garnison aux villages et autres lieux circonvoisins d'Orléans,
voudroient point faire quelque effort pour avoir leur revan-
che; mais ils prinrent bien une autre résolution, ainsi que
nous verrons. Quant à la Pucelle, à cause de sa blessure, elle
se retira dans la ville pour estre pansée, et repassa par
dessus le pont, ainsi qu'elle avoit prédit à son hoste, et ne
mangea aucune autre chose que du pain avec du vin bien
trempé, ores toutefois qu'on lui eust fait présent d'une
grosse alose toute vive qu'on avoit prise dans la rivière de
Loire.
Ses juges lui firent divers interrogatoires sur la levée du
siège d'Orléans, et entre autres choses lui imputèrent calom-
nicusement qu'elle s'estoit vantée parmi les gens de guerre
de recevoir avec la main ou en son giron les boulets d'artil-
lerie et les traits d'arbalestc. Ce qu'elle leur nia tout à plat,
et respondit avoir bien sceu qu'elle seroit blessée, et mesme
qu'elle avoit adverti son Roy ; davantage, qu'il y eut plus de
cent hommes de guerre de navrez à cet assaut. Bien reco-
gnut-elle avoir asseuré toute l'armée du Roy que le siège
d'Orléans seroit levé et les Anglois contrains de se retirer.
De vérité, les armes qu'elle portoit, tout ainsi que les
autres gens de guerre, monstrent assez qu'elle n'usoit d'au-
tres moyens que naturels pour se conserver, et n'avoit cette
folle opinion de ne pouvoir estre blessée. Car jamais ne s'est
exposée aux périls de la guerre que bien et fortement armée
de toutes pièces, tout ainsi que les autres cavaliers.
il4 E. RIGHF.U. LA PUCELLE d'oRLÉANS
Les Anglois voyans la ville d'Orléans libre du costé de la
Sologne et de la porte de Bourgogne, jugèrent bien que le
siège n'estoit plus tenable. Et les François, de grand matin,
à soleil levant, sortirent, la Pucelle portant son enseigne à
leur teste, en intention de combattre les Anglois au cas qu'ils
voulussent entreprendre quelque chose. Elle fit venir des
prestres pour célébrer la messe au milieu de l'armée, car
c'estoit le dimanche huitiesme mai. Et cependant les Anglois
se rangèrent en bataille du costé de la Beausse, comme firent
pareillement les François qui brusloient du désir de com-
battre. Mais la Pucelle aj-ant veu qu'ils battoient aux champs
et marchoient en bataille pour faire leur retraite, devers
Meung-sur-Loire :
— En nom Dieu, dit- elle, c'est aujourd'huy le saint
dimanche. S'ils eussent fait contenance de nous assaillir,
nous les eussions combattus. Mais puisqu'ils se retirent, lais-
sons-les aller et nous rendons à la ville pour faire actions de
grâces à Nostre-Seigneur de ce qu'il lui a plu délivrer Orléans
d'en si grand et extrême péril.
Comme il futexéquuté; car on lit ce jour-là une procession
générale pour remercier Dieu de la levée du siège et de la
victoire rempoitée sur les ennemis Et depuis ce temps, à
mesme jour huitiesme mai, en mémoire de la levée du siège,
les habitants d'Orléans ont tousjours continué de faire cette
procession. Semblablement aussi, l'on rendit grâces à Dieu
par toutes les villes qui estoient en l'obéissance du Boy.
Nos gens gagnèrejit à la levée de ce siège plusieurs pièces
de grosse artillerie ou mortiers qu'ils appeloient bombardes,
et autre attirail que les Anglois ne purent emmener, outre
grand quantité de vivres et munitions dont leurs bastilles
estoient bien fournies.
Le sieur de Taliebot tenoit un seigneur François fort vail-
lant de sa personne, nommé le Bourg de Bar, prisonnier les
fers aux pieds, et en attendoit grosse rançon. Il l'avoit donné
en garde à un religieux Augustin Anglois qui estoit son con-
fesseur. Ce seigneur voyant les Anglois se retirer, subtil qu'il
estoit et bien entendu au fait de la guerre, pria l'Augustin de
lui nyder à suivre 1 armée anglaise pas à pas, attendu qu'il
DE DOMREMY A COMl'IÈGNE H5
avoit les fers aux pieds. Et l'Augustin lui aydant à marcher,
finalement ce seigneur se voyant esloigné des Anglois, il con-
traignit l'Augustin de le porter sur ses espaules jusques à
Orléans et sauva ainsi sa rançon. L'Augustin fut bien traité
et renvoyé à Tallebot : chascun prenant plaisir de voir ce
spectacle à la levée du siège.
Le samedi, quatorziesme mai, veille de la Pentecoste, la
nouvelle de cette victoire fut portée à Lyon où le Te Deum
fut solennellement chanté^ et M*-' Jean Gerson, chancelier de
l'Université de Paris, qui s'étoit là réfugié à cause que les
Anglois tenoient Paris, composa ce jour-là mesme un docte
traité latin en faveur des actes miraculeux de la Pucelle,
voulant rendre tesmoignage de son affection au bien de sa
patrie et service de son prince : lequel traité est produit en la
revision du procez, à la fin duquel est narré que la veille de
Pentecoste estoit le neufviesme may, qui est une erreur de
scribe ou copiste, car le siège d'Orléans fut levé dimanche
d'après l'Ascension, huitiesme mai, et samedi d'après, qua-
torziesme, estoit la veille de Pentecoste.
Monstrelet a escrit que les Anglois perdirent huit mille
hommes à ce siège, chose véritable, comprenant les pertes
qu'ils firent à Jargeau et à la journée de Patay K
1. Même en comprenant toutes ces pertes, on estime aujourd"liui
cotte évaluation exagérée.
CHAPITRE X
CAMPAGNE DE LA LOIRE
La Pucelle voyant le siège d'Orléans levé, ne voulant pas
perdre une minute de temps, quoyque blessée, partit d'Or-
léans le lundi neufviesme may pour aller rendre compte
à sa Majesté, qui estoit à Loches \ de ce qui s'estoit passé à
la levée du siège et assaut des bastilles. Elle fut accompagnée
du maréchal de Rays, du Bastard d'Orléans, du baron de Cou-
lonces et autres seigneurs. Au partir d'Orléans, tous les habi-
tants pleuroient de joie, remerciant afïectueusement cette
héroïque vierge, avec offres de leurs personnes et moyens :
dont elle les remercia, ne demandant autre chosç que leurs
prières envers Dieu et bonne affection.
Arrivée qu'elle fut devant le Roy, elle s'agenouilla, l'em-
brassant par les jambes, et lui dit : « Gentil Dauphin, voilà
le siège d'Orléans levé : qui est la première chose dont jay
eu commandement de la part du Roy du Ciel pour le bien de
votre service. Reste maintenant à vous mener à Rheims en
toute seureté pour y estre sacré et couronné. Ne faites aucun
doute que vous n'y soyez très bien receu, et qu'après cela vos
affaires n'aillent tousjours prospérans et que tout ce que
jay eu ordre de la part du Roy du Ciel de vous dire n'arrive
en temps et lieu. »
Le Roy lui fit un très grand accueil et pareillement toute
la cour, comme à l'envy : ainsi qu'on voit arriver que l'affec-
tion des subjects incline ordinairement où pend celle de leur
1. GcUo audience de Loches n'eul lieu (lue plus lard. La Pucelle vit
le roi, à Tours, le l.'i mai. De Tours. Ciiarles VII remmena au château
de Loches. (Voir Histoire complète de Jeanne d'Arc, t. ll.chap. xviii.)
D'après Eberhard Windecke. « elle resta auprès du roi jusqu'après le
vingl-troisièmc jour de mai. » l'rocès, t. IV. p. 497.
DE DOMREMY A COMPIEGNE H7
prince; et en outre chascun l'admiroit pour ses propres
mérites.
Sur celte proposition d'aller à Rheims fut tenu conseil
entre tous les seigneurs et chefs de guerre en présence du
lloy, pour délibérer et dire ce qui leur en sembloit. Aucuns
furent d'advis qu'on tirasl la guerre en Normandie, possédée
entièrement par les Anglois, tout ainsi que Scipion, pour
retirer Annibal de l'Italie, la transporta en Afrique. Les
autres remonstroient qu'il valoit mieux prendre les villes
que les Anglois occupoient sur la rivière de Loire pour la
rendre libre jusques à Lyon.
Et tous unanimement disoient qu'il n'y avoit aucune raison
de penser au voyage de Rheims, veu qu'il estoit trop embar-
rassé et périlleux ; que tout le païs par où il falloit passer de
proche en proche estoit ennemi, et toutes les villes, chas-
teaux et fortes places munies de grosses garnisons Angloises
ou Bourguignonnes ; qu'il faudroit former autant de sièges
qu'on rencontreroit de villes et de forts, pour se faire pas-
sage, mesme sur les rivières de Seine, d'Ionne et de Marne;
que, pour ce faire, il estoit besoin d'un grand attirail de
munitions et d'artillerie, qu'il estoit impossible de trainer à
ce voyage, veu la grande despense nécessaire à cet effet, le
Roy manquant de finance et des choses nécessaires ; d'ailleurs
qu'en païs tout ennemi, les vivres et l'argent manqueroient au
Roy et à son armée, considéré mesme la grande disette qui
estoit lors, parce que les laboureurs ne pouvoient librement
cultiver les terres ni semer, à cause des ravages que faisoient
les gens d'armes; que le Roy pourroit tout à son aise, après
avoir j-angé ses ennemis à la raison, se faire sacrer et cou-
ronner ; que sans cela les François ne laissoient pas de le
tenir et recognoistre pour leur Roy légitime et naturel. Rai-
sons fort fréquentes qui esmouvoient tout le monde et le Roy
mesme : ne considérans pas que Dieu voulant faire quelques
merveilles, il permet que les affaires viennent à un tel point
auquel humainement on ne puisse remédier, afin de faire
recognoistre aux hommes sa main toute puissante et leur
oster tout subject de se glorifier.
Ur, attendu les intrigues et perplexités où le conseil du
118 E. lUCHER. — I-A PUCELLE D OKLEANS
Uoy e&toit, Sa Majesté se retira en son cabinet sans rien con-
clure, assisté de messire Christophe de Harcour, de son con-
fesseur, (futur) évesque de Castres ^ et du sieur de Trêves, lequel
peu auparavant estoit chancelier et avoit quitté cette charge
à cause de sa vieillesse. Et comme ils devisoient ensemble-
ment de cette affaire, desirans fort sçavoir ce que le conseil
de la Pucelle lui suggèreroit en cez difficultez, et hésitans par
quel moyen on lui en parleroit, elle advertie par ses voix
alla droit frapper à la porte du cabinet, et lui ayant esté
ouverte, prévint sa Majesté disant :
— « Noble Dauphin, ne tenez plus de si longs conseils,
mais préparez-vous pour vous acheminera Rheimsrecepvoir
une digne couronne, symbole et marque de la réunion de
votre Estât et de tous vos subjects à votre obéissance. »
Sa Majesté et ceux qui estoient ayec lui fort estonnez de
l'entendre ainsi parler, l'Evesque de Castres demanda à la
Pucelle si elle avoit sceu de quoy l'on traitoit au conseil du
Roy.
Elle répliqua que ses voix l'en avoient advertie.
Ce prélat la requist vouloir, en la présence de sa Majesté et
pour l'asseurer davantage,. déclarer par quels moyens ses
voix se communiquoient à elle et lui faisoient entendre les
choses desquelles elle ne pouvoit humainement avoir cognois-
sance.
Elle, rougissant d'une pudeur virginale, respondit que
voyant ceux avec lesquels elle traitoit faire difficulté de la
croire, elle se retiroit en quelque lieu seci'et pour faire ses
prières, gémissant et se plaignant de ce qu'on ne lui avoit
aucune créance ; et qu'alors elle entendoit une voix qui lui
disoit : « Fille de Dieu, va, va, je seray à ton ayde. >) Que par
cette voix elle demeuroit toute ravie et tellement comblée,
qu'elle eust bien voulu estre toujours avec cette voix, ainsi
que nous avons dit ailleurs.
Et ce narré est la propre déposition du duc de Longue-
ville, Bastard d'Orléans, lequel estoit au conseil du Roy avec
1. Gérard Machct. Il ne fui évoque de Castres qu'après la mort de la
Pucelle. [Gallia chrisliana, t. I, col. 73.)
DE DOMREMV A COMPIÈGNE 119
tous les autres seigneurs et capitaines qui délibéroient sur le
fait du voyage de Rheiuis et le tenoient autant impossible que
seroit laprisedeConstantinople '-. Mais le Hoy ayant entendu
la Pucelle ainsi parler envoya tout sur-le-champ Tévesque
de Castres et le sieur de Trêves faire rapport à son conseil
comme la Pucelle l'avoit prévenu sur les perplexités aux-
quelles il estoit, et de ce qu'elle lui avoit dit qu'il falloit se
résoudre au voyage de Rheims, puisque Dieu l'avoit ainsi
ordonné, lequel sçauroit bien lever toutes les difficultez et
empeschements que l'on prévoyoit et craignoit-on devoir
arriver. Donc chacun se prépara à ce voyage. Seulement fut
résolu qu'on prendroit auparavant les places les plus impor-
tantes sur la rivière de Loire, pour desboucler Orléans tant à
mont qu'à val la rivière.
Mais à propos du moyen que les voix de la Pucelle tenoient
pour se communiquer à elle, ses juges l'interrogèrent bien
précisément là-dessus. Et respondit admirablement bien :
sçavoir qu'elle implorait premièrement à son ayde Nostre-
Seigneur et Nostre Dame à ce qu'ils lui envoyassent conseil
et consolation, et qu'alors ils lui envoyoient. Les juges ayant
de plus demandé par quelle forme elle requéroit ce secours,
répliqua en cette manière :
— Très doux Dieu, en l'honneur de votre sainte passion,
je vous requiers commentje dois respondre à ces gens d'Eglise.
Je sçay bien, quant à l'habillement d'homme, le commande-
ment comment je l'ay pris, mais je ne sçay point par quel
moyen je le dois laisser. Pour ce, plaise à vous à moy l'ensei-
gner-.
Qui est sa propre déposition régistrée au procezen mesmes
termes. Car les juges imputoient à grand crime de ce qu'elle
avoit pris un habillement d'homme et, pour ce subject, la con-
damnèrent comme relapse : ne considérans pas que Dieu
l'ayant appelée à porter les armes, l'avoit pareillement
exemptée de porter un habillement de femme. Encore lui
1. Procès, t. III, p. ii,i'2. —Ce n'est pas Gérard Machet, mais Chris-
lophe dtlarcourt qui interrogea la Puctllc sur ses voi.'ï.
2. Procès, t. I, p. 279. ;
120 E. RICHER. — LA PUCEFXE D ORLEANS
imputèrcnt-ilsàcrime qu'elle se faisoit appeler Fille de Dieu,
pour avoir rapporte' que ses voix l'avoient ainsi appelée,
comme nous avons dit ci-dessus. En quoy ces gens sem-
bloient vouloir donner loi à Nostre Seigneur comment il deb-
vroit parler aux âmes qu'il chérit, et empescher qu'il ne parle
en termes d'affection ; dont nous avons tant de beaux exem-
ples aux saintes Escritures et histoire ecclésiastique.
Retournons à la cour du Roy, lequel créa lors pour lieute-
nant général de son armée le duc d'Alençon, tout nouvelle-
ment retourné d'Angleterre où il avoit esté détenu prisonnier
trois ans et plus, ayant accordé à cent mille escus pour sa
rançon, desquels il avoit payé la plus grande partie et donné
caution pour le reste. A raison de quoy la duchesse, sa
femme, qui estoit de la maison d'Orléans, eust volontiers
désiré que son mari n'eust point entrepris cette charge, crai-
gnant les hasards de la guerre; et pour cette cause pria la
Pucelle d'avoir monsieur son mari pour recommandé. La-
uelle promit à cette dame de le ramener sain et sauf; comme
de vray elle fit, l'ayant préservé au siège de Jargeau d'un
coup d'artillerie, par l'advis qu'elle lui donna de se retirer sou-
dainement d'une place où il se trouvoit exposé à la bouche
d'un canon, lequel emporta le sieur de Lude qui estoit tout
proche de lui, ainsi que le mesme duc d'Alençon a tesmoi-
gné à la revision du procez. Or, sa Majesté commanda au duc
d'Alençon de ne rien faire sans le conseil de la Pucelle, qui
estoit comme un bon ange à la France.
L'armée du Roy estoit composée de douze cens lances et
d'environ six mille arbalestriers, ainsi que le mesme duc
d'Alençon a tesmoigné. Le rendez-vous fut aux environs
d'Orléans, à l'onziesme juin 14:29.' Et, delà, on s'achemina
pour assiéger Jargeau, qui est au-dessus d'Orléans, où mes-
sire Guillaume de la Poule, comte de Suffort, commandoit,
assisté de messires Jean et Alexandre de la Poule, ses deux
frères, et de douze cens Anglois bien assortis d'artillerie et
de toutes autres choses nécessaires pour soustenir un siège.
Le dimanche douziesme juin, approches faites, artillerie
pointée et breschc raisonnable, on se prépare pour donner
DE DOMUEMY A COMl'lÈUNE 121
l'assaut. Et les assiégeants pensans gagner le temps et
attendre que Tallebot qui leur amenoit du secours de Paris
fust arrivé, demandèrent à parlementer et quinze jours de
tresve. La llire s'advança pour parler à eux sans avoir l'or-
dre de son général qui le lit soudainement rappeler. Et son-
na-t-on pour aller à l'assaut qui fut ardent et furieux, car à
beau jeu beau retour, et dura plus de quatre heures. La
Pucelle s'cstant advancéc et montant sur une échelle, son
estandarten main, donnant courage aux François, fut atteinte
d'un gros caillou qu'on lui jeta sur son armet, contrainte de
ployer les genoux et s'asseoir à terre : et de la grandeur du
coup le caillou se rompit en plusieurs pièces. Mais s'estant
relevée sur-le-champ, cria : Ville gagnée ! Et les François
allèrent avec une telle hardiesse et roideur à l'escalade, que
tout céda à leurs armes ; de sorte que plus de onze cens
Anglois passèrent au fil de l'espée ^
Le comte de Sulfort et ses deux frères, accompagnez de
plusieurs autres, voyans qu'ils ne pouvoient plus deffendre
la muraille se retirèrent sur le pont où messire Alexandre,
frère du comte de Suffort, fut tué. Et le comte se voyant
pressé par un gentilhomme d'Auvergne nommé Guillaume
Renaut qui lui portoit l'cspée à la gorge, demanda s'il estoit
de noble race. Le François respondit que oui. Le comte dési-
roit encore sçavoir s'il estoit chevalier. Et ayant répliqué
que non, il lui bailla l'accollée auparavant de se rendre à
lui.
Messire Jean de la Poule fut pareillement prisonnier, outre
plusieurs autres de qualité tant en noblesse qu'en valeur et
faits d'armes. Si la Pucelle n'eust été prévenue de mort, son
dessein estoit que tous les grands seigneurs Anglois qu'on
prendroit prisonniers fussent gardez en représailles et contre
échange du duc d'Orléans, détenu prisonnier en Angleterre.
Et le comte de Suiïort fut mis entre les mains du Bastard d'Or-
léans à cet effet.
Les Anglois et Bourguignons voyans la prospérité des
i. Nombre exagOiù. Le Journal du siège d'Orléans ne parle que
(11' « quatre ou cinq cents Anglais tués ». Journal, édition Cuissard,
p. 'J'J-100.
122 E. niCIIER. LA rUCELLE d'uULÉANS
armes de cette fille, pour la ternir des crimes de sortilège,
envoyèrent [cueillirj aux marches de Lorraine et de Cham-
pagne tous les vaux de ville qui couroient en cepaïs-Ià de féez,
afin de les lui imputer malicieusement. Et les informations
portent qu'ils employèrent premièrement des Cordeliers.
Et par après firent faire une information ; et n'ayant trou-
vé personne qui déposast autre chose que tout hien et hon-
neur de cette fille, ainsi que nous justifierons ailleurs, ils
supprimèrent leur information.
Le comte de Suffort, estant prisonnier, fit voir au comte
de Dunois, qui l'avoit en garde, quatre vers que ceux de son
parti lui avoient envoyez, contenans que d'auprès du Bois
Ghesnu (c'est un touffeau de chesne fort proche de Dompre-
my, lieu natal de la Pucelle) devoit venir une jeune fille qui
monteroit à cheval et fouleroit aux pieds ceux qui porteront
des arcs et arbalestes, etc. Et le mesme comte de Sutfort
disoit que Merlin, prophète des Anglois, leur avoit prédit
cela, ainsi que le Bastard d'Orléans a déposé. Et à propos de
ce Bois Ghesnu, et de l'arbre qu'on appelle le Beau May, on
fit divers interrogatoires à la Pucelle sur cela, comme pareil-
lement ses juges lui voulurent imputer à cruauté de n'avoir
pas voulu recevoir ceux, de Jargeau à composition.
Aussi tost que cette ville fut mise en l'obéissance du Roy,
le duc d'Alençon, la Pucelle et les autres chefs de guerre allè-
rent à Orléans où ils séjournèrent deux ou trois jours, atten-
dant que l'armée du Roy s'avanceast devers Meung-sur-Loire
au-dessous d'Orléans. Et [l'armée] croissoit de jour à autre,
car plusieurs grands seigneurs et capitaines, excitez du bruit
qui couroit de la Pucelle et de ses exploits miraculeux aux-
quels ils dcsiroient prendre part, et d'ailleurs que Sa Majesté
se préparoit pour aller à Rheims se faire couronner, se ve-
noient joindre à l'armée. Et pour lors y arrivèrent le sieur
de Laval, de Lohéac, son frère, de C4havigny en Berry, de la
Tour en Limousin, le vidame de Chartres et maints autres.
Le quinziesme juin, le duc d'Alençon, messire Louis de
Bourbon, comte de Vendosme, et la Pucelle partirent d'Or-
léans pour assiéger Boisgency oîi toute l'armée marcha, et
DE DOMREMY A COMPIÈGXE 123
en passant, enlevèrent aux Anglois le pont de Meung qu'ils
avoient fortifié. Et de là tirans à Boisgency, de premier abord
contraignirent les Anglois de quitter la ville pour se retirer
au chastéau muni de tout ce qu'on pouvoit désirer à un siège.
Artus, comte de Ricliemont, connestable de France, frère du
duc de Bretagne, arriva lors à l'armée du Roy, accompagné
de messire Jacques de Dinan, sieur de Beaumanoir, du sieur
de Chastéau Briant, de Rieux, d'Albret et d'environ douze à
quinze cens hommes de guerre que ces seigneurs avoient
levez.
Le Roy ayant eu advis de l'arrivée du connestable, manda
au duc d'Alençon qu'il se retirast et esloignast du connes-
table, et qu'il ne vouloit qu'on le receust en son armée : ce
qu'il fit semblablement sçavoir au connestable. La cause de
ce commandement estoit que le connestable ayant autrefois
mis en crédit auprès du Roy le sieur de la Trémouille, celui-
ci sccut si bien et accortement posséder l'esprit de son
maistre, que finalement il désarçonna le connestable, depuis
qu'il eust fait jeter le sieur de Gyac, surintendant des finances,
en un sac en l'eau sans aucune forme ni figure de procez. A
raison de quoy il fut contraint de se retirer de la cour pour
quelques années. Et pensant que le mal talent (ressentiment)
du Roy fust passé, sur le bruit des armes de la Pucelle et du
couronnement de sa Majesté, il se vint rendre à l'armée du
Koy.
Le duc d'Aleneon a témoigné que la Pucelle estois d'advis
qu'on exéquutast le commandement de sa Majesté, et que
lui, semblablement. s'y estoit résolu, sçavoir qu'on ne rece-
vroit pas le connestable de Richemont. Toutefois, les sieurs
deSantrailles,La Hire et plusieurs autres ayant remonstréau
duc d'Alençon que si on employoit la faveur de la Pucelle en-
vers le Roy pour remettre en ses bonnes grâces le connestable,
veu que cela estoit pour le bien de son service et au temps
qu'il avoit plus besoin de force pour exéquuter de grands
effets, il estoit vraisemblable que le Roy ne refuseroit
pas cela à la Pucelle qui ne lui avoit encore rien demandé :
finalement, tous les seigneurs furent de cette opinion, et
enscmblement prièrent celte fille vouloir rendre ce bon
124 E. RICHEU. LA l'UCELLE DollLÉANS
office au connesta)3le, lequel ne tendoit qu'au bien du ser-
vice du Roy. A quoy elle consentit volontiers : mais, au
préalable, désira que le connestable promistet jurast présen-
tement entre les mains du duc d'Alençon de bien et loyale-
ment servir Sa Majesté, et que, pour garantie de cette pro-
messe, tous les seigneurs qui approuvoient cette réconcilia-
tion, baillassent leurs scellez avec celui du connestable
pour les représenter au Roy, ainsi qu'il fut exéquuté.
Et par ce moyen le connestable demeura au siège de
Boisgency ; car on remonstra à sa Majesté que si son armée
se retiroit, ainsi qu'il l'avoit commandé, cela retarderoit
grandement ses affaires et son sacre, duquel la Pucelle avoit
si grand soin : que pour prendre Boisgency, il falloit avoir
une partie de l'armée du costé de la Sologne; ce que l'on ne
pourroit faire au cas que les forces que le connestable avoit
se retirassent, veu mesme que ïallebot amenoit des gens de
guerre de Paris à ceux de Boisgency. Ce qui contenta aucu-
nement sa Majesté, et le sieur de La Trémouille qui la possé-
doit n'osa appertement s'opposer à ce conseil.
Le bailly anglois d'Evreux commandoit au chasteau de
Boisgency. Et se voyant assiégé tant du costé de la Sologne
que de la Beausse, demanda la Pucelle pour parlementer, et la
nuit l'accord de la reddition fut conclu, à sçavoir que les
Anglois qui estoient au chasteau de Boisgency se pourroient
retirer oi^i bon leur sembleroit avec leurs armes et chevaux,
sans toutefois emporter autres choses de tous leurs biens
que la valeur d'un marc d'argent, et que de dix jours ils ne
porteroient les armes contre le Roy.
La mesme nuit que celte composition fut arrestée, les
sieurs de Tallebot, d'Escales, et messire Jean Fascot (FalstoO)
avec quatre mille hommes de guerre d'eslite, arrivèrent de
Paris pensans venir au secours de Jargeau; mais le voyant
rendu, ils hastèrent le pas et, pour venir plus commodément
laissèrent leur attirail et bagage à Etampes, tachant de
gagner Boisgency, où n'aj'^ant pu arriver à temps, ils s'effor-
cèrent de surprendre le pont de Meung : toutefois en vain,
pour ce que l'advant garde des François s'y achemina sou-
DE DOMREMY A COMPIEGNE 125'
daimmcnt, ce qui fui cause que les Anglois se réfugièrent
dedans la ville de Meung et la quittèrent le mesmejour pour
aller à Janville en Beausse, qui tenoit pour eux et [où ils]
avoient fait un fort..
La Pucelle ayant eu révélation qu'ils seraient deffaits, fut
d'advis qu'on fist choisir en toute l'armée de quatorze à
quinze cens hommes conduits par La Hire, Poton de San-
trailles, messire Ambroise de Loré, Jamet du Tilloy, de
Termes et deBeaumanoir, pour courir sus aux Anglois et les
empescher de faire leur retraite, pendant que le gros de
l'armée s'avanceroit, marchant toujours en bataille. Leduc
d'Alençon et le comte de Dunois ont attesté avoir demandé
lors h la Pucelle ce qui estoit bon de faire, et qu'elle leur dit
en riant : — Bons espérons, bons espérons. — Gomment?
repartirent-ils : devons-nous fuir ? — Non, ce seront les Anglois
qui ne rendront aucun combat, dit-elle. Mais ils auront beau
faire : nous les attraperons, quand ils s'envoleroient aux
nues. Le Dauphin gagnera aujourd'huy une des plus signa-
lées victoires que prince ait obtenue depuis longtemps. » —
.Vjoutant] que son Conseil l'en avoit asseurée.
Les avant-coureurs ayant toujours harassé et empesché
les Anglois de se pouvoir fortifier ni retirer en quelque lieu
advantageux, l'armée du Roy les atteignit et les pressa de
telle sorte qu'ils furent mis en déroute à Patay, et de quatre
mille qu'ils estoient, il en demeura sur la place plus de deux
mille deux cens, tant Anglois que mauvais François qui
avoient espousé leur parti, et le reste se sauva à force d'es-
perons. Et entre autres, messire Jean Fascot, capitaine bien
renommé, eut un cheval de si bonne haleine et de si bons
espérons, qu'il se sauva à Gorbeil, et, comme rapporte Mons-
trelet, fut depuis accusé de lâcheté par Tallebot et privé de
l'ordre du Jartier blanc ^ par le duc de Bethford.
Aucuns des fuyards pensant faire retraite à Janville, on
leur ferma les portes. Ils y avoient laissé leur bourse et
partie de leur bagage en passant, qui demeura au profit des
habitans et du capitaine, lequel ce mesme jour fit serment
1. Ue la Jarretière.
126 E. RICIIER. — LA PUCELLE D ORLÉANS
d'estre bon François et de bien servir le Roy. Et par toute la
Beausse les Anglois abandonnèrent les forts qu'ils y avoient
bastis et se retirèrent aux villes et places fortes.
Les sieurs de Tallebot, d'Escales et autres de qualité furent
prisonniers. Et comme on les présentoit au duc d'Alençon,
assisté de la Pucelle, du connestable de Ricbemont et de
plusieurs autres seigneurs, il leui* dit : — Vous n'eussiez
pas ce matin pensé devoir estre nos prisonniers. — C'est la
fortune et le bazard de la guerre, répliqua Tallebol : les
armes sont journalières.
Jamais ce brave cbevalier n'a pu approuver que ceux de
sa nation souillassent leurs mains au sang de nostre Pucelle,
et remonstra au duc de Bethford, au comte de Sufifort et
autres, que cette mort leur seroit aussi peu honorable que
d'avoir fuy devant cette fille à la guerre. Et pour toute
raison on lui dit qu'on la feroit mourir comme sorcière.
Or, tout ainsi que^ cette deffaite mit l'espouvante et la
frayeur au cœur des Anglois, au cas pareil rcleva-t-elle
grandement le courage des nostres qui ne demandoient plus
que le combat, la Pucelle leur estant comme un ange de
bonnes nouvelles, ayant rendu la rivière de Loire, tant à val
qu'à mont, toute libre, excepté La Charité.
Le lloy estoit lors à Sully-sur-Loire, où le duc dWlençon,
la Pucelle et tous les seigneurs qui se trouvèrent à lajournée
de Patay, se rendirent incontinent. Et la Pucelle, se jetant
à ses pieds, le supplia humblement recevoir en grâce le
connestable de llichemont, qui lui avoit amené plusieurs
seigneurs et de belles forces, et avoit volonté de le bien et
fidèlement servir, mesme s'y estoit obligé par serment et par
son propre scellé, comme tous les autres seigneurs là
présents qui le cautionnoient et intercédoient pour lui.
A quoy le Roy s'accorda, ne pouvant refuser cette grâce à
la Pucelle qui lui avoit rendu tant de bons et signalez
services. Toutefois pour la jalousie qui estoit entre le
connestable et le sieur de la Trémouille, favori du Roy, sa
Majesté ne voulut jamais souffrir que le connestable l'accom-
pagnast à son sacre, et lui donna charge de demeurer au
DE DOMREMY A COMPIÈGXE 127
delà de la rivière de Loire et confins du pais du Maine et de
la Normandie pour y faire la guerre. De quoy la Pucelle et
les autres seigneurs furent beaucoup desplaisans, veu que
le connestable estoit vaillant seigneur et avoit en sa compa-
gnie plusieurs hommes en mains et de commandement qui
pouvoient estre fort utiles au voyage du Roy pour a^-der à
remettre les villes de la Champagne, Brie et Picardie en son
obéissance. Mais, il n'y eut point de remède à cela, d'autant
que le sieur de La Trémouille gouvernoit le prince coiîime
bon lui sembloit, estant d'un naturel facile pour recevoir
toutes les impressions que ceux auxquels il avoit quelque
créance lui donnoient. Et est chose fort notable, quand le
connestable recommanda premièrement au Roy le sieur de
la Trémouille, que le Roy lui prédit qu'il le cognoissoit mieux
que lui, et qu'il se repentiroit de l'avoir advancé en cour.
La chronique de Richemont, laquelle d'Argentray, histo-
riographe breton, a suivie, afin de ne recognoistre et advouer
la courtoisie de la Pucelle à l'endroit du connestable, et
mesme pour lui jeter en passant un trait de sa mesdisance,
raconte que le Roy ayant eu nouvelle que le connestable de
Richemont s'advançoit pour joindre son armée à Boisgency,
il commanda au ducd'Alenron, son lieutenant général, qu'on
le combattist, et que la Pucelle en estoit d'advis, ores que
plusieurs grands seigneurs et capitaines et le duc d'Alençon
mesme (qui estoit nepveu du connestable à cause de Marie
de Bretagne, sa mère, sœur du duc de Bretagne et du connes-
table,) n'y pussent consentir. Que pour cette raison, arrivé
que fut le connestable à l'armée, comme chascun lui con-
jouissoit, et que la Pucelle lui eut embrassé le genouil, il
lui parla en cette sorte, qui est une harangue de quelque
rodomont fier à bras :
— Jeanne, on m'a dit que vous voulez me combattre. Je
ne sçay pas qui vous êtes, ni de par qui envoyée, si c'est de
par Dieu ou de par le diable. Si de par Dieu, je ne vous
crains point, car Dieu cognoist tout ainsi mon intention que
la vostre. Si de par le diable, je vous crains encore moins,
et faites du mieux ou du pire que vous pourrez.
Voilà sommairement ce que rapporte d'Argentray, lequel
128 E. Rir.IIF.R. LA PUCELLE DORLÉANS
en cela, comme en toute son histoire, est toujoui-s singulier
aux choses qui regardent sa patrie, estant prévenu de haine,
colère et fierté à l'endroit des François, et de trop grand
amour envers sa nation : qualitez peu convenables à un
historien pour se rendre croyable et persuader les lecteurs.
Lesquelles qualitez rendent encore plus reprochable l'his-
toire de Jacques Meyer, le plus passionné Bourguignon qui
fust jamais. Si ce que d'Argentray raconte de cette fille
estoit véritable, les Anglois qui lui ont fait son procez et,
faute de charges, lui ont imposé tant de choses fausses, et
détorqué à crime de cruauté et inhumanité barbares toutes
ses actions, n'eussent pas oublié de lui justement reprocher
le contenu de cette belle harangue, et quelle auroit voulu
qu'on taillast en pièces le connestable, très bon serviteur du
Roy, et que cela estoit un argument qu'elle n'avoit charac-
tère ni mission du Ciel, ainsi qu'elle s'en vantoit.
De vérité, la déposition du duc d'Alençon convainc de
manifeste imposture cette chronique de Richemont et
pareillement d'Argentray. Car ce prince tesmoigne que le
Roy leur commanda seulement de se retirer du siège de Bois-
gency, au cas que le connestable se voulust joindre à l'armée
du Roy, et qu'il se préparoit, comme faisoit aussi la Pucelle,
d'obéir au commandement de sa Majesté, ainsi qu'il estoit
raisonnable; mais que les autres seigneurs furent d'advis
qu'on usast de remonstrances et qu'on employast cette fille
pour la reconciliation du connestable. Que si ayant esté
envoyée du ciel spécialement pour débeller les Anglois,
ennemis conjurez du Roy et de l'Estat, auparavant que de
mettre la main à l'œuvre, elle a voulu premièrement les
sommer de donner la paix à la France par plusieurs fois, et
davantage, afin de ne point espandre le sang humain au
fort de la guerre, ne s'est jamais aydé d'armes offensives,
est-il croyable qu'elle eust voulu conseiller de combattre le
connestable qui venoit au secours de sa Majesté? C'est un
conseil d'un forcené, non d'une personne bien sensée. Et il
faut croire que si le Roy, incité par quelque passion du sieur
de La Trémouille, eust commandé de combattre le connes-
table, la Pucelle l'en eust diverti.
DE DOMREMV A COMPIEGiNE 129
Véritablement, si Dieu n'eust permis que toute la vie et
les actions de cette fille eussent esté exactement criblées et
contredites par ses propres ennemis qui lui ont fait son
procez et nous en ont laissé les actes originaux, tant de part et
d'autre ce n'eussent esté que contes fabuleux qu'on eust
publiés d'elle : c'est pourquoy il importe grandemcntque son
histoire soit co2;nue.
CHAPITRE XI
DE GIEN A REIMS. — LE SACRE
Après cette grande deflfaite des Anglois^ [ceux-ci] sçachant
bien que le Uoy se préparoit pour aller à Rheims, prièrent
le duc de Bourgogne de se rendre à Paris, comme il fit, où
ils renouvelèrent leurs confédérations. Et le duc de Bethford
qui avoit espousé la sœur du duc de Bourgogne, afin d'en-
tretenir ce prince en son amitié, envoya expressément sa
femme aux Païs-bas, pour veiller sur les actions de son
frère et empescher qu'il ne se rendist François.
Sa Majesté se disposant au voyage de Rheims, aucuns
estoient d'advis qu'il menast quant et soy la Royne, sa
femme, fille du feu roy de Sicile, pour estre couronnée avec
lui. Toutes fois, après avoir tenu conseil, on jugea que cela
ne feroit qu'embarrasser et retarder son voyage, attendu
mesme que tout le pais par où il falloit passer estoit ennemi.
Le Roy partit de Gien le jour de saint Pierre et saint Paul
1429, ayant en son armée environ douze mille hommes de
guerre et entre autres trois princes de son sang, sçavoir, le
duc d'Alençon, lieutenant général, le comte de Clermont,
depuis duc de Bourbon, et le comte de Vendosme, les mares-
chaux de Boussac et de Rays, l'amiral de Culant, le Bastard
d'Orléans, les sieurs de Laval et de Lohéac, le comte de
lîoulogne, Ambroise de Loré, les seigneurs de Thouars, de
Sully, de Chaumont sur Loire, de la Trémouille, de Prie, de
Ghavigny, de Ghabanes, Poton de Santrailles, la Hire,
Janiet du Tilloy, d'Illicrs, et la Pucelle tousjours à la teste de
l'armée avec son enseigne déployée, faisant faire à l'armée
de très grandes journées.
De Gien on s'achemina vers Auxerre. La Pucelle et plu-
sieurs autres estoient d'advis, pendant que l'armée du Roy
DE DOMREMY A COMPIÈGNE 131
estoit toute fraîche et gaillarde, qu'on assiégeast cette ville
pour donner terreur. aux autres places qui tenoient pour
l'ennemi : veu mesme que l'opinion et renommée sert de
beaucoup à la guerre, et que les peuples suivent tousjours le
courant de la fortune. Mais les habitans divertirent ce coup,
et secrètement firent largesse de deux mille escus au sieur de
la Trémouille, avec promesse de fournir vivres et toutes
autres choses nécessaires à l'armée du Roy, et mesme des
bateaux pour passer la rivière. Et le sieur de la Trémouille,
qui possédoit l'esprit de son maistre, lui fit entendre que
cette ville tenoit pour le duc de Bourgogne, lequel il falloit
doucement ramener à son parti et ne pas aigrir : que
d'ailleurs ce siège retarderoit d'autant plus son sacre. Il fallut
en passer par là : de quoy la Pucelle et autres seigneurs ne
furent guères contens.
Au* partir d'Auxerre, l'armée tira à Saint-Florentin qui se
rendit à sa Majesté : et, de là, gagnèrent Troyes en Cham-
pagne, où il y avoit six cens Bourguignons en garnison,
lesquels ayant fait une sortie pour recognoistre l'armée du
Roy, furent bien battus et contrains de regagner hastive-
ment la ville qui fut sommée de se mettre en l'obéissance de
son pi;ince naturel; à quoy les habitants ne voulurent
entendre. Et l'armée du Roy, ayant là campé deux ou trois
jours, souffrit une grande disette : tellement que plus de
six mille hommes, durant ce temps-là, ne mangèrent point
de pain, l'année estant fort stérile, parce que les laboureurs
ne pouvoient demeurer aux villages pour cultiver et ense-
mencer les terres, mais estoient contrains de se retirer aux
villes et places fortes et labourer ce qu'ils pouvoient
à l'entour de ces places, sous le signal que leur donnoit
celui qui faisoit le guet au clocher, sonnant le tocsin, ainsi
que nous avons veu durant les guerres de la Ligue. Et la
plupart de l'armée du Roy ne vivoit que de febves qui avoient
esté semées cette année par l'advis d'un Cordelier, nommé
Frère Richard, lequel preschant l'Advent et le Caresme en
la ville de Troyes avoit exhorté le peuple en ses sermons à
semer force febves, afin de suppléer au deffaut du bled et
autres vivres.
132 E. RICHER. — LA PL'CELLE D ORLEANS
Ce Cordelier estoit célèbre prédicateur et en très grande
réputation parmi le peuple. Monstrelet en fait mention,
disant qu'il incitoit hommes et femmes à quitter leurs
atours et brasveries, et mesme aies brusler en pleine rue, en
feux de joye. Mais il se mesprend, asseurant qu'il estoit
Augustin. Il se nommait Roch Richard et fut licencié en
théologie l'an 1410. Pasquier en a fait un placard notable en
son histoire. Nous aurions aujourd'huy grand besoin de
semblables prédicateurs, afin de réprimer le luxe qui règne
en France et partout ailleurs, où chascun à l'envy fait de la
despense superflue en toute sorte de choses, et beaucoup
plus que ses moyens ne portent. Ce Cordelier tenoit lors le
parti Anglois, et, tant qu'il y a esté engagé, ils l'ont estimé
et honoré comme un saint personnage; mais depuis qu'il eut
embrassé le service du Roy, ils l'ont voulu diflamer d'apos-
tasie : tant les hommes sont iniques juges en leur propre
cause !
Les seigneurs et capitaines considérans que plus ils demeu-
roient à l'entour de la ville de Troyes, plus la disette et néces-
sité de vivres augmentoit, et que les habitans ne se vouloient
sousmettre à l'obéissance du Roy, tinrent conseil sans y ap-
peler la Pucelle pour délibérer de ce qui seroit bon de faire.
Et furent divisez en opinions. Aucuns estoient d'advis qu'on
marchast droit à Rheims sans s'arrester ailleurs. Au con-
traire, les autres remonstroient que Chalons et Rheims, qui
avoient des garnisons, suivroient l'exemple de Troyes et ne
se rendroient point : que l'armée du Roy ayant failli d'em-
porter la première ville qu'elle avoit sommée, et n'ayant
vivres, ni munitions, ni artillerie suffisante pour la forcer,
seroit exposée à la dérision de ses ennemis, que les vivres et
l'argent manqueroient incontinent, et qu'ils ne voyoient rien
de plus expédient que de rebrousser chemin au delà de la
rivière de Loire.
Messire Renaut de Chartres, archevesque de l\heims, rt-
monstroit avec indignation que trop légèrement on avoit
preste l'oreille h cette bergère, plus tost emportée de zèle in-
discret que conduite par raison : que toutes ces diflicultez
DE DOMREMY A COMPIEGNE 133
avoient l>icn esté préveues et débattues à Loches, quand on
proposa d'entreprendre ce périlleux voyage.
Mais comme tout le conseil du Roy vouloit conclure qu'il
falloit retourner au delà de la Loire, Messire Robert Masson,
homme prudent et de bon conseil, ancien chancelier de
France, remonstra, auparavant de résoudre aucune chose,
qu'il lui sembloit qu'on devoit entendre parler la Pucelle qui
avoit conseillé et fait entreprendre ce voyage, et exéquuté
plusieurs autres choses qu'on tenoit autant et plus impossi-
bles que la prise de la ville de Troyes. Et comme ce person-
nage disoit son advis, la Pucelle advertie par ses voix des
intrigues et perplexitez auxquelles le conseil du Roy flottoit,
alla brusquement^ heurter à la porte de la chambre où il se
tenoit, et lui ayant esté ouverte, adressa sa parole au Roy,
disant :
— Gentil Dauphin, ne tenez plus de si longs conseils, mais
mettez la main à l'œuvre et commandez que Ion assiège cette
ville. En nom Dieu, je vousasseure que dans trois jours vous
y entrerez par amour ou par force, et que la Bourgogne sera
bien estonnée.
Le chancelier répliqua comme en colère :
— Jeanne, l'on attendroit bien encore huit jours si l'on
estoit asseuré que ce que vous dites réussist.
— N'en doutez point, dit-elle. Que chascun me suive et
mette la main à l'œuvre, car Dieu veut que l'on s'employe
soy-mesme.
Toute armée qu'elle estoit, (elle) monta sur son coursier,
courut la première sur le fossé, disant que l'on apportast du
bois et des fagots pour combler les fossez de la ville, des
clayes et des eschelles. Et toute l'armée suivoit les mouve-
ments de cette fille, chascun estant ravi en admiration de la
voir si puissamment agir, faisant plus d'effet seule que plu-
sieurs autres, ainsi que le duc de Longueville a tesmoigné.
Elle fit sonner l'alarme pour aller à l'assaut du costé où est
aujourd'huy la porte de la Magdeleine et de Comporté. Ce
1. Inexactitude. On alla chercher la Pucelle et elle se rendit à
l'appel du roi.
134 E. RICIIER. LA PUCELLE d'uRLÉANS
que les habitans voyaos, saisis de crainte et de frayeur, et
considërans la renommée qui couroit de cette fille qu'on esti-
moit estre envoyée du Ciel, eurent recours aux églises pour
prier Dieu. Et le premier de tous, Messire Jean Lesguisé, leur
évesque, doué de grande probité et sainteté de vie, leur
monstra le chemin, Dieu les inspirant, de se rendre au Roy
leur souverain seigneur. De sorte que l'évesque et les prin-
cipaux habitans de la ville, ce mesme jour, demandèrent à
parlementer et sortirent à ces fins : comme aussi frère Ri-
chard, Coi'delier, leur prédicateur, lequel ayant aperçeu le
Pucelle et s'en estant approché, faisoit le signe de la croix
et jetoit de l'eau bénite, ne plus ne moins que s'il eust voulu
exorciser quelqu'un possédé du malin esprit. De quoy cette
fille rioit, disant :
— Approchez hardiment, je n'ay garde de m'envoler.
Certes, l'eau béniste et la croix de Nostre Seigneur sont les
rempars de Dieu. Depuis ce temps-là, ce Cordelier suivit le
parti du Roy, et le duc de Bethford en fait mention en une
lettre qu'il publia pour servir de manifeste après le couron-
nement de Sa Majesté, comme pareillement [en font mention]
les actes du procez de la Pucelle.
La composition et reddition de cette ville que tous les ca-
pitaines tenoient pour miraculeuse, fut que les gens de
guerre qui y estoient en garnison se retireroient, vies et bagues
sauves, où bon leur sembleroit; que le Iloy donnoit abolition
générale à tous les habitans de la ville ; que ceux qui avoient
esté pourveus d'offices ou bénéfices par le Roy d'Angleterre
demeureroient en leurs charges et bénéfices et en feroient
l'exercice, pourveu qu'ils prissent nouvelles provisions et
lettres de sa Majesté. Le Roy gratifia particulièrement l'éves-
que de Troyes de lettres d'anoblissement qu'il lui accorda
tant pour lui que pour son lignage.
La garnison avoit plusieurs prisonniers qu'elle pouvoit
emmener en vertu de ce traité, lui ayant esté permis de sor-
tir vie et bagues sauves. Toutefois la Pucelle ne le voulut
souffrir et supplia sa Majesté de faire composition pour les
prisonniers qui avoient esté pris tenant son parti. Comme
elle fut faite, cette composition servit après de formulaire
DE DOMnEMY A COMPIÈGNE 135
pour toutes les autres places qui suivirent l'exemple de la ville
de Troyes et obéirent à sa Majesté. Or, comme après cet ex-
ploit, aucuns seigneurs et capitaines louoient la Pucelle, di-
sans qu'on ne trouvoit en aucun livre ancien ou moderne des
faits semblables aux siens :
— En nom Dieu, respondit-elle, mon seigneur a un livre
auquel pas un clerc, tant soit-il parfait en cléricature, ne
sauroit lire.
Onques on ne l'ouyt s'attribuer aucune louange, ains rap-
portoit tout ce qu'elle exéquutoit au Roy du ciel, duquel elle
estoit envoyée.
Après que sa Majesté eutpourveu à la seureté delà ville de
Troyes, establi un gouverneur, un maire et autres officiers,
il s'achemina incontinent à Ghalons en Champagne. Car la
Pucelle le pressoit, et pour cette occasion ne voulut mesme
coucher en la ville de Troyes, afin de gagner païs. Et la
nouvelle de la réduction de la ville de Troyes estant publiée,
ceux de Chalons, conduits par l'évesque, vinrent au devant
de sa Majesté lui apporter les clefs de la ville et rendre en-
tière obéissance.
Et après y avoir pourveu, tout ainsi qu'à la ville de Troyes,
le Roy partit incontinent pour aller à Rheims où le duc de
Bourgogne avoit mis six cens hommes en garnison, comman-
dez par les sieurs de Saveuse et de Chastillon; lesquels firent
assembler les habitans pour les résoudre à tenir bon et les
asseurer que dans trois sepmaines ou un mois tout au plus
tard, ils leur amèneroient secours suffisant pour faire lever
le siège, au cas que le Roy les voulut forcer. Et sur cela sor-
tirent de la ville pour aller quérir ce secours.
Mais comme les choses naturelles cherchent leur centre,
au cas pareil les subjects se remettent facilement en l'obéis-
sance de leur prince naturel. C'est pourquoy, aussi tost que
ces gens de guerre eurent désemparé la ville de Rheims, les
bourgeois tinrent conseil et envoyèrent devers le Roy qui
estoit logé à quatres lieues de Rheims en un chasteau nommé
Septsaulx qui appartenait à l'Archevesque de Rheims, lui
offrir les clefs de la ville et toute obéissance : auquel lieu
136 E. UICUEU. L\ PUCELLE d'oULÉAXS
furent faites et scellées les lettres de la reddition conformes
à celles de Troyes et Chalons en Champagne.
Aucuns ont escrit que les garnisons qui estoient à Hheims
pour le Bourguignon voulurent emporter la sainte Ampoule
quant et eux, pour empescher le couronnement du lloy,
mais que Dieu renversa leur dessein.
Le Roy y entra le samedi seiziesme juillet 1429, et pareille-
ment messire Renaut de Chartres, archevesque, lequel n'y
avoit jamais mis le pied depuis sa promotion audit archeves-
ché. Tout le monde conjouissoit à sa Majesté et jetoit les
yeux sur la Pucelle par grande admiration, ne plus ne moins
que sur l'Ange protecteur de la France. Le duc de Lorraine,
frère du roi de Sicile, et le seigneur de Commercy, accompa-
gnez de gens de guerre, vinrent trouver sa Majesté à
Rheims et lui offrir leur service. Le père de la Pucelle y
arriva semblablementavec son fils aîné, nommé Jacquemine
et quelques autres de leurs parens que le Roy fit loger par
ses fourriers en l'hostel de l'Asne rayé, où ils furent desfrayez
aux despens de la ville de Rheims.
N'est-ce pas chose miraculeuse que le Roy, en si peu de
temps, aye pu faire un si grand et périlleux voyage avec son
armée, et que ses ennemis qui tenoient toutes les villes et
destroits par oîi il falloit passer, n'ayent jamais osé paroistre
en campagne pour l'empescher ou retarder? Certes, si les
dates [du journal] du siège dOrléans sont véritables, comme
je les tiens pour telles, la Pucelle a fait faire soixante et six
lieues à l'armée du Roy en neuf jours, compris deux ou trois
jours que l'on demeura devant la ville de Troyes pour la ré-
duire en l'obéissance. Le chemin que sa 3Iajesté a tenu
depuis Gien jusqu'à Rheims en Champagne, revient <à ce
nombre là ; exploit merveilleux, comme pareillement l'arri-
vée de cette fille à Chinon et la conduite des convoys de
1. Aucun (locument ne mentionne la prosenco du li'ère aîné do
Jeanne à Hcims. Son cousin par alliance, Duiand Laxart, accompa-
gna Jacques d'Arc. (Déposition de Lavart, l'rocès. t. il, p. 445). Husson
Lemaître.t. III, p. 198, du /'rocès, parle bien d'un frère de l'héroïne, mais
c'est de Pierre et il le nomme. K. Richer aura pris Pierre pour
Jacquemin.
DE DOMREMV A COMPIEGNE 137
vivres qu'elle rendit dans la ville d'Orléans sans aucun retar-
dement ni péril.
Le dimanche dix-septiesme juillet, afin de ne pas perdre le
temps qu'il falloit employer à la réduction des autres villes,
et la Pucelle pressant le couronnement du Roy, sa Majesté
envoya en l'abbaye Saint-Rémi les mareschaux de Boussac et
de Rays, le sieur de Graville et l'admirai de Gulant pour avoir
la sainte Ampoule et faire les sermens accoutumez de la con-
duire et reconduire seurement. Et l'abbé, revestu de ses ha-
bits, pontificaux, sçavoir crosse et mitre, l'apporta jusques
devant l'église Saint-Denis où l'archevesque se rendit assisté
de tout son clergé pour la recevoir de l'abbé qui la mit entre
ses mains, et par après la porta sur le grand autel de Nostre-
Dame de Rheims, cathédrale. Et le Roy s'estant présenté à
genoux devant le maistre autel, revestu de sa chappe royale
et autres habits accoutumez en cette solennité, l'archevesque
lui lit faire les sermens ordinaires usitez en telles cérémonies.
Puis le duc d'Alençon, lieutenant général du Roy, lit cheva-
lier sa Majesté, et peu après [le roy Charles] fut sacré et cou-
ronné.
Et au mesme instant le Roy fit le sieur de Laval comte; et
messieurs d'Alençon, de Bourbon etde Vendosrae, princes du
sang, donnèrent l'accolade à plusieurs gentilshommes qu'ils
firent chevaliers. A cette cérémonie, la Pucelle tenoit son es-
tandart en main, fort proche du Roy. Et lors, on distribua à
tous les seigneurs et chevaliers et à la Pucelle une livrée de
gants. Et le service divin et toutes les cérémonies parfaites
et accomplies, la sainte Ampoule fut reportée par l'archeves-
que et reconduite par les mesmes seigneurs qui l'avoient esté
quérir.
Quand la Pucelle vit le Roy sacré et couronné et prest à se
retirer de l'église, en présence de tous les princes et sei-
gneurs elle se mist à genoux devant lui, l'embrassant par
les jambes, et avec abondance de larmes dit :
— (jentil Roy, je rends grâces à Dieu qu'il lui a plu si
heureusement et en peu de temps accomplir ce qu'il m'avoit
commandé vous dire et asseurer de sa part, sçavoir que vous
estiez le seul vray et légitime Roy de France, que je ferois
138 E. niCllER. LA l'UCELLE d'oRLÉANS
lever le siège d'Orléans, et vous amènerois en toute seureté
à Rheims, malgré tous vos ennemis, pour y estre sacré et
couronné, ainsi que vous avez esté. Et ne doutez point que
vos affaires ci après ne prospèrent tousjours de bien en mieux
et que les choses que je vous ay prédites n'adviennent au
temps que Dieu l'a ordonné. Voilà ma mission accomplie ^
Tous les assistants furent ravis d'admiration, et plu-
sieurs espandoient des larmes de la grande joie qu'ils avoient
conceue.
Le Iloy séjourna tout le dimanche et lundi à Rheimg, où
il laissa pour gouverneur Antoine de Hélande, sieur d'Her-
cauville, nepveu de l'archevesque. Et le mardi dix neuf-
viesme juillet, s'achemina à Saint-Marcoul pour y faire la
neufvaine selon que les Roys de France ont accoustumé. Cer-
tainement Dieu a fait une grâce particulière aux Roys de
France de les avoir douez de la vertu de guérir des escrouel-
les après leur sacre. Et est chose bien remarquable que le
Roy d'Angleterre qui se disoit Roy de France, et depuis
l'usurpation qu'il en avoit fait, tenoit en sa puissance la ville
de Rheims, n'osa jamais se faire sacrer et couronner. Sa cons-
cience le condamnoit comme usurpateur. Pour cette cause la
Pucelle estoit divinement inspirée de presser le Roy de se
faire sacrer et couronner, donnant par là entendre que le
sacre et couronnement de sa Majesté estoient la condamna-
tion de l'Anglois et du Bourguignon qui luy faisoit espaule :
comme de vérité l'effet l'a monstre.
Mais à propos de ce que la Pucelle avoit porté son estan-
dart au sacre de sa Majesté, messire Pierre Gauchon, évesque
de Beauvais, faisant le procez à cette fille, voulut imputer
cela à sorcelerie, veu que les enseignes et guidons des autres
seigneurs n'y avoient esté portez; feignant encore, mais
faussement, qu'elle avoit fait flotter son estandartsur la teste
du Roy. Et davantage, qu'on alloil à elle comme au devin,
1. Ces mots : « Voilà ma mission accomplie, » sont de rimaginatioii
de Richor : Jeanne ne les a point prononcés. La mission de l'envoyée de
Dieu ne fut accomplie que lors que l'Anglais, comme elle l'avait
annoncé, « fut bouté hors de toute France. » Voir notre Etutle : Jeanne
d'Arc el sa mission d'après les documents.
DE DOMREMY A COMPIEGNE 139
ayant fait retrouver les gants d'un seigneur qui avoient este'
perdus. Quant aux deux derniers articles, elle maintint abso-
lument estre faux et calomnieux. Et le premier aussi, pour
ce qui est de la sorcelerie; disant en outre qu'il estoit bien
raisonnable que son estandart, ayant participé au travail et
à la peine, ressentit quelque chose de l'honneur et fut pré-
sent au sacre du Roy'; joint mesme qu'il avoit esté dressé
principalement pour amener sa Majesté à Ilheims, afin d'y
estre couronnée.
i. C"est le cas de rappeler la fière réponse de l'héroïne : <( Il avoit
eslé à la peine, c"esloit bien raison ou'il i'ust à l'honneur. » {Procès,
t. I, p. 1S7.)
CHAPITRE Xil
DU SAGRP] A LA TENTATIVE SUR PARIS
Incontinent après le sacre du Roy, la Pucelle escrivit des
lettres au duc de Bourgogne pour le prier au nom et de la
part du Roy du ciel d'entendre à la paix et de s'unir avec le
Roy, son souverain seigneur, ayant l'honneur d'estre de son
sang : l'asseurant de la mesme part qu'il estoit le vray et
légitime Roy de France, et qu'il en demeureroit paisible
[possesseur] malgré les Anglois, qui seroient finalement
exterminez de Paris, voire de toute la France, ainsi qu'ils
l'avoient naguères esté de devant Orléans et de toute la
Beausse, et que tout cèderoit aux armes du Roy, comme il
recognoistioit par expérience.
Elle envoya ses lettres par ses hérauts auxquels le duc de
Bourgogne ne fit mise ni recepte, mesprisant les advertisse-
ments que cette fille lui donnoit, ores qu'ils fussent énoncez
en esprit de prophétie. Et attendu le mcspris de ce duc,
depuis, quand le Roy lui envoya ses ambassadeurs, la Pucelle
prédit véritablement que jamais on n'auroit paix avec lui
sinon au bout de la lance, c'est-à-dire que les armes du Roy
prospérans, ainsi qu'elles firent tousjours depuis son sacre,
finalement il seroit contraint d'abandonner l'Anglois et de
s'accorder avec sa Majesté, comme il arriva. Et les juges de
cette fille ayans voulu détorquer à cruauté ce qu'elle avoit
dit qu'on n'auroit onques la paix avec le duc de Bourgogne
sinon au bout de la lance, elle leur respondit franchement
que, s'il ne se rangeoit à la raison et ne recognoissoit sa
Majesté, il auroit asprement la guerre, et que ses voix lui
avoient donné asseurance qu'il seroit contraint de s'accorder.
Environ le dix-huitiesme juillet 1429, le Roy alla loger à
DE DÛMREMY A COMPIÈONE 141
Vailly, petit village distant de Soissons de quatre lieues :
auquel village les habitans de Soissons qui tenoient pour le
Bourguignon lui portèrent les clefs de leur ville, comme
liront pareillement ceux de Laon, de Chasteau-Thierry, de
Provins et de plusieurs autres places. De manière que depuis
son sacre, il sembloit qu'il n'eust autre chose à faire pour
réduire les villes à son obéissance que d'envoyer ses fourriers
pour y marquer les logis. Et Monstrelet, auteur croyable,
estant du conseil du duc de Bourgogne, asseure que si l'ar-
mée du Roy se fust avancée devers la rivière de Somme,
toutes les villes situées sur ce fleuve comme Abbeville,
Amiens, Corbin, Péronne et Saint-Quentin, abandonnoient le
parti du Bourguignon, qui eut assez de peine à les confirmer
et retenir en devoir, y envoyant de ses gens tout exprès. Mais
le Roy estoit retenu par l'espérance qu'on lui donnoitquece
duc se rangeroit à la raison.
Sa Majesté establit La Hire pour bailly de Vermandois, et
ayant séjourné quelques jours à Soissons, y laissa pour gou-
verneur un escuyer de Picardie nommé Guichard Bournel,
après avoir fait serment de bien et loyalement servir; néant-
moins il fut depuis pratiqué et gagné par le duc de Bour-
gogne, ainsi que nous verrons. De Soissons, le Roy alla à
Chasteau-ïhierry et y mit Poton de Saintrailles pour gouver-
neur; et en mesme temps Provins luy rendit obéissance.
Le duc de Bethford, régent en France pour l'Anglois,
considérant la prospérité des affaires du Roy et qu'il tenoit
la campagne, voulant conserver sa créance parmi le peuple
et les gens de guerre de son parti, tira des garnisons tout ce
([u'il avoit de meilleur. Et au mesme temps le cardinal Win-
thon (de Winchester), son oncle, grand oncle du roi d'Angle-
terre, luy amena quatre mille Anglois de renfort qu'il avoit
levez par ordonnance du pape Martin V, etsoudoyez des deniers
du clergé d'.Vngleterre, pour envoyer en Bohesme contre les
llussites qui avoient tout nouvellement deffait l'armée de
l'Empereur. Néantmoins le duc de Bethford s'en servit pour
faire la guerre en France aux catholiques, et avec ce renfort
et plus de huit cens hommes de guerre que le duc de Bour-
gogne lui envoya, partit de Paris, tirant àCorbeil et àMelun
i42 E. lUCHER. LA TUCELLE D ORLÉANS
pour asseurer ces villes et marcher jusques à Montereau-
Faut-Yonne, ayant plus de dix mille combattans en son
armée, faisant courir le bruit partout où il passoit qu'il alloit
donner la bataille à l'armée du Roy pour mettre fin aux.
misères du peuple, pour leurrer et amuser le peuple, crai-
gnant qu'en un tel débris de leurs affaires il ne se rangeast
du parti de sa Majesté. En son manifeste il blasme le Roy de
s'estre servi de gens superstitieux et réprouvez pour séduire
le peuple, sçavoir d'une femme portant habit d'homme et
dissolue en son gouvernement, comme aussi d'un frère men-
diant qu'il appelle apostat et séditieux. C'est frère Richard,
lequel Monstrelet taxe comme ayant favorisé le parti de sa
Majesté pendant mesme qu'il estoit parmi les Anglois. Le
mesme manifeste reproche semblablement au Roy d'avoir
preste consentement au meurtre de Jean de Bourgogne et
faussé sa foy, et qu'à cette occasion il seroit deschu du droit
qu'il pouvoit prétendre à la couronne, etc.
Monstrelet appelle cela une lettre qu'il prétend avoir esté
envoyée au Roy, ce qui n'est pas; car c'est un papier volant
que le duc de Bethford fit courir pour retenir le peuple en
devoir et asseurer Melun, Corbeil et Montereau-Faut-Yonne,
desquelles villes la conservation de Paris despendoit à mont
la rivière Seine. Aussi ne dit-il point que ce manifeste ait
esté envoyé par des hérauts, comme il estoit nécessaire.
C'estoit donc un papier qu'on faisoit publier, tout ainsi que,
durant les troubles de la Ligue, nous avons veu qu'on en a
fait courir infinis à semblable dessein.
Et le mesme historien, pour flatter son parti, adjouste de
plus que ce duc fut chercher l'armée du Roy et ne la put
rencontrer; où, au contraire, nos historiens narrent que sa
Majesté ayant entendu que le duc de Bethford estoit vers
Melun, il s'y achemina et fit ranger son armée en bataille, et
qu'il y séjourna plusieurs jours, attendant les Anglois
lesquels par prudence politique et précipice de leurs affaires
ne dévoient rien bazarder.
Et le mesme Monstrelet se contredit, asseurant que l'armée
du Roy estoit beaucoup plus forte que celle de l'Anglois. Oui
estoit une suffisante response au prétendu manifeste du duc
DE DOMREMV A COMl'IEGNE 143
de Bclhford, sçavoir de lui mettre en barbe une puissante
armée et opposer des faits à de vaines paroles qui sont inu-
tiles quand il est question d'en venir aux mains, comme alors
les François ne cherchoient autre chose. Et celui qui emporte
le fruit et l'utilité de la guerre, ainsi qu'a fait sa Majesté, est
vrayment victorieux.
On tient pour maxime d'Estat que jamais on ne doit traiter
de la paix en habit de deuil, c'est à dire après quelque grand
désastre ou deffaveur; mais que, pour la faire honorablement
et utilement, les Princes ou Républiques y doivent penser
sérieusement durant leurs plus grandes prospéritez, et, afin
de la faire réussir à leur-advantage, avoir de fortes et puis-
santes armées, de manière que leurs armes n'ayent autre but
que la paix. Raison qui incita le Roy en cet heureux flux
d'affaires, se voyant maistre de la campagne et de plusieurs
bonnes villes, d'envoyer messires Renautde Chartres, arche-
vesque de Rheims et chancelier de France, Christophe de
Harcour, evesque de Castres, son confesseur', les sieurs de
Gaucour. de Dampierre et autres sages seigneurs, au duc de
Bourgogne pour négocier de la paix et lui remonslrer que
l'injure faite à defunct son père ne devoit estre imputée à sa
3Iajesté, veu son bas âge et minorité, mais à ceux en la puis-
sance desquels il estoit lors, ne leur osant ni pouvant con-
tredire : que le duc de Bourgogne avoit l'honneur d'estre du
sang de France, et conséquemment capable de succéder à la
couronne lui et les siens, avenant changement de lignée :
que fortifiant le parti Anglois, il se privoit lui mesme de ce
droit inestimable, et, posé que les prétentions de l'Anglois
réussissent, qu'il ne pouvoit jamais rien prétendre à la cou-
ronne ni se prévaloir d'estre du sang de France contre la loy
fondamentale de l'Estat, qui devoit estre gardée inviolable
comme chose sacrée.
Le duc de Bourgogne fit cognoistre aux ambassadeurs du
Roy qu'il avoit fort agréable ce qu'on lui proposoit afin de
1. Erreur coiuuiise par plusieurs historiens, notamment par M. de
Itaranle. Clirislophc d'Harcourt n'était ni confesseur du roi, ni ecclésias-
tique.
144 E. RICIIER. — LA l'UCELI.E o'onLÉANS
le réconcilier avec sa Majesté, et tous ses sujets mesmcs
desiroienl grandement la paix. De sorte que plusieurs alloient
trouver le chancelier pour obtenir de lui lettres d'abolition
des choses passées, ainsi que raconte Monstrelet. Et ce prince
promist qu'il feroit par après entendre sa volonté au Uo}',
lequel lui envoya autant de passeports qu'il en désira pour aller
et venir librement par toutes les terres et places de son obéis-
sance; et environ le mois de septembre furent faites tresves
entre le Koy et le Bourguignon jusques à Pasques pro-
chaines.
Et cependant le comte de Luxembourg qui estoit lieute-
nant du Bourguignon — c'est le père du comte de Saint-Pol
que Louis X fit décapiter, — désirant tousjours pescher en
eau trouble, comme pareillement l'evesque d'Arras et quel-
ques autres des principaux conseillers de ce prince, l'em-
peschèrent de faire accord avec sa Majesté, pratiquez à cet
effet par l'Anglois, et mesme par la duchesse de Bethford,
sœur du duc de Bourgogne, laquelle son mari avoit fait
expressément aller au Païs-bas vers son frère pour le retenir
au parti anglois avec lequel il se rallia plus estroitemcnt que
jamais : ces Achitophels faisans entendre à leur maistre que
s'il traitoit avec le Roy, il faudroit quitter toute la Picardie
qui servoit de frontière à toutes ses terres qui sont deçà la
rivière de Somme; semblablement aussi tout ce qu'il avoit en
la Champagne qui couvroil et fortifioit son duché de Bour-
gogne, et autres semblables raisons fondées sur l'utilité; et
d'ailleurs l'apostume n'estoit pas encore venue en sa matu-
rité pour se descharger.
Sur l'espérance qu'on avoit donnée au Boy qu(» le duc de
Bourgogne entendroit h. la paix, aucuns conseilloient à sa
Majesté de repasser en Berry, à quoy il prestoit aisément
l'oreille pour le désir qu'il avoit de voir la Boyne son
espouse. Mais le duc d'Alenyon, les comtes de Clermont et
de Vendosme, princes du sang, le duc de Lorraine et autres
seigneurs et capitaines lui firent entendre que la guerre se
faisoit autant par bonne opinion et renommée que par autres
moyens. Au reste, que ce qu'il attendoit du duc de Bour-
gogne n'esloit fondé qu'en espérance bien légère et incer-
DE DOMREMY A OOMPIEGXE 145
laine; que durant des tresves ou pourparlers de paix, on se
doit plus défier et tenir sur ses gardes que jamais, et sur le
déclin des affaires de ses ennemis, qu'il se falloit évertuer et
leur enlever le plus de places qu'il seroit possible, lesquelles
se deffendroient l'une l'autre de proche en proche; que s'il
se retiroit, difficilement pourroit-on conserver ce qui s'estoit
rendu à son obéissance au deçà de Loire; joint que toutes
ces villes estoient au milieu d'un païs ennemi, où l'Anglois
et le Bourguignon avoient toute sorte d'advantages, leurs
forces unies et bien aisées d'assembler en peu de temps pour
s'entresecourir.
Ce qu'entendu, le Roy rebroussa chemin vers Chasteau-
Thierry, et de là à Crespy en Valois et à Dammartin. Tout le
monde venait au-devant de sa Majesté comme en procession,
chantant A'oe7, Noël, Te Deum laudamus, et autres hymnes
de l'Eglise^
Or, tout ce peuple accourant à la foule pour rendre obéis-
sance à sa Majesté, se plaisoit merveilleusement à voir la
Pucelle qui, d'autre part, pleuroit de joye asseurant qu'elle
cust bien désiré finir ses jours parmi un si bon peuple, tout
affectionné au service de son prince. Ce que le chancelier de
France ayant entendu, dit à cette fille :
— Jeanne, sçavez-vous bien quand vous mourrez?
— Non, dit-elle : c'est quand il plaira à Uieu. Mais je vou-
drais bien retourner h mes parens et vivre avec eux en ma
première condition champestre, car le tracas de la guerre
m'ennuye.
Toutefois sa Majesté ni tous les seigneurs ne lui voulurent
jamais permettre de se retirer, estimans qu'elle leur estoit à
grand bonheur. Elle sçavoit bien que son temps estoit ter-
miné à un an ou environ, ainsi qu'elle l'avoit prédit au Roy;
1. Celle coustuiiie de clianter Noël durant l'Advent et à la Nativité de
Nostro Seigneur a fait quo le peuple, au siècle de la Pucelle, intcr-
préloit CCS termes, Noi-l, Soi-l, pour une manière de compliment,
comme qui diroit: Vous, soyez le bien venu. El me souviens en ma
jeunesse avoir veu et ou\' chanter de vieux Noëls imprimez en lettres
gothiques auxquels il y avoit le verset pour refrain ordinaire : « Criez
à haute voix, Noël, sois bien venu ; » qui est cela mesmc que l'asquier
remarque en ses Recherches. (Remarque de Richcr).
10
146 E. RICIIEU. LV PUCELLE d'oRLÉANS
mais son Conseil ne lui a voit pas encore révélé qu'elle devoit
estre prisonnière.
C'est grand merveille, depuis quelle eut mené le Roy à
Orléans pour estre sacré, cognoissant que cela estoit le but
principal de sa mission^ et combien les événements de la
guerre sont incertains et périlleux, elle ne s'entremettoit plus
de donner conseil aux seigneurs et capitaines pour les affaires
de guerre, mais pour l'ordinaire suivoit l'advis et résolution
des chefs de l'armée, les asseurant tousjours en général de
l'heureux succez des affaires de sa Majesté, et que tout ce
qu'elle avoit prédit de la part du Roy duciel adviendroit en son
temps. Et tout cela monstre qu'elle estoit fort prudente et se
gardoit bien d'exposer ses révélations au mespris.
Le duc de Bethford voyant l'armée du Roy tirer à Dammar-
tin, afin de retenir en bride ce qui restoit de villes à son
parti, fit avancer son armée jusqu'à Mitry en France pour
couvrir la ville de Meaux que les Anglois avoient grande-
ment fortifiée et munie de grosses pièces d'artillerie ou mor-
tiers de fonte de fer, esquels un homme peut entrer tout
vestu. Et encore aujourd'huy l'on y en voit trois; comme
pareillement il y en a un à Troyes en Champagne qu'ils appel-
lent « la grosse Guiilaumette ». Pour se servir de ces mor-
tiers, ils les emplissoie.nt de poudre, de clous et de pierres,
et les mettoient sur des pièces de bois en forme de chantiers
à quelque bresche ou advenue.
Jean, Bastard de Saint-Pol, qui fut depuis seigneur de llaut-
bourdin, estoit gouverneur de Meaux pour les Anglois, les-
quels, à ce qu'on dit; ont fortifié le grand marché tel qu'on
le voit aujourd'hui, ou plustost tel qu'il estoit l'an lo7:2, car
il fut démantelé après la Saint-Barthélémy.
Le duc de Bethford fit loger son armée en un Heu advan-
tageux auprès de Mitry où il se retrancha et se fortifia selon
i. «... Le but principal do .sa luissiun. » Ici Richer rentre dans le
vrai. La lovée du sièye d'Orléans, lo -sacro de Keiins, le relèvement
moral du pays, tel était pour Jeanne l'objet principal de sa « mission
de vie ». L'e.vpulsion (înale de l'Anglais restait l'objet de sa « mission
de survie », et elle devait inaniuer lo pK'in accomplisscnicnt do sa
mission providentielle.
DE DOMREMY A COMPIEGNE 147
leur coustumc avec leur charroy et des paux ou poinçons,
ainsi que Monstrelet les appelle. C'estoienL de gros pieux de
bois de chesne aiguisez qu'ils fichoient bien avant en terre,
et leurs arbalestriers inettoient là-dessus leurs arbalestes
pour tirer plus seurement, et lors estoient tenus pour les
meilleurs arbalestriers de l'Europe. Le Roy ayant envoyé
Poton, La Hire et quelques autres pour recognoistre la con-
tenance de l'ennemi et l'attirer au combat, ces seigneurs
ayant rapporté qu'il estoit trop périlleux de l'assaillir, sa
Majesté se retira devers Crespy en Valois avec son armée, et
le duc de Bethford regagna Paris.
Cependant le ville de Beauvais se rendit à l'obéissance du
Roy, encore que messire Pierre Cauchon en fut evesque et
seigneur temporel et spirituel, en tant que comte de
Beauvais et pair de France. Il estoit docteur en théologie de
Paris et fils d'un vigneron du diocèse de Rheims. G'estoit
l'homme le plus partial et engagé au Roy d'Angleterre,
duquel il estoit conseiller d'Estat et pensionnaire, qui fut
lors en toute la France : aussi fut-il destiné pour faire mou-
rir la Pucelle.
Le duc de Bethford, voyant Beauvais rendu, fit marcher
son armée à Senlis pour le conserver et empescher aussi que
Gompiègne, lequel avoit esté sommé de faire obéissance à sa
Majesté, ne se rendist, comme il n'en cherchoit que l'occasion.
Poton, La Hire, Ambroise de Loré et autres seigneurs et
capitaines d'élite eurent ordre de sa Majesté pour chevaucher
et recognoistre l'ennemi. [Ils] rapportèrent qu'il gagnoit
une petite rivière où on ne pouvoit passer que deux chevaux
de front. A raison de quoy l'armée du Roy qui marchoit
tousjours en bataille hasta le pas pour surprendre les Anglois
au passage du Ileuve; mais elle ne put arriver qu'ils ne
fussent desj<à tous passez. Les deux armées firent halte jus-
qu'à soleil couchant, esloignées l'une de l'autre environ
d'une petite lieue, sans rien faire ni entreprendre de mémo-
rable, et la nuit survenant fit retirer tous les coureurs de
part et d'autre, chascun en son quartier.
Le lendemain, de grand matin, l'armée du Roy fut ordon-
née en quatre bataillons, avant-garde, bataille, arrière-garde,
148 K. RIGHEU. LA PUCP.LLE D ORLÉANS
et le qualrjesme de réserve pour secourir ceux qui seroient
les plus pressez, outre certaines compagnies de cavalerie pour
les ailes. Les ducs d'Alenç.on et de Vendosme eurent charge
de l'avant-garde; les duc de Bourbon et de Lorraine, de la
bataille; le Woj h l'arrière-garde; les maréchaux, de Boussac
et de Rays prindrent le soin des ailes ; et la Pucelle, le Bas-
tard d'Orléans, le comte d'Albrct, La Ilire, Poton et autres
qui avoient la conduite du bataillon de réserve, prindrent
des postes pour soustenir ceux qui en auroient besoin. Dis-
position qui fait recognoistre que nos gens estoient bien
exercez aux armes depuis si longues et fascheuses guerres, et
après tant de batailles perdues par trop de téméraire valeur,
assez ordinaire aux Français, pour se trop précipiter et mes-
priser leur vie, ainsi qu'il arriva à Poitiers quand le Roy
Jean fut fait prisonnier, et depuis à la journée d'Azincourt
et de Verneuil.
Or, les Anglois se rangèrent en première bataille et se
campèrent en un lieu de forte assiette, ayant au dos un grand
estang qui les couvroit, et toute la nuit s'estoient retranchez
de fossez, avec leurs poinçons, charroys et autres embarras-
sements. Le duc de Bourgogne avait envoyé au duc de Beth-
ford, son beau-frère, l'eslite de ses meilleurs chevaliers et
capitaines, comme Jean de Villiers, sieur de l'Isle-Adam,
seigneur de Villiers-le-Bel, les sieurs de Croy, de Créqui, de
Béthune, de Fosseux, de Saveuse, de Launoy, de Brimeu,
de Lalouin, de Humiers, le Bastard de Saint-Pol et autres. Il
y avoit trois bannières en leur bataille, l'une de France,
l'autre d'Angleterre, et celle de saint Georges laquelle le sieur
de Villiers l'Isle-Adam portoit.
L'armée du Roy approcha de celle des Anglois à deux traits
d'arbaleste, et leur fut envoyé un héraut pour sçavoir s'ils
en vouloient manger et sortir de leurs retranchements. Plu-
sieurs François s'advancèrent à pied et à cheval jusqu'au
camp des Anglois afin de les attirer au combat, et faisoient
de grandes escarmouches. Chascun de son costé secourut les
siens par petites rencontres, sans que le gros de l'armée
branlast de part ni d'autre, et se retiroient à leurs batail-
lons. Le sieur de la Trémouille, favori de sa Majesté, monté
DE DOMREMV A COMPlÈGiNE 149
et armé à l'aclvantage, la lance en main ayant donné des
espérons à son cheval, tresbucha au milieu d'un gros de
cavalerie ennemie et fut en très grand danger d'être pris ou
tué s'il n'eustété diligemment et fortement secouru, etrafrais-
chi d'un autre cheval : ce qui attacha les uns et les autres à
combattre un long temps de main à main jusques à soleil
couchant. Et de l'effort du combat il s'esleva une poussière
si épaisse et obscure que François, Bourguignons et Anglois
se meslèrent ensemble de telle sorte qu'à grand peine s'en-
trecognoissoient-ils l'un l'autre. Et la nuit survenant fit
prendre quartier à chascun. Les Anglois se retirèrent en
leur fort, et les François allèrent loger à demie lieue de Mont
Espilloy.
Il y eut de part et d'autre plusieurs prisonniers et aucuns
tuez et blessez. Monstrelet dit jusques à trois cens hommes
et asseure que le duc de Bethford remercia affectueusement
les Bourguignons d'avoir si bien combattu pour la cause du
Roy d'Angleterre, les priant de continuer. Il dit que la
Pucelle flotloit en grande irrésolution, estant tantost d'avis
de combattre et tantost non. Ce qui doitestre pris et entendu
non à la rigueur de ce que cet auteur rapporte, mais suivant
la réponse que la Pucelle fit à ses juges, sçavoir que depuis
le couronnement de sa Majesté qui estoit l'accomplissement
de sa mission, elle aimoit mieux, pour les affaires de guerre,
suivre le conseil des seigneurs et capitaines que d'en
donner aucun. Bien relevoit-elle tousjours le courage aux
soldats, les asseurant en général de la prospérité des affaires
de sa Majesté.
Le lendemain, de grand matin, les Anglois se mirent en
chemin pour gagner Paris, craignans que le Roy n'y fit quel-
que pratique, et sa Majesté tira vers Crespy en Valois où elle
loga. Et, le lendemain, s'en alla à Compiègne qui tout nou-
vellement lui avoit rendu obéissance, où il fut reçu honora-
blement. Il y eslablit pour gouverneur un gentilhomme du
païs de Picardie nommé Guillaume Flavy, lequel a esté soup-
çonné d'avoir trahi la Pucelle. Sur la fin du mois d'aoust, le
Boy partit de Compiègne pour aller à Senlis qui le recognut.
Et le duc de Bethford, craignant qu'il ne tournast vers la
150 E. RIClFEli. LA PUCELLE D ORLÉANS
Normandie, s'y achemina pour fortifier les places tant de sa
présence que de gens et jnunitions de guerre. Il laissa à Paris
deux mille hommes en garnison, et messire Louis de Luxem-
bourg, cvesque de Thérouane, qui se disoit chancelier de
France, avec.JeanRatelet et Simon Morhier, chevalier anglois,
outre les sieurs de l'Isle-Adam, de Créqui, de Lannoy, de
Saveuse, de Bonneval et autres chevaliers qui suivoient le
duc de Bourgogne. Le Roy, voyant le duc de Bethford tour-
ner vers la Normandie, partit de Sentis le dernier d'aoust et
vint à Saint-Denis en France qui lui ouvrit les portes; et
ceux de la garnison de Paris estans sortis, on faisoit ordi-
nairement des charges.
CHAPITRE XIII
L'KGHEC DE PARIS. — RETOUR VERS LA LOIRE
Le troisiesme septembre 1429, l'armée du Roy advança
pour taster le pouls aux habilans de Paris et recognoistre
s'ils ne se divisoient point entre eux. Mais se sentans cou-
pables pour les torts et injures énormes qu'ils avoient faites
à sa Majesté, ayant massacré plusieurs de ses bons ser-
viteurs et commis autres grands excez, ainsi que remar-
que Monstrelet, et d'ailleurs que pour les eschauffer de plus
en plus en leur conspiration, les Anglois et Bourguignons
leur faisoient entendre que le Roy les vouloient totalement
ruiner, ils conspirèrent davantage entre eux et promirent
solennellement d'endurer toute sorte d'extremitez auparavant
que de se rendre.
Le duc d'Alençon, la Pucelle, le comte de Clermont, de
Vendosme, de Laval, les maréchaux de Boussac et de Rays,
La Ilire et Poton se logèrent à la Chapelle qui est un petit
village faisant le mi chemin de Paris et de Saint-Denis. Et le
lendemain qui estoit un dimanche ou autre jour de festeS
donnèrent jusques au marché aux pourceaux devant la porte
Saint-Honoré, firent pointer et tirer plusieurs pièces d'artil-
lerie tant pour battre les murailles que la ville. Le sieur de
SaintA'allier, Dauphinois, accompagné de quelques gens de
guerre, alla mettre le feu à la barrière de la porte Saint-
Ilonoré : ils chassèrent les Anglois du boulevard qu'ils avoient
en garde hors de la porte. Et afin d'empescher qu'ils ne pus-
sent faire quelque sortie par la porte Saint-Denis pour sur-
prendre les François, le duc d'Alençon et le comte de Gler-
1. La fête la Nativité de la Sainto-Viorge.
11)2 E. RICHER. LA. PUCELLE d'oRLÉAXS
mont se mirent en embuscade entre la porte Saint-Honoré et
[celle] de Saint-Denis. La Pucelle se jeta dans le fossé et passa
au pied des murailles entre la porte Saint-Honoré et de Saint-
Denis, et avec sa lance sondoit la profondeur de l'eau et de
la bourbe du fossé, criant qu'on apportastdes fagots, du bois,
des clayes pour remplir le fossé, et des eschelles pour aller
à l'assaut. Elle fut suivie du mareschal de Rays et de plusieurs
autres.
Cependant les Parisiens tiroient incessamment leur artille-
rie : et la Pucelle ayant esté un fort long temps sur la contres-
carpe de la muraille, derrière un dos d'asne, criant tousjours :
A l'assaut, à l'assaut ; elle fut atteinte d'un trait d'arbaleste
qui lui perça de part en part l'une des cuisses, sans toutefois
qu'elle voulust bouger, criant tousjours: A l'assaut. Mais les
seigneurs et capitaines voyant la nuit approcher, et qu'il
estoit impossible de remplir le fossé, et davantage qu'il falloit
une bien plus grande armée que n'estoit celle du Iloy pour
assaillir et emporter Paris de force, — car le Roy avoit esté
contraint laisser une grande partie de son armée en garnison
aux villes réduites à son obéissance, — prièrent instamment
la Pucelle de se vouloir retirer, et fallut que le duc d'xVlen-
çon mesme l'envoyast quérir, et avec toute l'armée se ren-
dirent à la Chapelle oîi ils passèrent la nuit. Il y eutplusieurs
gens de guerre blessez de l'artillerie que tiroient les Pari-
siens.
Le lendemain allèrent à Saint-Denis où notre Pucelle offrit
en l'église une armure complète avec une espée. Sur quoy
interrogée par ses juges, qui la calomnioient d'avoir fait cette
offrande afin que le peuple adorast ses armes, elle repartit
que c'estoit la coustume des gens de guerre ayant esté
blessez et préservez de quelque grand péril, ainsi qu'elle
avoit esté à l'assaut de Paris, d'offrir leurs armes aux églises,
comme elle avoit fait à Saint-Denis. Et attendu que cetassaut
fut donné un jour de dimanche, ou mesme le jour de la Nati-
vité Nostre-Dame, de quoy cette fille n'estoit bien mémora-
tive, les mesmes juges lui demandèrent si c'estoit bien faitaux
jours de feste de faire la guerre. Elle respondit que c'estoit
mieux fait de solenniser en tout et partout les jours de feste:
DR DOMREMY A COMPIÈGNE 133
néantmoins qu'il estoit aussi loisible d'assaillir ses ennemis
aux jours de feste, car cela est un préalable de la loy de
nature qui autorise la deffense de soy mesme.
Enquise si ses voix lui avoient conseillé d'aller à cet assaut,
répliqua que non : mais ayant veu la noblesse françoise
désireuse d'exploiter quelques vaillantises et faits d'armes,
elle l'avoit assistée. Or Dieu avoit réservé la reddition de
Paris à sept ans après, ainsi que cette fille prédit : laquelle
estoit résolue de demeurer avec la garnison de Saint-Denis
par advis de son conseil, sinon que les seigneurs l'emme-
nèrent malgré elle à cause de sa blessure qui fut guérie en
cinq jours: et asseurc que ses voix lui donnèrent depuis per-
mission de partir de Saint-Denis avec l'armée^.
Le Roy séjourna à Saint-Denis jusqu'au douziesme septem-
bre, et y laissa pour commander le comte de Vendosme avec
une forte garnison : auquel prince il avoit donné le gouver-
nement de Picardie, et pour lieutenant l'admirai de Culant.
Il créa pour son lieutenant général en toutes les villes coiv
quises en deçà de la rivière de Loire Monseigneur de Bour-
bon. Et pendant qu'il estoit à Saint-Denis, eut nouvelles que
Lagny se vouloit mettre en son obéissance : oii il se trans-
porta incontinent et y laissa pour gouverneur Ambroise de
Loré, et pour son lieutenant messire Jean Foucaut, gentil-
homme limosin, lesquels donnèrent bien des affaires à ceux
de Paris, courant tous les jours à leur porte.
Durant le séjour de sa Majesté à Lagny, la Pucelle estant
avec lui, on porta en l'église Nostre Dame de Lagny un enfant
mort-né, qui avoit esté gardé trois jours sans qu'on y apper-
ceut aucun mouvement ni respiration, et avoit tout le corps
noir et livide. Le peuple se persuada que les prières de la
Pucelle pourroientimpétrer de Nostre-Seigneur qu'il fit misé-
ricorde à cet enfant pourestre baptisé, et la pria-t-on d'aller
à l'église à cet effet où semblablemeiit toutes lesjeunes filles
de la ville se rendirent. Et après avoir fait ensemble leurs
prières, cet enfant bailla par trois diverses fois, se remua
1. Procès, t. I, p. b", 179.
11J4 E. RICIIEU. LA rUCELLE D ORLEANS
aussi et la couleur lui revint toute vermeille ; fut baptisé et
mourut un peu après : ce que l'on attribuoit à miracle '.
Et les juges de la Pucelle, selon leur ordinaire, l'ayant
voulu calomnier ne plus ne moins que si elle se fust fausse-
ment arrogé le pouvoir de faire des miracles, elle repartit
qu'ayant esté advertie qu'on prioit Dieu à l'église pour un
enfant mort-né, qu'elle s'y estoit rendue et véritablement
avoit prié Nostre-Seigneur avec les autres filles de la ville;
qu'en cela il n'y avoit aucun mal, et si miracle s'en estoit
ensuivi, devoit estre attribué à la miséricorde de Dieu, lequel
avoit exaucé les prières faites en commun.
Sur la fin du mois de septembre, le Roy partit de Lagny
pour retourner en Berry, s'achemina à Provins et alla passer
à gué et en bateau les rivières d'Yonne et de Seine : d'autant
que la ville de Sens ne le voulut recognoistre. Il tira à Cour-
tenay, passa Loire à Gien et de là à Bourges, la Pucelle avec
lui, qui desiroit demeurer en risle-de-France où estoit tout
le fort de la guerre. La Royne vint au-devant de sa Majesté.
Quelque temps après, la garnison de Saint-Denis désempara,
faute de solde et de vivres. Semblablement le duc de Bour-
bon, que nous avons ci-devant qualifié de comte de Clermont,
ayant esté constitué lieutenant général pour le Roy sur tout
ce qu'il avoit conquis en TIsle-de-France, Picardie, Brie et
Champagne, se retira en Bourbonnais à cause des ravages
que les gens de guerre tant d'une part que d'autre faisoient
sur le pauvre peuple, faute "d'estre payez; car accoutumez
qu'ils estoient à la picorée, ne se pouvoient abstenir d'exercer
des actes d'hostilité les uns envers les autres ; de manière que
la tresve que le Roy avoit faite avec le duc de Bourgogne,
désirant soulager le peuple qui sestoit rangé à son obéis-
sance, demeura du tout inutile, car il estoit impossible de
labourer les terres.
1. Est-C(! à l'occasion du passage de Charles VII à Lagny en 1429,
coninac le dit Richer, ou après lo départ de Jeanne de Sully-sur-Loire
en 1430 (nouveau style) et sa venue à Lagny qu'eut lieu cet incident de
l'enfant revenu à la vie, aucun texte ne le dit clairement. Il est pour-
tant plus vraisemblable de rattacher ce fait au séjour que fit la
Pucelle en cette ville après qu'elle eût quitté le roi. Voir Procès, t. I,
p. 105.100, et t. IV. p. '.11.
DE DOMREMV A COMPIEGNE 155
Le comte de Vendosme demeura pour commander au lieu
du due de Bourbon, et gouverner les dites provinces, faisant
de nécessité vertu, joint le grand detïaut d'argent qui est le
nerf de la guerre. Depuis l'assaut que l'armée du Roy donna
à Paris, les habitans, considéré que tant de villes se retiroient
de l'obéissance des Anglois, voulurent pourvoir à leur seu-
reté et avoir pour gouverneur le duc de Bourgogne qui estoit
de leur langue et de leur païs ; et fallut que leducdeBethford
en passast par là. Et cette ville servit après d'un bon gage au
Bourguignon pour mieux faire sa paix et rendre sa condition
meilleure avec sa Majesté. Et tout cela estoit un accessoire
des énonciations prophétiques de notre Pucelle.
Arrivé que le Uoy fut à Bourges, où il passa l'hiver, on tint
conseil de ce qui estoit bon de faire pour le bien et advance-
mentde ses affaires en Berry et aux environs. Et fut résolu
qu'on assiègeroit La Charité. Monsieur d'Albret eut charge
de l'armée. Et estant à Meung-sur-Yèvre, fut trouvé par con-
seil que, pour rendre le Bourbonnois libre, il falloit prendre
la ville de Saint-Pierre-le-Moustier où l'armée alla camper.
Et y fut donné un rude assaut auquel les François fureut
repoussez, et se retirèrent tous, la Pucelle exceptée et quatre
ou cinq de ses gens qui l'assistoient.
Le sieur Dolon qui estoit blessé au pied et ne pouvoit mar-
cher, voyant que cette fille ne s'estoit [pasj retirée avec les
gens de guerre, monte incontinent à cheval et court à elle, lui
demandant ce qu'elle faisoit là toute seule, et pourquoy elle
ne se retiroit dii péril avec les gens de guerre. Elle, après
avoir oslé son heaume, respondit qu'elle estoit bien assistée
et avoit en sa compagnie cinquante mille de ses gens', et ne
partiroit de sa place que la ville ne fust prise: s'escria qu'on
apportast du bois, des fagots, des claies, eschelles, pour aller
à l'assaut, ainsi qu'il fut effectué. De sorte que les gens de
guerre, la voyant si résolue, s'efforcèrent et prindrent la ville
sans grande résistance. Chose que le sieur Dolon tesmoigne
avoir voue, et l'attribue à un secours particulier du Ciel. Joint
que la Pucelle asseura lors avoir pour sa seureté cinquante
mille de ses gens ; qui est une manière de parler commune
1^6 E. RICllER. LA l'UCELLE o'onLÉANS
aux personnes envoyées de Dieu. Quand le serviteur d'Elisée
advertrt son maistrc que le Roy de Syrie avoit envoyé une
grosse armée pour l'enlever, il lui respondit : a Ne crains
point, car nous avons plus de gens à nostre ayde qu'il n'en
■ont avec eux. » (Livre IV des Rois, chapitre vi.)
Au reste la ville de La Charité fut assiégée par l'advis des
capitaines, et non de la Pucelle qui brusloit du désir de repas-
ser en risle-de-France ; mais le Roy et les seigneurs l'en
empeschèrent et la tirèrent en ce siège durant une rude sai-
son de l'hiver. Car il geloit à pierres fendre, et pour cette rai-
son une certaine femme nommée Catherine de la Rochelle,
dont il sera parlé au second livre, dissuadoitlaPucelle daller
à ce siège de La Charité. Les historiens ne parlent point si ce
fut devant ou après Noël qu'il fut fait^ Là comme partout
ailleurs, elle donna preuve de son courage et valeur, et la
première sauta dans le fossé pour aller à l'assaut. Mais la
rudesse du temps, qu'ils eurent plusàcombattre que l'ennemi,
empcscha le succez au désir de sa Majesté. Et les juges de
cette fille, à l'accoustumé, ayans voulu attribuer cette entre-
prise au malin esprit qui avoit [d'après eux] honteusement
déceu cette fille, faisant entendre qu'on emporteroit cette
ville, et de plus lui imputans d'avoir usé d'aspersions d'eau
bénite dans les fossez pour jeter son sort, elle leur nia abso-
lument que cela fust, et maintint n'avoir point esté au siège
de La Charité par l'advis de son conseil, ains seulement des
capitaines qui l'y avoient attirée malgré elle.
Tout durant l'hiver qu'elle fut à Bourges, elle logea chez
la veuve du Trésorier du Roy et y fut environ trois mois :
pendant lequel temps sa Majesté, par lettres patentes don-
nées à Meung-sur-Yèvre au mois de décembre 1429, et regis-
tréesen sa Chambre des comptes le seiziesme janvier au dit
an, anoblit la Pucelle et tout son lignage, en recognoissance
■des grandes grâces que Dieu lui avoit faites par l'entremise
de cette fille, desquelles lettres sera amplement parlé au livre
quatriesme des Eloges.
1. Ce lut avant Norl. Pour les fêles de Noël, on Taïu-ait vue à Jar-
gcau, d'après le Bourgeois de Paris, Journal, p. 21\, édit. A. Tuetey.
DE DOMREMY A COMPIEGNE 157
Le duc de Bourgogne se servit des tresves pour se mieux
préparer à la guerre contre sa Majesté, et induire ses subjects
à rébellion, ainsi qu'il arriva de Richard Bournel, gouver-
neur de Soissons. C'est pourquoy, sur le renouveau, les Fran-
çois eurent bien des affaires en l'Isle de France ; ce qui
donna subject àlaPucelle d'y aller avec sa compagnie durant
le caresme 14129. Et le sieur Dolon, intendant de sa maison
qui l'avoit tousjours assistée, ne l'accompagna point à ce
voyage ^ Pendant ce temps la ville de Sens et de Melun rendit
obéissance au Roy; [ce] qui servit bien ses affaires pour avoir
un passage libre sur la rivière de Seine, afln que ce qu'il
avoit de forces, tant au deçà qu'au delà, s'entrecourussent
plus aisément, comme il arriva depuis.
1. CV'st probablement uno orreur. D'aulon dit lui-iiiôine avoir passé
un an entier, par ordre du roi avec la Pucelie : et il est certain qu'il
lut pris avec elle à la sortie de Conipiègne. Voir sa déposition. Procès,
t. m, p. 218 et t. IV. p. 439, 447.
CHAPITRE XIV
LA SORTIE DE COMPIKGNE. — PRISE DE LA PUCELLE
La Pucelle, environ Pasques, passant par Melun pour aller
à Lagny, estant sur les fosse's de cette ville, eut révélation
qu'auparavant la Saint-Jean prochaine 1430 — car en France
l'année commençoit à Pasques — elle seroit prise et finale-
ment livrée aux Anglois : que tout cela se faisoit pour le
mieux, et le devoit supporter de bon cœur et prendre cou-
rage, que Dieu l'assisteroit. Elle demanda l'heure et le jour
à ses voix qui ne lui respondirent qu'en général, et l'asseu-
rèrent seulement du secours particulier de Nostre-Seigneur
en cette grande adversité. Véritablement si elle eust sceu le
jour de sa prise, elle eust esté en perpétuelle inquiétude.
Confesse avoir lors fait une requeste à Dieu, qu'il lui plust
ne permettre qu'elle fust longtemps travaillée en prison,
ains qu'elle mourust bientost. Mais quoy, Dieu n'exauce pas
toujours nos prières : il sçait mieux que nous mesmes ce qui
nous est nécessaire. Depuis ce temps, il ne se passoit pas de
jour que ses voix ne la consolassent, lui ramentevans cette
prison, ainsi qu'elle a plusieurs fois déposé devant ses juges,
asseurant quelle fust morte sans les consolations ordinaires
qu'elle recevoir.
La ville de Lagny qui tenoit le parti du lloy incommodait
grandement les Parisiens, parce que la garnison enlevoit
tout jusques à leurs portes, et rendoit la ville de Meaux
inutile pour secourir Paris de vivres. A cette occasion, les
Anglois résolurent d'assiéger Lagny et pour cet effet firent
de grands préparatifs. Leduc de Bourgogne y envoya quatre
cens hommes conduits par un de ses capitaines qui estdit du
1. Procès, l. I, p. Mo.
i
i
DE DOMREMY A COMPIEGNE 159
païs d'Arras et se nommoit Franquet d'Arras. Monstrelet dit
que c'estoit un vaillant guerrier, et Meycr en fait un Achille,
asseurant que c'estoit le plus vaillant de tous les Bourgui-
gnons, sans mesme excepter les seigneurs. Or, la Pucelle
s'estant rendue à Lagny oii Ambroise de Loré et Jean Foucaut
commandoient, [ils] chargèrent les Anglois et ce Franquet
d'xVrras de telle sorte qu'ils furent entièrement deffaits, et ce
capitaine Bourguigon fait prisonnier, et depuis exéquuté à
Lagny. Meyer asseure que cette exéquution fut cause que les
Bourguignons conceurent une haine mortelle contre la
Pucelle, lui imputans d'avoir fait mourir ce vaillant capi-
taine, comme pareillement l'evesque de Beauvais l'en accuse.
Partant il est nécessaire d'en représenter au vray l'histoire.
Le maistre de l'hostellerie de l'Ours à Paris estoit bon
François, serviteur du Roy et de la compagnie de la Pucelle.
11 fut blessé et pris prisonnier à cette charge où Franquet
d'Arras et les Anglois avoient esté deffaits. Cette fille desiroit
qu'on fist un eschange de son homme avec le capitaine Bour-
guignon ; à quoy s'accordèrent les gens de guerre. Mais tout
le peuple du païs, sçachant que ce Bourguignon estoit pri-
sonnier, vint à Lagny faire plainte de ses voleries, brigan-
dages et meurtres, criant miséricorde. Et les juges de Lagny
et de Senlis remonstrèrent à la Pucelle que, rachetant un
homme si scélérat du gibet qu'il avoit mérité cent fois, elle
serait cause d'un grand mal. Cependant le maistre de l'hos-
tellerie de l'Ours, des compagnons de la Pucelle, décéda. A
raison de quoy elle respondit aux juges, puisque son homme
estoit mort, qu'ils fissent justice de Franquet d'Arras selon
Dieu et leur conscience.
Pour ce subject, l'evesque de Beauvais interrogea cette
fille si c'estoit péché mortel prendre un homme à rançon et,
après, le faire mourir : sans lui nommer Franquet d'Arras.
Elle repartit sur le champ n'avoir jamais consenti qu'on fist
mourir cet homme, sinon qu'il eust mérité la mort : qu'il
avoit recognu et confessé volontairement aux juges, qui
furent quinze jours entiers à lui faire son procez, avoir
commis plusieurs vols, meurtres et trahisons : qu'on lui
avoit dit qu'elle seroit cause d'un grand mal, retirant
160 E. RIGHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
un homme du gibet'. [Ses juges^ lui demandèrent encore si
elle avoit donné ou fait donner de l'argent à celui qui avoit
pris Franquet d'Arras. — Quoy ? dit-elle : pensez-vous que
je sois une argentière ou trésorière de France pour ainsi
donner de l'argent ? — Car bien souvent elle régentoit ceux
qui lui faisoient des interrogatoires impertinents. Gomme
une autre fois, lui ayant demandé si saint Michel estoit tout
nu, quand elle le vit :
— Pensez-vous que Uieu n'aye de quoy le vestir?
Et s'il avoit des cheveux. : — Pourquoy les lui aurait-on
coupez? répliqua-t-elle.
Pour retourner à Franquet d'Arras, ceux qui escrivent une
histoire, comme a fait Meyer, se doivent souvenir que c'est
toute autre chose exercer cruauté, perfidie et brigandage, et
de faire la guerre, ainsi que l'exemple des Carthaginois et
des Romains nous l'apprend. Ce Bourguignon estoit un homme
fort déterminé et cruel, prenant tout le monde à rançon et
commettant infinis meurtres. Et durant les guerres princi-
palement civiles, il se trouve tousjours de pareils garne-
ments qui se font redouter comme le feu du ciel du pauvre
peuple qui n'en peut mais; tout ainsi qu'en nos guerres,
nous avons veu le baron des Adrets, La Motte-Serrant,
Tremble-Cour, Gaucher et semblables pestes qui se signa-
loient par toute sorte de cruautez.
Le duc de Bourgogne voulant faire cognoistre aux Pari-
siens qui l'avoient eslu pour gouverneur, ce qu'il pouvoit,
faisoit de grands préparatifs pour former un siège et prendre
quelques places. Le comte de Luxembourg, son lieutenant
général, fut mettre le siège devant le chasteau de Choisy,
qui est au diocèse de Beauvais, assez proche de Compiègne
au delà de la rivière d'Oise. Durant lequel siège, le gouver-
neur de Soissons qui avoit juré fidélité au Roy se révolta et
derechef s'engagea au parti du Bourguignon. La Pucelle
ayant eu nouvelle du siège de Choisy, voulut y aller au
secours et se présenta à Soissons pour passer la rivière
1. Procès, 1. I. p. dSS, 264.
DE DOMREMY A COMPIEGNE 161
d'Aisne. Mais le gouverneur qui ne s'estoit encore déclaré et
n'en attendoit que l'opportunité, lui refusa les portes, crai-
gnant qu'elle n'eust eu vent de sa révolte et ne se rendist
maistresse en la ville par le moyen des habitans. Donc, en
mesme temps, le duc de Bourgogne demeura maistre de
Choisy et de Soissons. Ue quoy laPucelle conceutun extrême
desplaisir, vu que de toutes les villes et places qui avoient
recognu sa Majesté depuis son sacre, aucune n'avoit aban-
donné son devoir et la fidélité due à son Prince.
Au partir du siège de Choisy, le duc de Bourgogne voulant
faire ses conquestes de proche, fit marcher son armée à
Gompiègne où se rendirent semblablement les comtes de
Suffort et d'Arondel avec plus de mille Anglois. La Pucelle
courut de Grespy en Valois pour aller au secours de Gom-
piègne, et y entra le vingt quatriesme jour de mai 1430, veille
de l'Ascension de Nostre Seigneur, fort matin. Et après s'estre
reposée, sur les vespres, à cinq heures du soir fit une
furieuse sortie où elle combattit vaillamment et repoussa
l'ennemi par trois diverses fois jusques au lieu où il estoit
campé. Et à cette charge le sieur de Créqui et plusieurs
autres furent griefvement blessez. Mais l'alarme générale
donnée, ayant tous accouru au secours, coupèrent le chemin
à la Pucelle comme elle s'estoit mise sur le derrière et à la
queue de ses gens pour faire la retraite, ainsi qu'elle avoit
accoustumé.
Le chevalier Bayard requéroit trois choses en un capi-
taine, lesquelles ont rendu cette fille recommandable à la
guerre : à sçavoir assaut de lévrier, deffense de sanglier,
retraite de loup. Et comme ce brave seigneur fut tué faisant
sa retraite, au cas pareil la Pucelle fut prise « faisant grand
manière d'entretenir ses gens et de les ramener sans perte » :
propres termes de Monstrelet. Un arbalestrier l'ayant démon-
tée et abattue de son cheval, elle se rendit au bastard de
Wandonne, gentilhomme de Picardie qui se trouva le plus
proche d'elle.
Les actes de son procez portent qu'elle fut prise au delà
du pont de Gompiègne du costé du septentrion, et que le
pont est hors la ville du mesme costé, faisant la séparation
a
162 E. mCHEU. — LA PUCELLE D ORLEANS
du diocèse de Beauvais et de Soissons : tellement que la
partie du pont qui est à l'occident est de l'évesché de Beau-
vais, et l'autre partie qui est à l'orient du costéde Noyon, est
du diocèse de Soissons. Donc la Pucelle ayant esté prise au
delà du pont du costé de Picardie vers l'orient, et ayant eu la
rivière d'Oise et le boulevard de Gonipiègne à l'opposite du
lieu OLi elle fut prise, il est certain qu'elle n'estoit [pas] justi-
ciable de l'evesque de Beauvais, ainsi que tous ceux qui ont
escrit en la revision du procez remarquent, chose qu'ils
sçavoient très bien en ce temps là. Et conséquemment,
l'evesque de Beauvais s'est malignement et faussement arrogé
ce pouvoir pour la faire mourir.
Nos historiens rapportent que Guillaume de Flavy et quel-
ques autres capitaines portant envie à cette héroïque vierge
de ce qu'on lui attribuoit tous les beaux exploits de guerre
qui s'exéquutoient, complotèrent entre eux de la faireprendre.
Et Belleforest adjouste que Flavy, gouverneur de Gompiègne,
en fut depuis recherché en justice, et qu'ayant évadé faute
de preuves suffisantes, néantmoins le jugement de Dieu
tomba sur lui et que sa propre femme qu'il traitoit mal le
fit mourir, et eut abolition de ce forfait, ayant monstre par
bonnes instructions que son mari avoit conspiré la mort de
cette fille et promis au sieur de Luxembourg de [la] lui
livrer : chose qui n'est aucunement probable, vu la déposi-
tion de la Pucelle qui assure avoir esté prise le mesme jour
qu'elle entra dans Gompiègne, et ne dit point qu'on lui aye
fermé la barrière pour l'empescher de faire sa retraite, ainsi
que nos historiens veulent persuader. Car les Anglois et
Bourguignons se saisirent du passage pour empescher la
Pucelle de gagner le pont de Gompiègne.
Richard de Wassebourg narre le fait de la femme de Guil-
laume Flavy tout autrement que Belleforest, et ce qu'il dit
ne me semble aussi véritable. Monstrelet assure qu'un nommé
Poton le Bourguignon, frère du maistre d'hostel de la Pucelle,
fut pris avec elle. Meyer, et mesme aucuns de nos historiens
ont escrit que c'estoit Poton de Santrailles qui fut pris à
cette charge : qui est une grande erreur. Car ce brave cava-
lier, comme pareillement La Hire, estoit Gascon, et assista le
DE DOMREMY A COMPIÈGNK 163
comte de Vendosme et le mareschal de Boussac pour faire
lever le siège de Compiègne, et depuis fut prisonnier de
guerre du comte de Warwic. Belleforest dit que Poton estoit
lors grand escuyer de France.
Cette prise de la Pucelle combla dejoye toute l'armée du
duc de Bourgogne, et la ville de Compiègne d'un extrême
deuil. Les Parisiens en furent incontinent advertis, qui en
firent des feux, dejoye et chantèrent le Te Deum en l'église
Nostre Dame de Paris. Et les prédicateurs tirent bien retentir
cela, publians que c'estoit une sorcière.
Le bastard de Wandonne la mit en main du sieur de Luxem-
bourg, général de l'armée, et le duc de Bourgogne la voulut
voir et parla à elle à Margny. 3Ionstrelet asseure qu'il estoit
présent. De Margny elle fut menée cà un chasteau nommé
Beaulieu d'où elle se pensa sauver. C'est pourquoy elle fut
depuis transportée au chasteau du Crotoy^, qui est semblable
à la Bastille de Paris. Et en ce temps la ville du Crotoy estoit
un port de mer, aujourd'huy ruiné parce que la mer a fait
un autre lit ou canal et a laissé le Crotoy tout à sec. La
Pucelle y fut environ quatre mois, et depuis menée au païs
d'Artois, logée au chasteau de Beaurevoir appartenant au
sieur de Luxembourg. Car les Bourguignons voyans les
affaires du Roy prospérer, ne se tenoient point assurez de
la Pucelle tant qu'elle seroit aux terres de France, bien que
le duc de Bourgogne se fust emparé de tout ce qui apparte-
noit au lloy au deçà et au delà de la rivière de Somme, mesme
de Thérouane.
Après cette prise, le duc de Bourgogne pressa fort Compiè-
gne et s'asseuroit bien de l'emporter par famine, ayant fait
bastir tout à l'entour des forts et bastilles pour empescher
qu'il ne fust secouru de vivres ni d'hommes. Le siège conti-
nua jusques à environ la Saint-Martin d'hiver, que le comte
de Vendosme, lieutenant général pour le Roy, assembla
1. Méprise de l'auteur. C'est au château de Beaurevoir que Jean de
de Luxembourg lit transporter sa prisonnière. Jeanne ne vint au
Crotoy qu'après avoir été vendue aux Anglais.
164 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
toutes les forces du païs, sçavoir le mareschal de Boussac,
gouverneur de Senlis, Poton de Chasteau-Thierry, Ambroise
de Loré de Lagny, Jacques de Ghabanes de Greil et plusieurs
autres qui donnèrent la chasse aux Anglois et Bourguignons
auxquels les espérons servirent plus que leurs armes. Et
perdirent tout leur attirail, outre une bonne partie de leur
armée qui demeura sur la place. Et par ce moyen Compiègne
fut en liberté.
Pendant que la Pucelle estoit prisonnière au chasteau de
Beaurevoir, les Bourguignons lui faisoient souvent entendre
que Compiègne estoit réduit à l'extrémité et demandoit com-
position qu'on lui avoit refusée. Que, pour servir d'exemple
aux autres villes qui s'estoient révoltées, on y mettroit tout
à feu et à sang, jusques mesme aux petits enfants du ber-
ceau, et qu'elle seroit livrée aux Anglois. Ce qui esmeut
et excita cette fille à telle compassion à l'endroit de ces pau-
vres habitans qui se monstroient fidèles à leur Prince, qu'elle
résolut de sauter du haut d'une tour où elle estoit prison-
nière pour les aller secourir ^ Et s'estant fort blessée, ses
voix qui luy avoient toujours déconseillé de sauter, la conso-
lèrent, [la] firent confesser, et en outre l'assurèrent que
Compiègne seroit secouru et délivré, ainsi qu'il arriva.
Or, attendu que la Pucelle fut prise par les Bourguignons,
Jacques Meyer, après Christianus Masseus, — qui estoit
aussi Bourguignon, natif de Cambray, — a escrit que les
armes de cette fille n'avoient pareil effet à l'endroit des
Bourguignons que contre les Anglois. Belle raison, certes :
comme si l'on devoit juger de cela par cette prise. Car les
Anglois qui l'ont fait mourir pourroient à plus forte raison
s'en prévaloir. Qui ne considère que l'effet des armes de
cette vierge se doit mesurer par les victoires qu'elle a
obtenues contre les uns et les autres, et par tant de bonnes
villes qu'elle a mises en l'obéissance de Sa Majesté, desquelles
le duc de Bourgogne s'estoit saisi; comme Troyes, Chalons,
llheims, Laon, Soissons, Chasteau-Thierry, Beauvais, Com-
1. Ce prétendu « saut » ne lut qu'une tentative d'évasion au moyen
de linges attachés à une fenêtre. Ces linges se rompirent et la Pucelle
loiiiba au |)icd du donjon.
DK DOMREMY A C0MP1È(;NE 165
piègnc, Provins, etc. La vérité est que les Bourguignons
estant nés François et subjects du Roy, la Pucelle n'estoit
pas venue pour les exterminer du royaume comme les
Anglois, mais seulement pour les ranger à leur devoir et à
recognoistre Sa Majesté, ainsi qu'ils ont esté finalement con-
trains d'obéir par la prospérité des armes du Roy, selon que
la Pucelle avait prédit.
Durant tout le temps qu'elle fut prisonnière, elle deman-
doit quatre choses à Nostre Seigneur : premièrement, qu'elle
fut bientost expédiée ; secondement, qu'il lui plust ayder
aux François et conserver les villes et places de leur obéis-
sance ; en troisiesme lieu et sur toutes choses, de faire le
salut de son âme ; et que, si elle estoit menée à Paris, elle
pust avoir copie des interrogatoires qu'on lui avoit faits
à Rouen et de tout ce qu'elle y avoit respondu, afin de pou-
voir donner cette copie à ceux qui la voudroient derechef
examiner, et qu'elle ne fust travaillée par tant de captieux
et malins interrogatoires.
Tout le temps qu'elle a esté en France se termine à deux
ans : le premier desquels comprend ses expéditions mili-
taires. Elle partit de Vaucouleur pour venir au service de
Sa Majesté au mois de febvrier 1428 (vieux style, pour 1429),
et le premier de ses exploits fut la levée du siège d'Orléans,
le huitiesme mai, dimanche d'après l'Ascension, l'an 1429.
Et conséquemment mena le Roy à Rheims au mois de juil-
let. Et repartit en Berry avec Sa Majesté. Et devers Pasques
suivant, I4o0, s'achemina en l'Isle de France, et fut prise à
Gompiègne le vingt-quatriesme mai, veille de l'Ascension :
de manière que son premier et dernier exploit de guerre fut
la sepniaine de l'Ascension, dans le mois de mai, en une
année révolue. Et ayant esté un an entier en prison, les
Anglois la firent mourir au bout de l'an, la veille de la feste
Dieu, le trentiesme mai mil quatre cens trente et un.
NOTE EXPLICATIVE
JEANNE DARC A-T-ELLE ÉTÉ PRISE, COMME L'ASSURE E. RICHER,
DANS LE DIOCÈSE DE SOISSONS
La Pucelle se trouvait sur la rive droite de l'Oise, près du bou-
levard de Compiègne et de son fossé, lorsqu'elle fut entourée par
un gros d'ennemis et faite prisonnière. L'évéque de Beauvais pré-
tendit que ce territoire appartenait à son diocèse et réclama la
Pucelle pour la juger. Le roi d'Angleterre, qui ne voulait pas d'au-
tre juge que ce prélat, lui fit livrer la prisonnière.
Pierre Cauchon produisit-il la preuve que la rive droite de l'Oise
en face Compiègne était tout entière partie de son diocèse? On
peut répondre négativement.
Une enquête a-t-elle été ordonnée à cet effet ? Elle ne paraît avoir
jamais été faite, pas plus par les amis que par les ennemis de
l'Angleterre. Ce qui est certain c'est que si l'Université de Paris et
les dirigeants du parti anglais crurent l'évéque de Beauvais sur
parole, un des canonistes de la revision, Paul Pontanus, révoqua
sa parole en doute et, dans la première des dix-neuf questions
qu'il soumit aux juristes, il se demanda si, en vérité, la Pucelle
fut prise sur le territoire du diocèse de Beauvais ; d'autant que, à
cette époque, Compiègne était du diocèse de Soissons.
Edmond Richer est le premier historien qui ait protesté contre la
prétention de l'évéque Pierre Cauchon et qui l'a déclarée contraire
à la vérité. Si le docteur de Sorbonne n'a pas été dupe d'une
méprise ou d'une illusion, l'irrégularité du procès de Rouen éclate-
rait en pleine évidence, et les arguments que développent les cano-
nistes seraient relégués au second plan.
Mais quel est le moyen qui permettra de vérifier l'exactitude des
assertions d'Edmond Richer?
Une carte authentique du temps, ou du moins d'avant le Concor-
dat, délimitant exactement le diocèse de Beauvais et celui de
DE DOMREMY A COMPIKGXE 167
Soissons, auquel alors appartenait Compiègnc, serait décisive.
Mais cette carte et tout document équivalent, on a eu beau les
chercher, on ne les a point trouvés.
Il est question, au moment où nous écrivons, d'un manuscrit de
la fin du XYi*^ siècle qui, à loccasion du transport des restes mortels
de Henri III ;Y Compiègne, mentionne une croix, placée au milieu
du pont de cette ville, laquelle croix marquait la limite des deux
diocèses. Quelle est la portée de cette information ?
Si elle est sérieuse, nous serions en présence de deux documents
du même temps, les auteurs vivant l'un et l'autre à la fin du
xv!*^ siècle. Resterait alors à examiner si les deux documents sont
inconciliables.
Autant qu'il nous est permis d'en juger, ils ne le seraient pas.
L'annaliste de Compiègne aurait raison, et l'historien delà Pucelle
n'aurait pas tort : celui-ci compléterait celui-là. Mais, en ce cas,
c'est Pierre Cauchon qui serait pris décidément en flagrant délit
de mensonge.
Nous dirions donc :
L'annaliste de la fin du xvi" siècle ne se tromperait pas en disant
que la croix du pont de Compiègne séparait les deux diocèses
d'une certaine manière. Mais l'historien de la Pucelle ne se trom-
perait pas non plus en ajoutant que, si la partie de la rive droite de
l'Oise au sud de la croix du pont, était du diocèse de Beauvais, la
partie de cette même rive droite, au nord de la croix et du pont,
dans la direction de Noyon, appartenait au diocèse de Soissons,
comme elle appartient aujourd'hui à l'une des paroisses de Com-
piègne. Or. c'est en cette partie de la rive droite, tout près et au
nord du pont de Compiègne, c'est-à-dire sur le territoire du diocèse,
de Soissons, que fut livré le combat dans lequel l'héroïne perdit sa
liberté.
Nous soumettons cet essai de conciliation aux réflexions des
hommes compétents.
Pu. -H. D.
DISSERTATION THEOLOGIQUE
SUR LES
APPARITIONS, RÉVÉLATIONS ET MISSION
DE LA PUGELLE
Observations sur ce document.
Le procès de béatification de Jeanne d'Arc a étonné beaucoup
d'esprits, sérieux d'ailleurs et impai'tiaux.
Cet étonnement n'a point cessé; il a plutôt grandi lorsque, en
1904. le Souverain Pontife a proclamé solennellement « l'héroïcité
des vertus » de la servante de Dieu, c'est-à-dire cet « héroïsme
intégral » que maints historiens, d'une école plus anglaise que
française, s'obstinent à mutiler, sinon à nier. En vérité, sem-
blent-ils dire, c'est de la génération spontanée que cette sainteté
prétendue de la libératrice dOrléans. Quatre siècles et plus se
sont écoulés avant qu'on s'en soit aperçu. Comment, après un laps
de temps aussi considérable, démêler la légende de l'histoire ?
Penser ou s'exprimer de la sorte, c'est se méprendre grandement.
La sainteté de la Pucelle est un fait aussi certain, aussi aisé à
constater historiquement, que cel-ui de sa vaillance et dé son
patriotisme. Avec un peu de bonne volonté, les chercheurs n'au-
ront pas de peine à saisir la trace que la question de la sainteté
de Jeanne a laissée à travers Ihistoire. Elle se pose à Rouen, le
jour même de son supplice. Elle s'examine et se tranche en pi-in-
cipe en 1456. le jour où les juges délégués par le Saint-Siège cassent
la sentence du tribunal de Rouen et réhabilitent la condamnée. Elle
préoccupe l'opinion avec des fortunes dilférentes jusqu'à l'heure
où, le fruit étant mûr, l'Église n'a qu'à tendre la main pour le
cueillir.
Un document inédit (jui atteste cette préoccupation de l'opinion
DE DOMREUV A COMPIÈGNE 169
au cours des siècles, c'est la dissertation qu'Edmond Richer a
placée à la fin du premier livre de son histoire de la Pacelle pour
servir de conclusion au récit qu'il vient de présenter.
D'après l'auteur, la mission, les apparitions, les révélations de
Jeanne étaient de Dieu. Conclure de la sorte, c'était concevoir,
dès 1628, l'espérance que, un jour ou l'autre, l'Église, qui a pro-
clamé en 1456 l'innocence de la martyre de Rouen, proclamerait
de même son héroïsme de chrétienne et sa sainteté.
Voici le texte même du vieux docteur de Sorbonne sur la mission
divine et les apparitions célestes de la libératrice d'Orléans. Ce docu-
ment est un document inédit, mais non un document inconnu.
Inédit, parce qu'il n'a, jusqu'à présent, jamais été publié, ni
même analjsé et discuté.
Mais non incùimu. parce que dans le premier livre de l'histoire de
laPucelle, ce document s'est offert aux yeux de tous les historiens
et érudits qui ont consulté le manuscrit 10448 de la Bibliothèque
nationale.
J. Quicherat et L'Averdy parlent en plusieurs passages de l'his-
toire de Richer; mais ils ne mentionnent nulle part sa Dissertation
sur les révélations de V héroïne \
Dans Jeanne d'Arc libératrice de la France (in-8, Paris, Delà-
grave, sans date), M. Joseph Fabre exprime une opinion avanta-
geuse de l'histoire d'E. Richer. Elle est, remarque-t-il, « très
consciencieuse », et il en donne deux extraits.
Néanmoins, M. Fabre ajoute : « Il s'en faut que toutes les pages
du manuscrit d'E. Richer soient dignes de celles-là. u Prenant
alors, sans avertir le lecteur, la Dissertation en question, il en
détache quelques lignes relatives aux apparitions démoniaques.
Ces lignes le font sourire. Ce sont, dit-il. « des puérilités » dont
le pédantisme théologique est seul responsable -.
Passons ce sourire à un critique du xix'^' siècle. Tout à
l'heure, on verra que la Dissertation du docteur de Sorbonne
contient autre chose que des puérilités. Quoique le Rév. P.
Ayroles ne l'ait ni analysée, ni reproduite dans son grand
ouvrage, La Vraie Jeanne d'Arc : la Pacelle devant l'Eglise de son
temps-, il la mentionne honorablement et la loue comme elle le
mérite. « Richer, dit-il. était théologien. Il a étudié les mémoires
1. L'Averdy, Notices sur les deux procès, et Des manuscrits sur l'iiis-
toire de Jeanne d'Arc, p. 18.'i-198. — J. Quicherat. Procès, t. V, p. 389,
469, 395, etc.
2. Op. cit., p. 2i7, 248.
no E. RICHER. LA PUCELLE D ORLÉANS
du procès de réhabilitation, et il en a donné la substance dans
une courte dissertation où il établit la divinité des révôlations de
Jeanne. » Sur le manuscrit même, on voit écrit à la marge :
à omettre. « Ce serait, remarque le révérend Père, retrancher du
manuscrit les meilleures pages'. »
Gardons-nous donc de les retrancher, et même de les passer sous
silence. Le moment est venu d'en faire connaître les pi-incipales
et de les publier. Nous les donnons en français un peu rajeuni et
en resserrant la marche du discours, sans toutefois en altérer la
substance.
DE LA MISSION, DES APPARITIONS, DES REVELATIONS
DE LA PUCELLE
L'auteur fait d'abord observer « que tout le motif des
juges qui ont condamné la Pucelle ne provenant d'ailleurs
que des révélations qu'elle disoit avoir du ciel pour le salut
et repos de la France », il y a lieu et il se propose de « faire
un traité de sa mission suivant les règles de théologie et
droit canon par ordre et méthode très facile ».
Mais, avant d'entrer en matière, il estime devoir rappeler
un principe qui domine, en quelque sorte, tout ce sujet, à
savoir que, même depuis la prédication de l'Evangile et
l'établissement de l'Eglise, Dieu, quand il le juge bon, confie
à des âmes de son choix des missions spéciales ; « il leur dis-
pense et départ des privilèges, et, bien que faibles par
nature, il les rend puissantes et relevées en grâces, les
envoyant extraordinairement pour opérer des merveilles aux
yeux du monde et confondre les puissances de la terre ».
Tels furent, sous l'Ancien Testament, Moïse, Debora, David,
Judith, Esther. Tels ont été, depuis le Nouveau, a un grand
nombre de saints que l'Eglise révère comme les organes du
Saint-Esprit, et comme ayant opéré des miracles en son
nom ».
On se demandera naturellement, poursuit l'auteur, quels
moyens permettront de distinguer les personnages vraiment
1. Op. cil., p. 113. In-8°. Paris, 1890.
DE DOMKEMY A COMI'IKGNE 171
envoyés d'en haut, de ceux dont la mission n'est que fausse
et imaginaire.
Dans notre condition présente, répond-il, un seul moyen
nous le permettra. Il consistera à examiner attentivement
« les effets et circonstances de ces missions extraordinaires,
la vie, les mœurs et actions des personnes qui se disent
envoyées de Dieu, et à soumettre le tout au jugement de
l'Eglise ».
En ce qui regarde spécialement la Pucelle, comment cons-
tater avec certitude de façon directe, si vraiment elle a eu
des révélations; si c'est saint Michel, saint Gabriel, saintes
Catherine et Marguerite qui lui ont donné conseil ? Il y a là
un ordre de faits transcendants, inaccessibles à l'intelligence
de l'homme, « connu de Dieu seul et de cette fille à laquelle
il a plu à Dieu se manifester ».
Mais nous enquérir si dans la vie, les actes, les mœurs, les
habitudes, les sentiments, les propos de l'héroïne, il ne se
rencontre rien qui la rende indigne ou peu digne de ces
faveurs célestes et de cette mission divine, c'est une précau-
tion que nous ne devons pas négliger, un examen auquel il
convient de procéder diligemment.
L'auteur entreprend aussitôt cet examen en ces termes :
LA PIETE DE JEANNE D ARC JEUNE FILLE
ET SES RÉVÉLATIONS
Quelle est, en premier lieu, la jeune fille qui assure avoir
eu telles révélations?
C'est une fille vierge, âgée de treize ans, saine de corps et
d'esprit, forte, robuste, bien sensée, très catholique, laquelle
maintient que dès l'âge de treize ans ces voix se sont mani-
festées à elle. « Estoit en outre fort humble, grandement
adonnée à la piété et à la vertu, ne faisoit aucun discours
extravagant, fréquentoit les sacremens.
« Or, vu la pauvreté, condition, ignorance et rudesse de
tout son lignage, il est impossible qu'on ait pu l'instruire
172 E. RIGHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
pour feindre telles choses, attendu Testât auquel les affaires
du Roy de France estoient lors réduites, tout lui estant con-
traire et très favorable aux Anglais et aux Bourguignons. Et
à parler humainement, ces pauvres gens, voire Baudricour,
capitaine de Vaucouleur, avoient lors beaucoup plus à crain-
dre ou espérer des Anglais et Bourguignons proches d'eux,
que de Charles VII qui estoit comme relégué au delà de la
rivière de Loire, et ne pensoit qu'à se réfugier en Dauphiné
ou en Espagne, au cas que la ville d'Orléans se perdist. Le
duc de Bourgogne tenoit la ville de Langres et de Troyes, et
toutes les places de la marche de Champagne.
« Il y a plus. Posé que Baudricour ou quelqu'un du pais
eust esté disposé pour feindre telles choses, cette fille natu-
rellement estoit incapable de recevoir ces impressions en
son esprit, vu les grandes et ardues difficultez qui les accom-
pagnoient, estant impossible aux hommes de les surmonter
sans grâce et assistance particulière du ciel. Voire même
que le conseil divin de cette fille lui ayant plusieurs fois
révélé qu'il falloit qu'elle allast au secours du Roy de France,
elle s'en estoit maintes fois esloignée et excusée, tant sur
son sexe, condition et incapacité de faire la guerre, que sur
ce que c'estoit chose prodigieuse voir une fille de son âge
parmi les gens d'armes ; et de tout cela font foy les actes du
procez. »
II
GOMMENT SE PRÉSENTENT LES RÉVÉLATIONS
DEL A PUCELLE
« Secondement faut considérer les révélations et visions
que la Pucelle dit lui estre apparues et avoir donné conseil
dès l'âge de treize ans pour l'induire à entreprendre ce qu'elle
a fait. Car examinant le tout par les règles que les docteurs
requièrent en la discrétion des anges de lumière d avec les
esprits malins, on peut conclure sans doute qu'elle a eu ces
révélations de la part de Dieu.
1. « En premier lieu, saint Michel, saint Gabriel, saintes
Catherine et Marguerite, qu'elle maintient lui estre apparus.
DE DOMREMY A COMPIEGNE 173
sont connus et honorez en l'Eglise catholique, apostolique et
romaine. Conséquemment, elle ne dit rien en cela contraire
aux traditions et aux usages de l'Eglise.
2. « La Pucelle a déposé devant ses juges que saint Michel
lui apparut le premier de tous en forme d'un bon pru-
d'homme et lui enjoignit d'estre bonne fille, de se bien et
saintement gouverner, de croire saintes Catherine et Margue-
rite de tout ce qu'elles lui conseilleroient, tant pour son
gouvernement particulier que pour secourir le Roy de
France en ses adversitez.
« Assure pareillement que ses saintes lui recomman-
doient d'aller souvent à l'Eglise, de fréquenter les sacrements,
de conserver sa virginité qu'elle voua lors à Dieu par leur
advertissement : et l'a tousjours gardée, mesme conversant
parmi les gens de guerre, et estant prisonnière entre les
mains des Anglois qui ont tasché mainte fois de la violer.
Et tout cela tient du miracle, et ne peut estre sans spéciale
assistance du ciel : estant certain que les malins esprits se
gardent bien de donner semblables conseils et secours pour
y persévérer ; et la persévérance au bien est un certain
argument de prédestination.
3. « En troisième lieu, onques ne demanda à ses voix que
le salut de son âme, et réciproquement ne lui ont rien pro-
mis autre chose pour tout ce qu'elle a si laborieusement
souffert et exploité.
4. « N'a jamais eu ces révélations qu'elle n'aye vu une
grande et constante clarté, et senti une très bonne odeur :
présomption que c'estoient des Anges de lumière.
5. « Elle se trouvoit estonnée de premier abord, aperce-
vant cette grande lumière ; mais, incontinent après, telle-
ment consolée qu'elle désiroit estre tousjours avec ce divin
conseil, ou bien qu'il l'emmenast quant et soy [avec lui].
6. « Quelquefois, à leur arrivée, faisoit le signe de la croix
sans que pour cela ces visions disparussent ni se retiras-
sent.
7. « Leurs voix et paroles estoient douces, humbles,
agréables, attrayantes et fort intelligibles. Au contraire,
celles des malins esprits sont rudes, horribles, effroyables.
174 E. HICHER. — l,A PUCELLE D ORLEANS
8. « Ne les a jamais trouvez variez ni en diversité de
paroles, comme sont les esprits malins qui ne parlent que
par équivoque, énigmes, amphibologies, hyberboles et illu-
sions, pour tromper, décevoir, et perdre ceux qui leur pres-
tent l'oreille.
9. « N'est-ce pas une grande merveille de prédire les
choses futures, contingentes, cognues à Dieu seulement,
ainsi que notre Pucelle a fait? Car, au temps que les affaires
du Roy étoient humainement désespérées et que tout rioit
aux Anglois, elle prédit la levée du siège d'Orléans, la def-
faite des Anglois à Patay et le couronnement de Sa Majesté à
Rheims, que Paris se rendroit à son obéissance dans sept
ans révolus, que peu après, les Anglois seroient entièrement
exterminez de la France, et que le duc de Bourgogne seroit
contraint de se ranger à son devoir : outre plusieurs autres
choses merveilleuses, lesquelles nous passons sous silence ;
comme d'avoir cognu le Roy et Baudricour qu'elle n'avoit
jamais vus auparavant, d'avoir dit au Roy ses plus secrètes
pensées et gémissements, et au duc d'Alençon qu'il se reti-
rast de la bouche d'une artillerie qu'on alloit tirer, qui
emporta le sieur de Lude.
10. « Prédisant ainsi les choses futures contingentes, les
énonçoit d'un esprit posé, tranquille et bien rassis, estant à
soy et non point agitée de fureur, comme les Ménades, Bac-
chantes, Sibylles et autres personnes possédées des esprits
malins.
11. « Quel grand miracle est-ce qu'après avoir esté dili-
gemment examinée à Chinon et à Poitiers, le Roy, tous les
princes de son sang, seigneurs, noblesse, et tant de capi-
taines et vaillants soldats François se soient volontairement
soumis à sa conduite et ayent combattu sous son drapeau,
encore qu'elle n'eust jamais vu armes ni armées? Gela ne
surpasse-t-il pas tout pouvoir et croyance humaine, princi-
palement entre les François qui combattoient contre les
Anglois pour la loy salique?
12. « Faut considérer le dernier période de sa vie, qu'elle
est morte saintement, faisant ses prières à nostre Sauveur
Jésus-Christ, ayant toujours le nom de Jésus en la bouche,
DE DOMREMY A COMPIÈGNE 175
invoquant laVierge et tous les saints, de sorte qu'elle esmou-
voit tout le monde à compassion et à pleurer; mesme l'éves-
que de Beauvais, qui l'avoit condamnée, et plusieurs Anglois
ne purent retenir leurs larmes.
« Bref, il n'y a ni qualité ni condition aucune qu'on puisse
désirer aux Anges de lumière, qui ne se rencontre aux esprits
qui ont assisté et conseillé cette fille. »
DES APPARITIONS DE SAINTE CATHERINE
ET DE SAINTE MARGUERITE
« Touchant les voix de saintes Catherine et Marguerite,
desquelles cette fille estoit assistée et conseillée, vu que le
Saint-Esprit qui gouverne l'Eglise, adjuvat infu^mitates nos-
tras, et postulat pro nobis, gemitibus inenarrabilibus S c'est-
à-dire qu'il prévient notre infirmité pour nous secourir en
toutes nos nécessitez, comme fait une nourrice son enfant
et une poule ses poussins, naïfves comparaisons de l'Escri-
ture ; n'est-il pas croyable que la Pucelle ayant recognu que
les filles et femmes avoient grande dévotion à ces vierges,
elle s'y soit adonnée à leur imitation, ainsi mesme qu'elle a
confessé et recognu devant ses juges ; et que pour ce subject
et y avoir plus contribué de zèle et ferveur que toutes les
autres personnes de son siècle. Dieu a voulu recognoistre et
confirmer sa dévotion, lui envoyant deux Anges revestus de
la forme et figure des vierges qu'elle honoroit, pour la con-
duire et gouverner en toutes sortes d'affaires ? Chose qui
semble beaucoup plus probable et conforme à l'Ecriture
sainte, que de dire ou penser aucuns saints apparoir ordi-
nairement aux personnes.
« La raison en est évidente, pour ce que les Anges sont es-
prits créez de Dieu pour estre envoyez aux hommes et exploi-
ter quelque ministère, et, à cette fin, prennent telle forme ou
figure qu'il plaist à Dieu : lequel par sa bonté infinie s'accom-
1. Romains, vu.
176 E. RIGHER. LA PUCELLE D ORLÉANS
mode à notre bassesse et incapacité. (Lisez Saint Thomas en
la première partie de sa Somme, question quatre-vingt-
neuf, article huitiesme, response au second argument.) Rai-
sons qui me font croire que toutes les bonnes ou mauvaises
apparitions dont il est mémoire dans la Bible, ou aux his-
toires des saints et escrits des Pères, doivent plus tost estre
attribuez aux bons ou mauvais Anges qui servent Dieu à cet
effet, qu'aux âmes des défunts. Non toutefois que. par la
volonté et ordonnance de Dieu, il ne puisse quelquefois arri-
ver que les âmes des défunts apparoissent en leurs propres
personnes.
« Et, ces choses bien digérées, il sera aisé de développer
toutes les malignes cavillations de lévesque deBeauvais, qui
blasmoit nostre Pucelle avoir assuré que les Anges et ses
vierges s'estoient manifestées à elle, et qu'elle leur avoit
rendu pareil honneur que l'Église aux saints bienheureux du
paradis : semblablement aussi ce qu'aucuns pourroient pré-
tendre que les légendes de saintes Catherine et Marguerite
sont apocryphes. »
IV
MAUVAISES RAISONS ALLÉGUÉES PAR LES JUGES DE LA PUCELLE
POUR NIER LA VÉRITÉ DE SES RÉVÉLATIONS
« Mais puisque saint Paul, si éminent et relevé en grâces
et faveurs du ciel, parlant de ses propres révélations (// Cor.,
chap. xii), dit cognoistre un homme croyant en Jésus-Christ,
lequel a esté ravi jusques au troisiesme ciel, et ne sçavoir
point si ce ravissement a esté fait par extase et abstraction
réelle de l'esprit hors du corps, ou bien s'il a esté transporté
au ciel en corps et en àme ; quelle témérité, voire impiété,
aux juges de la Pucelle, en chose si obscure, incognue et
incertaine aux hommes que sont les révélations, d'avoir
prononcé une si cruelle sentence de mort, par laquelle elle
fut abandonnée à la possession de ses ennemis mortels pour
estre bruslée toute vive? Considéré mesme qu'en tous les
actes de leur prétendu procez, il ne se trouve aucune preuve.
DE DOMREMY A COMPIEGNE 177
non pas mesme présomption valable, du moindre crime
qu'ils ont calomnieusement imputé à cette fille.
« Davantage : si saint Paul a flotté en des incertitudes
pour ne sçavoir comment ni en quelle façon il a eu ses révé-
lations, bien qu'il les recognust véritables, doit-on trouver
estrange qu'une bergère aye hésité aux maintes questions
malignes et captieuses que l'évesque de Beauvais lui a faites
sur ses apparitions : pour exemple, si outre les faces et figu-
res des Anges qui lui apparoissoient, elle avait vu leur
corps. Car cette fille n'ayant parlé que des faces et figures, ils
la tirent et transportent malignement à divers interroga-
toires touchant les corps des Anges, si Dieu les avoit créez
ainsi dès le commencement, si saint Michel avait des balan-
ces et des ailes, comment les Anges pouvaient parler, n'ayant
point de corps, et tout cela pour la faire tomber en quelque ab-
surdité : et néantmoins s'est pertinementdesveloppée de leurs
pièges.
« Quant aux signes certains de sa mission sur lesquels
ils la pressèrent tant, certes ils n'estoient pas plus capables
de les recognoistre que les scribes et Pharisiens de reco-
gnoistre ceux que Nostre Seigneur et les apostres faisoient,
lesquels ils ont calomniez comme provenant de Béelzébub.
Aussi Jésus-Christ leur répond (en saint Mathieu, xii), qu'ils
n'auront point d'autre signe que celui du prophète Jonas,
lequel alla prescher aux Ninivites leur damnation, au cas
qu'ils ne fissent aucune pénitence : qui est le signe véritable
et certain que cette fille a donné aux Anglois, ayant prédit
leur expulsion du royaume de France, pour n'avoir voulu
adjouster foy à ce qu'elle leur énonçoit de la part du Roy du
ciel. Et même respondant au quarantiesme article de la pro-
duction de l'évesque de Beauvais, assure qu'attendu les
signes qu'ils demahdoient, elle s'estoit maintes fois mise en
prière à ce qu'il plust à Dieu révéler à quelqu'un du parti
anglois la vérité de sa mission ; mais si ceux qui demandent
des signes n'en sont pas dignes, que ce n'estoit point sa faute :
[ce] qui est sa propre réponse.
« Au demeurant, la levée du siège d'Orléans, la deffaite des
Anglois à Jargeau et Patay, le sacre et couronnement du
12
178 E. RICHER. LA PUCEl.LE D ORLEANS
Roy, une douzaine de bonnes et fortes villes réduites en l'o-
béissance de Sa Majesté presque sans coup férir, et tout cela
joinct à la bonne vie de cette fille et circonstances ci-dessus
alléguées, ne devoient-ils estre tenus par les Anglois pour si-
gnes certains que cette fille avoit mission du ciel : sinon i^à
moins] que Dieu les eust frappez d'aveuglement pour acqué-
rir la paix de la France par leur entière extermination, à
laquelle eux-mesmes ont donné juste titre pour n'avoir obéi
à ce que Dieu leur annonçoit par une simple bergère. Car il
choisit les choses les plus basses et infirmes du monde pour
bouleverser et confondre les plus fortes et éminentes, dit
saint Paul.
DE LA MISSION DE LA PUCELLE CONSIDEREE
DANS SES EFFETS
« Après avoir montré quels sont les esprits et révélations
de la Pucelle, considéré leurs qualitez et propres opérations
en elles mesmes, et qu'il ne se trouve aucune qualité aux es-
prits de lumière de laquelle les siens ne soyent fortement
assistés et munis, il nous reste à faire voir, outre ce que
nous avons desjà remarqué, ce que ces esprits ont opéré en
cette fille et par son entremise, tant pour son esgard qu'à
raison du public, et juger de la vérité de sa mission par
l'évidence des effets, ainsi qu'a dit Nostre Seigneur,
« qu'on cognoist l'arbre au fruit et les hommes aux
« œuvres » ; et, en saint Jean, v, que « ses œuvres rendoient
« asseuré témoignage quel il estoit et par qui envoyé ».
« Faisant donc une revue de toute la vie de cette fille, con-
sidérons que ne sçachant A ni B, et ayant tellement quelle-
ment appris sa créance de sa mère qui ne sçavoit aussi ni
lire ni écrire, [ayant] toujours vescu grossièrement aux
champs parmi les villageois et les troupeaux de bestes qu'elle
gardoit ; que dès l'âge de treize ans des voix lui apparurent
premièrement, et depuis comme elle se priva de toutes sor-
tes de plaisirs et récréations auxquelles les jeunes filles de
son âge ont accoutumé de s'adonner, pour vaquer aux œuvres
DE DOMREMV A COMPIEGNE 179
de piété et choses sérieuses ; et, nonobstant cette manière de
vie grossière et champestre et la condition de sa naissance,
qu'elle est grandement prudente et intelligente aux choses
divines et humaines.
« Voyons combien sa vie est esloignée de toute fantaisie et
dissimulation; voyons sa grande simplicité et humilité, son
grand zèle et ferveur à la foy et religion ca'tholique, sa
piété au service de Dieu et de l'Eglise qu'elle proteste vou-
loir servir de tout son pouvoir, et que, si elle avoit quelque
sentiment ou croyance que les gens d'Eglise luy asseurassent
répugner aux articles de la foy, elle aymeroit plus tost mou-
rir mille morts que d'y adhérer; (voyons encore) sa résigna-
tion à la volonté de Dieu, son obéissance à exécuter ses
commandements, quoy que moins séants à la nature de son
sexe et de sa condition ; prenons garde à la magnanimité de
son courage, aux admirables responses qu'elle fait sur les
questions captieuses de théologie qu'on lui propose pour la
décevoir, et que sesjuges, qui estoient ses ennemis mortels,
lui ayant demandé si elle ne se vouloit pas soumettre à
l'Eglise, par ce mot Eglise ne pouvant entendre ni com-
prendre autre chose sinon les ecclésiastiques du parti an-
glois qu'elle voyait rassemblez pour la condamner, refusa
plusieurs fois de se soumettre à TEglise au sens qu'elle en-
tendoit, demandant qu'on appelast aussi bien des ecclésiasti-
ques du parti de son Roy que de celui d'Angleterre. Et fina-
lement un certain docteur en théologie lui ayant expliqué
ce terme ambigu, et remonstré que lEglise militante uni-
verselle comprenait le pape, les cardinaux, archevesques,
evesques. prestres, etc., elle se soumit librement et voIoq-
tairement au Pape, demanda plusieurs fois, et persista jus-
ques à la fin, d'estre renvoyé à lui ; de toutes lesquelles cho-
ses ses ennemis ont tenu registre dans leur prétendu pro-
cez.
« Ne faut point aussi omettre sa grande constance et pa-
tience auxadversitez qu'elle a souffertes, soit sa prison la plus
rigoureuse et inhumaine qu'on pourrait imaginer, soit le
supplice de la mort cruelle qu'on lui fit iniquement soufirir :
Dieu l'ayant ainsi permis pour confondre l'iniquité, rendre
180 E. niCHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
assuré témoignage à la postérité de ses vertus héroïques, et
empescher que le peuple ne l'idolastrast, ou qu'elle mesme,
emportée de l'esprit de vaine gloire et de tant de prospéritez,
ne s'oubliast à l'exemple de Salomon.
VI
LA MISSION DE LA PUCELLE ET LE RELEVEMENT
DU ROYAUME
« Quant au général des actions de la Pucelle, concernant
le royaume de France, n'est-il pas vraisemblable que la
Providence divine aye voulu se servir de cette fille pour réu-
nir et conserver cette monarchie comme ayant tousjours
esté le bras droit de l'Eglise, le refuge du Saint-Siège aposto-
lique et de tous les princes affligez ou opprimez, et servi de
balance et contrepoids à tous les autres estats qui ont voulu
entreprendre tyranniquement sur leurs voisins? Et n'y eut
onques princes ni peuples qui ayentsi libéralement espandu
leur sang pour la religion que les François : tesmoins les
guerres qu'ils ont entreprises pour le recouvrement de la
terre sainte et en chasser les Sarrasins et infidèles.
« Mais ce qui rend ici le bénéfice et la grâce de Dieu plus
admirable, est que Charles VII de sa nature estoit foible et
peu agissant, et pour cette raison la Pucelle respondit à ses
juges « qu'il avoitplu à Dieu exécuter telles merveilles par
« une simple fille, » rapportant à Dieu tout ce qu'elle avoit
accompli, l'ayant envoyée pour moyenner la paix entre le
Roy de France, celui d'Angleterre et le duc de Bourgogne. A
quoy ces deux princes n'ayant voulu entendre, elle avoit or-
dre du ciel de leur faire la guerre très justement : vu que
l'Anglois s'estoit intrus au royaume sous prétexte d'avoir
espousé Madame Catherine, sœur du Roy Charles VII. Et
chacun cognoist que, parla loy de Testât de France, les filles
ne peuvent succéder au royaume.
« Que si c'est chose louable de procurer la paix et la jus-
tice entre personnes privées, combien à plus forte raison en-
tre des roys et princes. Joint que plus le bien est général et
DE DOMREMY A COMPIÈGNE 181
commun, plus il est méritoire à celui qui en est l'instrument.
Or, quelle sorte de guerre plus juste et raisonnable que celle
qu'on entreprend pour la defïense de sa patrie et d'un royau-
me injustement, voire tyranniquement usurpé ! et ce encore
aux fins d'obtenir la paix, faire régner l'ordre, afin que
Dieu soit servi et honoré, et le peuple délivré de l'oppres-
sion et des ravages qu'une guerre civile entraîne quant et
soy.
« Car auparavant le secours que Dieu envoya au roy Char-
les Vil par cette fille, toute la France n'estoit qu'un brigan-
dage, et ainsi que Nicolas de Clémengis a laissé par escrit, il
y avoit plus de justice et d'ordre entre les diables d'enfer
qu'entre les François. Et pouvoit-on dire de ce pauvre peuple
ce que le Psalmiste tesmoigne des Egyptiens, ps. lxxvii :
« Que Dieu avoit envoyé sur nous l'indignation de son ire,
« et fait pleuvoir toutes sortes de tribulations, misères et ca-
« lamitez sur la France par l'entremise des mauvais anges » ;
lesquels sont ennemis de tout ordre et justice et ne se délec-
tent qu'aux confusions et ruines des peuples.
VII
UNE MISSION DIVINE EST-ELLE INCOMPATIBLE, CHEZ UN MÊME
SUJET, AVEC LES INFIRMITÉS HUMAINES, LES PERSON-
NAGES DES DEUX TESTAMENTS ET LA PUCELLE.
« Mais d'autant que plusieurs actions de la Hucelle res-
sentent l'infirmité humaine, et que ses ennemis ont voulu de
là inférer qu'elle nestoit pas envoyée de Dieu, comme elle
disoit, il nous faut monstrer par comparaison du petit au
plus grand et des choses très certaines avec les probables,
quelles ont été les actions des prophètes, apostres et saints
personnages desquels personne ne peut révoquer en doute la
mission; et comme bien souvent ils ont hésité, chancelé, et
[esté] en maintes irrésolutions, et que tous leurs gestes et
actions n'ont pas toujours émané de l'esprit de Dieu, mais
bien souvent de leurs propres motifs accompagnez de gran-
des infirmitez et passions humaines. Car ores que Dieu leur
182 E. RICHER. LA l'UCELLE D ORLEANS
aye départi des grâces extraordinaires, si est-ce toutefois
qu'il ne les a [pas] dépouillez des passions et infirmitez aux-
quelles la nature humaine est subjecte par la condition de
son estre, afin de leur faire sçavoir ce qu'ils sont naturelle-
ment, « vermis et slilla guttulœ, toute corruption et une petite
goutte d'eau », ainsi que parle l'Escriture, et que sans la
grâce de Dieu ils ne peuvent rien. A la vérité, on voit qu'ils
ont craint et fuy la mort, tout ainsi que les autres hom-
mes.
<( Au chapitre premier de Iliérémie, Dieu lui révèle et
l'asseure « qu'il l'a rendu comme une cité très forte et impre-
« nable, une colonne de fer, un mur d'airain contre les Roys
V de Juda, les princes, les prestres et tout le peuple généra-
« lement, et qu'ils ne pourront en aucune façon se prévaloir
« contre lui. » Ce nonobstant, il n'y eut jamais prophète
plus affligé et persécuté que Hiérémie ; car, après une longue
et cruelle prison, finalement il fut lapidé. Et à cette histoire
peut-on rapporter ce que la Pucelle avoit dit estre asseurée
de ses voix, estre délivrée de prison : ayant par imbécillité
humaine interprété la délivrance de son âme de la prison de
son corps pour une délivrance de la prison en laquelle elle
estoit détenue par les Anglois. Et ses ennemis lui ayans re-
proché cela ne plus ne moins que si elle avoit esté déceue par
les malins esprits, semble pouvoir estre comparée aux Juifs,
lesquels ayans mis prisonnier et fait mourir Hiérémie, lui
reprochoicnt ou pouvoient reprocher qu'il estoit un faux
prophète, ayant asseuré que Dieu le fortifieroit tellement,
que ni Roys, ni Princes, ni prestres, ni tout le peuple de Juda
ne pourroient prévaloir contre lui, qui néantmoins l'ont fait
mourir et lapidé.
« Les Apostres semblablement n'ont [pas] esté exempts
des infirmitez et passions humaines. Saint Paul n'a-t-il pas
repris saint Pierre et saint Barnabe (Galates, chap. ii) « Quod
« non recte atnbulai-eoit ad veritatem Evangelii — de n'avoir
« [pas] droitement et sincèrement marché en la vérité évan-
« gélique ? » Et aux Actes, xv, nous voyons saint Paul et
saint Barnabe se séparer l'un d'avec l'autre, comme par despit,
pouf ce que Joannes Mcwcus s'estant volontairement mis en
DE DOMREMY A COMMEGNE 183
leur compagnie afin d'annoncer l'Evangile, il les quitta depuis ;
et voulant derechef retourner avec eux, saint Paul, offensé
d'une telle légèreté et inconstance, ne voulut admettre cet
homme avec lui.
« Le mesme saint Paul, aux Galates, v, dit : « Tous ceux
« qui vous troublent, puissent [ils] bien estre retranchez. »
Et, aux Actes, xxiii, parlant au grand prestre Ananias qui
l'avoit fait outrager, l'appelle « paroi blanchie » et dit « que
« Dieu le punira ». Paroles d'aigreur, lesquelles saint Jé-
rôme et quelques autres Pères tiennent avoir eschappé à
saint Paul par impatience et infirmité humaine de laquelle il
n'estoit exempt.
« Ces choses bien pesées, on ne se doit esbahir si, du pro-
cez de la Pucelle, on veoit une simple bergère, mineure d'ans,
prisonnière depuis un an entier, les fers aux pieds, ne sça-
chant lire ni écrire pour controller et régler les actes de ce
prétendu procez, signer et contresigner ses dépositions, afin
d'empescher les effets de l'inimitié mortelle de ses ennemis,
avoir quelquefois fait des saillies dont néantmoins elle s'est
incontinent relevée par la grâce de Dieu, lequel finalement
n'abandonne jamais ses serviteurs. Que le lecteur, par compa-
raison des choses basses avec les plus hautes et relevées,
considère bien les faits et dits de la Pucelle auxquels ses en-
nemis trouvent plusàredire, véritablement il cognoistra n'y
avoir rien qui ne soit grandement excusable, voire mesme
louable et admirable, que les signes et révélations de la Pu-
celle sont suffisans et valables selon les règles de la théologie
et de l'histoire, et que les Anglois n'ont eu autre subject de la
faire mourir que la haine mortelle qu'ils lui portoient pour
avoir secouru le Roy Charles VII par ordonnance du ciel, et
leur avoir prédit qu'ils seroient entièrement chassez du
Royaume de France ^ »
1. Ce (jui lait l'importance de cette dissertation, c'est, autant que sa
valeur logique, la date à Icuquelle elle a été rédigée et la forme qu'elle a
revêtue. Cette date est celle de 1628 ou 1630; la forme sous laquelle elle
se présente n'est qu'à moitié scolastique ; elle a été écrite, non en latin,
mais en français.
A-t-elle élé connue des docteurs de l'université de Paris ?
Elle a dû l'être au moins de quelques-uns, vu le grand savoir et la
184 E. RICHER. — LA PUCELLE d'oRLÉANS
grande réputation de l'auteur, encore qu'il n'ait pas eu le temps de la
faire imprimer.
Rapprochement qui confirme cette induction : Dix ans après, en
1637, le protonotaire André du Saussay publiait son Martyrologium
Galhcanum. dans lequel il faisait une place à Jeanne la Pucelle.
« vierge et martyre ».
On pourra consulter, sur ce sujet de la mission do la Pucelle, notre
dernière étude critique : Jeanne d'Arc et sa mission d'après les docu-
ments (in-12, G. Beaucliesne, Paris) ; le dernier chapitre de notre Histoire
complète, et les chapitres xxi-xxv de notre étude : Les visions et les voix.
FIN DU PREMIER LIVRE
DE l'histoire DE LA PUCELLE d'oRLÉANS
LIVRE SECOND
[LE PROCÈS DE ROUEN!
AVANT-PROPOS DE L'ÉDITEUR
Le procès à la suite duquel la Pucelle fut brûlée à Rouen, ne fut
ni un procès civil, ni un procès en cour martiale; ce fut un pro-
cès ecclésiastique en cause de foi qui, sous les dehors d'un procès
régulier, ne fut en réalité qu'un faux procès d'Eglise et un procès
de vengeance d'Etat.
Afin que les lecteurs peu familiarisés avec ces matières puissent
aisément s'en rendre compte, nous rappellerons brièvement trois
choses :
{'^ En quoi consistaient les procès en cause de foi. procès ecclé-
siastiques criminels au premier chef ;
2'^ Ce qu'a été le procès de la Pucelle, tel que les documents les
plus authentiques nous l'ont fait connaître- ;
3" De quelle manière E. Richer a traduit et commenté ce procès.
1. Le lecteur voudra bien se rappeler, à propos de ce livre second,
les explications que nous avons présentées page 34 sur les modifications
légères apportées à la ponctuation, à la coupure des alinéas, et à l'or-
thographe d'E. Riclier. Il en sera de même pour le livre n et pour le
livre in. Nous aurons lieu parfois d'ajouter des sous-titres. Dans ce cas,
ils seront mis entre parenthèses.
"2. Sur la première de ces questions, l'on pourra consulter l'Appen-
dice I que nous avons mis à la fin du tome III de notre Hisloire com-
plète de Jeanne d'Arc. Sur la seconde, notre élude critique Jeanne d'Arc
ei VÉglise, Paris, Ch. Poussielgue l'JOS. Sur les deux, le ûireclorium
Inquisitorum de Nicolas Eymeric, in-4o, Rome, MDLXXXVII.
180 E. RICHER. LA PUCELLE d'(JRLÉAXS
SECTION PREMIÈRE
DES PROCÈS ECCLÉSIASTIQUES EN CAUSE DE FOI
I
Du pouvoir judiciaire de 1 Église et des crimes contre la foi ;
en particulier, de l'hérésie.
L'Eglise catholique, en tant que société, est une société
complète ; Jésus-Christ ne la pas laissée désarmée. Aussi bien
que les sociétés politiques et civiles, l'Eglise possède les deux
pouvoirs, législatif et judiciaire, au moyen desquels les sociétés
humaines assurent et protègent d'une part les intérêts multiples de
leurs membres, de l'autre répriment et châtient ceux qui. violant
les lois de la collectivité, se rendraient coupables des crimes ou
délits spécifiés par ces lois.
L'Eglise a donc tout ensemble son code de lois édicté par les
conciles et les Souverains Pontifes, et ses tribunaux chargés de
connaître des crimes commis en violation de ces lois et de les
punir.
Les plus graves de ces crimes sont les crimes en matière de foi,
l'hérésie principalement, le schisme, la sorcellerie avec invocation
des démons, etc.
Pour cette raison, les procès criminels en matière d'hérésie ont
été, de la part des Souverains Pontifes, l'objet d'une réglementation
des plus approfondies.
Que faut-il entendre par <> crime d'hérésie ».
Il faut distinguer entre le péché d'hérésie et le crime d'hérésie.
Il peut y avoir péché d'hérésie sans que pour cela il y ait crime.
11 n'y a que péché d'hérésie, tant que la négation opiniâtre d'une
vérité de foi enseignée par l'Eglise reste mentale et n'est pas ma-
nifestée extérieurement.
Mais l'hérésie devient un crime lorsqu'elle se manifeste au dehors
de manière à être remarquée et à devenir une occasion de chute
pour autrui : à l'Eglise alors s'impose la mission de réprimer ce
crime et, s'il y a lieu, de le punir.
Au moyen âge, l'Eglise n'était pas la seule à, voir un crime véri-
table dans l'hérésie manifestée de manière à contaminer la société
chrétienne; les princes et les Etats n'en jugeaient pas autrement.
LE PROCÈS. AVANT-PROPOS 187
Ils nictlaienl rhérésie-crime non seulement au niveau, mais au-
dessus du crime même de lèse-majesté, et ils la traitaient en con-
séquence. Les hérétiques et soi-disant tels qui, comparaissant en
justice, s'opiniâtraient dans leurs erreurs étaient condamnés à des
peines proportionnées à leur culpabilité, et cette peine plus d'une
fois était la peine de mort. Dans ce cas, c'était la justice séculière
qui, ratifiant la sentence, était chargée de l'exécuter.
Il ne faut donc pas s'étonner si les fidèles qui se rendaient cou-
pables du crime d'hérésie devenaient Tobjet de poursuites judi-
ciaires et d'un procès criminel en cause de foi; procès jugé confor-
mément aux lois canoniques et aux décrets des souverains Pontifes
sur cette matière.
Quelles personnes pouvaient être par concomitance l'objet des
poursuites judiciaires appliquées aux hérétiques.
Les hérétiques formels n'étaient pas les seuls contre lesquels
s'exerçaient les poursuites en matière de foi; à cause des maux
et des désordres graves qu'engendre la perversité hérétique, ces
poursuites s'exerçaient également contre tous ceux qui la favori-
saient de quelque manière. Tels les fidèles qui écoutaient volon-
tiers, recevaient chez eux, défendaient les propagateurs de l'erreur
en matière de foi ; telles aussi les personnes adonnées aux prati-
ques de la divination, à la magie noire, aux sortilèges, aux malé-
fices dans lesquels il est fait appel implicitement ou expressément
à l'intervention des démons. Tout chrétien coupable de ces pra-
tiques devenait par cela seul justiciable des tribunaux ecclésiasti-
ques, et sujet aux peines spécifiées par le droit.
II
Des juges des procès en cause de foi.
La première des conditions requises pour la régularité de tout
procès et de tout jugement en matièi*e de foi, c'est que le juge soit
légitime et compétent.
Sont juges légitimes et compétents :
Le Pape dans l'Eglise universelle, et les prélats et religieux qu'il
délègue pour les causes qui leur sont assignées ;
Les Evéques, dans les limites de leur juridiction et de leurs dio-
cèses : ils sont alors juges « ordinaires » ;
Les Inquisiteurs dans les provinces qui leur sont confiées : mais
alors ils ne sont que les délégués du siège apostolique.
188 E. RICHER. LA PUGELLE D ORLEANS
Des causes majeures.
Néanmoins, il est des cas dans lesquels il n'y a et ne peut y
avoir qu'un juge compétent, le Souverain Pontife : c'est quand il
s'agit des causes dites majeures. Les Conciles et le droit réservent
le jugement de ces causes au Saint-Siège. Ainsi en est-il, par
exemple, quand il s'agit de prononcer en matière de visions et de
révélations.
De l'évéque en tant que «juge ordinaire.»
Dans son diocèse et dans les limites de sa juridiction, l'évéque,
qu'il juge seul ou conjointement avec l'inquisiteur, peut jugera
litre de juge ordinaire.
Sont soumis en ce cas à sa juridiction les hérétiques ayant leur
domicile ou quasi domicile dans son diocèse, ou bien y ayant com-
mis quelque crime contre la foi, y ayant par exemple répandu
l'erreur, pratiqué la magie, la sorcellerie et l'invocation des dé-
mons.
Mais que l'évéque instrumente seul ou de concert avec l'inqui-
siteur, il est tenu de se conformer en tout aux prescriptions et aux
règles de la procédure inquisitoriale.
De la composition du tribunal.
Lorsque l'évéque ou l'inquisiteur, en un mot le juge compétent
a formé sa conviction sur la nécessite de poursuivre un prévenu en
matière de foi, il doit choisir et mander des conseillers pour l'as-
sister durant le procès.
Ces conseillei's ou assesseurs devront être des « gens de savoir —
feriti ». c'est-à-dire des théologiens, canonistes, légistes, deux au
moins, d'une probité au-dessus de toute suspicion.
Après cela, le juge s'occupera dechoisir et nommer officiellement
les auxiliaires du tribunal. Ce sont par ordre d'importance, le Pro-
moteur chargé de soutenir l'accusation, les notaires greffiers, l'exa-
minateur des témoins, l'exécuteur des commandements du tribu-
nal ou huissier.
Des procès dits de chute et des procès de rechute.
La manière de conduire les débats est différente selon qu'il s'agit
d'un procès de chute ou d'un procès de rechute.
On appelle ■procès de chute celui dans lequel le prévenu est accusé
LE PROCES. — AVANT-PROPOS 189
pour la première lois du crime d'iiérésie ou de sorcellerie; procès
dont il sortira condamné et absous.
On appelle procès de rechute le procès intenté à un accusé retombé
dans les erreurs et pratiques opposées à la foi, après avoir été dans
un premier procès, dit de chute, accusé de perversité hérétique,
sans toutefois avoir été condamné à la peine capitale et livré a"u
bras séculier. Tel est le cas pour les accusés dont le procès de
chute se termine par une abjuration. En abjurant, ils s'engagent
par serment à ne pas retomber dans les crimes et pratiques dont
ils ont été absous.
Tandis que la peine du procès de chute peut n'être que la prison,
la peine du procès de rechute ou relaps, quand le relaps a été
constaté juridiquement, est toujours la mort du bûcher.
Nous parlerons d'abord de la manière dont les juges en matière
de foi doivent conduire les causes ou procès de chute.
III
Des procès de chute.
De leur ouverture. — Les procès en cause de foi peuvent s'ouvrir
de trois manières : par voie d'accusation expresse, par voie
de dénonciation simple, par voie d'enquête ou d'inquisition.
Dans les procès par voie d'accusation expresse, les accusateurs
s'engagent à faire la preuve.
Dans les procès par voie de dénonciation, les dénonciateurs ne
s'y engagent pas.
Dans les procès par voie d'enquête ou inquisition, au juge,
êvêque ou inquisiteur, incombe l'obligation d'ouvrir les poursuites
ex officia, en vertu de sa fonction et de son devoir de juge, et non
sur les instances des parties.
Mais, condition grave, le droit ne permet pas au juge enquêteur
d'ouvrir le procès, à moins d'avoir acquis la preuve et la conviction
que la personne signalée est vraiment et sérieusement diffamée en
matière de foi.
« C'est une règle certaine en droit, disent les canonistes, qu'au-
cun supérieur ne peut intenter une action judiciaire par voie
d'enquête spéciale contre quelqu'un qui ne serait pas déjà
diffamé. »
Il suit de là que antécédemment à tout procès canonique, et
comme condition indispensable, les juges doivent être en possession
190 E. RICIIER. — LA PUCELLE D ORLEANS
d'informations sérieuses, dignes de foi, établissant la diffamation
de l'accusé. Ce point établi, ils peuvent ouvrir le procès.
Droits reconnus aux accusés en cause de foi.
Les juges ecclésiastiques n'ont pas seulement des droits à exercer
envers les accusés en matière de foi ; ils ont aussi des devoirs à
remplir à leur égard et des droits à respecter.
1° De par la loi naturelle et les lois ecclésiastiques, tout accusé
doit être en possession des moyens de se défendre, et admis à faire
valoir contre ses juges toutes exceptions et causes légitimes de
récusation.
C'est le cas lorsque les juges sont suspects et animés vis-à-vis de
l'accusé de sentiments hostiles connus.
2° Tout accusé a droit également à un conseil et à un défenseur.
« Le droit de défense, est un droit naturel, dit le Directoire des
Inquisiteurs : c'est pourquoi on ne peut et on ne doit pour aucun
motif le refuser à personne. »
3° A tout accusé âgé de moins de vingt-cinq ans. le droit cano-
nique concède non seulement un avocat conseil et défenseur, mais
encore un curateur qui est chargé de le guider dans les actes de la
défense.
4" Enfin, un des droits les plus certains de l'accusé en matièi-e
de foi, était celui détre incarcéré non dans les prisons séculières
ou prisons dEtat, mais dans les prisons ecclésiastiques où les
femmes et jeunes filles étaient placées sous la garde de personnes
de leur sexe.
ÏV
Des deux parties des procès de chute ; du procès d'office
et du procès ordinaire.
Le procès de chute ouvert, il se divise en deux parties dont l'une
porte le nom de procès d'office, et l'autre celui de procès ordi-
naire.
Dans le procès d'office, le juge commence par constituer le tri-
bunal, puis il instruit la cause, fait examiner les témoins, interroge
l'accusé, soit par lui-même, soit par les assesseurs qu'il délègue
à cet effet, et fait recueillir exactement les interrogations et les
réponses .
De là le nom de 2yrocL's d'office donné à cette partie du procès,
LE PROCÈS. AVANT-PROPOS 191
le juge paraissant constamment au premier plan en vertu de sa
fonction de juge.
Dans le procès ordinaire, le juge semble céder la place au promo-
teur qui entre en scène, précise ses accusations qu'il fonde sur les
réponses de l'accusé, et les soutient par toutes les voies de droit, au
besoin par la torture. Quand les moyens d'action du promoteur
sont épuisés, quand le juge estime la cause suffisamment éclaircie,
il conclut en la cause et fixe le jour pour le prononcé du
jug-ement.
La partie la plus importante du procès d'office a été celle des
interrogatoires ;
La partie la plus importante du procès ordinaire est celle du
réquisitoire ou de l'acte d'accusation.
Le moment venu d'arrêter la sentence, le juge ne doit le
faire qu'après avoir pris Lavis de ses conseillers et assesseurs aux-
quels il devra communiquer toutes les pièces des débats.
Sil s'agit d'une sentence de condamnation, il faut que la culpa-
bilité de l'accusé ait été « pleinement établie», et que les preuves
en soient claires, positives, certaines.
C'est alors pareillement qu'on examine s'il y a lieu d'exiger de
Laccusé une abjuration solennelle, et l'affirmative résolue, de
préparer toutes choses et de procéder comme le droit l'a réglé.
Le jour du prononcé de la sentence sera un jour non férié. Le
juge la prononcera assis sur son tribunal, — de jour et non de nuit,
— elle sera mise par écrit et lue d'un bout à l'autre.
Si la peine prononcée est l'abandon au bras séculier, elle ne sera
exécutée qu'après une deuxième sentence portée par le juge
séculier qui alors livrera le condamné au bourreau.
V
Des procès de rechute et des relaps.
Sous le nom relaps, on désigne les héréti(iues qui ayant subi un
premier jugement en matière de foi et ayant été, quoique coupables,
soustraits à la peine capitale, retombaient de nouveau dans leurs
erreurs, et à leur première chute en ajoutaient une seconde, dite
rechute ou relaps.
Dénoncés aux juges ecclésiastiques, les relaps devenaient l'objet
d'un procès nouveau, dit de rechute, lequel était très court et abou-
tissait inexorablement à une sentence de condamnation et au
supplice du feu.
192 E. RICIIER. LA PUCELLE D ORLEANS
La rechute dans le crime d'hérésie étant chose plus coupable que
la chute, laquelle était elle-même jugée plus grave que le crime de
lèse-majesté, les lois canoniques traitaient les relaps rigoureu-
sement et, qu'ils se repentissent ou non, les livraient aux bras
séculier.
Les procès de relaps étaient, avons-nous dit, de courte durée.
Le procès de chute de la Pucelle fut d'environ cinq mois; son
procès de rechute fut expédié en trois jours, supplice compris.
Dans les procès de relaps, le juge compétent commençait par
constater juridiquement le fait de la rechute. Il réunissait ensuite
des consulteurs de conscience et de savoir, leur signalait le fait et
re cueillait leur avis. Après quoi il faisait savoir au relaps qu'il
n'avait plus rien à espérer en ce monde et qu'il devait songer
uniquement à son salut.
En même temps, mandement était fait au bailli ou magistrat
principal de la localité, de se rendre à tel jour, à telle heure, en tel
endroit, jamais dans une église, avec ses gens pour prendre livraison
du condamné.
Au jour fixé, une prédication publique avait lieu, le juge ecclé-
siastique rendait son arrêt, le bailli à son tour prononçait une
sentence capitale, le bourreau prenait possession du relaps, le con-
duisait au bûcher, sauf à ne lexécuter que lorsque les membres du
tribunal ecclésiastique s'étaient retirés, car ils n'assistaient jamais
au supplice.
Le seul adoucissement qui fût apporté à la peine des relaps
dignes d'intérêt, en Espagne par exemple, c'était, avant de les
livrer aux flammes, de les faire périr par strangulation ou autre-
ment ; mais morts ou vivants, ils étaient toujours brûlés.
On leur permettait aussi, quand ils donnaient des signes de
repentir, de recevoir les sacrements de pénitence et d'Eucharistie
avant de marcher au supplice.
VI
Les tribunaux ecclésiatiques en matière de foi et nos tribunaux
criminels d'aujourdui. Des juges d'Église et de leur, autorité.
Ce quil y a lieu de noter dans la législation del'Église en matière
criminelle, c'est l'importance du rôle assigné aux juges et l'étendue
de leur autorité.
Dans nos tribunaux actuels, c'est un magistrat qui est chargé
d'instruire l'affaire et d'interroger une première fois l'accusé ; c'est
LE PROCÈS. AYAXT-PROPOS 193
la chambre des mises en accusation, c'est-à-dire d'autres magistrats
(jui décident s'il y a lieu de renvoyer le prévenu devant les tribu-
naux compétents, police correctionnelle ou cours d'assises ; c'est
un conseiller de la cour d'appel assisté de deux autres conseillers qui
préside et dirige les débats ; ce sont les membres du jury qui
déclarent l'accusé coupable ou non coupable ; c'est enfin le prési-
dent qui applique la peine déterminée par la loi ou le renvoie
absous et hors de cause.
11 en est tout différemment dans les procès en matière de foi. Le
juge intervient dès la première heui'e et il dirige tout jusqu'au
prononcé de la sentence.
11 est à la fois le juge d'instruction et le représentant de la
chambre des mises en accusation ; il préside aux interrogatoires
et aux débats, il entend l'acte d'accusation ou réquisitoire et, après
avoir pris lavis de ses assesseurs, il est seul à décider en sa cons-
cience si l'accusé doit être condamné ou absous, et, dans les causes
de chute, quelle peine doit lui être infligée.
.V devoir donner ime idée exacte de limportance, du rôle et de
l'étendue de l'autorité du juge ecclésiastique, Évêque ou Inquisiteur,
il faut dire qu'il n'y a guère aux débats d'autre autorité que la sienne.
De fait, les assesseurs, quelque doctes qu'ils soient, n'ont aucune
initiative. Leur voix est purement consultative.
C'est à ce point que si le droit oblige les juges, sous peine de
nullité, à prendre l'avis des assesseurs sur l'arrêt à porter, les
juges, une fois cette condition remplie, reprennent leur liberté et
peuvent prendre, même contre l'unanimité de leurs conseillers,
telle décision qu'il leur plaira.
Voilà pourquoi, malgré l'avis contraii'e de plus des trois quarts
de ses assesseurs, l'évêque de Beauvais put prendre sur lui. sans
qu'on pût s'y opposer juridiquement, de proclamer Jeanne relapse,
de la condamner et de la livrer au bras séculier.
SECTION DEUXIEME
DU PROCÈS DE LX PUCELLE
1
Les préliminaires.
Avant même que la Pucelle fût tombée entre les mains des
Anglo-Bourguignons, l'éventualité avait été prévue elles dirigeants
13
194 E. RICHER. — LA PUCELLE 'd'orLÉANS
de la politique anglaise avaient axTèlé que la captive serait ti'aduile
devant un tribunal ecclésiastique, jugée pour crime d'hérésie et
sorcellerie, condamnée et brûlée.
11 fallait qu'elle mourut. Avec une cour martiale, elle eût pu
n'être condamnée qu'à la prison. Avec un procès en cause de foi
et un procès de relaps au bout, la mort de la l^ucelle devenait
inévitable. Et chose d'un prix inlini, l'on pourrait en faii'e retomber
l'odieux, non sur l'Angleterre et son gouvernement, mais sur
l'Eglise et ses institutions.
Dès que l'Université de Paris apprit le résultat de la sortie de
Compiègne, le vicaire général de l'inquisiteur écrivit à Jean de
Luxembourg, requérant que la prisonnière lui fût livrée pour être
jugée en cause de foi.
L'Université de Paris eût voulu que le procès fût jugé à Paris
même. Jusqu'au 21 novembre 1430, elle en caressa l'espoir. Mais les
régents anglais ne furent pas de cet avis. Us décidèrent que leur
ennemie serait jugée à Rouen, et que le procès aurait pour juge
principal, non l'inquisiteur de France où l'un de ses représentants,
mais l'évêque de Beauvais, sur qui ils savaient pouvoir compter.
Ce pi'élat prétendait que la Pucelle avait été prise sur le territoire
de son diocèse. Les Anglais, dont il ne faisait qu'exécuter lesplans,
se gardèi-ent bien d'établir que sa prétention était justifiée, et que
vraiment la rive de l'Oise où Jeanne était tombée entre les mains
de ses ennemis appartenait au diocèse de Beauvais, non à celui de
Soissons. En conséquence, le procès de Rouen devint en appa-
rence, non un procès d'inquisition proprement dite, mais un procès
de « l'Ordinaire », avec l'évêque de Beauvais pour juge principal.
C'est en cette qualité que Pierre Cauchon ouvrit et conduisit les
débats. 11 y est tout et il y fait tout. Le vice-inquisiteur ne parait
qu'à regret, en mars seulement, et jusqu'au bout il ne remplitquun
rôle insignifiant.
II
Les commencements du procès.
Les lois de l'Église, consciencieusement observées, n'eussent
jamais permis au juge choisi par l'Angleterre d'arriver au but qui lui
était marqué, c'est-à-dire de faii"e condamner et supplicier la Pucelle
justement. Aussi l'évêque de Beauvais ne se gêne-t-il pas pour
violer à son aise celles de ces lois qui entravent son action.
Son premier acte d'autorité eût dû consister à exiger que la pré-
LE PROCÈS. AVANT-PROPOS 193
venue fût tirée de la prison d'État où elle avait été enfermée et
mise en prison dÉglise.
Le prélat n'en fit rien par la raison que « cela déplaisait aux
Anglais. •)
Son devoir était non seulement de ne pas refuser, mais de
donner à Jeanne mineure, à Jeanne ignorante de toutes les chi-
canés procédurières, un avocat, un conseil, un curateur. Le prélat
laissa laccusée se diriger elle-même et défendre ses intérêts
comme elle Tentendait.
Elle réclama qu'au nombre des assesseurs, il y en eut qui ne
fussent pas ses ennemis déclarés et qui appartinssent au parti
français. On ne tint aucun compte de ses réclamations.
Le droit exigeait que des informations préalables établissent
péremptoii'ement que la jeune fille était sérieusement diffamée,
suspecte dans sa foi et dans ses mœurs, adonnée à des pra-
tiques démoniaques. Jamais, l'évêque-juge ne produisit à ses
assesseurs des informations de ce genre. Celles qui furent recueil-
lies étaient toutes favorables à la prévenue. D'où, à la première
heui*e, une iniquité flagrante, et pour le procès, une cause
de nullité.
III
Du procès d'office.
Cependant le procès d'office commence. En ce procès, Jeanne va
subir quinze interrogatoires, tous présidés par l'évèque de Beauvais,
auquel à partir du 13 mars, se joint le vice-inquisiteur de Rouen,
Jean Lemaitre.
De ces quinze interrogatoires, six furent publics, neuf eurent
lieu en présence des juges et de quelques témoins seulement. Le
premier interi'ogatoire public se fit dans la chapelle du château
de Rouen ; les autres dans une salle dite de parernerU, située au
bout de la grande salle du château. Quarante-deux assesseurs
assistaient au premier; aux suivants, il yen eut jusqu'à cinquante-
huit.
Les neuf interrogatoires non publics eurent lieu dans la prison
de Jeanne, souvent à raison de deux par jour, un le matin, l'autre
après midi, tous d'ordinaire très longs. Deux docteurs de l'Uni-
versité de Paris assistèrent à ces interrogatoires; deux ou trois
témoins les accompagnaient. Au dernier, les six docteurs de Paris
furent présents.
196 E. RICIIER. LA PUCELLE d'ORLÉAXS
Dans ces neuf inlcrrogaloires de la prison, l'on reprit les unes
après les autres les questions déjà traitées dans les six interroga-
toires publics et on les approfondit à loisir.
Ce que furent ces interrogatoires, nous ravons dit dans notre
Histoire complète de Jeanne d'Arc, c.hap. xxix-xxxv. Quelles furent
les matières traitées ? des matières de théologie pour la plupart ;
il n'est pas de ])ages où il ne soit question de visions et de révéla-
tions, c'est-à-dire de sujets réservés à l'appréciation et au juge-
ment du Saint-Siège.
Et quelles étaient les parties aux prises? D'un côté les plus
fameux docteurs de l'Université de Paris, maîtres en théologie, en
décret, en droit civil; de l'autre, une pauvre fille des champs, ne
sachant ni lire, ni écrire, et n'ayant jamais appris un mot de théo-
logie.
IV
Du procès ordinaire.
Avec les interrogatoires de la prison se termine le procès d'office.
Avec le réquisitoire du promoteur commence le procès ordinaire.
Dans celui-ci, l'évéque de Beauvais, sans jamais cesser de tout
diriger et de présider, charge le promoteur Jean d'Estivet, de pro-
duire contre la Pucelle les accusations qu'il estime devoir soutenir
et de les faire valoir selon la raison et le droit. Et alors se dérou-
lent les actes suivants.
Lecture publique du réquisitoire en soixante-dix articles.
Les trente premiers sont lus le mardi 27 mars à l'accusée, en
présence des deux juges et de trente-sept assesseurs ; et les quarante
derniers, le mercredi 28 mars, en présence d'une asseml)lée non
moins imposante.
A chacun des articles, l'accusée oppose les l'éponses que lui dicte
sa conscience. Mais que dire d'un magistrat, d'un prêtre, qui prête
à la jeune fille le contraire de ce qu'on lit dans les interrogatoires?
Les douze articles et les admonitions.
Les nombreux articles du Réquisitoire ne satisfirent pas l'évéque
de Beauvais. Désirant soumettre le cas de Jeanne à la censure de
l'Université de Paris, il fit rédiger par Nicolas Midj douze articles
résumant les principaux chefs d'accusation.
Dans la seconde moitié d'avril 1431, quatre des principaux asses-
LE PROCÈS. AVANT-PROPOS 197
seurs de P. Cauchon portaient à Paris le texte nouvellement rédigé.
Sans attendre le résultat de cette démarche, les juges adressaient
le même texte aux maîtres et docteurs présents dans la capitale de
la Normandie, avec prière de « donner par écrit un conseil salutaire
sur ces articles » .
Le 14 mai. ll'nivcrsité de Paris réunie en assemblée solennelle,
ratifiait les censures dont les docteurs des Facultés de théologie et
de décret avaient frappé les douze articles. Le 19 mai, l'évêque de
Hcauvais en avait entre les mains l'instrument authentique et en
donnait communication à ses assesseurs.
En attendant l'arrivée de cette pièce, on avait procédé à l'égard
de l'accusée aux actes suivants :
Le 18 avril, exhortation de l'évéque de Beauvais à laPucelle dans
sa prison sur la soumission à l'Église.
Le 2 mai, dans une salle du château de Rouen, admonition
publique à la Pucelle par maître Jean de Ghàtillon, archidiacre
d'Evreux, en présence des deux juges et de soixante-trois asses-
seurs.
Les 9 et 12 mai, on examine s'il n'est pas expédient de soumet-
tre la prisonnière à la torture, et l'on juge bon d'attendre.
Le 19 mai, l'évéque couvoque cinquante assesseurs dans la cha-
pelle da l'archevêché, et leur donne communication de la réponse
de l'Université de Paris. La plupart des assesseurs présents accep-
tent ses conclusions, et demandent qu'il soit fait à l'accusée une
admonition charitable.
Le 23 mai, cette admonition eut lieu dans une salle du château,
proche de la prison de Jeanne. Elle fut faite par Pierre Maurice, de
l'Université de Paris. Ce docteur j exposa le sens des douze articles
et exhorta Jeanne à se soumettre aux censures de l'Université.
Conclusion de la cause.
L'admonition terminée, l'évéque' de Beauvais conclut en la cause
et désigna le lendemain pour le prononcé de la sentence définitive.
L'abjuration du cimetière de Saint-Ouen. — Sentence d absolution.
Fin du procès de chute.
Le 24 mai 1431, dernier jour du procès de chute, l'évéque-juge ne
procure pas seulement aux Anglais le spectacle qu'il avait annoncé,
198 E. RICHER. — LA PUCELLE d'oRLÉAXS
le prononcé de la sentence définilive ; il y joint une surprise et
une ignoble comédie. Cette surprise, c'est ce que Ton a nommé
« l'abjuration de la Pucelle » ; cette comédie, c'est la scène arran-
gée par l'évêque et ses affidés pour faire croire que la jeune fille
avait réellement accepté, prononcé et souscrit une abjuration en
cause de foi.
A huit heures du matin, sur la place du cimetière de Saint-Ouen,
en présence des juges, de plusieurs prélats, de nombreux ecclésias-
tiques et d'une grande foule, prédication publique de maître Guil-
laume Erard pour préparer le prononcé de la sentence.
Après la prédication, sommation à la Pucelle par le prédicateur
et par l'Evèque de Beauvais, de soumettre ses dits et faits aux ju-
ges et à leurs assesseurs.
Refus de la Pucelle : elle en appelle au Pape. Pierre Cauchon
répond qu'on n'a pas besoin du Pape; que les évéques sont « juges
ordinaires » et réguliers dans leurs diocèses.
Il commence à lire la sentence.
Pendant cette lecture, on circonvient l'accusée, et on finit par
l'amener à signer une rétractation insignifiante de six à huit
lignes.
Les affidés de P. Cauchon profitent de cette concession pour
répandre le bruit que Jeanne abjtu-e en cause de foi et se reconnaît
coupable de tous les crimes dont elle était accusée.
L'évêque accréditera cette fausse rumeur en faisant insérer une
cédule fabriquée exprès dans l'instrument du procès. Reprenant
la lecture de la sentence, au lieu de condamner et de livrer la
jeune fille au bras séculier, il lui inflige la peine d'une prison
perpétuelle; —ce qu'on appelait une sentence d'absolution, parce
qu'elle faisait grâce de la vie.
La sentence rendue, Jeanne demande à être mise en prison
ecclésiastique, comme on venait de le lui promettre, avec des
femmes pour la garder. L'évêque donne l'ordre de la ramener en
sa prison du château.
Ainsi finit le procès de chute.
VI
Du procès de rechute.
Uualre jours après la fin du procès de chute (28 mai), l'évêque
de Reauvais ouvre le procès de rechute.
LE PROCÈS. AVANT-PROPOS 199
Le dimanche 27 mai, à la suite crun guet-apens de ses gardiens,
la Pucèlle avait repris l'habit d'homme.
Un grand seigneur ayant tenté de lui faire violence, elle garda
ledit habit auquel, dans sa rétractation du 24 mai, elle avait
renoncé.
Instruit de cette reprise, l'évéque de Beauvais vient le lundi,
dans la prison, avec les membres du tribunal, constater le fait.
Le 29, il convoque ses assesseurs et leur défère le cas. Sur qua-
rante-deux assesseurs, plus de trente requièrent qu'on donne lec-
ture àlaPucelle de la prétendue formule d'abjuration qu'elle avait
disait-bn, signée.
Le 30, sans tenir compte de cette requête et de cette majorité,
1 evéque de Beauvais fait comparaître Jeanne sur la place du Vieux-
Marché de Rouen. Là, prédication publique, prononcé de la sen-
tence, condamnation et supplice.
Ainsi fut expédié le procès de rechute, ainsi fut mené ce qu'on
nomme le procès de condamnation de la Pucelle .
SECTION TROISIEME
EDMOND RICHER ET SON EXPOSÉ CRITIQUE
DU PROCÈS DE 1431
L'aperçu qui précède sur les procès en cause de foi et l'analyse
que nous venons de faire du procès de la Pucelle suffiront à rensei-
gner le lecteur sur le sans-façon avec lequel l'évéque de Beauvais
laisse de côté les règles sans l'observation desquelles le procès ne
pouvait être qu'irrégulier et nul dés la première heure. C'est à la
même conclusion qu'aboutit l'exposé raisonné qu'Edmond Richer
en a présenté dans le second livre de son histoire.
A propos de ce livre second, nous redirions volontiers le mot
déjà cité du poète ^ :
Pro capta lectoris habent sua fata libelli !
C'est chose triste à penser que Toubli dans lequel, malgré le pro-
fond savoir dont ces pages témoignent, elles sont restées jusqu'à ce
jour, alors que tant d'ouvrages sans valeur survivent et occupent
l'opinion.
1. Ce mot n'est point d'Horace, comme on le dit couramment. Véri-
ûcation faite, il est de Terentianus Maurus, poète didactique latin, ori-
ginaire d'Afrique, qui vivait sous Trajan.
200 E. RICHER. LA PUCELLE D ORLÉANS
I\nppclons brièvement les textes sur lesquels s'exerce la critique
de notre historien.
Des manuscrits des deux procès dont Edmond Richer s'est servi
pour écrire le deuxième et le troisième livre de son histoire.
1'= Du manuscrit du procès de condamnation.
Le manuscrit dont notre auteur s'est servi pour sa critique du
procès de condamnation est un des manuscrits originaux qu'on peut
voir à la Bibliothèque nationale.
Ce manuscrit était Tune des cinq expéditions authentiques déli-
vrées par les notaires greffiers, laquelle se ti'ouvait à la disposition
de l'un des frères Dupuis (ou Du Puy) dont nous avons parlé plus
haut : c'est Richer lui-même qui nous l'apprend dans VAdcertissement
au lecteur.
« Monsieur du Puis, dit-il, m'a preste l'original de ce procès
signé de trois notaires...., scellé de deux sceaux, le plus grand de
l'évêque de Beauvais, le plus petit de frère Jean .Magistri, inquisi-
teur de la foj. »
Or, ce manuscrit, nous apprend J. Quicherat, « se voit à la Biblio-
thèque nationale, n° 5966 latin. Il était marqué autrefois Cl.
Puteani, 9675. 11 provient de DuPuy, et dès lors il est le même dont
se servit Edmond Richer. Les sceaux sont tombés, mais la place
en est encore visible. » (.1. Quicherat, Procès, t. V, p. 393.).
2° Des manuscrits du procès de réhabilitation.
Les notaires greffiers du procès de 1455-56 nous apprennent
{Procès, t. n, p. 76) qu'ils ont délivré sous leur seing trois expédi-
tions de la rédaction définitive. Nos, notarii predlcti, hoc nostrum
intégrale authenticumquc registrum sub volumine triplicato ccnsuimus
redigendum.
De ces trois expéditions nous n'en possédons que deux : l'une
n° 597 latin, in-folio, vélin, à la Bibliothèque nationale ; l'autre,
provenant du fonds de Notre-Dame, n° 138, in-folio papier et vélin
entremêlés, qu'on voit aussi à la même Bibliothèque. Ces deux
manuscrits sont légalisés au bas de chaque feuillet par les signa-
tures Comitis et Ferrebouc, l'un avec, l'autre sous la formule appro-
bative sic affirmo.
Edmond Richer nous dit avoir eu « deux originaux de la revision
LE P150CÈS. AVANT-PROPOS 201
du procès, Tiin du trésor de Téglise Noire-Dame de Paris, lautre
de la bibliothèque de Monsieur Du Lis, conseiller du roy et avocat
générai en la cour des Aides . »
Il n'est pas douteux que le premier ne soit le même que le manus-
crit de la Bibliothèque nationale mentionné ci-dessus.
Quant à l'original appartenant au sieur Du Lis, J. Quicherat
inclineày voirie «troisième exemplaire sorti du greffe », qu'on n'a
pu retrouver de nos jours. Un point toutefois l'embarrasse: c'est que.
au rapport de Richer, cet exemplaire ne contenait que six mémoires
justificatifs, au lieu de huit, dont celui qui porte les trois lettres
capitales, M.E.N., serait de Martin Berrujer, évêque du Mans,
d'après J. Quicherat, Marlinus, episcopus ceiiuinmiensiii {Procès
t. V. p. 464), tandis que le troisième exemplaire dont parlent les
notaires greffiers contenait et les huit mémoires et les écritures du
procès de condamnation.
Ce qui fait dire à l'éditeur des deux procès :
« Ou Richer s'est mal expliqué, ou le manuscrit de M. Du Lis
n'était plus un texte complet. » [Procès, t. V. p. 467.)
Il
De l'exposé proprement dit que fait E. Richer
du procès de Rouen.
Dans l'exposé proprement dit qu'E. Richer fait du procès de Rouen,
il analyse et traduit tout ensemble; il analyse fidèlement, il traduit
exactement.
Avant de commencer, il se livre à quelques considérations préli-
minaires, insistant sur lesmécompiesque valut aux Anglais la mort
de la Pucelle. Il cite, à ce propos, une belle page dans laquelle
Philippe deComioes dépeint le triste état auquel furent réduits, en
ce quinzième siècle, les princes et seigneurs de la maison de
Lancastre.
Passant ensuite au procès lui-même, E. Richer rappelle avec
quelle passion il fut conduit.
Pour lui, le procès se divise en cinq parties.
La première comprend « les actes, préambules et dispositifs préli-
minaires » .
Le seconde est la partie dite procès d'office, partie où se trouvent
les interrogatoires au nombre de quinze, faits à la prisonnière avant
le Réquisitoire.
E. Richer ne distingue pas entre les six premiers interrogatoires
202 E. RICHER. LA PUCELLE d'oRLÉANS
qui furent publics et solennels, et les neuf suivants qui eurent lieu
dans la prison de laccusée, en présence des juges et de quelques
témoins seulement.
A propos de- ces quinze interrogatoires, l'historien de la Pucelle
signale quelques-unes des questions théologiques bien au-dessus de
la portée de Jeanne, sur lesquelles ses juges ne rougirent pas de
l'interroger et. d'insister.
Avec la troisième partie commence le procès ordinaire où il n'est
guère question que du réquisitoire du promoteur et des faits, le
plus souvent altérés, faussés, sur lesquels il fonde ses accusations.
La quatrième partie est consacrée aux douze articles envoyés à
l'Université de Paris.
La cinquième partie met ensemble l'abjuration du cimetière de
Saint-Ouen, la première sentence, dite d'absolution, le procès de
rechute et la condamnation attendue par les Anglais avec tant
d'impatience.
Des textes reproduits et analysés.
Toutes les pièces versées au procès, telles que les lettres de
l'Université de Paris, de l'évêque de Beauvais, du roi d'Angleterre
qui se trouvent dans l'édition de .1. Quicherat, se trouvent égale-
ment dans l'histoire d'E. Richer. Entre les deux textes, il n'existe
que des différences insignifiantes. On croirait sans difficulté qu'ils
ont été copiés l'un sur l'autre.
11 en est de même des interrogatoires du procès d'office. Le texte
français du docteur de Sorbonne suit fidèlement le latin de J. Qui-
cherat. Nous avons relevé les quelques variantes qui s'y remar-
quent : elles sont de nulle importance.
En général, la traduction est d'une exactitude irréprochable.
E. Richer ne traduit pas les préliminaires de la plupart des
interrogatoires, ceux par exemple où l'on revient sur le serment de
la Pucelle ; il se contente d'en donner une analyse substantielle. Il
traite de même les procès-verbaux des réunions auxquelles assistent
seuls les juges et les assesseurs.
Mais il n'a garde d'omettre aucune des circonstances notables de
la cause: il la suit pas à pas et il ne laisse pas de lacune sérieuse à
combler.
Des textes traduits.
Les textes du procès que Richer a traduits en français sont
d'abord les (juinze interrogatoires du procès d'office ;
LE PROCKS. AVANT-PROPOS 203
La producUon du promoteur ou acte d'accusation. Dans Richer,
elle compte LXIV articles, au lieu de LXX qu'on lit dans J. Qui-
cherat ;
L'interrogatoire du samedi saint, 31 mars ;
Les douze « propositions » — expression de Richer — ou articles
envoyés ù l'Université de Paris;
Les interrogatoires qui ont suivi les admonitions charitables ;
Les qualifications de chacune des facultés de théologie et de dé-
cret touchant les douze articles ;
La sentence qui suivit la rétractation de la Pucelle et termina
le procès de chute ;
L'interrogatoire du 28 mai dans la prison, après la reprise de
l'habit d'homme;
La sentence du 30 mai 1431 déclarant la Pucelle relapse et la
livrant au bras séculier.
D'une traduction de pièces de ce genre, on li'est en droit d'exiger
que la fidélité et l'exactitude. Or, la traduction de Richer présente
ces garanties : pour le temps où il a écrit, on ne saurait lui faire
un reproche de manquer d'élégance.
11 n'existe, au point de vue du sens, aucune différence appi'éciable
entre le texte traduit et l'original des manuscrits tel que J. Qui-
cherat l'a relevé et édité. L'on peut donc sans exagération conve-
nir qu'à notre docteur de Sorbonne revient le mérite d'avoir été
le premier à user du texte du procès de condamnation dans ses
parties essentielles et à le traduire. Mais il a fait davantage ; il l'a
soumis à un examen critique approfondi, et il en a mis à jour la
flagrante iniquité.
ni
De la critique du procès de Rouen par E. Richer et de ses
« Advertissements. »
La méthode suivie par l'auteur en sa critique est des plus sim-
ples et des plus loyales. Elle consiste à placer d'abord les textes
sous les yeux du lecteur, et à faire ressortir de ces textes ce qu'ils
accusent d'invraisemblance, de malveillance, de partialité, d'in-
ventions perfides chez les juges de la Pucelle.
C'est dans les Advertissements placés à la suite des nombreux
interrogatoires et des incidents principaux de la cause, que Richer
présente les observations que lui suggèrent les textes qu'il vient
d'exposer.
20i. E. RICHER. LA PUCELLE D ORLÉANS
Parmi ces observations, signalons celles qui l'amènent à contes-
ter que Jeanne ail été faite prisonnière dans le diocèse même de
Beauvais, et que le 24 mai 143i, au cimetière de Saint-Ouen, elle
ait accepté, prononcé, signé le long formulaire d'abjuration que
l'évêque-juge a fait insérer dans l'instrument du procès.
Sur ce dernier point, et en général sur tout ce qui concerne
l'évêque de Beauvais, le docteur de Sorbonne a vu plus clair que
.1. Quicherat et que les défenseurs du juge de la Pucelle.
11 y a certainement des points faibles dans la critique d"Edmond
Richcr ; mais on ne lui contestera pas ces deux qualités, un savoir
théologique éprouvé et un impeccable bon sens. En une cause essen-
tiellement théologique, où il est constamment et à près uniquement
question d'apparitions, de visions, de révélations, les historiens
doivent se réjouir de la voir traiter par un homme pour qui la
science théologique et le droit ecclésiastique ont peu de secrets.
C'est pourquoi nous nous permettrons d'appeler l'attention du
lecteur sur les AdvertissemeiUs où sont remarquablement éclaircies
les questions que les juges de Rouen, maîtres in sacra pagina et
in utvoque jure, semaient comme autant de pièges, sous les pas de
l'accusée.
Advertissements principaux et questions qui y sont traitées.
Première partie, premier advertissement : Que la Pucelle n'a
pas été prise dans la juridiction spirituelle de l'évêque de Beauvais.
Même sujet traité plus loin à propos de la lettre du roi d'Angle-
terre, et en trois ou quatre autres circonstances ;
Deuxiè.me advertissement. — De la conduite de Charles VII, vis-
à-vis de la Pucelle captive. « Que par toutes nos histoires, etmesme
au trésor de Chartes de France, il ne se trouve aucun acte public
et authentique du devoir qu'on a fait ou dû faire pour empescher
les desseins des Anglais. »
Premier interrogatoire public : advertisse.\ient. — Richer appelle
l'attention du lecteur sur les « interrogatoires captieux et de sub-
tile théologie faits à la Pucelle pour l'embarrasser et la faire tom-
ber en quelque contradiction. »
Troisième interrogatoire public : advertissement. — La Pucelle
déclare croire aussi fermement à ses voix qu'elle croit la foi chré-
tienne.
LE PROCÈS. — AVANT-PROPOS " 205
Il n'y a là, dit E. Riclier qu'une analogie. La croyance de Jeanne
à ses voix est une affaire d'évidence et de certitude naturelles. Sa
foi ohrélienne a pour objet, non ce qu elle voit, mais des choses
inaccessibles que Dieu nous a révélées.
Même Advei^tissement. à la fin : des conditions requises pour que
la présomption de sorcellerie soit valable.
Quatrième iatcri'OQaloire pablic : advertisseuext. — Eclaircisse-
ments sur les apparitions des saints en général, des saintes Cathe-
rine et Marguerite en particulier; sur le port de l'habit d'homme.
Du principe théologique en vertu duquel certaines âmes « insi-
gnemenl prédestinées » sont mises en possession de privilèges ou
soumises à des obligations spéciales qui les dispensent de la loi
commune. Ce qui est en plusieurs points le cas de la Pucelle.
Huilième séance et deuxicme iiilerrogatoire dans la j^rison : adver-
TissEMENï. — Remarque très sage au sujet des révélations intéres-
sant les princes et leurs États : a il suffit de s'en ouvrir à ceux
auxquelles elles importent. »
Explications à propos de « Satan transformé en ange de lumière. »
Dixième séance et quatrième interrogatoire dans la jyrison : adver-
TissE.MENT. — Principe dispensant un accusé de dire la vérilé à un
juge « duquel il n'est pas justiciable. »
Explication allégorique du signe donné au roi et de la couronne
qu'un ange avait apportée. Textes malaisés à débrouiller.
Onzième séance et cincjuiéme interrogatoire dans la prison : adver-
TissEMENT. — Des faits, erreurs qui, dans la vie de la Pucelle, comme
dans celle des apôtres et saints personnages, se produisent. Dieu le
permettant ainsi, par infirmité humaine.
Treizième séance et seplième interrogatoire dans la prison : advkr-
TissE.MENT. — Que l'évéque de Beauvais, en sommant la Pucelle de
soumettre ses dits et faits à l'Eglise militante, usait d'équivoque,
et par l'Église en question entendait les évêques et prêtres du parti
anglais. Or, « par toute disposition de droit humain et divin, les
ennemis capitaux sont récusés pour juges ».
Quatorzième séance et liuitièmc interrogatoire dans la prison :
AUVERTissEMENT. — A pi'opos de l'habit d homme et de l'audition
de la messe, règle théologique : " Quand deux préceptes divins
206 E. UICHER. — LA PUCKLLE D ORLEANS
semblent se heurter, le moindre doit céder au plus grand, le con-
ditionnel à l'absolu >K
Quinzième séance et neuvième interrogatoire dans la prison :
ADVERTissEMENT. — Digrcssion historique sur le meurtre de Jean
sans Peur, duc de Bourgogne.
De la production du Promoteur ou du Réquisitoire.
E. Richer ayant, à la suite des interrogatoires, cité et réfuté les
accusations du Promoteur, il se borne à produire le texte des
articles du réquisitoire, sans les faire suivre d'Advertissemcnts.
A lire encoi*e l'Advertissement qui suit le narré de la scène de
Saint-Ouen et le prononcé de la sentence. L'historien de Jeanne y
dénonce le faux commis par l'évêque de Beauvais, quand il fait
« registrer en ce prétendu procès un autre formulaire d'abjuration
que celui qui fut lu et proposé à la Pucelle ».
Viennent ensuite la discussion de l'Information posthume et des
témoignages qui y sont allégués, — la lettre en français du roi
d'Angleterre aux prélats, ducs, nobles et cités de son royaume de
France ; — quelques mots sur la rétractation exigée de deux reli-
gieux jacobins qui, le jour du supplice de Jeanne, avaient dit qu'elle
était condamnée injustement.
Richer mentionne simplement la lettre à l'empereur et aux prin-
ces de la chrétienté, celles de l'Université de Paris au Pape et aux
cardinaux, et il finit son second livre en relatant un incident dont
le langage tenu sur la Pucelle par quelques docteurs de Paris au
concile de Bàle fut l'occasion.
E. Richer théologien et son Histoire de la Pucelle.
Une chose qu'aucun historien ecclésiastique ne songe a contester,
c'est le grand savoir de Richer et la connaissance profonde qu'il
avait des pères et des théologiens. Mais ce qui n'est pas plus con-
testable, c'est le désaccord de ses idées en des points essentiels,
principalement sur la matière de l'Église ^ avec les idées en faveur
1. Nous avons indiqué, dans notre Introduction, l'ouvrage dans lequel
M. l'abbé Puyol expose et discute ces idées. Signalons au lecteur l'écrit
dans lequel Richer lui-iuême résume ces idées et présente les motifs qui
les lui avaient fait adopter. Cet écrit a pour titre : Histoire du syndical
d'Edmond Richer par E. liicher lui-même. 1 vol. in-12, Avignon, chez
Alexandre Girard, M.DCC.LIH.
Le biographe d'E. Richer, A. Baillet, place cette Histoire au n» 30
dans le catalogue qu'il a dressé des ouvrages, imprimés ou non, du
docteur de Paris.
LE PUOCKS. AVANT-PROPOS 207
à Rome de son temps, et aujourd'hui rerues à peu prés universel-
lement dans les écoles théologiques. Sous l'influence de ces souve-
nirs, de graves critiques se sont demandés si le gallicanisme de
Uicher théologien a persisté chez Richer historien de Jeanne d'Arc
et s'il ne s'ailiche pas dans les séances et Advertissements où il est
question de la soumission de la Pucelle à l'Eglise. A ces craintes,
nous pouvons opposer une réponse rassurante. Non, le gallican
qu'était Edmond Richer ne s'affiche pas chez Richer historien ; il
ne perce même pas, et ses discussions sur la soumission à l'Eglise,
sur les appels de Jeanne au Saint-Siège, sont de l'orthodoxie la plus
pure. Est-ce la Bienheureuse qui a prédisposé ainsi et converti en
quelque sorte son panégyriste? Quelle qu'en soit la cause, l'effet est
au-dessus de toute discussion, et Richer demeure, dans sa défense
de l'héroïne, historien, canoniste, théologien irréprochable.
Dernières observations.
1" A partir du sixième interrogatoire public, Jules Quicherat fait
figurer dans son édition du Procès, t. I, pp. 9o et suivantes, au
bas des pages, ce que l'on possède de la minute française prise à
l'audience par Guillaume Manchon, greffier du procès. On se
demandera peut-être si cette minute a été connue d'Edmond Ri-
cher et s'il en a fait usage.
La réponse à cette question ne souffre pas de difficulté. Richer
n'a connu ni la minute française que nous possédons, ni le manus-
crit de D'Urfé dans lequel elle avait pris placé; il n'a fait usage
ni de l'une ni de l'autre, et son texte français n'est que sa tra-
duction propre du latin des interrogatoires et autres pièces offi-
cielles.
La raison de cette réponse est péremptoire. L'Averdv qui, le
premier, signala la présence de la minute dans le manuscrit de
D'Urfé, ne rencontra ce volume qu'en 1787, au dépôt des Chartes et
monuments historiques de la place Vendôme, et ne put savoir
comment il y était arrivé. De ce dépôt, le manuscrit passa à la
Bibliothèque nationale. Jules Quicherat l'y trouva et, après l'avoir
étudié à fond, confirma le jugement de L'Averdy sur l'authenticité
de la minute susdite. Quant à ses idées sur les autres parties, on
peut les voir dans le cinquième volume de son grand ouvrage,
pp. 438 et suivantes. On peut regretter que Richer n'ait pas eu
sous la main ces textes précieux; ce qu'il a pu faire à leur défaut,
il l'a fait, et sa traduction reste d'une exactitude à laquelle il n'y
a qu'à rendre justice.
208 E. RICHER. LA PUCELLE d'oRLÉANS
2° Edmond Hicher — on a pu sen apercevoir — n'est pas un
liistorien de l'école descriptive. 11 y a certains sujets qu'il eût pu
traiter, les uns de façon plus synthétique et plus approfondie, par
exemple, le sujet des Voix de la Pucelle; les autres avec des
détails plus complets, par exemple le récit de l'abjuration du
cimetière de Saint-Ouen, ceux de la provocation du cas prétendu
de relaps et de la scène du supplice. Pour le sujet des Voix, les
interrogatoires du procès d'office, pour les deux autres les dépo-
sitions des enquêtes de la réiiabilitation lui offraient une documen-
tation abondante. Notre historien n'a pas cru devoir en user, de
crainte sans doute de pécher par excès. Si ce sont là de vrais desi-
derata, nous en prévenons le lecteur, sauf à y suppléer, si les
limites du cadre qui nous est tracé le permettent.
LÉDlTEUll.
J
DE COMPIEGNE A ROUEN
CAPTIVITÉ, PROCÈS, SUPPLICE
I
[considérations préliminaires. AVANT LE PROCÈs]
Deux choses incitoient principalement les François à
mener grand deuil de la prise de la Pucelle. La première,
qu'il se voioient privez de sa présence, leur ayant toujours
esté à très grand bonheur : outre la douceur de ses mœurs
agréable à tout le monde, aucuns exceptez qui pouvoient
envier l'esclat de sa vertu.
L'autre cause estoit l'inimitié mortelle que les Anglois et
Bourguignons portaient à cette fille, ayans conspiré sa mort:
et ne la voulurent jamais délivrer pour quelque offre de
finances que le Roy leur fit'. Caries nostres maintenoient
qu'elle devoit être traictée en prisonnier de guerre. Et tout
ainsi qu'à une nécessité publique, comme un siège et assaut
d'une ville, les femmes et les filles peuvent licitement pren-
dre les armes pour repousser l'ennemi commun ; au cas
semblable, la Pucelle subjecte de sa Majesté, cognoissant
l'extrémité à laquelle estoit réduit son Estât, avoit pu par
inclination naturelle prendre les armes pour la deffense
de sa patrie, et à plus forte raison, y estant particulière-
ment invitée par ordre spécial qu'elle en avoit du ciel.
1. On ne connaît pas de document sérieux établissant que Charles YII
ait offert au roi d'Angleterre une somme quelconque, ou tenté quoi que-
ce soit pour délivrer la Pucelle.
14
210 E. RICHEH. LA PUCELLE D ORLÉANS
Sa sainteté de vie conjointe à ses exploits miraculeux
montroient clairement que les ennemis du Roy n'avoient
[pas] Dieu pour protecteur de leurs armes. xMais, au con-
traire, les Anglois détorquoient faussement toutes les actions
héroïques de cette fille à sorcellerie, hérésie, idolâtrie, publians
que, par art diabolique, elle avoit promis au Roy de le ren-
dre paisible [possesseur] de tout le royaume de France et
de débeller ses ennemis. Et toutes les chaires des prédica-
teurs de leur parti retentissoient de tels mensonges et calom-
nies qu'ils imputoient à la Pucelle. Procédé qui nous
apprend ce que peut la haine publique aux discussions
civiles, et qu'il ne faut adjouter foy aux bruits de ville trom-
petiez par des ennemis. Certes, il n'est pas en la puissance
de l'Enfer de donner des royaumes et d'en rendre paisibles
[possesseurs] ceux auxquels il les promettroit, estant toute
autre chose de promettre et donner : joinct que les pro-
messes de Satan ressemblent aux songes de ceux qui, en dor-
mant, pensent avoir bien de l'argent, et après estre éveillez,
se trouvent les mains vuides, ainsi que dit l'Ecriture. Que si
cette calomnie des Anglois avoit lieu aujourd'huy, maintes
personnes se sacrifieroient au diable pour se rendre monar-
ques et obtenir victoire de leurs ennemis. Et ne seroit [pas]
besoin faire tant de sièges de villes, et donner tant de
batailles rangées, pour gagner et conserver les royaumes.
Saint Paul, chap. ii aux Hébreux^ nous apprend que «Dieu
n'a point assubjecti le monde aux anges pour en ordonner à
leur volonté, mais au Saint Esprit qui distribue et départ
ses grâces tout ainsi qu'il lui plaist ;>. Or, tout ainsi que la
propérité des armes du Roy démonstre et confirme que cette
fille estoit envolée de Dieu, attendu que les Anglois en douze
ou quinze ans furent totalement exterminez du royaume de
France, au cas semblable elle redargue et condamne l'inique
usurpation des ennemis de sa Majesté, et nous fait voir que
toutes les forces humaines, la sapience du monde et autres
artifices que l'on emploie ou oppose contre les ordonnances
du ciel, s'esvanouissent en fumée : et les Anglois qui
pensoient flestrir d'ignominie le Roy de France et ses bons
et fidèles subjccts par le supplice ignominieux et cruel qu'ils
DE COMPIÈGNE A ROUEN. LE PROCÈS 211
firent endurer h la Pucelle, l'ayant fait brusler comme sor-
cière, hérétique et imposant des mensonges etfaussetez, fai-
sant séduire et idolastrer le peuple après elle, ont eux-
mêmes succombé à cette haine et au péril et peste qui en
est ensuivie. Car le Roy de France a triomphé de toutes leurs
armées et provinces qu'il a subjuguées et réunies à la cou-
ronne, n'ayans plus, Dieu mercy, qu'à chercher en France
sinon les sépulcres et ossements de tous leurs chefs d'armées
et gens de guerre qui y sont morts en très grand nombre.
Ce que la Pucelle, en la cinquiesme séance de son procez,
leur prédit en esprit de prophétie articulée en ces propres
termes au procez latin :
« Item dixit quod antequam sint septem anni, Anglici
dimittent majus vadium quam fecerunt coram Aurelianis, et
quod lotum perdent in Francia ; dicit etiam quod preefati
Anglici haberent majorera perditionem quam habuerunt
in Francia ; et hoc erit per magnam victoriam quam Deus
mittet Gallicis. Ego bene scio istud per revelationem quse
mihi facta est, et quod ante septem annos eveniet. » {Pro-
cès, t. 1, p. 84.)
Traduction de ce passage : « Elle a déposé que aupara-
vant sept ans, les Anglois quitteront un bien plus grand
gage qu'ils n'ont fait devant Orléans et qu'ils perdront tout
ce qu'ils ont en France*. Dit pareillement qu'ils recevront la
plus grande perte qu'ils ayent onques eue en France ; que
cela arrivera par une grande victoire que Dieu envolera aux
Français : qu'elle sçait cela par révélation qui lui a esté
faicte, et que cela adviendra devant sept ans révolus. »
De vérité, environ sept ans après la mort de celte fille,
les Anglois furent chassez de Paris qui est un gage de bien
plus grand prix et conséquence que n'estoit Orléans, et quel-
que temps après, de toute la Guyenne et Normandie. De sorte
que la mort de cette vierge a causé leur ruine entière, son
sang innocent criant vengeance au ciel.
Les Grecs voulans monstrer que la Providence divine ne
laissoit jamais aucuns maléfices impunis, ont peint une
déesse Némésis qui recherchoit la vengeance de tous les
212 E. RICHER. LA F'UCELLE d'oRLÉANS
forfaits des hommes, comme ils disent qu'elle fit à l'endroit
des Perses qui avoient voulu ruiner la Grèce. Car toute l'ar-
mée de Xerxès qui estoit de plus de seize cent mille hommes
fut entièrement dissipée : et par après, retournez qu'ils
furent en leurs païs, ils s'entrefirent la guerre et s'entre-
tuèrent les uns les autres, frères bandés contre frères : vraye
image de ce qui est arrivé aux Anglois, ainsi que Philippe
de Commines a sagement remarqué, au livre troisiesme,
chapitre quatriesme de ses mémoires, en ces propres termes,
parlant des guerres survenues entre la maison de l'Anclastre
et d'Yorth [de Lancastre et d'York , celle-ci ayant entière-
ment ruiné l'autre.
« Durant les guerres de ces deux maisons y avoit eu en
Angleterre sept ou huit grosses batailles et [étoient] morts
cruellement soixante ou quatre-vingt princes ou seigneurs
de maison royale ; et ce qui n'estoit mort estoit fugitif en la
maison du duc de Bourgogne, comme ses parents de L'An-
clastre, lesquels j'ay veus en si grande pauvreté, avant que le
duc de Bourgogne les eust recueillis, que ceulx qui deman-
dent l'aumosne ne sont pas si pauvres. Car j'ay veu un duc
estre allé à pied sans chausses après le train du duc de Bour-
gogne, pourchassant sa vie de maison en maison sans se
nommer. — G'estoit le plus prochain de la lignée de l'An-
clastre et avoit espousé la sœur du roy Edouard. — Après
avoir esté cogneu du duc de Bourgogne, il eut une petite pen-
sion pour s'entretenir. Ceux de Sommerset et autres y
estoient : tous sont morts depuis ces batailles. Leurs pères
et leurs parents avaient pillé le royaume de France et pos-
sédé, la plus part, maintes armées. Ceux qui estoient en vie
en Angleterre et leurs enfants sont finis comme vous voyez.
Et puis l'on dit que Dieu ne punit plus les gens comme il
vouloit du temps des enfants d'Israël, et endure les mauvais
Princes et mauvaises gens '■. «
Considération digne de l'esprit judicieux et de la grande
probité de Philippe de Commines que l'on peut comparer à
1. Tout ce passage de Comincs, que, pour simplifier nous avons mis
entre guillemets, est souligné dans le manuscrit d'E. Richer, et non
guillemeté.
DE COMPIKGNE A ROUEN. — LE PROCES 213
Polybe pour les beaux enseignements politiques dont il a
enrichi ses mémoires.
II
[DU PROCES MEME. — COMMENT L AUTEUR LE DIVISE
ET VA l'étudier]
Or, les Anglois voulans faire succéder leurs desseins et
condamner cette fille comme sorcière, hérétique, etc.,
emploièrent le prétexte de la religion afin de tirer cette
cause en cour d'Église. Et se servit-on premièrement de
V Unioersité de Paris qui estoit devenue toute Angloise par
la faction des ducs de Bourgogne desquels les supposts de
l'Université s'estoient rendus esclaves. De sorte mesme que
pour lors la Sorbonne faisant bastir le corps ou logis qui
estoit sur la rue de Sorbonne joignant au cloistre Saint-
Benoist, y fit relever en bosse les armes d'Angleterre,
sçavoir trois grandes roses qui avoient chacune en diamètre
un pied et demy, et y ont demeuré jusqu'à cette présente
année 16:28, que ce logis a esté entièrement démoli pour
satisfaire au dessein de M. le Cardinal de Richelieu qui faict
rebastir tout à neuf le collège de Sorbonne. Et faut noter que
les maisons d'Yorth et de l'Anclastre, ces deux races royales
d'Angleterre, avoient blasonné leurs armes de trois roses, l'une
des blanches et l'autre des rouges ; blasons qui ont servi de
distinction pendant leurs mortelles partialitez et divisé tout
le royaume.
Ce procez fut premièrement faict et couché en langue
franroise, car la Pucelle n'en entendoit et parloit point
d'autre : mais depuis quelques années après sa mort, il fut
abrégé et rédigé en latin par maistre Thomas de Courcelles,
docteur en théologie, l'un des juges ', et Guillaume Manchon,
notaire apostolique à Rouen : tellement que l'original fran-
çais sur lequel on debvoit faire et prendre toutes les délibé-
1. Thomas de Courcelles n'était pas un des juges de la Pucelle, mais
l'un des six docteurs envoyés par l'Université de Paris, dont Pierre
Gauclion fit ses conseillers intimes.
214 E. mCHER. LA PUCELLE D ORLEANS
rations de l'innocence ou condamnation de la Pucelle fut
malicieusement supprimé : outre que les juges firent
omettre et glisser en l'original françois tout ce que bon leur
semble pour leur décharge et rendre cette fille plus crimi-
nelle. Ils supposèrent encore douze faux articles latins
qu'ils envolèrent à l'Université de Paris pour la condamner
comme sorcière et hérétique. Toutes fois si n'ont-ils pu tant
espandre de ténèbres et d'iniquitez malignes que, Dieu
mercy, l'on ne tire de leur prétendu procez de grandes
lumières pour la justification de la Pucelle ; quoique l'éves-
que de Beauvais et ceux qui Tont assisté n'aient rien omis de
tout ce que leur passion, armée des forces et de la présence
du Roy d'Angleterre, leur a pu fournir pour condamner
cette fille.
Car le duc de Bethfort ou de Sommerset, régent du
royaume, fit expressément venir à Rouen le Roy d'An-
gleterre, quoique pupil et en bas âge, crainte qu'elle ne leur
eschappast.
Or, afin que le lecteur puisse juger de tout ce procez, nous
le représenterons tout entier, et pour en faciliter l'intelli-
gence, nous le diviserons en cinq parties.
La première desquelles contient tous les actes, préambules
et dispositifs à ce procez.
La seconde fera veoir ce qu'ils appellent procès d'office,
c'est-à-dire tous les interrogatoires faicts à la Pucelle, avec
ses responses et confessions, en quinze séances, esquelles
elle a esté le plus souvent examinée six heures entières
chacun jour, durant tout le caresme, sçavoir trois heures
devant et autant après midy. Outre plus de soixante articles
calomnieusemenl produits par le Promoteur, auxquels sem-
blablement elle a respondu.
Et n'y eust onques procez auquel ont ait apporté tant de
haine, tant de mauvaise foy, cavillations et chicaneries. Une
pauvre bergère, mineure, âgée d'environ dix-neuf ans, ne
sçachant lire ni écrire, ayant les fers aux pieds, et outre cela
enchaisnée et gardée par les Anglois qui estoient pareille-
ment ses juges et mortels ennemis, est plusieurs fois inter-
rogée sur une mesme chose à divers jours, par basions
DE COMPIÈGNE A ROUEX. LE PROCES 215
rompus, etmesme plusieurs parlans à elle tout à la fois pour
la troubler ; et n'est pas seulement interrogée sur ces pro-
pres faicts et sur tous les faux, bruits que les Anglois avoient
faict courir contre son honneur, mais aussi sur des questions
de la plus sublime théologie scholastique et sur des équivo-
ques desquels un sçavant théologien seroit assez empesché
de se démesler pertinemment, comme, par exemple :
« Si elle est en la grâce de Dieu ; »
Et quand elle se confesse, « si elle est en péché mortel, et
croit ne pouvoir pécher mortellement, ses voix lui ayant
révélé qu'elle seroit sauvée ;
« Si les voix qui parlent à elle sont immédiatement créées
de Dieu ;
« Pour quoy elle a fait peindre en son estandart les
anges corporels, et si Dieu les a ainsi créez dès le commen-
cement :
« De quelle stature estoit saint JMichel, comment il estoit
vestu, s'il avoit des cheveux et les balances en main ; et
n'ayant point de langue, comment il pouvoit parler : si, à
cause de sa prison, il lui a manqué aux biens de la grâce
ou de la fortune ;
« .Si elle ne veoit pas que Dieu a révélé immédiatement
l'Escriture Sainte à son Eglise et qu'elle ne peut errer ; et si
elle ne se veut pas soumettre en tout et partout à l'Eglise
militante ;
« Si ses voix parloient Anglois et si Dieu hait les Anglois
pour ce que leurs affaires ne prospèrent à présent ; et quand
elles prospéroient, s'il estoient aymés de Dieu ;
« Si son Roy a bien faict en faisant tuer le duc de Bour-
gogne ; » et autres semblables questions : outre plusieurs
choses ridicules, obliquitez, chicaneries desquelles un Audi-
teur de Rote on subtil advocat du Parlement seroit assez
empesché de se développer. A quoy néantmoins cette lille a
satisfait admirablement bien ; ce qui donne à cognoistre
qu'elle estoit illuminée d'un esprit plus qu'humain.
En la troisiesme partie nous représenterons ce qu'ils
appellent le procez ordinaire lequel ne contient rien de
210 E. RICHER. — LA. PUCEI.LR d'oRLKANS
vérité quant aux charges, mais seulement les propositions
et inductions que le promoteur de l'Evesque de Beauvais
a calomnieusement et faulssement détorquez des dépositions
et responses de la Pucelle : car il pose pour tout avéré ce
quelle a nié absolument, et au contraire [pour] nié ce qu'elle
a confessé, sans apporter d'ailleurs aucunes preuves ni pré-
somptions valables de ce qu'il allègue.
Gomme, pour exemple, la Pucelle ayant confessé que dès
l'âge de treize ans, elle a esté conseillée par saint Michel et
saintes Catherine et Marguerite, et excitée fortement d'aller
au secours du Roy de France, il conclut de là que dès son
premier âge elle s'est abandonnée à la sorcellerie et a
consulté les malins esprits, sans en donner d'autre preuve
que la conspiration qu'ils avoient faicte de faire mourir cette
fille.
La quatriesme partie consiste en douze articles extraits
de ce procez ordinaire qui rendent la Pucelle aussi noire et
criminelle que les diables d'enfer. Lesquels articles ont esté
envolez à l'Université de Paris et à plusieurs ecclésiastiques,
çà et là, voire mesme à gens de palais pour donner leur
advis et censure sur iceulx articles, et non sur les propres
confessions et dépositions de cette fille couchées en langue
françoise au procez original, lequel on n'a jamais représenté
à l'Université de Paris ni à tous ceux qui ont donné juge-
ment contre la Pucelle ; et conséquemment leur juge-
ment est nul comme estant donné sur des faits faulx.
La cinquiesme [partie] contient deux sentences de l'évesque
de Beauvais données en moins de huit jours sur ces douze
prétendus articles qui furent envolez à l'Universilé de
Paris.
La première est la sentence par laquelle ils font faulsse-
ment entendre que la Pucelle s'est volontairement retractée,
et en conséquence de cette sentence l'ont après condamnée
comme relapse à esire bruslée toute vive, sans qu'au préa-
lable elle ayt esté condamnée par aucun juge séculier ou
qu'il soit intervenu de sa part quelque jugement capital. De
DE COMPIÈGNE A ROUEN. LE PROCES 217
manière que de la main de l'Evesque de Beauvais elle passa
immédiatement en celle du bourreau ; façon de procéder
jamais usitée auparavant.
Au surplus, il y a en ce procez plusieurs interrogatoires et
redites ennuyeuses qui ne plairont [pas] au lecteur. Mais il
doibt voir qu'en matière d'histoire il vaut beaucoup mieux
faillir à plaire qu'à rapporter fidèlement la vérité : à quoy je
me suis totalement estudié.
PREMIERE PARTIE DU PROCEZ
CONTENANT LES PRÉPARATIFS ET ACTES PRÉAMBULAIRES
A ICELUY
Afin de traicter par ordre toutes choses, faut sçavoir que
l'Université de Paris a rué (jeté) la première pierre du scan-
dale contre la Pucelle, ayant escrit en langue Françoise au
duc de Bourgogne, pour lors gouverneur de Paris, à ce qu'il
luy pleust faire délivrer cette fille à l'Evesque de Beauvais,
en ces propres termes :
Lettre de l'Université de Paris
AU DUC de Bourgogne
« Très hauLei très puissant Ih'ince, et noslre très redoublé et lion-
noré Seigneur : Nous nous recommandons très humblement a vostre
haul tasse. Combien qu'aultres fois, nostre très redoublé el honnoré
Seigneur, Nous ayons par devers vostre haultesse escril el supplié
très humblement à ce que cette femme dicte la Pucelle estant
(la mcrcy Dieu) en vostre subjeclion, fus mise es mains de la
justice de l'Eglise pour luy faire son procez deuomenl sur les
idolâtries et autres matières louchant noire saincle foy, el les
escandes réparer à loccasion d'elle survenues en ce Royaume :
ensemble les dommages el inconveniens innumerables qui en sont
ensuyvis. toutes fois nous n'avons eu aulcune response sur ce,
el n'avons point sceu que, pour faire du faicl d'icelle femme discu-
cion convenable, ail esté faicte aucune provision : mais doublons
moult que par la faulseté el séduction de Pennemy d'enfer et par
la malice el subtilité des personnes mauvaises vos ennemys el
adversaires, qui mettent toute leur cure comme l'on dit a vouloir
délivrer icelle femme par voycs exquises, elle soit mise hors de
vostre subjeclion par quelque manière, que Dieu ne veuille per-
mettre. Car, en vérité, au jugement de tous bons catholiques
cognoissans en ce, si grande lésion en la saincle foy, si énorme
péril, inconvénient et dommage pour toute la chose publique de
ce Royaume ne sont avenues de mémoire d'homme, si comme
DE COMPIÈGNE A ROUEN. — LE PROCÈS 219
seroit si elle partoit par telles voies damnées sans convenable
réparation : mais serait en vérité grandement au préjudice de
voslre honneur, et du très chrestien nom de la maison de France,
dont vous, et voz très nobles progeniteurs, avez esté et estes conti-
nuellement rojaux Protecteurs et très nobles membres principaulx.
Pour ces causes, nostre très redoublé et honnoré Seigneur, Nous
vous supplions derechef très humblement qu'en faveur de la foj
de nostre Sauveur, à la conservation de la saincte Eglise, et
tuition de l'honneur divin, et aussy pour la grande utilité de ce
Royaume très chrestien, il plaise à vostre haultesse icelie femme
es mains de l'Inquisiteur de la foy mettre, et l'envoier seurement par
deçà, par ainsy qu'aultres fois avons supplié, ou icelie femme bailler
ou faii'e bailler a Révérend Père en Dieu Monseigneur l'Evesque de
Beauvais en la juridiction spirituelle duquel elle a esté appre-
handée : pour à. icelie faire son procès en la foy comme il appar-
tiendra par raison, à la gloire de Dieu à l'exaltation de nostre
dicte saincte foy, et au profit des bons et loyaulx catholiques, et de
toute la chose publique de ce Royaume : et aussi à l'hohneur et
louange de votre dicte haultesse, laquelle notre Sauveur veuille
maintenir en bonne prospérité, et finalement luy donner sa
gloire. Escript, etc. ' ».
ADVERTISSEMENT
Ces lettres ainsi couchées en françois témoignent la barba-
rie du siècle, et sont tirées du procez de la Pucelle, tout au
commencement, et n'y a aucune date. 3Iais il est croyable
quelles ont esté escrites incontinent après la prise de la
Pucelle. Veu mesme que par icelles l'Université faict men-
tion avoir desjà envoie d'autres lettres sur ce subject au duc
de Bourgogne. Les lettres de frère Martin, docteur en théolo-
gie, suffragant de l'Inquisiteur, sont datées du vingt-sep-
tième niay 1430, qui sont trois jours seulement après la prise
de la Pucelle. Or, nous apprenons parles lettres de l'Univer-
sité que les serviteurs du Roy s'emploioient fort afin de faire
délivrer cette fille pour quelques sommes de finance. Et la
mesme Université requiert qu'elle soit envolée à Paris, ou
mise entre les mains de l'Evesque de Beauvais, en tant
1. Cette lettre se trouve dans J. Quiclicrat, t. I, p. 8-10. Entre le texte
de Richer et celui de J. Quicherat, il n'y a qu'une légère différence
d'orthographe. Celle-ci est un peu plus rajeunie chez Richer que chez
J. Quicherat. La lettre est sans date.
220 E. mCHEU. L\ PUCELLE d'oULÉANS
qu'ils prétendent qu'elle avoit esté prise en son diocèse ou
juridiction spirituelle, chose faulse et supposée, estant certain
qu'elle fut prise au territoire deCompiègne qui est en la juri-
diction spirituelle de l'Evesque deSoissons.
Les lettres de l'Université au seigneur de Luxembourg
contiennent encore la niesme chose, et déclarent plus parti-
culièrement que les François vouloient Iraicter de la rançon
de la Pucelle, ce que pour empescher l'Evesque de Beauvais
intervient, faisant entendre qu'elle lui estoit justiciable et
qu'on ne pouvoit la délivrera aultre qu'à lui sans encourir
les peines de droict, c'est-à-dire les censures. De tout cela le
seigneur de Luxembourg ne se soucioit guères, demandant
une grosse rançon, ainsi que nous verrons.
Les lettres de l'Université au duc de Bourgogne furent
accompagnées daultres lettres delà mesme Université, escri-
tes pareillement en françois, au seigneur de Luxembourg qui
tenoit la Pucelle captive au chasteaude Beaurevoir en Artois,
desquelles ensuit la teneur :
Lettre de i,' Université de Paris
A NOBLE et puissant SEIGNEUR JeAN DE LUXEMBOURG '
« Très noble, honoré et puissant Seigneur, Nousnous recommandons
moult affectueusement a voslre haulte Noblesse. Vostre noble pru-
dence scait bien et cognoist que tous bons cbevaliers catboliques
doibvent leur force et puissance emploier premièrement au service
de Dieu, et en après au pi'ofit de la cliose publique: en especial le
serment premier de la cbevalerie si est de garder et deffendre
l'bonneur de Dieu, la foy catholique, et sa saincte Eglise. De ce
sacrement vous estes bien souvenu quand vous avez vostre noble
puissance et présence personnelle emploiée a appréhender cette
femme qui se dit la Pucelle, au moien de laquelle l'honneur de
Dieu a esté sans mesure offensé, la foy excessivement blessée, et
l'Eglise trop fort deshonnorée, car par son occasion idolâtries,
erreurs, mauvaises doctrines et auslresmaulx et inconveniens inesti-
mables se sont ensuyvis en ce Royaume. Et en vérité tous loyaulx
chrestiens vous doibvent mercier grandement d'avoir faict si grand
service à nostre saincte foy, et a tout ce Royaume. Et quant à
1. Voir J. Quiclierat, Procès, t. I, p. 10-11. Sur les deux textes com-
parés, niêmos observations (|Uo ci-dessus. Quant à la rançon que les
Anglais redoutaient, Charles VII no songea pas à l'olTrir.
DE C0MPIP:GXE a ROUEN. LE PHOGES 221
nous, nous en mercions Dieu de tous nos courages et vostre nohli;
prouesse, tant certes que faire pouvons. Mais peu de chose seroitavoir
faict telle prinse si ne s'ensuyvoit ce qu'il appartient pour satis-
faire l'offense par icelle femme perpétrée contre nostre doux
Créateur et sa foy et sa saincte Kglise, avec ses autres mesfaicts
innumerables, comme on dit. Et seroit plus grant inconvénient
que oncques mais, et plus grant erreur demoureroit au peuple que
par avant: et si seroit intoUerable offense contre la majesté divine
si celte chose demouroit en ce point : ou qu'il advint que icelle
femme fust délivrée on perdue, comme on dit aucuns des adver-
saires soy vouloir efforcer de faire et appliquer à ce tous leurs
entendemens par toutes voyes exquises, et qui pis est, par argent
et rançon. Mais nous espérons que Dieu ne permettra pas advenir
un si grand mal sur son peuple, et que aussy vostre bonne et
noble prudence ne le souffrira pas ; mais y sçaura bien pourveoir
convenablement. Car si ainsy étoit faicte délivrance d'icelle sans
convenable réparation, ce seroit deshonneur irréparable à vostre
grande Noblesse et à tous ceulx qui de ce se seroient entremis.
Mais à ce que telle escande cesse le plustot que faire ce pourra,
comme besoin est, et pour ce que en cette matière le delay est très
périlleux et très préjudiciable à ce Royaume, Nous supplions très
humblement et de cordiale affection à vostre puissante et honorée
Noblesse, que en [faveur de l'honneur divin, et à la conservation
de la foy catholique, et au bien et exaltation de tout ce Royaume,
vous veuillez icelle femme mettre en justice, et envoier par deçà
k rinquisiteur de la foy qui icelle a requise et requiert instamment
pour faire discussion de ses grandes charges, tellement que Dieu
en puisse estre content, et le peuple édifié deùement en bonne et
saincte doctrine. Ou vous plaise icelle faire rendre et délivrer à
Révérend Père en Dieu, et nostre très honoré Seigneur l'Evesque
de Reauvais qui icellQ a pareillement requise, en la juridiction
duquel elle a esté appréhendée, comme on dit. Lesquels Prélat et
Inquisiteur sont juges d'icelle en la matier.e de la foy. Et est tenu
obéir tout clirestien de quelque estât qu'il soit à eux, en ces cas
presens, sur les peines de droict qui sont grandes. En ce faisant
vous acquérez la grâce et amour de la haulte divinité : vous
serez moien de l'exaltation delà saincte foy, et aussy accroistrez la
gloire de vostre noble et heureux nom, et mesme de très haut et
puissant Prince nostre très redoublé Seigneur et le vostre, Monsei-
gneur de Rourgongne. Et chacun sera tenu à prier Dieu pour la
prospérité de vostre très noble personne, laquelle Dieu nostre
Sauveur veuille par sa grâce conduire et garder en tous ses
affaires, et finalement luy rétribuer joye sans fin. Escript, etc. ' ».
1. J. Quicherat, p. dl, op. cit., ajoute, d'après un manuscrit publié
par Buchon : « ... à Paris le quatorzième jour de juillet (lualorze cent
trente. » Date qui ne figurait pas sur le manuscrit suivi par K. Riclier.
ZZZ E. RICHER. LA PUCELLE D ORLEANS
Après les lettres de lUniversité au duc de Bourgogne et
au seigneur de Luxembourg, celles de frère Martin V, docteur
en théologie de l'ordre des Jacobins, vicaire de frère Jean
Gravèrent, aussi dominicain, docteur en théologie, Inquisi-
teur de la foy au royaume de France, sont registrées en ces
propres termes :
Lettre du vicaire de l'Inquisiteur de la foy
AU duc de Bourgogne -
« A très haultet très puiasant Prince Philippe duc de Bourgongne,
comte de Flandres, d'Arthois, de Bourgongne et de Namur, et à
tous aultres à qui il appartiendra, frère Martin M^ en Théologie et
vicaire général de l'Inquisiteur de la foy au Royaume de France,
salut en Jésus-Christ nostre vray sauveur. Gomme tous loyaulx
Princes Chrestiens et tous aultres vrays catholiques soient tenus
extirper tous erreurs venans contre la foy, et les escandes qui
s'ensuivent au simple peuple chrestien : et de présent soit voix et
commune renommée que par certaine femme nommée Jeanne
que les adversaii-es de ce Royaume appellent la Pucelle, ayant esté
à l'occasion d'icelle en plusieurs citez, bonnes villes, et aultres
lieux de ce Royaume, semez, dogmatisez, publiez et faict publier
et dogmatiser plusieurs et divers erreurs, et encores font de
présent, dont s'en sont ensuivis, et ensuivent plusieurs grandes
lésions, et escandes contre Ihonneur divin, et nostre saincte foy,
à la perdition des âmes de plusieurs simples chrestiens, les-
quelles choses ne se peuvent, ne [ ni ] doibvent dissimuler, ne pas-
ser sans bonne et convenable réparation; et il soit ainsy que la
mercy Dieu ladicte Jeanne soit de présent en vostre puissance et
subjection, ou de vos nobles et lojaulx vaâsaulx : pour ces causes
nous supplions de bonne affection à vous, très puissant Prince,
et prions vosdicts nobles vassaulx, que ladicte Jeanne par vous ou
iceux nous soit envolée seurement par deçà, et brièvement. Et
avons espérance que ainsy le ferez comme vrays protecteurs de
la foy, et detlendeurs de l'honneur de Dieu. Et à ce que aucu-
nement on ne face empeschement ou delay, sur ce que Dieu
ne veuille. Nous, en usant des droicts de nostre office, de l'au-
thorité à nous commise du Saincl Siège de Rome, requérons
instamment, enjoignons en faveur de la foy catholique et sur les
1. Son nom était Billory ou Bellorini ou Bellornin. D'après le père
dominicain Henri Denifle, ce serait Billory. (Ci'., Charialarium Univer-
sitalis. Paris, t. IV, p. 510, nuni. 2372.)
2. Voir J. Quiclierat, Procès, t. I, p. 12-13. Mêmes observations qu'au
sujet des lettres précédentes.
i
DE COMPIÈGXE A ROUEN. LE PROCES 223
peines de droit, aux dessusdicts et à tous autres personnes catho-
liques de quelque estât, condition, prééminence, ou authorité
quils soient, que le plus tost que seurement et convenablement
faire ce pourra, ilz et chacun d'eulx envoient, et amènent toute
prisonnière par devers nous ladicte Jeanne soupçonnée véhémen-
tement de plusieurs crimes sentans hérésie, pour ester a droit par
devant nous contre le procureur de la saincte Inquisition, respon-
dre, et procéder comme de raison debvra au bon conseil, faveur
et aide des bons Docteurs et Maistres de T Université de Paris, et
îufitres notables Conseillers estans par deçà. Donné a Paris soubs
notre scel de Toffice de la saincte Inquisition, l'an mil quatre cent
trente, le vingt septième jour de may. Signé Le Fourbel'R. ' ».
ADVERTISSEMENT
Messire Pierre Cauchon, conseiller du Roy d'Angleterre et
Evesqiie de Beauvais, désirant grandement d'estre juge en
cette cause, et sçachant bien que sa conscience et le parti
auquel il s'estoit engagé le rendoient trop récusable, a faict
tout ce qu'il a pu afin de faire intervenir l'Inquisiteur de la
foy commis par le Saint-Siège apostolique dans le royaume
de France, pour en congnoistre conjoinctement avec lui : et,
à ces fins, requitetinterpella plusieurs fois maistre Jean Magis-
tri, docteur en théologie, dominicain, commis à l'Inquisi-
tion pour le diocèse de Rouen, vouloir prendre cognoissance
de ce procez conjoinctement avec lui. Ge que Magistri refusa
maintes fois de faire, alléguant pour excuse que l'Evesque
procédoit en tant que juge ordinaire de la Pucelle comme
ayant esté prise en son diocèse, et que son vicariat d'inqui-
siteur ne s'étendoit que sur l'archevesché de Rouen. Ce con-
sidéré, l'Evesque de Beauvais somma maistre Jean Gravèrent,
dominicain, docteur en théologie, commissaire général de
l'Inquisition pour tout le royaume de France, à ce qu'il
eust à se rendre en la ville de Rouen pour vaquer à ce pro-
cez. Gravèrent ne voulant souiller sa conscience en ce
procez, amplifia la commission de maistre Jean Magistri
pour y travailler avec l'Evesque de Beauvais. Ce nonobstant,
1. Dans le texte de J. Quiclierat. p. 12, on lit « le xxvi» jour de may »
«LU lieu de « vingt-septième » ; et au nom de Le Fourbeur est joint
Cflui de « Hébert ».
'J24 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLÉANS
Magistri différa tant quil put, ainsi qu'on le recongnoist par
les actes du procez du lundi, dix-neufvième febvrier et aultres
jours suyvans jusques au lundi douziesme mars 1430 (vieux
style), que la huictième séance fut tenue, comme pareillement
par la déposition des témoins qui ont esté ouys en la révision
du procez.
Sommation de l'Evesque de Beauvais
En suite des lettres de l'Inquisiteur de la foy, au procez de
la Pucelle est insérée la sommation que l'Evesque de Beauvais
a faicte au duc de Bourgogne et au comte de Luxembourg
et au bastard de Wandonne de la part du Roy d'Angleterre,
à ce qu'ils aient à livrer et mettre la Pucelle entre les mains
dudict Evesque pour lui faire et parfaire son procez. Voici la
teneur dudict acte.
« C'est ce que requiert l'Evesque de Beauvais à Monseigneur le
duc de Bourgongne, et à Monseigneur Jean de Luxembourg, et au
bastar de Vendone, par le Roy nostre Sire, et de par luy comme
Evesque de Beauvais. Que celle femme que Ton nomme communé-
ment Jeanne la Pucelle, prisoniere, soit envolée au Boy pour la
délivrer à l'Eglise pour luy faire son procès, pour ce qu'elle est
suspectionnée et diffamée d'avoir commis plusieurs crimes comme
sortilèges, idolâtries, invocations d'ennemys, et autres plusieurs
cas touchant nostre foy et contre icelle. Et combien qu'elle ne
doibt point estre de prise de guerre comme il semble, considéré ce
qui dict est, neantmoins pour la rémunération de ceux qui l'ont
prise, et détenue, le Boy veut libéralement leur bailler jusques à
la somme de dix mil francs : et pour ledict bastar qui l'a prise,
luy donner et assigner rente pour soustenir son estât jusques à
deux ou trois cens livres. Item et ledict Evesque requiert de par
luy aux dessus dicts, et à chacun d'eulx, comme icelle femme ait
esté pi"ise en son diocèse, et soubs sa jurisdiction spirituelle, qu'elle
lui soit rendue pour luy faire son procez comme il appartient.
A quoy il est tout prest d'entendre par l'assistance de l'Inquisi-
teur de la foy, si besoin est, et par l'assistance des Docteurs en
Théologie et en décret, et austres notables personnes expers en
faict de judicature, ainsy que la matière l'equiert, affm qu'il soit
meurement et deuëment faict à l'exaltation de la foy, et à l'ins-
truction de plusieurs qui ont esté en cette matière deceus et abusez
à l'occasion d'icelle femme. Item et en la parfin, si par la manière
avant dicte ne veulent ou soient aucun d'eulx estre contents ou
i
DE COMPIEGNE A ROUEN. LE PROCES 225
obtempérer en ce que dessus est dit, combien que la prise dicelle
femme ne soit pareille à la prise d'un Roy, Princes, ou autres gens
de grand Estât lesquels toutes fois si pris esloient ou aucun de
tel estât, fust Roy, le Dauphin, ou autres Princes, le Roy le pour-
roit avoir s'il le vouloit, en baillant dix mil francs au preneur,
selon droit, usage et coutume de France, ledict Evesque somme
et requiert les dessus dictsau nom que dessus, que ladicte Pucelle
luy soit délivrée en baillant seureté de ladicte somme de dix mil
francs pour toutes choses quelconques. Et ledict Evesque de par
luy. selon la forme et peines de droicts, ce requiert à luy estre
baillée, et délivrée comme dessus ' ».
ADVERTLSSEMENT
Cette pièce est fort considérable et montre que l'Evesque
de Beauvais afîectoit passionnément d'estre juge de la Pucelle.
Néantmoins il se rend récusable par ce mesme acte en plu-
sieurs poincts.
Le premier est que cette sommation est faicte pour et au
nom du Roy d'Angleterre, ennemi conjuré du Roy de France
et de la Pucelle qui avoit deffaict tous ses gens au siège
d'Orléans, de Jargeau, de Boisgency et à la rencontre de
Patay ; outre qu'elle l'avoit encore expulsé de plusieurs
bonnes villes de France. Raisons qui dévoient empescher ce
prélat d'emploier en ses actes le nom du Roy d'Angleterre,
duquel il se rend agent et solliciteur, préposant mesme son
intérêt particulier à celui de la foy et de l'Eglise, demandant
que la Pucelle soit mise entre ses mains et non de l'Eglise.
Secondement il prétexte qu'elle ne doibt [pas] estre traic-
tée comme un prisonnier de guerre, supposant qu'elle est
diffamée de plusieurs crimes contraires à la foy, et consé-
quemment doibt estre livrée à l'Eglise, qui est un prétexte
recherché afin d'empescher qu'on ne délivrast cette fille au
1. Cette sommation a été faite au duc de Bourgogne de la part de
riivos(jue de Beauvais l'an 1430,1e quatorziesme juillet, et fut consignée
intre les mains du duc de Bourgogne qui la donna à Messire Nicolas
Rauliin, son chancelier, et lui commanda de la délivrer au comte de
Luxembourg, seigneur du chasteau de Beaurevoir, comme elle lui fut
mise entre les mains. Cet acte fui dénoncé et e.x;écuté par Nicolas de
Mucillac (Colart de Mailly). bailly de Vermandois, et Jean de Pressy,
en présence de plusieurs gens de guerre et aultres seigneurs, et de
Troquillol, notaire apostolique. [Noie de l'auteur.)
226 E. BICIIER. — LA PUCELLE d'oRLÉANS
Roy de France. Mais à l'endroilde quelles gens est-elle diffa-
mée, sinon par ses propres ennemis? Et selon la pratique
usitée à l'Inquisition de Rome, il falloit avoir auparavant
faict informer sur cette diffamation prétendue, par gens et
témoins non suspects, et produire l'information au commen-
cement du procez : de quoy il n'apparoist rien. Car si estre
accusé, mesmeparses ennemis mortels, est estre convaincu,
personne ne sera innocent.
En troisiesme lieu, il faict un acte de bourreau, non d'Eves-
que, marchandant de la rançon de cette pauvre fille pour la
faire cruellement mourir. Et fut achetée dix mille livres
tournois du seigneur de Luxembourg, outre trois cens livres
de pension annuelle qu'on donna au bastar de Wandonne
pour s'entretenir : il estoit gentilhomme de Picardie.
Quatriesmement, n'est-ce pas un sacrilège dire qu'elle a
été prise dans son diocèse afin de s'intrure pour juge? Or,
les actes du procez, septiesme séance, font foy qu'elle a esté
prise au-delà du pont de Compiègne, lequel borne le diocèse
de Beauvais. Mais quoy ? pour donner couleur à cette cons-
piration, il falloit y mesler la religion.
En cinquiesme lieu, il dit qu'il est prêt d'en cognoistre si
besoin est avec l'Inquisiteur de la foy, se desfiant qu'il ne
voudroit estre juge en cette cause : comme, de vérité, il a
décliné tant qu'il a pu et n'y a assisté que par contrainte et
menaces des Anglois sous lesquels il vivoit. Davantage [de
plus], il [l'évêque de Beauvais] asseure vouloir bien avoir
pour assesseurs des docteurs, théologiens et canonistes et
aultres personnes versées en faict de judicature. Sur quoy
est à noter qu'il a faict choix de tous ceulx qu'il a pensé
debvoir correspondre à sa passion et au désir de l'Anglois. De
sorte que si aucun gardoit la justice, il estoit menacé et inti-
midé, comme entre autres furent maistre Jean Lohier, audi-
teur de Rote, et frère Isambert de la Roche [de la Pierre], do-
minicain, lequel ayant adverti la Pucelle de se sousmettre au
concile de Basle qui pour lors se tenoit^ l'Evesque de Beau-
1. Ou plutôt allait se tenir, car il ne s'ouvrit qu'en juillet 1431,
l'ucelle ayant été déjà brûlée .
DE COMPIÈGNE A ROUEN. — LE PROCÈS 227
vais en pleine séance, devant toute l'assemblée, lui dit avec
colère : « Taisez-vous de par le diable! » Et cette séance finie,
les Anglois le menacèrent de le jeter en la rivière.
Brief, cet acte rend nul tout ce que ce prélat a faict. Et les
témoins qui ont déposé à la révision du procez, asseurent
qu'il n'y voulut jamais travailler que, au préalable, il n'eust
promesse de garantie et dédommagement du duc deBethfort,
régent, — car le Roy d'Angleterre estoit lors pupil — tant
pour sa personne que pour tous ceulx qu'il emploieroit à ce
jugement : de quoy furent expédiées lettres que nous produi-
rons au troisiesme livre.
D'où l'on congnoist que la Pucelle estoit desjà condamnée
auparavant que d'estre examinée. Et le Roy d'Angleterre fit,
tous les frais et la despense de ce procez pendant les cinq ou
six mois qu'on y travailla, deffrayant tous les docteurs qu'on
fesoit venir de Paris. A la vérité, attendu ce que la Pucelle
avoit faict et géré en faveur du Roy et de la couronne de
France, l'Anglois sembloit avoir quelque apparent subjectde
procurer sa ruine. Mais quant à l'Evesque de Beauvais, né
François au diocèse de Rheims, estant comte de Beauvais et
pair de France en tant qu'Evesque de Beauvais, il n'en avoit
aucun aultre que sa pure et noire malice et le parti du Bour-
guignon auquel il s'estoit engagé de longue main avec l'Uni-
versité de Paris, oubliant sa naissance, sa patrie et son Roy.
Car, s'il eust voulu, après la réduction de Beauvais en l'obéis-
sance du Roy, il y pouvoit demeurer à l'exemple des Eves-
ques de Troyes, de Châlons, Soissons, etc.
Or, le différent qui survint lors entre le concile de Basle et
le pape Eugène fut grandement nuisible aux affaires de la
Pucelle. Et considérant les efforts des Anglois pour la per-
dre, et qu'ils n'épargnent or, argent, ni aultre chose quel-
conque pour obtenir ce qu'ils prétendoient, je suis grande-
ment marry que par toutes nos histoires, ni mesme au trésor
des Chartes de France, il ne se trouve aucun acte public et
authentique du debvoir qu'on a faict ou dû faire d'empescher
les desseins des .Anglois. Et me semble, sous correction, que
Sa Majesté debvoit lors estre conseillée d'envoier des hérauts
au Roy d'Angleterre protester de nullité de tout ce procez,
228 E. RICHER. LA TUCELLE d'oRLÉANS
suivant les moyens que maistre Jean Lohier, auditeur de Rote
avoit exposés en conférence avec l'Evesque de Beauvais, ses
conseillers et assesseurs, et demander que cette fille fust en-
voyée au Saint-Siège apostolique pour gagner le temps, récu-
sant l'Evesque de Beauvais. Possible que ceulx qui estoient
lors en faveur auprès du Prince portoient envie aux faicts
héroïques de la Pucelle, et persuadèrent au Roy que Dieu
l'ayant envolée miraculeusement à son secours, la délivreroit
aussi miraculeusement (comme elle-même, par infirmité hu-
maine, le pensoit au commencement de son procez), et qu'il
falloit commettre toute cette affaire à la Providence de Dieu,
que cela seroitplus glorieux au Roy et tourneroit à la grande
confusion des Anglois. Mais telle voye semble tenter Dieu,
lequel ne faict pas toujours miracles sur miracles, mais veut
que les causes secondes opèrent de leur costé. A raison de
quoy on dit en commun proverbe : Ayde-toi et Dieu t'ay-
dera.
Lettre de l'Université de Paris au rov d'Angleterre
Cette sommation ainsi faicte au duc de Bourgogne et au
seigneur de Luxembourg de la part de l'Evesque de Beau-
vais, le seigneur de Luxembourg voulut estre nanti de la
somme de dix mille francs auparavant que de mettre la Pu-
celle entre les mains des Anglois; comme il le fut, et, ce
moiennant, la leur livra au commencement de novembre
1430. De quoy l'Université de Paris ayant eu certaines nou-
velles, rescrit en latin à Messire Pierre Gauchon, évesque
de Beauvais, et le conjure par son zèle et piété de demander
au Roy d'Angleterre que cette femme soit consignée en sa
juridiction et [celle] de l'Inquisiteur de la foy, et lui faict
comme un reproche que cela auroit esté desjà accompli, s'il
eust usé de plus de diligence qu'il n'avoit faict. Ces lettres
sont en date du vingt et uniesme novembre 1430. Comme
pareillement celles que la mesme Université escrit en fran-
çois au Roy d'Angleterre dont ensuit la teneur.
DE COMPIEGNE A ROUEN. LE PROCES 229
A 1res excellent PrUice le Roy de France et. d'Angleterre
nostre très redoublé et Souverain Seigneur et Père.
(1 Très excellent Prince, nostre tresredoubté et souverain Seigneur
et Père, nous avons de nouvel entendu qu'en vostre puissance est
rendue à présent cette femme dicte la Pucelle, dont nous sommes
moult joyeux : confians que par vostre bonne ordonnance sera
icelle femme mise en justice pour reparer les grans maléfices et
escandes advenus notoirement en ce Royaume à l'occasion d'icelle
au grand préjudice de l'honneur divin, de nostre saincte foy, et de
tout vostre bon peuple. Et pour ce qu'il nous appartient singuliè-
rement selon nostre profession extirper telles iniquitez manifestes,
mesmement quand nostre foy catholique est en ce touchée, nous ne
pouvons au faict dicelle femme dissimuler la longue retardation
de justice qui doibt desplaire à chacun bon Chrestien, et mesme-
ment à vostre Royal Majesté plus qu'à tout autre pour la grand'obli-
gation que vous debvez à Dieu, en cognoissant les hauts biens,
honneurs et dignitez qu'il a octroyez à vostre excellence. Et combien
que sur ce nous ayons par plusieurs fois escript encores à présent,
nostre très redoubté et Souverain Seigneur et Père, en proposant
toujours très humble et loyale recommendation à ce que ne soions
notez de négligence aucune en si favorable et nécessaire matière,
Nous supplions tresliumblement, et en l'honneur de nostre Seigneur
et Sauveur Jesu Christ, deprions très acertes vostre haulte excel-
lence que icelle femme vous plaise ordonner estre mise briefvement
es mains de l'Eglise : c'est à sçavoir de Révérend Père en Dieu
nostre honoré seigneur l'Evesque et comte de Reauvais, et aussy de
l'Inquisiteur ordonné en France, ausquels la cognoissance des
metfaicts d'icelle appartient, et spécialement en ce qui louche
nostre dicte foy : affîn que par voye de raison soit faicle discussion
convenable sur les charges d'icelle et telle réparation comme au
cas appartiendra, en gardant la saincte vérité de nostre foy, et
mettant toute erreur, faulte, et scandaleuse opinion hors des
courages de vos bons et loyaulx subjecls. Et nous semble moult
convenable, si c'estoit le plaisir de vostre haultesse, que la dicte
femme feust amenée en cette cité pour faire son procez notablement
et seurement : car par les Maistres, Docteurs, et autres notables
personnes estans par deçà en grand nombre, seroit la discussion
d'icelle déplus grande réputation qu'en autre lieu. Et si est assez
convenable que réparation des dicts escandes soit i'aicte en ce lieu,
auquel les faicts d'icelle ont esté divulguez et notoires excessive-
ment. Et en ce faisant, gardera votre Royal Majesté sa grande
loyaulté envers la souveraine et divine Majesté, laquelle veuille
octroyer à vostre Excellence prospérité continuellement, félicité
230 E. RIGHER. LA PUGELLE d'oRLÉANS
sans fin. Escript a Paris en nosLre Congrégation générale solennel-
lement célébrée à sainct Mathurin, le vingt et uniesme jour de
Novembre l'an 1430. Vostre très humble et dévote fille l'Université
de Paris. Signé Hébert. »
ADVERTISSEMENT
Par ces lettres, l'Université demande au Roy d'Angleterre
qu'il luy plaise envoler la Pucelle à Paris pour luy estre faict
et parfaict son procez. Ce qu'il n'avoit garde d'accorder, ne
voulant pas que ce procez feust exposé à une si grande et si
éclatante lumière^ en présence de tant de tesmoins et en lieu
où la liberté feust gardée, pour ce que finalement la vérité
eust esté reconquérie. Car les Anglois ne se tenoient pas
trop asseurés des Parisiens qui avoient tout fraischement
voulu avoir pour gouverneur le duc de Bourgogne : et d'ail-
leurs ne vouloient qu'on mist cette fille aux prisons ecclé-
siastiques pendant qu'on lui feroit son procez : ce qui feust
arrivé si on l'eust envolée à Paris. C'est pourquoi ils firent
choix de la ville de Rouen qu'ils avoient prise et conquise
par famine. Mesme afin de retenir tout le monde et les juges
en crainte, le duc de Bethfort ou de Sommerset, régent au
royaume de France, fit venir d'Angleterre à Rouen le Roy qui
n'avoit que douze ans, ainsi que nous avons déjà remarqué.
Et entre tous les docteurs de Paris l'Evesque de Beauvais
esleut ceulx qu'il tenoit estre le plus engagez à leur faction :
comme maistre Guillaume Erard, de Turonia (Jacques de
Touraine), Midy, Beaupère, etc.
Partant cette fille feust menée à Rouen au mois de décem-
bre 1430 et mise prisonnière en une grosse tour du chasteau,
dans une cage semblable à celles qui sont en la bastille de
Paris, et demeura en cet estât jusqu'au mois de febvriersuy-
vant qu'on commença de lui faire son procez. Et lors fut
tirée de cette cage et la mit-on aux fers, outre une chaisne
attachée à un gros poteau avec laquelle elle estoit enchais-
née. Et quand on la menoit devers les juges, on luy ostoit les
fers des pieds.
DE COMPIÈGXE A HOUEN. LE PROCÈS 231
Lettres patentes du roy d'Angleterre
Le troisiesme janvier 1430 (vieux style), le Roy d'Angle-
terre expédie ses lettres patentes auxquelles il déclare qu'à
la requête, sollicitation et instante poursuite du Révérend
père en Dieu Messire Pierre Gauchon, Evesque et comte de
Beauvais, et exhortations des docteurs etmaistres de sa fille
l'Université de Paris, il ordonne et consent que toutes et
quantes fois que bon semblera audict Evesque, Jeanne dicte
la Pucelle luy soit baillée et délivrée réellement et de faict
par ses gens et officiers qui l'ont en garde, pour icelle inter-
roger et examiner et faire son procez selon Dieu et raison ,
etc. Ensuit la teneur des dictes patentes suivant l'ordre
qu'elles sont registrées au procez.
« Henry, par la grâce de Dieu Roy de France et d'Angleterre, a tous
ceux qui ces présentes lettres verront salut. Il est assez notoire et
commun comment, depuis aucun temps en ça, une femme qui se
faict appeler Jeanne la Pucelle laissant l'habit et vesture de sexe
féminin, s'est contre loy divine (chose abominable a Dieu, reprouvée
et defîendue de toute loy) vestue, habillée et armée en estât et habit
dhomrae, a faict et exercé cruel faict d'homicides : et comme l'on
dit, a donné à entendre au simple peuple pour le séduire et abu-
ser, qu'elle estoit envoiée de par Dieu et avoit cognoissance de ses
divins secrets, ensemble plusieurs autres dogmatizations très péril-
leuses a nostre saincte foy catholique, moult préjudiciables et scan-
daleuses. En poursuivant par elle lesquelles abusions, et exerçant
hostilité à l'encontre de nous et de nostre peuple a esté prinse
armée devant Compiegne par aulcuns de nos loyaulx subjects, et
depuis amenée prisonnière par devers nous. Et pour ce que de
superstitions, fausses dogmatizations, et autres crimes de lèse
majesté divine, comme l'on dit, elle a esté de plusieurs réputée
suspecte, notée, et diffamée, avons esté requis très instamment par
Révérend Père en Dieu, nostre ami et féal Conseiller l'Evesque de
Beauvais, juge ecclésiastique et ordinaire de la dicte Jeanne, pour
ce qu'elle a esté prise et appréhendée es termes et limites de son
diocèse, et pareillement exhortez de par nostre très chère et ires
saincte fille l'Université de Paris, que icelle femme veuillons faire
rendre, bailler, et délivrer audict Révérend Père en Dieu, pour la
interroger et examiner sur les dicts cas, et procéder contre elle
selon les ordonnances et dispositions des droicts divins et cano-
niques, appeller ceux qui seront à appeller. Pour ce est-il que nous
232 E. RICHER. LA PUCELLE D ORLÉANS
qui pour révérence et honneur du nom de Dieu, deiïensc et exal-
tacion de sa dicte saincte Eglise et foy catholique, voulons dévo-
tement obtempérer comme vrays et humbles fils de saincte Eglise
aux requestes et instances de Révérend Père en Dieu, et exhor-
tacions des Docteurs et Maistres de nostre dicte fille l'Université de
Paris, ordonnons et consentons que toutes et quantes fois que bon
semblera au dict Révérend Père en Dieu, icelle Jeanne luv soit
baillée et délivrée reaiment et de faict par nos gens et officiers
qui Pont en garde, pour icelle interroger et examiner, et faire son
procez selon Dieu, raison, et les droicts divins et saints canons par
ledict Révérend Père en Dieu. Si donnons en mandement à nos dicts
gens et officiers qu'icelle Jeanne ont en garde, qu'au dict Révérend
Père en Dieu baillent et délivrent i^ealment et de faict, sans
refus ou contredict aucun, la dicte Jeanne toutes et quantes fois que
par luy en seront requis. Mandons en outre à tous nos justiciers,
officiers et subjects, tant françoys comme Anglois, que audict
Révérend Père en Dieu et à tous qui sont et seront ordonnez pour
assister, vacquer, et entendre au dict procez ne donnent d'elTect ne
autrement aucun empeschement ou destourbier, mais si requis en
sont i)ar ledict Ikverend Père en Dieu, luy donnent garde, ayde,
et deffense, protection et confort sur peine de griefve punicion.
Toutes fois c'est nostre intencion de ravoir et reprendre par devers
nous icelle Jeanne, si ainsy estoit qu'elle ne fut convaincue ou
atteinte des cas dessus dicts, ou d'aucun d'eulx , ou d'autre
touchant ou regardant notre dicte foy. En tesmoin de ce nous
avons fait mettre nostre scel ordinnère en l'absence du grant à ces
présentes. Donné à Rouen le tiers jour de janvier, l'an de grâce mil
quatre cent trente, et de nostre régne le ix'^. Signé. Par le Roy a
la relation de son grant conseil : J. de Rivel. »
ADVERTISSEMENT
Les susdites lettres du Roy d'Angleterre ne contiennent
autre chose de mémorable [sinon] que l'Évesque de Beauvais
est son féal conseiller et qu'il est juge ordinaire de la Pu-
celle : d'autant qu'elle a esté « prise es limites de son dio-
cèse «, et ne dit pas « dans le diocèse positivement », ainsi
qu'il est porté aux précédentes lettres. Or, est-il véritable
que cette fille fut prise aux limites, et non dans ou sur le
diocèse de Beauvais.
AUTRES ACTES PRÉLIMINAIRES
Suit après un acte du vingt-huitiesme décembre 1430, par
DE COMPIKGiNE A ROUEN. LE PROCÈS 233
lequel l'Évesque de Beauvais ayant déclaré au chapitre de
Rouen, le siège épiscopal vaquant, que la Pucelle auroit
esté prise en son diocèse, et que désirant lui faire son procez
en la ville de Rouen, attendu les crimes contre la foy dont
elle est diffamée, il leur demande territoire. Pour ces causes
ledit chapitre lui accorde volontairement territoire pour
faire et parfaire ce procez en la ville de Rouen et par toute
l'estendue dudit Archevêché, etc. Cet acte fait cognoistre le
désir que cet Evesque avoit de perdre la Pucelle, attendu que
lesdites lettres de concession précédent celles que le Roy
d'Angleterre a données pour faire livrer la Pucelle à l'Éves-
que de Beauvais. Celles-ci sont en date du troisiesmejanvier
et celles-là du vintg-huitiesme décembre 1430 : car l'année
commençoit lors à Pasques. Néantmoins l'Évesque de Beau-
vais a faict registrerau dict procez les lettres du Roy d'Angle-
terre devant celles qu'il avoit obtenues du chapitre de Rouen
pour avoir territoire : afin qu'on ne pense pas que celte
transposition vienne d'ailleurs que de lui-mesme. Partout
nous suivons l'ordre et les dates qu'il a faict registrer en ce
procez.
Autre acte du neufviesme janvier 1430, moyennant lequel
cet Évesque constitue promoteur en cette cause, maistre Jean
Destivet, prestre et chanoine des églises de Bayeux et de
Beauvais, homme qui luy estoit totalement affidé, lequel plus
que tout autre a travaillé et injurié la Pucelle en prison,
et jamais ne l'appelait autrement que p...., ribaude et pail-
larde, et mesme il se meltoit en une chambre auprès de
celle où elle étoit, parlant à elle par un trou, feignant estre
françois, détenu prisonnier pour la décepvoir et tromper.
Aussi en fut-il puni et mourut-il misérablement^.
Autre acte du mesme jour et an, par lequel l'Évesque esta-
blit pour notaires en ce procez messires Guillaume Colles
autrement Bosguillaume, et Guillaume Manchon, prestresdu
diocèse de Rouen, lesquels ont escrit tous les actes originaux
du procez : et Dieu a permis qu'ils ayent survécu jusques à
1. J. Quiclierat écrit D'Estivet avec apostrophe. — Voir Procès, t. I.
p. 7 ; t. Il, p. 18 ; t. III, p. 162 : t. V, p. 315.
23* E. RICHEH. LA PUCELLE d'oRLÉANS
la revision d'icelui, et découvert toutes les menées et injus-
tices qui y furent pratiquées.
Ite^n, le mesme jour et an, [l'Evesque de Beauvais] establit
pour commissaire, conseiller et examinateur des tesmoins
maistre Jean de la Fontaine, maistre es arts et licencié en
droict canon : lequel établissement n'a esté fait que pour
donner couleur à une prétendue information faicte aux païs
de la Pucelle dont il sera parlé ci-après, et n'y eust jamais
aucun examen de tesmoins en tout ce procez.
Le mesme jour et an, eslit et commet pour exécuteur de
ses mandements et ordonnances maistre Jean INIassieu, pres-
tre doyen de la chrestienté de Rouen, lequel a déposé en la
révision du procez pour l'innocence de la Pucelle et l'inique
procédé de l'Evesque de Beauvais duquel il a eu grande et
particulière cognoissance.
Item, le treiziesme janvier 1430 (vieux style), ce prélat
faict appeler au logis oui il faisoit sa demeure messires Gilles,
abbé de Fécamp, docteur en théologie, Nicolas de Venderès,
licencié en droit canon, Guillaume Haiton, Nicolas Gouppe-
quesne, bachelier en théologie, Jean de la Fontaine, licencié
en droit canon, Nicolas Loiseleur, chanoine de l'église de
Rouen, auxquels il expose et représente tous les actes faicts
le neuvième janvier et leur demande conseil sur iceulx.
Davantage, fait lire en leur présence certaines informations
faictes au païs de la Pucelle, avec quelques mémoires sur
les choses contenues es dictes informations, et autres parti-
cularitez recueillies des vaux de ville que les Bourguignons
et les Anglois avoient fait courir au préjudice de la Pucelle.
Lesquelles informations ne paraissent point au procez et
n'ont jamais été communiquées à la Pucelle et conséquem-
rnent sont de nulle considération. Semblablement, aucun tes-
moin n'a esté ouy, examiné ni recollé et confronté à icelle.
Et la cause pour quoy lesdites informations ne furent [pas]
produictes au procez est que les tesmoins déposèrent tous
pour l'honneur et innocence de la Pucelle, ainsi que nous
ferons veoir au troisiesme livre. Néantmoins les conseillers
jugèrent les dictes informations [suffisantes] pour faire citer
et appeler la Pucelle en matière de foy en cour d'Église, ainsi
DE COMPIÈGNE A ROUEN. — LE PROCES 235
qu'il est porté par les actes : et toutes fois il ne s'est trouvé
aucun qui aye déposé avoir vu les dictes informations, pas
mesme les notaires.
Des conseillers et assesseurs de l'Évesque de Beauvais
Quant aux conseillers et assesseurs de l'Évesque de Beau-
vais, ceux qui ensuivent ont assisté à la sentence définitive.
Maistre Nicolas de Venderès, licencié en droit canon, archi-
diacre et chanoine de l'Église de Rouen ;
Maistre Gilles, abbé de Fescamp, docteur en théologie;
Guillaume Erard, docteur en théologie, sacristain et cha-
noine de l'Église de Langres et de Laon : il estoit au duc de
Bourgogne ;
Robert Gillebert, docteur en théologie et doyen de la cha-
pelle du Roy d'Angleterre ;
L'abbé de Saint-Ouen de Rouen ;
Jean de Chastillon, docteur en théologie, archidiacre et
chanoine d'Évreux;
Erard Ermengart, docteur en théologie ;
Guillaume Boucher, docteur en théologie ;
Pierre, prieur de Longueville;
Giffard, docteur en théologie;
Guillaume Ilaiton, bachelier en théologie;
André Marguerie, licencié en droit civil et bachelier en
droit canon, archidiacre et chanoine de l'Église de Rouen;
Jean Garin, docteur en décret, chanoine de Rouen;
Denys Gastinel, licencié es droits, et chanoine de Rouen ;
Jean a Lespée, licencié en droit civil et chanoine de
Rouen;
Pasquier de Valeez [de Vaulx], docteur en droit, chanoine
de l'Église de Paris et de Rouen ;
Nicolas 3Iidy, docteur en théologie, chanoine de Rouen;
Maistre Jean Beaupère, docteur en théologie, chanoine de
Rouen et de Besançon;
Pierre de Houdenc, docteur en théologie ;
Jean Fabri (LeFèvrei, docteur en théologie ;
Guillaume, abbé de Mortemer, docteur en théologie;
236 E. niCHER. LA PLXELLE d'oI'.LÉAXS
Jacques Guesdon, docteur en théologie ;
Nicolas Coppequesne, bachelier en théologie, chanoine de
Rouen :
Guillaume du Désert, chanoine de Rouen ;
Pierre Maurice, docteur en théologie, chanoine de Rouen ;
Guillaume de Baudribosco, bachelier en théologie;
Nicolas Gavai, licencié en droict civil ;
Nicolas Loiseleur, maistre es arts, chanoine de Rouen ;
Guillaume des Jardins, docteur en médecine, chanoine de
Rouen ;
Jean Tiphaine, docteur en médecine ;
Guillaume de Liveto, licencié en droict civil ;
Geofïroy de Grotoy, licencié en droict civil ;
Pierre Carrel, licencié en droict civil ;
Jean Le Doux, licencié es droicts ;
Jean Colombel, licencié en droict canon ;
Aubert Morelli, licencié en droict canon ;
Martin Ladvenu, de l'ordre des Frères prêcheurs, bache-
lier en théologie ;
Richard de Grouchet, bachelier en théologie ;
Guillaume de la Chambre, licencié en médecine ;
Jean Pigache, bachelier en théologie.
Thomas de Courcelles, bachelier en théologie, chanoine
de Thérouane et de Laon ;
Gérard Feuillet, docteur en théologie;
Jacques de Touraine, docteur en théologie;
Frère Isanibert de Pélra, jacobin, bachelier en théologie ;
Jean Maugier, licencié en droict canon ;
Rodolphe Roussel, docteur es droicts et trésorier de
l'Eglise de Rouent
1. En tant qu'elle donne les noms des principaux assesseurs du procès
de la I*ucelle, celte liste est assez exacte ; mais en certains points elle
est sujette à rectification. Ainsi E. Richer compte parmi les assesseurs
qui assistèrent à la sentence du Vieux-Marché maître Jean Beaupère.
Or ce docteur ne s'y trouva pas, étant déjà parti de Rouen pour se
rendre au concile de Bâle. (Voir Procès, t. II, p. 21.)
Au reste la question des personnages qui à divers titres assistèrent
soit aux interrogatoires du procès d'ofiice, soit aux diverses séances des
deux causes de chute et de rechute, semble peu importante à Richer.
Aussi ne songe-t-il que rarement à donner, avant ces séances, les
DE CÛMPIEGNE A ROUEN. LE PIIOCES 237
Voilà un grand nombre de conseillers, tous préparez à la
ruine de la Pucelle et, à ces fins, choisis par l'Evesque de
Beauvais, lequel avoit faict venir de Paris tous ceux qu'il
estimoit debvoir seconder ses desseins.
Sommation a Jean Lemaitre. — Citation de la
Pucelle
Le vingtiesme febvrier 1430, l'Evesque de Beauvais somme
et interpelle Jean Magistri, jacobin, docteur en the'ologie, et
suffragant de l'Inquisiteur de la foy au diocèse de Rouen,
vouloir prendre cognoissance avec lui de cette cause : ce
qu'il refuse pour les raisons ci-dessus alléguées.
Le mesme jour et an, à la requeste de maistre Jean Desti-
vet, promoteur en la cause, chanoine de Beauvais, maistre
Jean Massieu, prestre et doyen de la chrestienté de Rouen,
exécuteur des mandements de l'Evesque de Bauvais, cite la
Pucelle pour comparoir devant l'Evesque et respondre aux
charges et interrogatoires qui lui seront faits en matière de
foy, etc., au mercredi, vingt-et-uniesme febvrier 1430, à
huict heures du matin, en la chapelle du chasteau de
Rouen, etc.
La Pucelle, quoique destituée de tout conseil humain
et mineure d'ans, nesçachant lire ni escrire, respond qu'elle
est preste d'obéir et de dire la vérité : toutes fois requiert et
demande audict Evesque qu'il appelle à ce procez avec soy
des gens d'Eglise du parti de son Roy aussi bien que du
parti anglois, et qu'il lui plaise permettre qu'elle entende la
messe auparavant que d'estre interrogée. Lesquelles deux
demandes sont libellées en Texploict dudict Massieu, à la
condamnation de l'Evesque : mais non pas une troisiesme, à
sçavoir puisqu'elle estoit entre les mains de l'Eglise, qu'on
luy ostast les fers des pieds, et donnast une prison plus gra-
cieuse, comme il estoit de justice.
noms des assesseurs qui y prirent part. On trouvera sur ce point les
indications désirables dans l'édilion du procès qu'a publiée la Société
do l'bistoire de France.
SECONDE PARTIE
CONTENANT LE PROCEZ DIT D'OFFICE
PREMIÈRE SÉANCE
Le mercredi, vingt-et-uniesme febvrier 1430 (vieux style),
l'Evesque de Beauvais vient à la chapelle du chasteau de
Rouen où cette fille est amenée par maistre Jean Massieu, et
sur les trois choses qu'elle avoit requises, l'Evesque sans
prendre conseil de ses assesseurs, ordonne de sa teste ce que
bon luy semble, sçavoir :
Attendu les crimes dont elle estoit diffamée, ainsi qu'il
parle, et qu'elle continuoit de porter un habillement
d'homme, qu'on sursoieroit à lui faire entendre la messe.
Bien plus, il tança aigrement Massieu' pour ce que amenant
la Pucelle à cette séance, il avoit permis qu'elle se présentast
devant le saint sacrement pour l'adorer et faire ses prières,
auparavant que d'ester à droict devant ses juges, ainsi que
cette fille l'en avoit requis. D'où l'on peut aisément juger si
un tel acte est louable et tolérable, principalement en un
juge ecclésiastique. Mais ce qui le faschoit davantage, c'est
qu'ayant conspiré avec lAnglois de condamner cette fille
comme impie et sorcière, il ne voioit rien en elle de conforme
à sonmalicieux dessein.
Quant aux deux autres demandes de la Pucelle, sçavoir
qu'on appelast aussi des ecclésiastiques du parti de son Roy
comme du parti des Anglois, n'estant raisonnable qu'ils fus-
1. Ce n'est pas ce jour-là ijue ,1. Massieu lut blâmé d'avoir permis à
la Pucelle de s'arrêter devant la chapelle du château, nique Jeanne s'y
arrêta, mais plus tard, au cours du procès. Ce n'est pas non plus l'évêque
de Beauvais qui fit à Massieu ce reproche, mais le promoteur D'Estivct.
Voir la déposition de J. Massieu, Procès, t. Il, p. 16.
DE COMPIÈGNE A ROUEN. — LE PROCÈS 239
sent juges et partie, et qu'elle feust mise aux prisons de
l'Eglise, puisqu'elle estoit jugée par les ecclésiastiques, et
qu'on lui ostast les fers des pieds : sur ce dernier chef, l'Eves-
que allègue pour toute raison que la Pucelle s'estant voulu
plusieurs fois sauver, on lui avoit mis les fers aux pieds; et
quant au premier point, il le passe sous silence sans y faire
aucune response. Aussi estoit-ce chose de grande impor-
tance.
N'est-il pas vray que si cette fille eust eu du conseil et se
feust fermée et résolue à ces deux demandes, protestant de
ne point respondre sinon qu'on lui fîst raison sur ces deux
chefs, que cet Evesque ne lui pouvoit faire son procez?
Maistre Jean Lohier, qui avoit esté par un long temps audi-
teur de Rote', s'estant lors trouvé à Rouen, fut requis par
l'Evesque de Beauvais de travailler à ce procez: ce qu'il
refusa, remontrant que parle style de la Gourde Rome, per-
sonne ne pouvoit estre accusé d'hérésie et autres cri-
mes desquels on accusoit la Pucelle, que au préalable il n'y
eust information canoniquement faicte comme elle seroit
prévenue des crimes susdits, qu'il n'en avoit esté faicte
aucune, et mesme n'avoit précédé diffamation quelconque
sur laquelle pust instruire l'information, sinon des bruits
que les Anglois, ses ennemis mortels, avoient faict courir :
de plus, que cette fille n'estoit [pas] aux prisons ecclésiasti-
ques, mais en celle du Roy d'Angleterre, son ennemi mortel ;
que les juges et officiers qui travailloient à ce procez
n'estoient libres ni asseurez ; qu'il s'agissoit de la cause d'un
Roy absent n'ayant personne qui parlast pour lui et n'avoit
[pas] esté appelé pour déduire ses intérêts; que cette fille
estoit destituée de tout conseil, que personne ne lui en osoit
donner. Lesquelles raisons cet auditeur de Rote fit pareille-
ment entendre à plusieurs des assesseurs de l'Evesque de
Beauvais. Et pour cette occasion fallut qu'il sortit des terres
et de l'obéissance du Roy d'Angleterre, car autrement on se
feust assuré de sa personne.
Or, arrivée que fut la Pucelle devant l'Evesque, charitable
1. Inexaclilude : il ne le fut que plus lard.
-50 E. RICHER. LA l'UCELLE d'oRLÉANS
qu'il estoit, il l'exhorte à dire la vérité sur les matières de la
foy dont elle sera interrogée, afin d'expédier son procez, et
lui enjoint de jurer et faire serment qu'elle dira la vérité,
sans user d'aucun subterfuge. Ce que entendu, elle se mit à
genoux, portant ses deux mains sur le missel qui lui fut
présenté par messire Jean Massieu, et promit dire la vérité
de tout ce qu'elle sçauroit touchant les matières de la foy,
excepté les révélations qu'elle avoit eues de son Roy, les-
quelles n'avoit jamais révélées et ne révéleroit à personne,
quand mesme il iroit de sa vie, et que son conseil lui avoit
ainsi enjoint.
[premier interrogatoire purlic ']
Enquise comment elle avoit nom, i-espond qu'en son pais on
l'appeloit Jeannette et en France Jeanne, et qu'elle ne sravoit pas
son surnom; qu'elle estoit native de Dompremy, paroisse de
Greux ; que son père s'appeloit Jacques Darc, sa mère Isabeau ;
qu'elle avoit esté baptisée en l'église de Dompremy ; que lune de
ses marraines s'appeloit Agnès, l'autre Jeanne, l'autre Sibylle ;
et de ses parrains, un se nommoit Jean Lingue, l'autre Jean
Barray, et avoit plusieurs autres marraines, ainsi qu'elle avoit
appris de sa mère ; que messire Jean Minet l'avoit baptisée et
pensoit qu'il t'ust encore plein de vie.
Interrogée de son âge, respond qu'elle peut avoir dix-neuf ans,
comme elle pense ; que sa mère lui avoit appris son Pater noster,
Ave Maria, Credo, et ne l'avoit jamais appris d'autre personne.
Requise de divc Pater noster, respond : très volontiers, pourveu
qu'on la veuille entendre de confession ; et pressée maintes fois de
le dire, a tousjours persisté d'estre ouye de confession, et qu'elle le
diroit.
Après, l'Evesque lui deffend de sortir de la prison sous peine
d'estre tenue pour convaincue du crime d'hérésie.
Elle repart qu'elle n'admeltroit pas une telle deffense; que si elle
évadolt , aucun ne la pourroit blasmer ni reprendre d'avoir
violé sa foy. ne l'ayant jamais donnée à personne. — Et derechef
se plaignisl qu'on la lenoit enchaînée, les fers aux pieds. L'Evesque
répliqua qu'elle s'estoit voulu sauver des prisons par plusieurs fois,
que pour cette cause on lui avoit mis les fers aux pieds. Elle
1. Lus intcriogaloires du procès (roriîcc sont au nombre de ([uinze.
Los siv premiers l'uront publics; les neuf autres eurent lieu dans la
]H'is()n de raccuséc et le public n'y fut pas admis.
DE COMPIEGNE A ROUEN. LE PROCES 241
confessa véritable qu'elle s'estoit voulu sauver autrefois, et le
voudroit bien encore, et que c'estoit chose licite aux prisonniers.
L'Evesque commet pour sa garde un escuier du Roy d'An-
gleterre nommé John Gris, avec Jean de Werwoit et Guil-
laume Talebot, et leur commande de ne laisser personne
parler à elle sans son exprès commandement.
Et cela faict, assigne la Pucelle au lendemain pour conti-
nuer son procez. Au reste, le comte de VVarwic avoit la
garde du chasteau de Rouen où la Pucelle estoit tenue prison-
nière, et ce John Gris, avec ses satellites, estoit sous la
charge de ce comte de Warwic.
ADVERTISSEMENT
Ce procez d'ofOce que nous avons en main contient quinze
séances sur chacune desquelles nous ferons des observations
pour esclaircir les choses obscures et contredire les calom-
nies de messire Pierre Cauchon, Evesque de Beauvais, lequel
n'a permis qu'on fist registre des dépositions de la Pucelle
qu'autant que bon lui a semblé. Et mesme à chacune séance
il y avoit des secrétaires du Roy d'Angleterre, cachés der-
rière une tapisserie, qui, escrivant, omettoient tout ce qu'ils
pensoient servir à la descharge de cette fille, ainsi que nous
vérifierons ailleurs.
Faut remarquer que la Pucelle ne recognoissoit [pas] cet
Evesque pour son juge; autant qu'elle peut, elle décline et
évite plusieurs interrogatoires qu'on lui faict : chose que
ses ennemis imputent faulsement à parjure, car c'est une
des inductions du Promoteur contre cette fille.
Le lecteur prendra garde aux interrogatoires captieux
qu'on lui fait, et comme insensiblement on la tire d'une
question à une autre pour la tromper, et mesme qu'on l'in-
terroge sur la plus subtile théologie, afin de la faire tomber
en quelque contradiction. Néantmoins, illuminée qu'elle
estoit de l'esprit de Dieu, elle sort de tous ces labyrinthes et
respond fort à propos : chose grandement admirable, vu sa
242 E. niCHER. — LA PUCELLE d'oRLÉANS
condition, sa rudesse, son bas âge, continuellement exposée
aux opprobres et injures de ses gardes.
Or, le grand désir qu'elle avoit d'estre confessée a fait
qu'elle leur a tousjours refusé dédire sa créance, sinon qu'on
l'entendist en confession. Et n'ayant appris sa créance que
de sa mère qui ne pouvoit prononcer le latin, il est croyable
qu'elle semblablement. ne le pouvant prononcer, avoit quel-
que honte de dire son Pater devant une si grande
assemblée de doctes personnages qu'elle tenoit pour ses
ennemis.
SECONDE SÉANCE
l'Evesque exige derechef le serment de cette fille et lui com-
mande dire simplement et nuement la vérité sur les crimes
et matières dont elle estoit diffamée ; remonstre que les
princes mesmes en telles matières ne pourroient pas refuser
de jurer.
Elle respond avoir juré le jour précédent et que cela deb-
voit suffire, que c'estoit par trop la charger. Et finalement
jura qu'elle diroit la vérité.
Maistre Jean Beaupère, docteur de Paris, l'exhorte de dire
la vérité de tout ce qu'on lui demandera. Réplique qu'on
pourroit bien lui demander telle chose qu'elle en diroit la
vérité, et d'autre non : que s'ils estoient duement informez
qui elle estoit, debvroient désirer qu'elle fust hors de leurs
mains, qu'elle n'avoit rien faict que par révélation.
[deuxième interrogatoire public^]
Interrogée quel âge elle avoit quand elle s'en alla de la maison
de son père, et si en sa jeunesse elle avoit appris quelque art,
respond :
Pour làge auquel elle sortit premièrement de la maison de son
1. Cet interrogatoire et les suivants, jusqu'aux interrogatoires de la
prison, « furent laits par maître Jean Beaupère, professeur de théologie,
conformément à ce qu'avait ordonné et réglé l'évesque de Beauvais. »
(J. QuiCHERAT, Procès, t. I, p. 50).
DE COMPIÈGNE A ROUEN. — LE PROCES 243
pçre ne s'en point souvenir et n'en pouvoir que dire ; mais que
pour filer et coudre des draps, elle l'avoit appris dès sa jeunesse
et n'en craignoit femme de Rouen. Advoua que pour crainte des
Bourguignons, elle partit de la maison de son père et se retira à
Neui'chastel en Lorraine où elle demeura environ quinze jours
chez une femme nommée La Rousse. Et quand elle estoit en la
maison de son père, elle s'emploioit à faire le mesnage de la
maison et n'alloit point aux champs garder les brebis ou autres
animaux.
Enquise si elle se confessoit tous les ans : dit que oui, à son
propre curé, et quand il estoit empesché, à quelque autre prestre,
de la licence et permission de son curé : davantage, qu'elle pense
s'estre confessé deux ou trois fois aux religieux mendiants lors-
quelle estoit à Neufchastel ; et qu'elle recepvoit le sacrement d'Eu-
charistie à la feste de Pâques.
Interrogée si aux autres festes de l'année, outre celle de Pasques,
elle recepvoit le sacrement de lEucharistie, elle dit à celui qui
l'interrogeoit qu'il passast outre. Et confesse qu'à l'âge de treize
ans, elle avoit eu une voix de Dieu pour l'ayder à se conduire et
gouverner : et que, de premier abord, elle fut espouvantée ; qu'elle
ouyt cette voix environ le midy, au temps de l'esté, estant au jardin
de son père, et qu'elle n'avoit [pas] jeusné le jour précédente Et
entendit cette voix du costé droict de l'église: et l'entendoit le plus
souvent avec une clarté qui venoit du mesme costé qu'elle entendoit
cette voix ; et que de ce costé-là [d'où vient la voix], il y a toujours
une grande clarté. Et que, venant en France, elle entendoit souvent
cette voix.
Interrogée, veu que cette clarté venoit de costé, comment elle la
pouvoit veoir : elle ne respondrienàcela, mais dit que si elle estoit
en une forest, elle entendroit bien les voix qui viennent à elle : que
ces voix lui sembloient dignes, et croyoit estre envoiéez de la part
de Dieu ; et qu'ayant ouy par trois fois cette voiX; elle cognut que
c'estoit la voix d'un ange. Comme cette voix l'a tousjours bien
gardée, aussi l'a-t-elle tousjours bien entendue 2.
Enquise quels enseignements cette voix lui donnoit pour le salut
de son âme : dit lui avoir appris à se bien gouverner, à fréquenter
1. J. QuicHERAT. Procès, t. I, p. 52, jejunaverat, c'est-à-dire le con-
traire. Voir YAdverlissement suivant.
2. A noter, dans ce paragraphe, quelques légères différences entre le
texte d'.K. Richer et celui de J. Quicherat. Dans J. Quicherat, après
« nihil ad hoc respondit », il y a un « transivit ad alla » et un « Prœterea»
que Richer passe sous silence. Dans la dernière phrase de J. Quicherat,
on lit ces deux affirmations indépendantes : « Elle ajoute que cette voix
l'a bien gardée et qu'elle a bien compris la voix elle-même. » (Procès^
t. l. p. 52).
244 E. RICHER. LA PUCELLE d'oRLÉANS
l'église, et qu'il falloil quelle vînt en France ; mais que, pour le
présent, celui qui l'interrogeoit ne sçauroit pas en quelle forme cette
voix lui estoit apparue.
Confessa que, deux ou trois fois la sepmaine, cette voix lui
disoit qu'il falloit qu'elle partist pour venir en France ; et que son
père n'a rien sceu de son départ : que, cette voix lui disant qu'elle
allast en France, elle ne pouvoit plus durer ni demourer en place ;
et l'asseuroit qu'elle feroit lever le siège d'Orléans. Et [la même voix]
disoit qu'elle allast à Robert de Baudricour, capitaine de Vaucou-
leur. qui lui donneroit des gens pour l'accompagner. Qu'alors elle
respondit à cette voix qu'elle estoit une pauvre fille qui ne sçavoit
ni aller à cheval, ni faire la guerre. Et alla treuver un sien oncle, lui
faisant entendre quelle vouloit demourer quelque peu de temps avec
lui. Et y demoura environ huict jours. Et le pria de la mènera Vau-
couleur. comme il l'y mena : où estant arrivée, elle cognut Robert
de Baudricour , ne l'ayant jamais veu auparavant, sa voix lui
ayant révélé qui il estoit. Et dit à Baudricourt qu'il falloit qu'elle
allast en Fi'ance. Mais Baudincour l'ayant rebutée par deux diverses
fois, finalement il la reçut la troisiesme et lui donna des hommes,
ainsi que sa voix lui avoit prédit qu'il arriveroit.
Confessa davantage que le duc de Lorraine avoit mandé qu'on
[la] lui envoiast, et l'avoit veu ; et qu'il lui demanda par quel
moien il pourroit recouvrer sa santé. Qu'elle lui avoit respondu n'en
pouvoir que dire, et lui avoit faict ouverture du voiage qu'elle
désiroit faire en France, et outre supplié de lui donner son fils
et des gens pour la conduire, et qu'elle prieroit Dieu pour sa
santé. Et que le duc de Lorraine lui avoit envoie un passeport
pour l'aller trouver, et que partant d'avec lui elle alla après à
Vaucouleur.
Recognut qu'au partir de Vaucouleur, estant habillée en homme,
elle portoil une espée que Robert de Baudricour lui avoit donnée,
sans autres armes, accompagnée d'un homme de guerre, un escuier
et quatre serviteurs ; et que de Vaucouleur, elle s'en alla à Saint-
Urbain et coucha en l'abbaye. Et après passa par Auxerre où elle
ouyt la messe en la grande église ; et qu'alors elle entendoit
souvent ses voix desquelles est faicte mention ci-dessus'.
Enquise par quel conseil elle avoit quitté l'habillement de femme
pour prendre celui d'un homme, refusa plusieurs fois derespondre,
et finalement dit qu'elle n'en chargeoit aucun homme, et plusieurs
fois varia.
Item, dit que Baudricour avoit fait jurer ceux qui la condui-
sirent en France de la mener en toute seureté, et au partir, lui
avoit dit : « Va, et advienne tout ce qui pourra. »
1. Variante : « ... avec celle de laquelle est faite mention ci-dessus. »
(J. QUICHERAT, t. I. p. 54).
DE COMPIÈGNE A ROUEN. — LE PROCES 245
Davantage , confessa sçavoir bien que Dieu ajmoit le duc
d'Orléans, et que, le Roy de France excepté, elle avoit eu plus de
révélations à son esgard que [à l'esgard] d'aucun autre homme
vivant.
Au reste, qu'il avoit fallu qu elle changeast son habit de femme
en celui d'un homme : et croyoit que son conseil l'avoit bien
instruite.
Uem, avoit envoie des lettres aux Anglois qui assiégeaient
Orléans, à ce qu'ils se retirassent, ainsi qu'il est contenu en la copie
des dictes lettres qui lui ont esté lues en cette ville de Rouen. Mais
asseura qu'on avoit changé deux ou trois mots, comme où il est
dit. Rendez à la Pucelle, il faut dire Rendez au Roy, et où il j a
corps pour corps et chef de guerre, parce que ces termes n'estoient
pas dans l'original.
Asseura estre venue de Vaucouleur à son Roy sans aucun empes-
chement ni destourbier, et qu'estant arrivée à sainte-Catherine-de
Fierbois, elle envoia vers son Roy et par après alla au chasteau de
Chinon où son Roy estoit, et y arriva sur le midy, logea en une
hostellerie, et après le disner fut au chasteau trouver son Roy,
lequel elle cognut par le conseil ^ de ses voix aussitost qu'elle fut
entrée en sa chambre, et le discerna et recognut entre tous les
autres, lui disant quelle vouloit aller faire la guerre contre les
Anglois.
On lui demanda si la voix qui lui avoit montré son Roy estoit
accompagnée de quelque lumière. Répliqua qu'on passast outre.
Interrogée si elle avoit veu quelque ange sur son Roy, respondit:
Pardonnez-moi et passez outre.
Asseura toutesfois, auparavant qu'ils l'emploiast, son Roy avoir
eu plusieurs belles apparitions et révélations.
Enquise quelles révélations et appai'itions avoit eues son Roy,
répliqua qu'elle n'en diroit rien et qu'ils n'auroient sur cela
aucune response : qu'ils envolassent à son Roy et qu'il leur
diroit.
Elle dit que sa voix lui avoit promis qu'incontinent qu'elle seroit
venue vers son Roy qu'il la recepvroit. Et que ceux de son parti
ont bien cognu que sa voix venoit de la part de Dieu ; et qu'ils
ont bien veu et recognu cette voix, et qu'elle le sçait bien : et que
son Roy et plusieurs autres ont ouy et veu les voix qui venoienl à
elle, et que pour lors estoient présents Charles de Rourbon et deux
ou trois autres.
Item a recognu qu'il ne se passe pas jour qu'elle n'entende cette
voix et qu'elle en a bien besoin, [et a recognuj ne lui avoir jamais
demandé autre chose sinon la récompense finale, à sçavoirle salut
de son âme.
1. « ... et révélation... » (J. Quicheuat, loc. cil., p. 06).
246 E. KICHER. — LA PUCELLE d'oRLÉANS
A pareillement confessé que sa voix lui avoit dit qu'elle demou-
rast en la ville de Saint-Denjs en France, comme elle y vouloit
demeurer ; mais que les seigneurs malgré elle l'emmenèrent de
là : que si elle n'eut point esté blessée, elle n"en fust point partie ;
qu'elle avoit esté blessée aux fossez de Paris et guérie en cinq jours,
et [avait] fait faire une escarmouche devant Paris ^
Interrogée s'il estoit feste le jour qu'elle avoit faict cette escar-
mouche, respondit qu'elle croyoit bien qu'il fust feste. Enquise si
c'estoit bien faict aux jours de feste, repartit qu'on passast outre.
Et l'Evesque de Beauvais fit mettre fin à cette séance, continuant
[renvoyant] la prochaine au samedi suivant.
ADVERTISSEMENT SUR LA SECONDE SEANCE '-
Nous avons principalement cinq choses de remarque en
cette séance.
En premier lieu, le Promoteur, article huictiesme de sa
production, bastitune insigne calomnie sur ce que la Pucelle
a confessé s'estre retirée à Neufchastel, crainte des Bourgui-
gnons, chez une femme nommée La Rousse, disant qu'à l'âge
de vingt ans, sans congé de ses parents, elle alla à Neuf-
chastel, se mit en service chez la Rousse où logeoient ordi-
nairement déjeunes hommes, mesme des gens de guerre et
des femmes mal nommées (renommées), etc. ; qu'elle y
apprit à monter à cheval, menant les chevaux abreuver et
aux champs, etc. Lequel article contient autant de menteries
qu'il a de mots. Car, premièrement pour l'âge, cette fille
est morte n'ayant [pas] vingt ans complets: et s'achemina en
1. « ... où elle était allée de saint Ueuys... » {Qi-ichek\t, op. cit.,
p. 37).
2. Remarque à propos des Advertissements :
Dans ses Advertissements sur les interrogatoires des quinze séances
du procès d'office, E. Richer se propose trois choses : 1" Dénoncer les
abus de pouvoir que décèlent les questions posées à la Pucelle :
2° Expliquer les réponses de l'accusée, et au besoin les justifier ;
3o Réfuter les accusations que le Promoteur, dans les divers articles
du Réquisitoire qui suivit les interrogatoires et ouvrit le procès ordi-
naire, fonde sur les réponses de la Pucelle ou imagine à l'occasion de
ces réponses.
C'est il ces articles de Réquisitoire et aux accusations qu'ils formulent,
que l'auteur fait allusion toutes les fois que dans ses Advertissements
il parle du Promoteur et de ses allégations.
DE COMPIÈGNE A ROUEN. LE PROCÈS 247
France, âgée de dix-sept ans : se retira à Neufchastel avec
ses père et mère seulement pour quinze jours, et logèrent
ensemble chez la Rousse, etc. Lors ne pouvoit avoir que qua-
torze ou quinze ans, ainsi que plusieurs personnes du vil-
lage de Dompremy ont attesté, qui s'estoient semblable-
ment retirées à Neufchastel, crainte des gens d'armes, et
logeoient avec les parents de la Pucelle chez la Rousse, et
mesme asseurent n'y avoir pas demouré quinze jours entiers.
Durant lequel temps cette fille dit avoir esté deux ou trois
fois à confesse aux Mendiants de Neufchastel. Ce qui donne
à cognoistre qu'elle estoit grandement dévote et aymoit à se
confesser souvent, ainsi qu'elle recognoit avoir esté conseillée
par les voix qui la visitoient.
Au reste, je suis fort esbahy que la Pucelle parlant du bon
gouvernement que ses voix lui ordonnoient, qu'elle aye
déposé n'avoir jeusné le jour précédent qu'elles lui apparu-
rent la première fois au jardin de son père.Gar,je vous prie,
à quel propos diroit-elle cela? Et attendu la malice de l'Eves-
que qui a faict registrer tout ce qui lui a plu en ce procez,
je tiens pour vraisemblable qu'il aye faict mettre la négative
pour l'affirmative, afin qu'on ne pensast point que Dieu visi-
toit cette fille pour les œuvres de piété qu'elle exerçoit ordi-
nairement. Certes, maistre Jean Bréhal, inquisiteur au
royaume de France, qui a veu l'original du procez escrit
en français, asseu^e que le jour précédent que ses voix appa-
rurent premièrement à la Pucelle, elle avoit jeusné : c'est au
traicté qu'il a faict pour la revision du procez. Or, cette faul-
seté, si elle a esté commise ainsi qu'il est probable, est de
peu de conséquence à comparaison des autres sur lesquelles
on a pris subject de condamner cette innocente vierge.
Mais ils imputent à grand crime de ce qu'elle asseure
sçavoir que Dieu aymoit le Roy et le duc d'Orléans, ne plus
ne moins que si elle parloit qu'ils fussent en la grâce de
Dieu pour le regard de leur ame, chose qui n'est cogneue
qu'à Dieu seul. Voyez l'article vingt-septiesme du Promoteur
sur lequel la Pucelle respond sçavoir bien que Dieu ayme
248 E. RICHER. — LA PUCELLE d'oRLÉANS
plus son Roy et le duc d Oiiéans qu'elle-mesme, quant à ce
qui est de l'ayde et garde de leur corps, et qu'elle sçait cela
par révélation. Donc c'est du soin qu'il plaist à Dieu avoir de
leurs personnes et de leurs Estats qu'elle entend parler. Véri-
tablement Dieu est le protecteur des Estats et personnes
affligées et humiliées : estant croyable que le Roy et le duc
d'Orléans avoient appris parmi tant d'afflictions à s'humilier
et résigner absolument à la volonté de Dieu, et que pour
cette cause il avoit commisération d'eux.
Ils la calomnientgrandement pour avoir confessé que ceux
du parti de son Roy avoient bien recogneu que ses voix
venoient de la part de Dieu, et qu'ils ont bien veu et recogneu
cette voix, etc., interprétant cela rigoureusement et au pied
de la lettre. Mais cette fille ne veut dire autre chose sinon
qu'après avoir esté examinée paries prélats et docteurs fran-
çais tant à Chinon qu'à Poictiers, l'espace de plus de trois
sepmaines, finalement ils avoient trouvé n'y avoir aucun
maléfice ni sorcellerie en son fait, et que les visions qu'elle
asseuroit avoir de la part du Roy du ciel n'estoient men-
songes ni impostures, veu d'ailleurs la sainte vie qu'elle
menoit, et les efTects miraculeux qui avoient réussi conformé-
ment à ses prédictions : au reste ayant esté si soigneusement
examinée par les prélats de France et mesme par le métro-
politain de l'Evesque de BeauvaisS et tous ces prélats ne
cédant en suffisance ni autorité à ceux du parti des Anglois.
De vérité, outre que de la part de Dieu elle avoit une certi-
tude évidente et notoire de sa mission et de ses révélations,
encore estoit-elle asseurée de ses faicts, devant les hommes :
joinct le rigoureux examen qu'elle avoit subi à Poictiers et à
Chinon. Ce qui lui donnoit asseurance de parler et respon-
dre hardiment à l'Evesque de Beauvais, disant qu'il debvoit
aussi bien appeler des ecclésiastiques du parti de son Roy que
du parti Anglois, et qu'il ne pouvoit estre son juge, estant
son ennemi capital, et le renvoyant quelquefois à Poictiers
et à Chinon où elle avoit esté suffisamment examinée.
i. L"archevêque de Reims, président de la commission de Poitiers.
DE COMPIÈGNE A ROUEN. — LE PROCES 249
Le quatrième point auquel ils trouvent à redire est la fré-
quente Visitation et consolation qu'elle reçoit de ses voix,
toutes les fois qu'elle en a besoin et qu'elle les requiert de lui
donner secours. Chose que le Promoteur, article cinquan-
tiesme de ses conclusions, attribue à imposture sans produire
aucune preuve de sa négative, jugeant selon sa passion et
sensualité, ne pouvant recognoistre les effects de l'esprit de
Dieu, ainsi que parle saint Paul. Quant à l'affirmative, elle
s'induit premièrement du premier chapitre des Proverbes :
Que Dieu tient à grandes délices d'estre parmi les enfants
des hommes qiCil ayme; secondement, de la fin et des cir-
constances de la mission de cette fille : laquelle, attendu sa
faiblesse, bas âge, rudesse et ignorance, et la grandeur des
affaires pour lesquelles elle estoit eslue de Dieu, les grands
périls, travaux et fatigues incroyables qu'elle debvoit sup-
porter, soit durant sa prison et à l'exécution du jugement de
mort qu'ils donnèrent contre elle, estant destituée de tout
conseil humain, elle avoit certainement besoin d'estre
extraordinairement et singulièrement assistée de la grâce de
Dieu. N'est-ce pas chose bien ardue et difficile de remettre un
Roy expulsé de son trosne royal, principalement à une sim-
ple bergère de l'âge de dix-sept ans? Le sénat romain fut bien
empesché pour remettre le Roy d'Egypte en son royaume,
quoy qu'il feust assisté des forces de la République romaine.
Cinquiesmement, ils la blasment d'estre partie de Saint
Denys en France contre le conseil que ses voix lui avoient
donné d'y résider. Mais, sur le vingt-neufviesme article du
Promoteur, elle dépose que ses voix lui donnèrent, après,
permission d'en sortir, attendu que les seigneurs voulurent
qu'elle suivist le Roy, principalement à cause de sa blessure.
TROISIESME SÉANCE
[troisième interrogatoire public]
[Des voix de la Pucelle.]
Le samedi vingt-quati'iesme febvrier 1430,rEvesque de Beauvais
exige serment de la Pucelle qu'elle dira simplement et absolument
250 E. RIGHER. — LA PUCELLE d'oRLÉANS
vérité des choses dont elle sera interrogée sans condition ni excep-
tion quelconque. De quoy ayant esté par trois fois admonestée,
elle demanda qu'on lui donnast permission de parler et leur dit :
« Par ma foy vous pourriez me demander telle chose que je ne
vous en dirois pas la vérité, comme de mes révélations que j'ai
juré ne révéler à personne. Et si vous me contraingniez à jurer de
les vous dire, je serois parjure, ce que vous ne debvez vouloir. Je
vous dis que vous preniez bien garde à ce que vous dites estre mon
juge, car c'est une grande charge que vous vous imposez ; et me
chargez trop, me contraignant dei'echef à jurer. N'est-ce pas assez
davoir juré deux fois en jugement? »
Interrogée si elle vouloit jurer simplement et absolument, dit
qu'on peut bien surseoir et qu'elle a assez juré d'avoir juré deux
fois, disant que tout le clergé de France et de Paris ne pourroient
la condamner s'ils ne l'avoient ou tenoient en légitime et juste
jugement.
Outre, asseure qu'elle dira volontiers la vérité de sa venue en
France, mais ne leur déclarera [pas] le tout, et que, pour raconter
le tout, huict jours entiers ne suffîi'oient pas.
L'Evesque lui i*emonstra qu'elle pouvoit prendre conseil des,
assistants si elle debvoit jurer ou non. Elle répartit que volontiers
elle diroit la vérité de son arrivée en France, et non autrement,
et qu'il ne lui falloit plus parler de jurer.
L'Evesque réplique qu'elle se rendoit suspecte, sinon qu'elle
jurast et promist la vérité. Elle respondit comme auparavant.
L'Evesque continua à la presser qu'elle aye à jurer précisément et
absolument. A quoy repartit qu'elle diroit volontiers ce qu'elle sça-
voit, mais non pas tout. Davantage, remonstra qu'elle venoit de
la part de Dieu et qu'elle n'a ici que négocier ni traicter, deman-
dant d'être renvoiée à Dieu d'où elle estoit venue. Derechef,
requise de jurer sous peine d'estre chargée de ce qu'on lui impo-
soit, respondit qu'on passast outre. Et sur ce que l'Evesque lui
remonstra qu'elle s'exposoit à un grand péril, refusant de jurer et
dire la vérité des choses qui touchoient son procez, alors répliqua
qu'elle estoit preste de jurer et dire la vérité de tout ce qu'elle sça-
voit concernant son procez. Et jura en cette sorte. Et après cela
l'Evesque ordonna qu'elle seroit interrogée par maistre Jean Beau-
père, qui lui demanda premièrement depuis quel temps elle n'avoit
mangé ni bu. Respondit n'avoir mangé ni bu depuis hier après
midy. C'estoit en caresme.
[Interrogée] depuis quelle heure elle avoit entendu la voix qui
venoit à elle : respondit l'avoir entendue hier et aujourd'huy :
hier, une fois au matin, et une fois sur le vespre ; et la troisième
comme on sonnoit VAve Maria, sur le soir; et qu'elle l'entend
maintes fois plus qu'elle ne dit.
On l'interroge [sur] ce qu'elle faisoit hier au matin, quand cette
DE COMPIÈGN'E A ROUEX, — LE PROCÈS 2ol
voix vint à elle. Dit qu'elle dormait et que cette voix l'éveilla.
Enquise si elle l'avoit éveillée, lui touchant les bras : repart
l'avoir esté sans aucun attouchement.
Interrogée si cette voix estoit en sa chambre; dit non, qu'elle
sçache, mais qu'elle estoit dans le chasteau de Rouen.
Enquise si elle a rendu grâces à cette, voix et fléchi les genoux :
confesse quelle la remercia estant en son lit sur son séant, et
qu'elle joingnit les mains; et ce. après l'avoir requise de lui donner
secours ; et que cette voix lui enjoignit de respondre hardiment.
Interrogée ce que cette voix lui dit, quant elle fut éveillée : répli-
que qu'elle lui avoit demandé conseil de ce qu'elle debvoit respon-
dre, disant à celte voix qu'elle en demandast conseil à Dieu ; et
que cette voix lui avoit enjoint de respondre hardiment, que Dieu
lui ayderoit.
Enquise si cette voix lui avoit tenu quelques propos auparavant
qu'elle l'eust requise de lui donner conseil: respondit que cette
voix lui avoit dit quelque chose, néantmoins qu'elle navoit pu
tout entendre \ et qu'estant resveillée, elle lui commanda de res-
pondre hardiment.
Et adressant la parole à l'Evesque. usa de ces termes : — Vous
dites que vous estes mon juge: prenez bien garde à ce que vous
faictes, car en vérité je suis envolée de la part de Dieu et vous vous
mettez en grand danger.
On s'enquiert si cette voix change quelquefois d'advis: respond
qu'elle ne l'a jamais trouvée en deux paroles contraires, et que, la
nuit passée, elle l'a entendue lui recommandant de respondre har-
diment.
Enquise si sa voix lui a deffendu de dire tout ce de quoy elle
seroit interrogée : repart qu'elle ne leur diroil point cela et qu'elle
avoit des révélations concernant le Roy qu'elle ne leur déclareroit
jamais.
On lui demanda si cette voix lui a prohibé de divulguer ces révé-
lations : répliqua qu'elle ne s'estoit point encore conseillée sur
cela ; qu'on lui donnast quinze jours de temps et qu'après elle leur
respondroit. Et ayant derechef demandé délay, elle dit: si cette
voix me le deffend, que voulez-vous que je vous dise ?
Enquise derechef si cela lui étoit deffendu, respondit : croyez que
celte deffense ne. m'a point esté faicte par les hommes. Et dit que
ce jourdhuy elle ne respondra point, car elle ne sçait si elle doibt
respondre ou non jusqu'à ce qu'il lui ail esté révélé.
Item dit croire asseurement et aussi fermement qu'elle croit la
foy chrétienne et que Dieu nous a rachetez des peines d'enfer, que
cette voix provient de Dieu et par son ordonnance.
1. « Entendre », c'est-à-dh-e comprendre : « non omnia iyitellexit. »
Procès, t. I, p. 62).
252 E. RICHER. — L.\ PUCELLE d'oRLÉANS
Interrogée à sçavoir si cette voix quelle dit lui apparoir est un
ange, et si elle est immédiatement envolée de Dieu, ou si c'est la
voix de quelque saint ou sainte : respond que cette voix vient de
la part de Dieu et qu'elle le croit, mais qu'elle ne leur dira pas tout
ce qu'elle sçait ; et qu'elle a plus de crainte de faillir en disant
quelque chose qui déplaise à ses voix, qu'elle n'a de leur respondre
et pour le regard de cette demande, prie qu'on lui donne un délay.
Interrogée si elle croit que ce soit chose desplaisante à Dieu de
dire la vérité: maintient que ses voix lui ont enjoinct de dire au
Roj plusieurs choses, et non à eux. Et que, la nuit passée, elles lui
ont rapporté maintes choses pour le bien du service du Roy quelle
voudroit bien qu'il sceust à présent, et qu'elle ne deust boire vin
jusques à Pasques. Cai% ainsi qu'elle disoit, il en eust été plus
joyeux à son disner.
Enquise si elle ne pourroit pas tant faire A l'endroit de ses voix
qu'elles lui obéissent et portassent cette nouvelle à son Roy : res-
pond ne sçavoir pas si cette voix voudi'oit obéir, sinon que ce fust
la volonté de Dieu ; et que s'il lui plaisoit, il pourroit bien faire
l'évéler cela à son Roy. et qu'elle en seroit bien contente.
On lui demanda pourquoy cette voix ne parle pas maintenant
avec son Roy, comme elle faisoit quand elleestoit en sa présence :
réplique qu'elle ne sçait pas si c'est la volonté de Dieu, et qu'elle
mesme sans la grâce de Dieu ne pourroit faire aucune chose.
On s'enquit si son conseil lui avoit révélé qu'elle évaderoit de
prison, respondit : Ai-je à vous dire cela? — Outre, [intei*rogée] si
cette nuit la voix lui donna conseil et advis de ce qu'elle avoit à
respondre: dit que si cette voix [le] lui avoit révélé, ne l'avoit bien
entendu [compris] '.
Interrogée si aux deux jours derniers qu'elle a ouy ces voix, il
survint quelque lumière : repartit qu'il venoit quand et [avec] le
son de la voix, une clarté.
Enquise si elle voit quelque autre chose avec les voix, répliqua:
Je ne vous dirai pas tout ; je n'en ay pas permission et le serment
que je vous ai faict ne touche point cela. Cette voix est bonne et
digne, et ne suis pas tenue de respondre à ce que vous demandez.
Requiert qu'on lui donne par escrit les points sur lesquels elle ne
respondoit présentement.
On lui demanda si cette voix à laquelle elle demandoit conseil
avoit une vue et des yeux, respondit: Vous n'aurez pas cela pour
cette heure. C'est un dire de petits enfants, que les hommes sont
quelquefois pendus pour dire la vérité.
Ils lui demandent si elle sçavoit estre en la grâce de Dieu. Res-
pondit : si je n'y suis, Dieu my veuille mettre, et si j'y suis, Dieu
me tienne et me conserve en icelle. Je serois la plus dolente de
t. (( Intellexit », dans J. Quichorat, t. I, p. 64.
DE COMPIEGNE A ROUEN. — LE PROCES 233
tout le monde si je sçavois n'estre [pas] en la grâce de Dieu. —
Dit pareillement croire que si elle estoit en péché, la voix ne vien-
droit plus à elle : et voudroit que chacun l'entendist ^ [la comprist]
aussi bien qu'elle mesme. Adjouta qu'elle estoit en l'âge de treize
ans environ quand elle fut premièrement visitée de cette voix.
Enquise si, en sa jeunesse, elle alloit se pourmener et esbattre
aux champs avec les autres jeunes filles: répliqua y avoir bien esté
mais ne sçavoir à quel âge.
Interrogée si ceux de Dompremy tenoient le parti du Bourguignon
ou l'autre parti contraire : dit ne sçavoir qu'il y eust là qu'un seul
Bourguignon; et eust voulu qu'il eust eu la tête coupée, pourveu
toutes fois qu'il pleusl à Dieu.
Us lui demandent si au village de Maxey il y avoit des Bourgui-
gnons ou de leurs adversaires. Repartit qu'ils estoient Bourgui-
gnons. Recognut, depuis qu'elle entendit que ses voix estoient
pour le Roy de France, n'avoir jamais aymé les Bourguignons.
Item dit que les Bourguignons auront la guerre, sinon qu'ils fas-
sent ce qu'ils doibvent; et qu'elle sçait cela par cette voix.
Interrogée à sçavoir si elle a eu révélation en sa jeunesse que les
Anglois doibvent venir en France : repartit que les Anglois estoient
desjà en France quand les voix commencèrent à venir à elle.
Enquise si jamais elle a esté avec les petits enfants qui combat-
battoient pour le parti qu'elle tient : respondit que non, au moins
qu'elle s'en souvienne. Mais qu'elle a veu aucuns de Dompremy
qui combattoient contre ceux de Maxey, et qu'ils en revenoientbien
blessez et tout couverts de sang. On lui demanda si, en sa jeunesse,
elle avoit grande envie de poursuivre les Bourguignons. Répliqua
avoir toujours eu grande volonté ou affection que son Roy fust [en
possession] paisible de son royaume.
Interrogée si elle eust bien voulu estre homme, quand elle deb-
voit venir en France : répliqua qu'elle leur répondrait une autre
fois sur cela.
Enquise si elle menoit les bestes aux champs paistre : dit qu'elle
leur avoit desjà autrefois respondu sur cela; et que depuis qu'elle
fust devenue grande et qu'elle eust la [l'âge de] discrétion, elle ne
gardoit plus ordinairement les bestes, mais bien aydoità les mener
aux prés et à un chasteau qu'on appelle l'isle, crainte des gens
d'armes ; et qu'elle ne se souvient point si elle les a gardez en sa
jeunesse ou non.
On lui demanda quel arbre il y avoit auprès de son village.
Dit qu'assez proche de Dompremy il y avoit un certain arbre
qu'on appeloit VArhre des Dames, qu'aucuns appeloient VArbre des
Fées; et toutauprès qu'il y avoit une fontaine. Et qu'elle avoit ouy
dire que ceux qui avoient la fiebvre buvoient de cette fontaine et y
1. Même observation que ci-dossus.
254 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
alloient quérir de l'eau pour estre guéris : et qu'elle mesme en a
A'eu y aller, mais ne sçait s'il y a eu guérison ou non. Outre, dit
avoir ouy dire que quand les malades se peuvent lever, ils vont à
cet arbre pour se pourmener. C'est un grand arbre qu'on appelle
fau ', d'où vient le Beau May, lequel appartenoit jadis au seigneur
Pierre de Bourlemont. Confessoit avoir esté quelquefois à cet
arbre pourmener avec les autres filles et qu'elle y faisoit des bou-
quets pour l'image de la Bienheureuse Vierge Marie qui est à
Dompremy. Et avoir plusieurs fois entendu des anciens, non pas
d'aucuns de ses parents, que mesdames les fées conversoient en
cet endroit. Et qu'une certaine femme nommée Jeanne, mariée au
maire Aubry, du village de Dompremy, qui estoit sa marraine, lui
avoit dit avoir veu mesdames les fées en ce lieu-là : mais que cela
soit véritable ou non, elle qui parle n'en peut asseurer. Ilem dit
n'avoir jamais veu les fées vers ledit arbre, et qu'elle ne sçait
point si elle les a veues ailleurs ou non. [11 y a] plus : qu'elle a
veu mettre des bouquets aux branches de cet arbre par de jeunes
filles et qu'avec elles y en a mis pareillement, et qu'ensemble elles
y en portoient- et laissoient aucunes fois.
[De] plus, a déposé depuis qu'elle fut con seillée de venir en France,
s'estre peu adonnée aux jeux et à s'aller pourmener, et ne sçavoir
si depuis Tage de discrétion, elle a dansé auprès de cet arbre ;
mais qu'il se peut bien faire qu'elle y ait dansé autrefois avec plu-
sieurs autres, et y a plus chanté que dansé.
A dit encore qu'il y a là un bois appelé le Bois Chesnu, qu'on
veoit de la porte de la maison de son père, et en est esloigné
environ demi-lieue : et ne sçait et n'a jamais ouy dire que mes-
dames les fées dont a esté parlé y fréquentent ou conversent. Bien
a-t-elle ouy dire à son frère que le bruit courait au pais qu'elle qui
parle avoit pris son faict — c'est-à-dire ses révélations — vers cet
arbre de mesdames les fées ; — mais qu'elle lui maintint le con-
traire et cela estre faux.
Davantage : a déposé qu'estant venue vers son Roy, aucuns lui
ayant demandé si, en son pais, il n'y avoit pas un bois appelé le
bois chesnu: — parce qu'il y avoit certaines prophéties qui pro-
mettoient que d'auprès et des environs de ce bois devroit venir
une certaine fille qui feroit des merveilles ; — qu'elle avoit res-
pondu n'avoir jamais adjousté foy ni aucune créance à tous ces
discours.
Enquise si elle vouloit avoir une robe de femme, respondit :
Donnez m'en une. et je la prendroy et m'en iroy ; autrement je ne
1 . Fau du mot Fagiis, nom latin du hêtre.
2. Dans J. Quicherat, loc. cit., p. 67 : Aliquando secum deferebant,
alîquando dimittebant . Faut-il traduire ; « elles les y portaient » ou
« elles les emportaient » ?
DE GOMPIÈGXE A ROUEX. — LE PROCÈS 23d
la prendroy point. Et me contente de celle que j'aj, puisqu'il a
plu à Dieu que je la porte.
Ce que fait ainsi, l'Evesque commande de cesser l'interrogatoire
et d'en remettre la continuation à mardi prochain, à la mesme
heure et au mesme lieu.
ADVERTISSEMENT SUR LA TROISIESME SEANCE
Il y a plusieurs choses à remarquer sur cette séance.
En premier lieu, la Pucelle continue à ne vouloir reco-
gnoistre pour juge l'Evesque de Beauvais ni tous ceux du
parti Anglois, ayant respondu que tout le clergé de Rouen et
de Paris ne la pourroient condamner sinon qu'ils la tinssent
en [juste] jugement : qui est à dire, selon son sens, qu'elle
ne leur estoit [pas] justiciable, et dit notamment à l'Evesque
de Beauvais qu'il a pris une grande charge et se met en
grand danger de lui vouloir faire son procès, estant
envolée de Dieu. Certes, plusieurs tesmoins ont déposé à la
revision du procez que ce prélat et tous ceux, qui avoient
apporté de l'animosité contre cette fille, faisant son procez,
estoient morts misérablement : de quoy il sera parlé
ailleurs.
En second lieu, le Promoteur, au quarantiesme article de
sa production, impute à grande erreur de ce que la Pucelle
a confessé croire aussi fermement que ses voix venoient de
Dieu, qu'elle croyoit la foy chrestienne et que Dieu nous
avoit rachetez des peines d'enfer, etc. Et ceiix qui ont déli-
béré sur les douze articles envolez à l'Université de Paris,
induisent de la déposition de cette fille qu'elle a voulu dire
estre obligée de croire aussi fermement que ses voix
venoient de Dieu, que de croire aux articles de la foy,
[choses] qui ne sont que pures chicaneries. Car outre
qu'elle parle par comparaison et similitude, qui doibt estre
entendue par analogie et cloche toujours d'un pied, on peut
attaquer davantage — supposant, comme on le doibt, que
les voix de cette fille lui ayent apparu tout ainsi que jadis
les anges apparurent face à face aux patriarches et prophètes,
parlant et luttant avec eux, ainsi qu'ils firent avec Jacob,
256 E. RICHER. — LA PUCELLE d'ORLÉANS
Genèse 32, Gédéon, Juges ô. mesme avec l'asnesse de Balaam
qui vit un ange tenant une épée flamboyante. Nombres 22
— que ceux qui ont telles visions ayant l'évidence et certi-
tude notoire d'une chose qui leur est présente et dont ils ne
peuvent doubter en façon du monde, non plus que de ce que
l'on veoit de ses propres yeux, sont très asseurez ; mais, au
contraire, que personne n'a l'évidence et notoriété des
articles de la foy, ains seulement une certitude énig-
matique et obscure, ainsi que saint Paul l'enseigne,
V aux Corinthiens, chap. 13, disant « que nous voyons en
cette vie tout ainsi qu'en un miroir énigmatique les choses
de la foy ; » et chap. o de la seconde aux Corinthiens, « que
nous marchons par la foy et non par l'évidence et noto-
riété. »
Davantange : ne dit-on pas que la foy des jeunes gens, des
femmes, des ignorans, est beaucoup plus forte que celle des
hommes doctes et de ceux qui ont beaucoup d'expérience?
Donc la Pucelle qui estoit jeune, ignorante et sans expérience,
ne doubtoit point de ce qu'elle avoit veu et entendu, c'est-à-
dire de ses révélations.
Troisiesmement, je vous prie, considérons cet interroga-
toire. Us demandent à cetts fille si la voix qui la visite est
immédiatement envolée de Dieu ou si c'est un ange ; ou,
comme ils parlent en la séance quatriesme, si c'est la voix
de Dieu sans moyen ^ qui parle à elle. Pour ce qui est d'un
ange, cela est du procez, joinct que la Pucelle a recogneu
estre visitée et conseillée par l'ange saint Michel.
Mais quant à une voix émanée de Dieu sans moyen, c'est
une question qui surpasse la capacité et condition de cette
fille, et ne debvoit lui estre proposée.
Quatriesmement, pour la surprendre, ils l'interrogent
pourquoy cette voix ne parle [pas] présentement à son Roy,
ainsi qu'elle faisoit estant en sa présence ; ne plus ne moins
que si cette fille eust advoué que ses voix se manifestoient
1. « Sans moyen », c'est-à-dire « sans intermédiaire d'aucune
sorte ».
DE COMPIEGXE A ROUEX. — LE PROCES 2o7
également à son Roy comme à elle : chose très faulse, veii
qu'elle faisoit entendre au Roy le conseil que ses voix lui
départoient pour le bien de son service ; de sorte qu'elle
exerçoit à son égard comme office d'ange, c'est-à-dire de
messager de la part du Roy du ciel. Outre que les aspects
admirables de sa mission, notoires au Roy, à tous les princes
et seigneurs de la cour et à toute la France, rendoient
asseuré tesmoignage de quelle part elle estoit enviée. Raison
pour laquelle elle a souvent asseuré que le Roy et plusieurs
princes sçavoient bien que ses voix venoient de la part de
Dieu, et avoient veu le signe qu'elle avoit apporté au Roy,
sçavoir la levée du siège d'Orléans, la défaite des Anglois; le
couronnement de sa majesté, etc. ; ce] qui est alléguer
l'effet pour la cause, ainsi que les prophètes en usent sou-
ventes fois.
Quant au cinquiesme point, si elle sçavoit qu'elle fiist en
la grâce, c'est une grande controverse de théologie. 3Iaistre
Jean Fabri, docteur de Paris, de l'ordre des Augustins, qui
assista au procez, entendant proposer cette ardue et dificile
question, remonstra en pleine assemblée quon ne debvoit
[pas] faire de tels interrogatoires à cette fille. Etl'Évesque de
Reauvais lui dit en colère qu'il eust mieux fait de se taire.
Mais considérons la response de cette bergère et combien
elle est contraire aux desseins de l'Evesque-qui l'a con-
damnée en tout que sorcière et hérétique. « Si je ne suis en
la grâce de Dieu, Dieu m'y veuille mettre ; et si j'y suis.
Dieu me tienne et conserve en icelle. Je serois la plus
dolente de tout le monde si je sçavois n'estre [pas] en la
grâce de Dieu. Et dit croire que si elle estoit en péché
ses voix ne viendroient plus à elle ; et désire que chacun
entende aussi bien ses voix qu'elle mesme. » Qui est
un souhait plein de charité, désirant que son prochain
soit sans péché, ainsi qu'elle pense estre, et les sorcières et
les personnes mal vivantes ne pensent pas de la sorte. Ils
l'ont encore remisesur cette question en la séance douziesme
où elle respond admirablement.
En sixiesme lieu, ils la blasment d'avoir dit qu'en toute la
17
2S8 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLÉANS
paroisse de Dompremy et de Greux il n'y avoit qu'un seul
Bourguignon, et que, s'il eust plu à Dieu, elle eust bien
voulu qu'il eust eu la teste coupée. Lequel souhait peut estre
comparé à ce passage de saint Paul, cinquiesme chapitre aux
Galates : « Pleust à Dieu que ceux qvii vous troublent fussent
réséqués ' ; » ou bien à cet autre des Actes, 23, parlant au
grand-prestre Ananias qui l'avoit fait outrager : « Dieu te
punira, paroi blanchie. » Lesquels passages les Pères inter-
prètent d'un zèle et désir de justice, non de vengeance qui
ne doibt jamais tomber en l'esprit d'un chrétien. Mais saint
Hiérosme recognoist en cela de l'infirmité humaine en saint
Paul, ainsi que nous avons remarqué au premier livre.
Ailleurs la Pucelle a confessé n'avoir point aymé les Bour-
guignons, depuis que ses voix lui avoient conseillé d'aller au
secours du Roy de France, termes qui doivent estre inter-
prétez d'une amitié de bienveillance singulière que l'on
rend et desploie à l'endroit de ses meilleurs amis. Car un
chrestien ne doibt haïr personne : mais il n'est pas obligé
d'aymer tout le monde d'une amitié de bienveillance parti-
culière, pour ce que cela est réservé aux amis de cœur tel
qu'estoit le Roy de France à la Pucelle.
Quant au septiesme article, la Pucelle ayant confessé avoir
esté en sa première jeunesse, âgée de douze ans ou environ,
jouer avec les autres filles de son âge et de son village sous
le Beau May et y avoir fait des bouquets, dansé aussi et
chanté ensemblement ; de plus, qu'une de ses marraines lui
avoit dit autrefois avoir veu les fées auprès de cet arbre ;
item, ayant recogneu, séance cinquiesme, que ses voix
l'avoient une seule fois abordée et parlé à elle auprès de la
fontaine proche du Beau May ; le Promoteur,'* assemblant
toutes ces dépositions, en a compté trois articles, sçavoir
le cinquiesme, sixiesme et quarante-huitiesme [de son
Réquisitoire], par lesquels il conclud que la Pucelle estoit
sorcière, qu'elle invoquoit et communiquoit avec les démons
1. « Réséqués », du mot latin resecari .•retranchés soit de TEglise,
soit de la grâce de Dieu. L'expression de l'apôtre est « abscindantur. w
Loc. cit., V. 12.
DE COMPIÈGNE A ROUEX. — LE PROCÈS 259
auprès de cet arbre et fontaine, qu'elle y alloit toute seule la
nuit, et durant qu'on célébroit le divin service à l'Église,
pour danser et faire son sabbat. Chose que cette fille a niée
absolument et [qui] ne se peut induire ni colliger en façon
du monde des confessions qu'elle a faictes touchant ce
qu'elle'' recognoissoit avoir hanté auprès du dit arbre et fon-
taine. En la revision du procez, pour sçavoir ce qui estoit de
la vérité et convaincre l'iniquité des juges qui ont con-
damné cette fille, a esté faicte une solennelle et bien exacte
information au païs de la Pucelle sur les douze articles
suivants :
Premièrement, du lieu et paroisse oii cette fille naquit.
II. Qui estoient ses parents, de quel estât, et s'ils estoient
bien renommez et bons catholiques.
III. Qui estoient ses parrains et marraines.
IV. Si en sa jeunesse elle avoit esté bien instruite et nourrie
en la crainte de Dieu, conformément à son âge et à la con-
dition de sa personne.
V. Quelles personnes elle fréquentoit jusques à ce qu'elle
partit de la maison de son père.
VI. Si elle fréquentoit souvent et volontiers l'église et les
lieux de dévotion.
VIL En quel art et exercice elle s'occupoit durant sa
jeunesse.
VIII. Si elle alloit souvent et librement à confesse.
IX. Quel bruit court au païs d'un arbre appelé V Arbre
des Dames ; si les jeunes filles ont accoutumé d'y aller
jouer et danser ; ce que c'est d'une fontaine qui est
proche dudit arbre ; et si la Pucelle en sa jeunesse hantoit
vers ledit arbre avec les autres filles, et pourquoy elles y
alloient.
X. Gomment elle partit de la maison de son père et de son
village, et quel a esté tout son gouvernement pendant qu'elle
fut sur le chemin.
XI. Si en son païs on avoit fa^^ quelques informa-
tions par autorité de quelques juges, depuis qu'elle fut
prise devant Gompiègne et mise entre les mains des Anglois.
XII. Si, quand elle se retira à Dompremy de Neufchastel
260 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
à cause des gens d'armes, elle fut toujours en la compagnie
de ses père et mère.
Sur lesquels douze articles vingt et deux tesmoins ont
déposé suivant ce que nous avons escript et narré de la vie de
la Pucelle au premier livre. Et quant au neufviesme article
concernant l'arbre appelé le Beau May et la fontaine susdite,
ont rapporté que jadis le seigneur du village de Dompremy
s'appeloit Pierre de Bourlemont, et qu'il y avoit un chasteau
ou forteresse audit village de Dompremy auquel il foisoit sa
demeure ; et qu'alors sa femme et ses damoiselles s'alloient
ordinairement pourmener et esbattre vers ledit arbre et
fontaine qui sont sur le grand chemin de Neufchastel ; que
ledit arbre est admirablement beau et par cette raison appelé
au païs le Beau May, et l'Arbre des Dames parce que ladite
Dame et ses damoiselles s'y alloient souvent pourmener :
qu'il couroit un vau-de-ville que jadis les fées avoient fré-
quenté vers cet arbre et fontaine, auparavant qu'on y allast
en procession le jour de rinvention Sainte-Croix au mois
de may, et aux Rogations durant la sepmaine de l'Ascension
et qu'on y chantoit l'Evangile de de saint Jean ; que depuis
ce temps-là on disoit que les fées n'y hantoient plus.
Que c'est la coustume du païs que tous les jeunes gens
s'aillent pourmener festes et dimanches vers cet arbre et fon-
taine, tout durant le printemps et l'esté, et commencent pré-
cisément au Dimanche de la mi-caresme qu'on chante à la
grand'messe Letare Hierusalem ; que pour cette occasion on
appelle au païs ce dimanche-là le dimanche des fontaines,
d'autant que les jeunes gens se vont pourmener ce jour vers
ledit arbre et fontaine, et continuent tout du long de l'esté,
y faisans des bouquets et y portans du pain et quelques
f ouasses pour gouster sous cet arbre et boire de l'eau de cette
fontaine qu'ils nomment des Reynes [des R.ains] ; dansent
aussi quelquefois et chantent par ensemble. Que la Pucelle
estant jeune alloit s'y esbattre avec les autres filles de son
âge, et y dansoient, chantoient et faisoientensemblementdes
bouquets, ainsi que font les jeunes gens selon la coustume
du païs.
DE COMPIÈGXE A ROUEN. LE PROCÈS 261
Donc tout ce que la Pucelle confesse avoir faict. auprès de
cet arbre et fontaine, avec les autres filles de son âge, ne
sont que jeux et esbattements ordinaires aux enfants, et
n'y a village au monde auquel il ne se trouve quelque place
publique où la jeunesse va s'esbattre. Mais ils objectent que
Jeanne a confessé avoir attaché des bouquets à ce Beau May !
C'est une singerie denfants, lesquels font ordinairement ce
qu'ils voient faire aux autres. Cet arbre leur rendoit une belle
ombre pour eux esbattre et mettre à l'abri du soleil et de la
pluie, et en contre-eschange ils le caressoient tout ainsi
que des enfants caressent leurs fouets, et aujourd'huy conti-
nuent encore les mesmes esbattements, ainsi que j'ai appris
de ceux du païs. Ne voit-on pas des filles gardans les bestes
aux champs, les ramener toutes couvertes de fleurs, de bou-
quets et de festons, comme estoient jadis les victimes des
Romains, prestes à sacrifices ? dira-t-on pour cela qu'elles
soient idolâtres ?
Une chose est grandement à remarquer, que la Pucelle a
déposée : sçavoir, depuis qu'elle eut l'âge de discrétion —
c'est environ treize ans — que ses voix lui apparurent
auprès de cette fontaine, depuis ce temps-là s'estre retirée
de toute sorte d'esbattements : estant croyable que ce qu'elles
lui apparurent lors estoit pour la distraire desdits esbatte-
ments ; car depuis elle vaquoit toujours à choses sérieuses,
et hantoit plus souvent l'église que de coustume. De sorte
que ceux de son âge la voyant si adonnée à la piété s'en
moquoient, ainsi qu'ils ont déposé. Et tous les tesmoins
dénommez en l'information faicte sur les douze articles men-
tionnez, asseurent que tous les parents de la Pucelle estoient
fort gens de bien, bons catholiques, bien renommez, et
qu'aucun n'avoit esté onques soupçonné de sorcellerie.
Quant à la marraine de la Pucelle qui dit avoir veu
les fées vers cet arbre, ce sont co'htes de bonnes femmes
qui pensent bien souvent avoir veu ce qui n'est, ne sera et
ne fut jamais. Auprès des Chartreux de Dijon, on veoit une
grande ouverture en un rocher, laquelle on appelle le
« four aux fées, » dont on fait mille contes, et les jeu-
nes gens s'y vont pourmener vers la mi-caresme. Et me
262 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLÉANS
souvient en ma jeunesse, n'aj'ant que sept ou huit
ans, avoir ouy des femmes faire des contes a plaisir de
l'ogre et des fées qui mangeoient les petits enfants ; rap-
portans que certaines femmes ou autres personnes de légère
créance, mal timbrées et de tout ignares, avoient veu des
esprits, nommément vers l'advent, etc. : desquelles choses je
confesse avoir eu grand peur en ma jeunesse, et depuis que
Dieu m'eust donné l'usage de raison, m'en estre moqué tout
ainsi que la Pucelle dit n'avoir adjousté aucune foy à tout
ce qu'elle a ouy dire.
A la vérité, ces contes de fées proviennent des fables des
poètes qui ont faict des nymphes habitans aux fontaines, et
des faunes, et Dryades errantes parmi les forests. Au
demeurant, la sorcellerie est un maléfice de personnes mal-
vivantes, avancées sur l'age, et non d'une vierge âgée de
treize ans, vivant saintement, comme foisoit la Pucelle. Ce
maléfice horrible ne peut estre le premier péché, non plus
que l'hérésie : c'est cloaque et sentine de toutes sortes de
péchés et méchancetez, ainsi que l'on recognoist par le
procez de ceux qui ont esté prévenus et convaincus de sor-
cellerie, lesquels mesme on recognoist à l'air affreux de
leurs visages, et les pendroit-on à leur mine.
En cas de sorcellerie, quand on veut rendre la présomption
valable en droict, il la faut confirmer ou par tesmoins irré-
prochables, ou par maléfices notoires et bien avérez, commis
et perpétrez par ceux que l'on accuse. Et de tout cela aucune
chose n'apparoist en tout ce prétendu procez : d'où résulte la
justification de la Pucelle.
SÉANCE QUATRIESME
[qUATUIÈME INTERROGATOIRE PUBLIC.]
Le mardi xxvn febvrier 1430. lEvesque de Beauvais exige de la
Pucelle serment quelle dira la vérité des choses qui concernent le
procez. A quoi respond que volontiers elle jureroit de dire la vérité
de ce qui touchoit le procez, mais non pas de tout ce quelle sçait;
et comme auparavant, dit qu'on debvroit estre content et qu'elle
avoit assez juré. Et lEvesque ordonna qu'elle seroit interrogée par
maître Jean Beaupère, ci-devant nommé.
DE COMPIÈGNE A ROUEN. LE PROCÈS 263
Lequel tout en premier lieu demanda à cette fille comment elle
s'estoit portée depuis samedi. Repartit qu'ils voyoient bien com-
ment elle se portoit et qu'elle s'estoit portée le mieux qu'elle
avoit pu.
Interrogée si elle avoit jeusné chacun jour de caresme : demanda
si cela estoit de leur procez. Et lui ayant esté respondu que cela
appartenoit au procez, confessa véritablement avoir tousjours
jeusné en caresme.
Enquise si depuis samedi elle avoit entendu la voix qui vient
à elle, répliqua : Oui vraiment, je l'ay ouye plusieurs fois.
On lui demanda si elle l'avoit ouye le samedi en la salle où elle
fut interrogée : respondit que cela n'estoit [pas] de leur procez ; et
puis leur dit qu'elle l'avoit entendue (ouye).
On s'enquiert de ce quelle lui avoit dit. Repart qu'elle n'avoit
pas bien entendu' quelque chose pour leur dire, jusqu'à ce qu'elle
fust retournée en sa chambre ; et qu'elle lui avoit dit qu'elle leur
parlast hardiment; et quelle avoil demandé conseil à cette voix
des choses sur quoy on l'interrogeoit. Et davantage, asseura qu'elle
diroii volontiers tout ce qu'elle avoit permission de déclarer. .Mais
quant aux révélations qui louchent le Roy de France, elle ne les
dira [pas] sans la permission de sa voix.
Enquise si cette voix lui a deffendu de dire tout : respondit
n'avoir pas bien entendu [compris] cela.
IntexTogée de ce que sa voix lui avoit dit la dernière fois :
confessa lui avoir demandé conseil d'aucunes choses sur quoy elle
avoit esté interrogée.
Enquise si cette voix lui avoit donné conseil d'aucunes choses :
assure que ouï, mais qu'on lui pourroit demander qu'elle eust à
respondre de certaines choses, qu'elle n'y feroit aucune response
sans la permission de sa voix : que si elle respondoit sans avoir
eu permission, possible n'auroit-elle ses voix à garant ; mais quand
elle avoit permission de Dieu, elle ne craignoit pas de dire, pour
ce qu'elle avoit bonne garantie.
[Des apparitions de saint Michel et des saintes.]
On lui demande si c'estoit la voix d'un ange qui lui parloit, ou
de quelque saint ou sainte, ou bien de Dieu mesme sans moyen.
Répliqua que cette voix estoit de sainte Catherine et sainte Mar-
guerite ; et que leurs figures sont couronnées de belles couronnes,
grandement riches et précieuses. Et dit avoir licence de Notre-Sei-
gneur de déclarer cela. Que si vous le révoquez en double, envolez
à Poictiers où j'ay esté une autre fois interrogée.
1. « Entendu », c'est-à-dire « compris ». Non inlelUgebam au lieu de
non audiebam.
264 E. RICHER. LA PUCELLE D ORLEANS
On senquiert comment elle sçavoit' que ce sont ces deux saintes
qui la visitent, et si elle les cognoist et discerne bien l'une de
l'autre. Répondit que oui. Interrogée comment cela se faict : dit
qu'elle les recognoist par la salutation qu'elles lui font , qu'il j a
bien sept ans passez qu'elles l'ont prise en gouvernement, et
qu'elle les recognoit aussi pour ce qu'elles lui disent leur nom.
Interrogée si ces saintes sont vestues d'un mesme drap : repart
qu'elle ne leur dira présentement autre chose et n'avoir licence de
le révéler. Si vous ne me croyez pas, allez à Poictiers. Et dit qu'il y
des révélations qui regardent le Roy de France, et non pas eux qui
l'interrogent.
Enquise si ces saintes lui- parlent ensemble ou séparément
l'une après l'autre : respond n'avoir permission de leur dire;
toutes fois que toutes deux ensemblement lui donnent conseil.
On lai demanda laquelle des deux lui est premièrement apparue.
Répliqua ne les avoir pas cogneîies incontinent; et qu'autrefois
elle sçavoit bien cela, mais qu'elle l'avoit maintenant oublié, et
que si elle a permission, le dira librement, et qu'il est escrit en
un registre à Poictiers.
Dit en outre avoir eu confort et consolation de saint Michel.
Interrogée laquelle de ces apparitions est la première venue à
elle : asseùre que saint Michel est venu le premier.
Enquise s'il y a longtemps quelle a ouy premièrement la voix
de saint Michel : respond qu'elle ne parle pas de la voix de
saint Michel, mais d'une grande consolation qu'elle a reçue de lui.
Enquise quelle a esté la première des voix qui sont venues à
elle, quand elle avoit treize ans ou environ : respond que ce fut
saint Michel qu'elle vit devant ses yeux; et qu'il n'estoit pas seul,
mais bien accompagné des anges du ciel; et qu'elle n'estoit venue
en France, sinon par le commandement de Dieu.
S'enquièrent si elle a vu saint Michel et ces anges corporelle-
ment et réellement. Dit : je les ay veus de mes yeux corporels
aussi bien que je vous vois; et quand ils s'en alloient, je pleurois,
et j'aurois bien voulu qu'ils m'eussent emportée avec eux.
Interrogée en quelle figure estoit saint Michel : répliqua ne
l'avoir pas encore dit et n'avoir [pas] permission de le dire.
Enquise de ce que saint Michel lui avoit dit la première fois :
repartit que pour aujourd'huy, elle ne leur donnera [pas] response
sur cela ; et que ses voix lui avoient dit qu'elle parlast hardiment.
Dit aussi avoir une fois raconté à son Roy tout ce qui lui avoit
esté révélé qui le concernoit ; mais quelle n'avoit encore permis-
sion de déclarer ce que saint Michel lui avoit dit. Adjousta de plus
qu'elle voudroit bien que celui qui l'interroge eust la copie du livre
qui est à Poictiers : pourveu que ce fust la volonté de Dieu.
Interrogée si les voix lui ont deffendu de déclarer ses révéla-
tions sans leur permission : respondit qu'elle ne leur diroit rien
DE COMPIÈGXE A ROUEN. — LE PROCÈS 265
sur cela; et que [de] ce dont elle avoit permission, leur en respon-
droit volontiers, et quelle navoit pas bien entendu [compris] si
ses voix [le] lui avoient deffendu.
On lui demanda quel signe elle donne pour faire cognoistre
qu'elle a des révélations de la part de Dieu, et que c'est sainte Ca-
therine et sainte Marguerite qui parlent avec elle. Repartit : je
vous ay assez dit que ce sont saintes Catherine et Marguerite ;
croyez moi si vous voulez. Interrogée si on lui a deffendu de le dire :
respond qu'elle n'a pas encore bien entendu [compris] si cela lui
est deffendu ou non.
Enquise comment elle peut faire distinction en respondant
d'aucuns points et des autres non : dit qu'elle avoit licence pour
respondre d'aucuns et non pas des autres. Davantage, qu'elle
aymeroit mieux estre démembrée avec des chevaux que d'estre
venue en France sans permission et licence de Dieu.
[De Ihabit d'homme]
On s'enquiert si Dieu lui avoit commandé de prendre un habil-
lement d'homme. Répliqua que l'habit esloit peu de chose et des
moindres ; et qu'elle n'a pris cet habillement par conseil d'aucun
homme du monde ; et n'a porté cet habit ni faict aucune autre
chose, sinon par le commandement de Dieu et des anges.
Enquise si le commandement qui lui a esté faict de prendre
l'habit d'un homme lui semble estre chose licite : maintient tout
ce qu'elle a faict estre par le commandement de Dieu, et s'il lui
eust commandé de prendre un autre habit, qu'elle l'eust pris,
joinct que cela seroit commandement de Dieu.
Interrogée si cela estoit par le commandement du capitaine Bau-
dricour, dit que non.
Senquièrent si elle pense avoir bien faict, prenant un habille-
ment d'homme : respond croire que tout ce qu'elle a faict par le
commandement de Dieu l'avoir bien et deuement faict, et en
attendre bonne garantie et bon secours.
Enquise si en ce cas particulier d'avoir pris un habit d'homme
elle croit avoir bien faict : respond quelle n'a faict aucune chose
du monde en tout ce qu'elle a faict, sinon du commandement
de Dieu.
Interrogée, quand elle vit cette voix venir à elle, s'il y avoit de
la lumière : confessa qu'il y en avoil beaucoup de toutes parts,
et que cela est bien séant ; et dit à celui qui l'interrogeoit que le
tout ne venoit [toute la lumière] pas à lui.
Enquise s'il y avoit quelque ange sur la teste de son Roy, la
première fois qu'elle le vit ; respond : Par la Bienheureuse Vierge
Marie, je ne ne sçay s'il y en avoit un et ne l'ay point veu.
On demanda s'il y avoit de la lumière : respond qu'il y avoit
266 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
plus de trois cens gens d'armes et cinquante torches, sans compter
la lumière spirituelle. Et dit qu'elle a rarement des rév.élations
sans avoir aussi quelque lumière.
Interrogée comment son Roy avait adjouté îoy à ce qu'elle
disoit : réplique qu'il avoit de bonnes enseignes, et mesme par son
clei'gé.
Enquise quelles révélations son Roj a eues : respondit que pour
cette année ils n'en sauroient rien d'elle. De plus, asseura avoir
esté interrogée durant l'espace de trois semaines, tant à Chinon
qu'à Poictiers, et que le Roj avoit eu un signe de ses propres faicts,
auparavant que de vouloir lui adjouter foy; et que le clergé de son
parti avoit esté de cette opinion, qu'il n'y avoit rien en son faict
qui ne fust bon.
Be lépée de Fierbois.]
On lui demanda si elle avoit esté à Sainte-Catherine de Fierbois.
Dit que oui, et dit qu'elle y avait ouy trois messes en un jour, et
après estoit allée à Chinon. Recognut pareillement avoir envoie
des lettres à son Roy pour sçavoir si elle iroit dans la ville où il
€stoit : disant qu'elle avoit faict bien cent cinquante lieues pour
venir à son secours, et qu'elle sçavoit beaucoup de bonnes choses
pour lui ; et lui semble que es dites lettres estoit porté qu'elle
cognojstroit bien son Roy entre tous les autres.
Plus, confessa avoir une espée qu'elle avait prise à Vaucouleur,
et qu'estant à Tours ou à Chinon, elle en envoia quérir une qui
estoit en léglise Sainte-Catherine de Fierbois derrière l'autel, qui
fut incontinent trouvée toute rouillée.
Enquise comment elle scavoit que cette espée estoit là : respon-
dit qu'elle estoit en terre toute rouillée et avoit cinq croix, et
sceust qu'elle estoit là par ses voix ; n'avoir jamois vu l'homme
qui l'alla quérir, et qu'elle escrivit aux ecclésiastiques de ce lieu
qu'il leur plust lui envoler, comme ils l'envoièrent : et n'estoit
guères avant en terre derrière l'autel, ainsi qu'elle pense ; ne scait
bonnement si cétoit devant ou derrière l'autel : toutes fois, estime
avoir lors escrit que cette espée estoit derrière l'autel. Et aussitost
que les ecclésiastiques eurent trouvé cette espée, ils la frottèrent
et incontinent la rouille tomba sans aucune violence. Et fut un
marchand armurier de Tours qui l'alla quérir. Et les ecclésias-
tiques de ce lieu firent faire une gaisne, et ceux de Tours y en
firent pareillement une, l'une de velours rouge et l'autre de drap
d'or. Et elle qui parle y en fit faire une de cuir bien fort. Dit,
quand elle fut prise, qu'elle n'avoit pas cette espée, et qu'elle
l'avoit portée continuellement depuis qu'elle l'avoit eue., jusques à
ce qu'elle partit de Saint-Denis après l'assaut de Paris.
Interrogée quelle bénédiction elle avoit faict ou faict faire sur
cette espée : repartit n'y en avoir onques faict ni faict faire
DE COMPIEGNE A ROUEN. LE PROCES 267
aucune, et qu'elle n'y en eust pu faire ; au reste, qu'elle aymoit
grandement cette espée, pour ce qu'elle avoit esté trouvée en
l'église Sainte-Catherine, laquelle elle aymoit beaucoup.
Demandent si elle avoit esté à Coulanges-les- Vineuses, qui est un
village. Dit quelle ne sçait.
Enquise si elle a quelques fois mis son espée sur l'autel : dit
que non, qu'elle srache ; au moins pour estre mieux fortunée.
Interrogée si quelques fois elle a faict des prières pour rendre
son espée mieux fortunée : respond qu'elle eust bien voulu que
tout son harnais et armures eussent esté bien fortunés.
S'enquièrent si elle avoit son espée quand elle fut prise. Repai'tit
que non, mais qu'elle avoit une espée, laquelle avait esté prise
sur un Bourguignon.
Interrogée en quelle ville cette espée estoit demevu'ée : répliqua
avoir offert une espée à Saint-Denis et des armes, mais que ce
n'estoit pas cette espée- là, laquelle elle avoit à Lagny ; et de
Lagny porta lespée de ce Bourguignon à Compiègne, pour ce que
c'estoit une bonne espée de guerre pour donner de bonnes bulifes
et de bons torchons; mais de dire où elle a laissé cette espée, que
cela n'appartient en rien au procez et qu'elle n'en dira rien pour
le présent : estime que ses frères ayant maintenant tout ce qu'elle
possédoit de bien, ses chevaux, son espée ^ et toutes autres choses
qui valent plus de douze mil escus.
[De l'étendard. — Au siège dOrléans.]
Interrogée, quand elle est allée à Orléans, si elle avoit un estan-
dart ou bannière, et de quelle couleur il estoit : respondit qu'elle
avoist un estandart duquel le champ étoitsemé de fleurs de lys, et
qu'il y avoit un monde en peinture et deux anges aux deux costés ;
quil estoit de toile blanche ou de boucassin, et que ces noms y
estoient escrits Jésus Maria, comme elle pense, et les franges
estoient de soie.
Enquise si ces mots Jésus Maria estoient escrits au-dessus ou
au-dessoubs de cet estandart [ou par costé] : l'epartit que c'estoit à
costé, comme elle pensait.
On luy demanda si elle aymait davantage son estandart que
son espée : confessa aymer quatre cens fois^ plus son estandart
que son espée.
Enquise qui lui avoit faict faire cette peinture en son enseigne :
respondit qu'elle avoit desjà assez dit n'avoir onques rien faict
sinon du commandement de Dieu; et quelle portoit cet estandart
1. J. QuiCHERAT, Procès, t. 1, p. 78 : « ensem, prou/ crédit, et alla... »
Le te.Kte de Richer ne fait pas de restriction.
2. J. QuicHER.\T, Procès, t. I, p. 78 : «quarante fois plus ».
268 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
quand elle assailloil les ennemis, afin de s'empêcher qu'elle ne
tuast quelqu'un : et asseura n'avoir jamais tué personne.
Interrogée quelle compagnie lui donna son Roy lorsqu'il l'em-
ploia : avoue qu'il lui donna dix ou douze mil hommes, et qu'elle
alla tout premièrement à Orléans à la bastille Saint-Loup, et
depuis à la bastille du Pont.
Enquise en quelle bastille ce fut qu'elle fit retirer ses gens : dit
qu'elle ne s'en souvient [pas], mais qu'elle estoit bien certaine
qu'elle ferait lever le siège d'Orléans, et en avoit eu révélation, et
asseuré son Roy auparavant qu'elle allast à Orléans.
Lui demandent, quand on donna l'assaut, si elle advertit ses
gens qu'elle recepvroit les viretons et les pierres que les machines
et artilleries jetoient. Respondit que non, au contraire ; que plus
de cent furent blessez ; mais qu'elle advertit ses gens qu'ils tinssent
pour tout certain qu'ils feroient lever le siège, et qu'elle-mesme
fut blessée sur le col à l'assaut de la bastille du Pont d'un trait
qu'on appelle vireton, et lors visitée, consolée, confortée par
sainte Catherine et guérie en quinze jours : et ne laissa point
d'aller toujours à cheval et de vaquer aux alïaires.
Enquise si elle sçavoit bien qu'elle seroit blessée : recognut que
oui, et l'avoir prédit à son Roy et que, nonobstant sa blessure,
elle ne laisseroit pas de travailler et vaquer à la guerre, ainsi qu'il
lui avoit esté révélé par saintes Catherine et Marguerite. Confessa
avoir esté la première à l'assaut pour dresser une eschelle contre
la bastille du Pont, et que levant cette eschelle, elle fut blessée au
col comme il a esté dit.
S'enquièrent pourquoy elle ne receut le traicté avec le capitaine
qui commandoit à Jargeau. Repartit que les seigneurs de son parti
respondirent aux Anglais qu'ils n'auroient pas le terme de quinze
jours qu'ils demandoient; mais qu'ils s'en allassent avec leurs
chevaux tout présentement, et qu'elle leur dit qu'ils sortissent de
Jargeau vie et bagues sauves , s'ils vouloient : autrement ils
seroient pris d'assaut.
Enquise si elle avoit eu conseil de ses voix si elle debvoit donner
terme de quinze jours, etc. : respondit ne s'en souvenir point.
Ce que faict ainsi, l'Evesque mit fin à cet interrogatoire pour ce
jour-là et le continua à jeudi prochain.
ADVERTISSEMENT SUR LA SKANCE IV
Nous avons six faicts notables en cette session. Première-
ment une irrision de l'Evesque de Beauvais ; car charitable
et soigneux qu'il estoit du bon portement^ de cette fille, il
1. 0 Du bon portement », c'est-à-dire de la manière dont elle se portait,
du bon état de sa santé.
DE COMPIÈGXE A ROUEN. — LE PROCES 269
lui fait demander comme elle se porte depuis samedi der-
nier qu'elle avoit esté si bien tenaillée par leurs cavillations
et malitieux interrogatoires. Et tout cela aux fins de l'irriter
et lui faire perdre le jugement en ses responses. Une per-
sonne qu'on prend plaisir d'affliger, lui demander comment
elle se porte, n'est-ce pas la mettre au désespoir, si elle n'es-
toit fortifiée de la grâce de Dieu?
En second lieu, il n'y a aucune absurdité en ce qu'elle
asseure avoir veu les figures de saintes Catherine et Mar-
guerite couronnées de belles et riches couronnes : joinct
que Dieu s'accommode à la capacité des personnes, ainsi
mesme qu'il fit à l'endroit de l'asnesse de Balaam qui de ses
yeux vit un ange (chap. 22 des Nombres). Ces couronnes
représentoient la victoire que ces saintes avoient rempor-
tées du monde. Nous lisons en la vie de sainte Agnès que
ses parents, veillant à son sépulcre, la virent accompagnée
de plusieurs autres vierges couronnées, et quelles les asseura
d'es^re et vivre au ciel bienheureuse avec ces autres vierges.
Severus Sulpitius — dialogue second de la vie de saint
Martin — raconte que ce saint personnage estoit souvent
visité par la vierge Marie, saintes Thècle, Agnès, et par les
apostres saint Pierre et saint Paul, Dieu se rendant admi-
rable k l'endroit de ses saints.
Au parsus [surplus], ils ont blasmé la Pucelle d'avoir dé-
posé qu'elle recognoissoit ses voix par la salutation qu'elles
lui faisoient : qui est à dire, lorsqu'elles l'abordoient,
qu'elles lui donnoient quelque signe ou remarque au moyen
duquel elle les recognoissoit incontinent. Mais les ennemis
de cette fille jugent de cela selon leur sensualité, estimans
quelle voulust dire que ces saintes faisaient la révérence.
N'est-ce pas une grande impertinence et malice de demander
à cette fille si ces saintes sont vestues d'un mesme drap ?
Cet interrogatoire est-il une matière de foy et peut-il appar-
tenir au procez ? Davantage : la Pucelle n'ayant parlé que de
la figure de ces esprits qui lui apparoissoient, ils la trans-
portent malitieusement à des questions de leurs testes et
membres, afin de l'embarrasser en quelques absurditez.
270 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
Tiercement, asseure avoir veu de ses yeux corporels saint
Michel, auparavant que saintes Catherine et Marguerite la
visitassent, et qu'il la consola grandement, estant accompa-
gné d'autres anges. Nous lisons au chapitre x de Daniel que
les anges ont la conduite et protection des royaumes et pro-
vinces, et que saint Michel l'avoit du peuple de Dieu captif
en Babylone, et qu'il s'emploioit pour les faire retourner en
Judée afin de rebastir le temple de Hiérusalem. Qui est une
image de ce qu'il a plu à Dieu opérer en France par l'entre-
mise de la Pucelle, instruicte par saint Michel pour la li-
berté et délivrance de ce pauvre Estât. Or, ce n'est pas chose
nouvelle que les anges se manifestent aux femmes et per-
sonnes de basse condition. Ne sont-ils pas apparus à Agar,
servante d'Abraham (en la Genèse, 16 et 21); et aux pasteurs
gardans leurs troupeaux (en saint Luc, chap. ii) ? Ce Promo-
teur qui tient pour chose absurde que la Pucelle aye veu de
ses yeux corporels l'ange saint Michel, se devroit souvenir
qu'un ange s'estoit manifesté à l'asnesse de Balaam ; et
qu'Abraham et Loth avoient reçu en leur maison et à leurs
tables des anges (Genèse, 8 et 19) : pareillement, que l'ange
Raphaël avoit par un long temps conversé visiblement avec
le jeune Tobie et qu'il sembloit boire et manger avec lui.
Pour l'habillement d'homme que cette lille portoit,
duquel ses ennemis font un si grand crime, voulans per-
suader qu'elle s'estoit travestie par l'induction de Baudri-
cour, elle leur a dit véritablement que c'estoit la moindre
chose de tous ses faicts : parce que Dieu très bon et très
sage ordonnant une personne à quelque effect extraordi-
naire, il lui départ les moyens et facultez d'y parvenir aysé-
ment et décemment ; tout ainsi que faict un Roy qui envoie
quelque part des ambassadeurs, les munissant de pouvoir et
toutes autres choses nécessaires pour accomplir leur ambas-
sade. Donc cette bergère eslue de Dieu par privilège spécial
pour délivrer la France des Anglois par la voie des armes, il
lui a donné permission non seulement de porter un habit
civil pour les raisons ci après déduictes, mais pareillement
des armes et de faire la guerre ; et conséquemment, par ce
DE COMPIEGXE A ROrEX. LE PKOCES 271
privilège qui est une loy singulière et privée, la Pueelle est
exemptée de la loy générale, ainsi que saint Augustin —
premier livre de la Cité de Dieu, chap. xvii et xviii — expli-
quant ce précepte : Tu ne tueras point, monstre qu'il receoit
maintes exceptions en plusieurs cas. Comme premièrement
en ce que Dieu a nanti les princes et magistrats politiques
du glaive, auxquels est loisible de tuer ; secondement, quand
il commande nommément à quelqu'un de tuer ou de faire la
guerre, et allègue à ce propos l'exemple d'Abraham, lequel
eut expresse ordonnance d'occire son fils unique Isaac pour
l'immoler à Dieu. Samson pareillement eut particulière révé-
lation de se tuer quant et les Philistins ^ (Juges, 6). A quoy
on peut adjouter Aod qui tua Eglon (Juges, 3), et Judith qui
eut révélation divine d'occire liolopherne ; et conséquem-
ment furent tous exemptez de la loy commune qui delTend
l'homicide. Voyez Gralian. xxxiii, quœst. o, au canon Si non
licet, au verset Non occides, et le chapitre Gaudemus, de
divortiis, verset illos quoque, aux Décrétales. Et de ces
puissantes raisons, les docteurs et prélats qui ont escrit en la
revision du procez, soumettant le tout au jugement du saint-
siège apostolique, produisent que cette fille, en tant que pri-
vilégiée, est exempte de tous les blasmes et crimes que ses
ennemis lui ont voulu imputer, soit à raison de ce qu'elle
n'auroit communiqué, hors la confession, ses révélations à
quelque ecclésiastique, et seroit partie de la maison de son
père pour venir en France sans l'en avertir; pareillement,
de ce qu'elle auroit dit estre aussi certaine d'aller en paradis
que si elle y estoit desjà, pour ce que ses voix l'en avoient
asseurée : car Dieu s'est autant manifesté à elle qu'il lui a
plu, ainsi que les théologiens enseignent des personnes qu'ils
àppeUenlinsignement prédestinées, qui ne sont [pas] sub-
jectes à la loy commune.
Par ainsi, on cognoist l'iniquité des juges qui l'ont con-
damnée pour avoir porté les armes et un habillement
d'homme, et encore rdéclaré] relapse pour avoir repris cet
J. « ... Quant et... », c'est-à-dire, en même temps qu'il tuerait les-
PliilisLins.
272 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
habillement afin de conserver sa virginité et empescher que
les Anglois ne la violassent, demeurant tousjours leur pri-
sonnière, contre la promesse que l'Evesque de Beauvais lui
avoit faicte, l'ayant asseurée qu'elle seroit mise aux prisons
de l'Eglise.
Vincent de Bauvais en son Miroir historial, livre sixiesme,
chapitre cxvi, raconte que sainte Eugénie prit un habille-
ment et tonsure d'homme, afin de vivre en une religion
d'hommes, où elle mourut portant cet habit. Et mesme pour
sa sainte vie ayant esté eslue Abbé, refusa cette charge à
cause de son sexe, aymant mieux faire le plus vil ministère
et service de tout le couvent, prévoiant qu'on pourroit
reprocher aux religieux quune femme leur auroit commandé
en qualité d'Abbé. Et au livre seiziesme, chapitre septante
quatre, il tient inventaire de l'histoire de sainte Marine,
laquelle entra et fit profession en un monastère d'hommes,
habillée et tondue en homme. Mesme ayant esté calomnieu-
sement accusée par une fille de l'avoir engrossée, ayma
mieux tout le reste de sa vie faire austère et exemplaire
pénitence de cette fausse accusation, que de descouvrir son
sexe, lequel ne fut recognu qu'après sa mort. Conclusion que
la loy qui deffend aux /emmes de prendre l'habillement
d'homme reçoit plusieurs exceptions, ainsi que saint Tho-
mas remarque, 2' 2*, question cent soixante-neuf, article
second, response au troisiesme argument.
Quant à Gerson, au traicté qu'il a escrit pour la Pucelle, il
dit que la loi du Deutéronome qui defîend aux femmes de se
travestir, peut être considérée comme judiciaire ou simple-
ment comme morale ; en tant que judiciaire, qu'elle obli-
geoit seulement les Juifs ; mais comme morale, qu'elle as-
treint les femmes hors le cas de nécessité, qui est une loy du
temps laquelle quant et soy apporte sa dispense. Donc con-
formément à cela, le précepte susdit receoit dès exceptions
en plusieurs cas selon les règles de la prudence : comme si
une femme, pour sauver sa vie et son honneur, prenoit un
habillement d'homme, etc.
Pour les mesmes raisons alléguées touchant l'exemption
DE COMPIEGXE A ROUEN. — LE PROCÈS 273
de la Pucelle de la loy commune et son privilège, ceux qui
ont escrit en la revision de son procez, l'ont voulu excuser
d'estre renvoiée à l'Eglise triomphante et de ne s'estre voulu
de premier abord soumettre à TEglise militante, attendu
qu'elle esloit régie par révélations et par une loy particu-
lière, ayant comme les prophètes prédit les choses futures et
opéré plusieurs merveilles desquelles nous avons tenu inven-
taire sur la fin du premier livre. Mais ne leur déplaise, cette
assertion est périlleuse : aussi l'ont-ils soumise au jugement
de l'Eglise. Or, est-il certain que la Fucelle fit cette response,
parce qu'elle n'entendoit pas ce que vouloient dire ces
termes d'Eglise triomphante et d'Eglise militante, ainsi que
nous avons remarqué ailleurs : ce qui vient à l'appui du
septante-septiesme article des escritures produictes en la
revision du procez, livre troisiesme de cette histoire.
Au reste, touchant le signe qu'elle donna au Roy de ses
propres faicts, dont a esté parlé au premier livre, n"a-t-elle
pas raison de dire qu'elle ne le révéla jamais à personne,
veu que, comme disoit l'ange à Tobie, chap. xii, « c'est une
bonne chose et fort louable de tenir le secret du roy caché,
mais [c'en est] une grandement honorable de confesser et
hautement publier les merveilles de Dieu » : lesquelles res-
semblent au soleil, la beauté, bonté et vertu duquel ne
paroissent que par les effects admirables de sa lumière qu'il
espand par tout le monde. Au contraire, le secret est l'ame
des affaires d'Estat.
Le Promoteur impute à crime de ce que cette fille a déposé
que l'espée d'un Bourguignon estoit bonne à donner de
bonnes buffes et de bons torchons : disant que c'est une
raillerie peu décente aux personnes qui se vantent estre ré-
gies par révélations, etc. 3Iais à cela on repart qu'en toutes
les actions des plus saints personnages, mesme du siècle
apostolique, il y a de la lie d'homme, et qu'elles ne procè-
dent pas tousjours de l'Esprit de Dieu, ains de leur propre
fragilité qui esclate nonobstant les grâces de Dieu, lesquelles
se manifestent en autres choses, ainsi que nous avons
observé au premier livre.
274 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
SÉANCE Y
[cinquième INTERROGATOIliE PUBLIC.^
Le jeudi 1'^"' de mars 1430. lEvesque continuant l'instruction de
ce procez exige dei'eclief serment de la Pucelle pour jurer simple-
ment et absolument qu'elle dira la vérité. A quoy respondit selon
son ordinaire, s(,'avoir qu'elle diroit la véi'ité de tout ce qu'elle
sçavoit appartenir au procez. et non d'autre chose. Derechef som-
mée et interpellée de jurer et dire vérité, etc., mettant les mains
sur les saints Evangiles, promet dire la vérité de ce qui regarde
le procez, tout ainsi que si elle esloit devant le Pape de Home.
[Des lettres du comte d'Armagnac et de la Pucelle.]
Enquise premièrement [sur] ce qu'elle dit du saint l'ère et
lequel elle croit estre vi-ay et légitime Pape : demanda s'il y en
avoit plusieurs '.
On lai demanda si elle avoit receu des lettres du comte d'Ar
magnac pour l'esclaircir auquel des trois papes il debvuit obéir-.
A quoy elle respondit que ce comte lui avoit escrit des lettres sur
ce subject. Pour son regard, confesse entre antres choses lui avoir
mandé qu'elle feroit plus ample response quand elle seroit de
repos à Paris ou ailleurs =*.
Or, les lettres de ce comte et sa response aux diteè lettres lui
ayant été lues en cette séance, interrogée si elle avoit faict ladite
response, recognut que oui en partie et non du tout.
On lui demanda si elle avoit dit sçavoir par le conseil du Pioy
des Koys ce que le comte d'Armagnac debvoit tenir touchant le
vray et légitime Pape. Repartit ne sravoir rien de cela.
Enquise si elle faisoit quelque doubte du pape auquel ce sei-
gneur debvoit obéir : l'épliqua qu'elle ne sçavoit que mander audit
comte, parce qu'il désiroit sçavoir auquel des trois papes Dieu
vouloit qu'on obéist. Que pour elle qui parle, tient et croit que
nous debvons obéir à nostre saint Père séant à Rome. Et qu'elle
dit au messager que le comte lui avoit envolée quelque autre chose
que ce qui est contenu es dites lettres : que si ce messager ne se
fust retiré incontinent, il eust esté jeté en la rivière, non pas
1. Dans J. Quicherat, t. I, p. 8:2 : « s'il y en avait deux — nlrum
essent duo ».
2. Alphonse, roi d'Aragon, et le comte d'Armagnac élaient favorables
au successeur de Pierre de Luna. (Note d'E. Richer.)
3. Phrase qui suit dans J. Quicherat et omise ici : El volebat lune
ascenilere equitm, quandq ded'il illi responsum.
I
DE COMPIÈGNE A ROUEN. — LE PROCÈS 275
toutes fois par elle ni de son consentement. Déposa aussi avoir
mandé audit comte ne pouvoir lui rien dire de ce qu'il demandoit,
sçavoir auquel des trois papes Dieu vouloit qu'on obéist ; et lui
avoir encore faict sçavoir de bouche plusieurs autres choses qui
n'estoient [pas] escrites aux dites missives ; et quant à elle,
croyoit au seul pape qui estoit à Rome.
On luy demanda, puisqu'elle croyoit au seul pape séant à Rome,
pourquoy elle avoit escrit qu'elle feroit une autre fois response.
Avoua que la response qu'elle promettoit donner estoit d'une
autre affaire que celle des trois papes.
Interrogée si elle avoit escrit quelle demanderoit conseil à Dieu
sur le différend des trois papes : confessa n'avoir onques escrit ni
fait escrire qu'elle feroit response sur le différend des trois papes :
ce qu'elle a juré et confirmé par son serment; et qu'elle n'a jamais
rien escrit ni fait escrire touchant cela.
On s'enquiertsi elle avoit accoustumé de mettre en ses lettres ces
noms Jesus-Maria avec une croix. Respondit en quelques lettres
avoir mis ces noms, et en d'autres non; et qu'elle faisoit aucune
fois une croix comme pour signe et donner à entendre à celui de
son parti auquel elle rescrivoit, qu'il ne list pas ce quelle lui man-
doit.
On lui fit après lecture des lettres qu'elle avoit escrites au Roy
d'Angleterre, au duc de Rethford et autres. Et iulerrogée si elle
recognoissoit lesdites lettres, répliqua que oui, excepté trois mots,
ainsi qu'elle respondit dés la seconde séance. Confessa pareille-
ment que jamais seigneur ne lui a dicté ou monstre lesdites lettres,
mais qu'elle-mesme les avoit dictées et montrées à aucuns de ceux
de son parti. El dit qu'auparavant sept ans les Anglais quitteront
un bien plus grand gage que celui qu'ils quittèrent devant Orléans
et qu'ils perdroient tout cevqu'ils ont en France, et recepvraient la
plus grande perte qu'ils aient jamais eue en Fi-ance : que cela se
fera par une grande victoire que Dieu enverra aux Français.
Interrogée comment elle sçait cela : respond ({u'elle le tient par
la révélation qui lui en a esté faicte ; et que cela adviendra aupara-
vant sept ans, et qu'elle estoit bien marrie que cela différast si
longtemps; qu'elle sçait cela par révélation aussi asseurément
qu'elle sçait que ses juges estoient devant elle.
Enquise quand cela adviendra : respondit qu'elle n'en sçait le
jour ni l'heure. On lui demanda l'année. Réplique : vous n'en
sçaurez encore rien. Toutes fois je voudrois bien que ce fust devant
la teste de saint Jean.
Interrogée si elle a dit que dans la saint Martin d'hyver cela
adviendra : repart avoir déclaré que devant la saint Martin d'hy-
ver on verroit beaucoup de choses arriver ; et pourroit bien estre
que les Anglois seroient jetés contre terre.
Enquise de ce qu'elle avoit dit à Jean Gris, lequel avoit cbarg
276 E. RICHER. — LA PUCELLE d'oRLÉANS
de la gardei-, touchant la feste saint Martin : respond [le] leur
avoir desjà déclaré.
[Des saintes Catherine et Marguerite.]
Interrogée par quel moyen elle sçait cela debvoir advenir : dit
par saintes Catherine et i^Iarguerile.
On s'enquiert si saint Gabriel estoit avec saint Michel quand il
vint à elle. Dit n'en avoir pas mémoire.
Enquise si depuis mardi dernier elle a parlé avec saintes Cathe-
rine et Marguerite : asseure que oui. et ne sçavoit pas à quelle
heure.
Interrogée à quel jour, respond : Hier et aujourd'huj, et ne se
passe aucun jour qu'elle ne les entende. On lui demande si elle
les veoit tousjours en un mesme habita Repart qu'elle les veoit
tousjours en mesme forme et leurs figures sont couronnées bien
richement : quant aux habits elle n'en parle point et ne sçait
quelles robes ou tuniques elles portent.
On lui demanda comment elle sçavoit que les choses qui lui ap-
paroissent fussent uu homme ou une femme. Respond qu'elle les
cognoit bien à leur voix et qu'elles [le] lui révèlent ; et ne sçoit
rien qui n'aje esté faict par révélation ou commandement de
Dieu.
Interrogée quelle figure elle veoil : confesse veoir une face.
Emiiiise si ces saintes qui lui apparoissent ont des cheveux,
réplique : Cela est bon à sçavoir. Item, si entre leurs couronnes et
leurs cheveux il y avdit quelque chose : repart que non.
On lui demande si leurs cheveux estoient bien longs et pendants.
Je n'en sçay rien, dit-elle : ni pareillement si elles avoient des
bras ou autres membres figurez. Au reste, qu'elles parloient très
bien et qu'elle les entendoit [comprenoit] fort bien.
Enquise comment elles pourroient parler, veu qu'elles n'avoient
aucims membres : respond qu'elle s'en rapporte à Dieu. Asseura
que leur voix estoit belle, douce et humble, et qu'elles parlent fran-
çois.
Enquise si sainte Marguerite parloit langage anglois : Comment
parleroit-elle anglois, veu qu'elle n'est pas du parti anglois, dit-
elle.
S'enquiôrent si aux chefs de ces saintes, avec leurs couronnes il
y avoit des anneaux en leurs oreilles ou ailleurs. Je ne sçay rien
de cela, dit-elle.
Enquise si elle-mesme avoil des anneaux, alors parlant à
l'Evesque de Reauvais, lui dit : Vous en avez un des miens, rendez-
1. J. Quicherat : in eodem habitu. Procès, t. I, p. 85.
DE COMPIÈGXE A ROUEN. — LE PROCES 277
le-moi. El dit encore que les Bom-guignons avoient un autre sien
anneau; que nous lui montrassions, si nous l'avions.
On s'enquit qui lui avoit donné l'anneau que les Bourguignons
lui avoient pris. Respondit que cestoit son père ou sa mère. Et lui
semble que ces mots j estoient escrits : Jesus-Maria et ne sçait
qui les y a faict escrire ; et qu'il n'y a en cet anneau aucune
pierre, comme il lui semble; et que cet anneau lui fut donné à
Dompremy son village. Adjousta qu'un de ses frères lui avoit
donné un autre anneau que nous avions, et qu'elle nous chargeoit
de le donner à l'Eglise ; et qu'elle ne s'cstoit jamais servi de ses
anneaux pour guérir quelqu'im.
Interrogée si saintes Catherine et Marguerite avoient parlé avec
elle sous l'arbre duquel il est faict mention ci-devant : réplique
n'en sçavoir rien.
Enquise si elles avoient parlé à elle auprès de la fontaine qui est
proche de cet arbre appelé le Beau May : confesse que oui, et
qu'elle les avoit ouyes en cet endroit, mais ne [pas] se souvenir de
ce qu'elles lui dirent.
On lui demanda ce qu'elles lui promirent là ou ailleurs. Keco-
gnoist qu'elles ne lui ont jamais faict aucune promesse, sinon par
licence et permission de Bieu.
Enquise quelle promesse elles lui ontfaicle : repart cela n'appar-
tenir du tout à leur procez ; et qu'entre autres choses l'ont asseuré
que le Roy sera restitué et remis en son royaume, ses ennemis
veuillent ou non ; et en outre qu'elles la méneroient en paradis, ce
qu'elle leur a requis et demandé instamment ^
Interrogée si elle a eu quelque autre promesse : dit que oui,
mais ne la dira pas. pour ce qu'elle ne touche en rien au procez ;
que dans trois mois elle leur fera sçavoir une autre promesse.
Enquise si ses voix lui- ont dit qu'elle seroit délivrée dans trois
mois : répliqua cela n'estre pas du procez ; toutes fois ne sravoit
quand elle seroit délivrée. Et dit que ceux qui la vouloient osier
de ce monde s'en pourroient bien aller devant elle.
On lui demanda si son. conseil lui avoit dit qu'elle seroit déli-
vrée de la prison où elle est cà présent. Respondit : Parlez à moi
d'ici à trois mois et je vous résoudray de cela. Demandez aux
assistants qu'ils disent sur leur serment si cela appartient au pro-
cez. Et après que tous les assistants eurent délibéré que cela tou-
choit le procez : Je vous ay tousjours bien dit que vous ne scauriez
pas tout; et faudra une fois que je scis délivrée : mais je veux
avoir licence si je le doibs dire ou non ; c'est pourquoy je demande
délay.
On s'enquiert si ses voix lui avoient deffendu de dire la vérité.
Voulez-vous, dit-elle, que je vous die ce qui touche le Roy de
1. « Instamment » n'est pas dans J. Quielierat. Op. cil., p. 87.
2/8 E. RIGHER. — LA PUGELLE D ORLEANS
France? Il y a plusieurs choses qui n'appartiennent pas au procez.
Je sçay bien que mon Roy gagnera le royaume de France; et le
sçay aussi véritablement que vous estes devant moy en ce juge-
ment. Et asseura que n'estoit la révélation qui la conforte tous les
jours, elle seroit morte.
[De la mandragore. — De saint Michel.]
On lui demanda ce qu'elle avoit faict de sa mandragore. Main-
tint n'en avoir jamais eu aucune, mais bien avoir appris qu'au-
près de son village il y en avoit une, et confessa n'en avoir
jamais veu, mais [avoir] entendu dire que c'estoit chose bien pé-
rilleuse et mauvaise à garder, et ne sçait toutes fois à quoy elle
sert. Enquise quelle part [en quel endroit] est cette mandragoi'e
dont elle parle : recognoist avoir ouy dire qu'elle estoit en terre
auprès de cet arbre dont a esté ci-devant parlé, mais ne sçavoir
pas en quel lieu : et asseura qu'on disoit y avoir un noisetier sur
cette mandragore.
Interrogée à quoy elle a entendu dire que servoit cette mandra-
gore : respond avoir ouy dire qu'elle faisoit avoir de l'argent, mais
n'avoir onques adjousté foy à cela, et que ses voix ne lui en ont
jamais tenu aucun propos.
On l'interroge en quelle figure estoit saint Michel, quand il lui
apparut : respond qu'elle ne lui avoir point veu de couronne et ne
sçait rien de ses vestements.
Enquise s'il estoit nud : Pensez-vous, dit-elle, que Dieu n'aye
point de quoy le vestir?
Interrogée s'il avoit des cheveux, respond : Pourquoy les y auroit-
on coupez ?
Elle avoua n'avoir point veu saint Michel depuis qu'elle partit
du chasteau du Grotoy, et qu'elle ne l'a pas veu bien souvent : et
finalement a dit qu'il n'y avoit rien plus certain qu'il avoit des
cheveux^.
Enquise s'il avoit des balances : dit qu'elle n'en sroit rien, et
avoir un grand plaisir quand elle le voyoit, et qu'il lui scmbloit
n'estre pas en péché mortel quand il vient à elle.
Plus, asseure que saintes Catherine et Marguei-ite la font volon-
tiers confesser quelquefois tour à tour, et qu'elle ne sçait pas si
elle est en péché mortel.
Interrogée, quand elle se confesse, si elle croit estre en péché
mortel : repari qu'elle ne sçait si elle a esté en péché mortel, et ne
pense pas en avoir faict les œuvres. Plaise à Dieu, dit-elle, que
jamais je n'en fasse les œuvres ou que je les aye faictes pour les-
quelles mon âme soit grevée !
1. Dans J. Quicherat : Nescil iitrum liabeat capillos. Op. cit., p. 89.
DE COMPIEGXE A ROUEX. LE PROCES 279
[Du signe donné au Roy.]
On lui demande quel signe elle avoit donné à son Roj quelle
venoit de la part de Dieu. Je vous ay tousjours respondu, dit-elle,
que vous ne tirerez point cela de ma bouche; allez [le] lui de-
mander .
S'enquièrent si elle a juré ne point révéler ce qu'on lui deman-
dera qui appartient au procez. Repart leur avoir autres fois dit
qu'elle ne leur déclareroit jamais ce qui touche son Hoy, et de cela
quelle n'en parlera point.
Un senquiert si elle si.ait le signe qu'elle a donné à son Rov.
Réplique : vous ne sçaurez point cela de moy. Et lui ayant esté
dit que cela appartenoit au procez, respondit que de ce qu'elle
avoit promis tenir bien secret, elle ne leur en diroit rien. Et da-
vantage, confessa lavoir promis en tel lieu quelle ne le pourroit
déclarer sans parjure.
Interrogée à qui elle lavoit promis, respond : A saintes Cathe-
rine et Marguerite, et que ce signe avoit esté montré au Roy. Et
recognut avoir promis cela à saintes Catherine et Marguerite sans
qu'elles l'eussent requise, ayant faict cela de son plein gré, pré-
voyant bien que maintes personnes eussent voulu tirer cela d elle,
sinon quelle eust promis à ces saintes dessus nommées de n'en
rien déclarer.
Interrogée, quand elle monstra ce signe à son lîoy, s'il y avoit
quelqu'un en sa compagnie : respondit qu'elle pense n'y avoir eu
personne, combien qu'il y eust bien du monde assez proche.
Enquise si elle avoit veu une couronne sur la teste de son Roy,
quand elle lui monstra ce signe : dit qu'elle ne leur peut dire sans
parjure.
On lui demande si son Roy avoit une couronne, quand il estoit
à Rheims. Respond que, comme elle pense, son Roy avoit receu
de bon cœur celle qu'il trouva à Rheims ; mais qu'une bien riche
avait esté apportée après lui, et que s'il eust attendu, il en eust
eu une mille fois plus riche. Néanlmoins, que pour haster son
affaire, à la requeste des habitants de Rheims et pour les deschar-
ger des gens de guerre, il ne voulut attendre.
Enquise si elle a veu cette couronne qui est plus riche ; réplique
ne leur pouvoir dire sans encourir parjure; et si elle ne l'a veue,
avoir ouy dire quelle estoit grandement riche et opulente.
Lesquelles choses ainsi parfaites et accomplies. l'Evesque faict
mettre fin pour ce jour à l'inteiTogatoire, et le remet et continue
à samedi prochain, huict heures du matin.
280 E. niCHER. L.\ PUCELLE D ORLEANS
ADVERÏISSEMENT SUR LA GINQUIESME SEANCE
La Pucelle ayant déposé qu'elle diroit la vérité tout ainsi
que si elle estoit devant le Pape de Rome, l'Evesque de Beau-
vais, séance quinziesme, a pris de là subjectde lui demander
si elle pensoit estre obligée dire autre chose au Pape qu'à
lui : tant cet homme estoit jaloux de son autorité. Mais
outre que les grandes et importantes causes sont déférées au
saint-siège par les canons, au nombre desquelles la contro-
verse de la discrétion des Esprits doibt estre enrôlée, cet
Evesque estant ce qu'il estoit aux Anglois, ne pouvoit estre
juge de cette fille, laquelle a toujours finalement continué à
demander d'estre renvoiée au Pape.
Or, pour raison des lettres que le comte d'Armagnac lui
avoit escrites, et de la response qu'elle lui avuit faictes
sur le différend des trois papes, ses juges lui ont faus-
sement imputé qu'elle préposoit son jugement particulier
à celui de toute l'Église universelle, laquelle recognoissoit
le pape Martin V : [cej qui est une manifeste calomnie : veu
qu'elle a nommément déposé ne cognoistre que le Pape séant
à Rome, etc.
Encore l'accusent-ils de sorcellerie pour avoir mis ces
deux mots Jésus Maria en teste de ses lettres avec une croix
au milieu ; et, semblablement, de ce quelle faisoit une croix
en ses missives, pour faire entendre à ceux auxquels elle
escrivoit qu'ils ne fissent pas quelque chose qu'elle leur
mandoit. Ce que le Promoteur, article vingt et uniesme de
sa production, attribue à grand crime : comme si le signe et
la mirque ordinaire de ceux qui ne sçavent lire ni escrire
n'estoit pas une croix ; de laquelle cette fille se servoit tout
ainsi que de quelque chiffre.
Le troisiesme point regarde ce qu'elle a prédit en esprit
de prophétie de l'expulsion des Anglois de tout le royaume
de France ; que dans sept ans ils perdroient Paris, qui est
une bien plus grande perte que celle qu'ils firent à
Orléans, etc. Et asseure sçavoir cela certainement tout ainsi
que ce qu'elle veoit de ses yeux. Car Dieu ayant nanti quel-
DE COMPIÈGXE A r.OL'EN. LE PROCÈS 28 1
qu'un de l'esprit de prophétie, il lui rend comme pré-
sentes les choses futures desquelles il doibt parler, et en est
très asseuré.
Au quatriesme des douze articles que l'Evesque de Beau-
vais a envolez à l'Université de Paris pour avoir sa censure
contre la Pucelle, est faict mention particulière de cette pro-
phétie louchant l'expulsion des Anglois, et d'abondant est
parti qu'elle s'est vantée que les Français feroient en sa
compagnie le plus beau faict d'armes qui ait jamais esté
exploité en t^rance : de quoy toutes fois il n'est point
parlé en cette séance. Et quand cela seroit eschappé
ailleurs à cette fille, ce ne seroit pas une grande faute. Nous
avons monstre au premier livre que les prophètes ne sont
[pasj exempts des infirmitez humaines, et qu'il parlent sou-
ventes fois de leur propre jugement, pensans prophétiser :
ainsi que saint Grégoire remarque sur ]<lzéchiel.
C'est chose fort notable que faisant mention de saint Michel,
des anges et des saintes Catherine et Marguerite qui lui ont
apparu, elle n'a dit jusqu'ici avoir jamais veu autre chose
que leurs faces et figures.
Et, toutes fois, l'Evesque par ses captieux interrogatoires,
pour la surprendre, lui faict des questions du corps et des-
membres des anges et des saintes qui se manifestent à elle,
comme quand ils lui demande si saint Michel estoit tout
nud, etc. ; s'il avoit des balances, ainsi qu'on le représente
au village pesant les âmes des chrétiens. Et à tout cela
[elle respond suffisamment.
Elle asseure que la voix de ses saintes est belle, douce et
humble, indice certain que ce sont des esprits venant delà
part de Dieu, ainsi que tesmoignent tous ceux qui ont escrit
du faict des sorciers et leur ont faict leur procez; car la voix
des malins esprits est horrible et effroyable. Pareillement,
c'est encore un autre bon signe qu'elle dépose, séance troi-
siesme, ne les avoir onques trouvées doubles en paroles,
pour ce que les malins esprits sont menteurs, trompeurs,
équivoqueurs. Ilem, confesse en toutes ses responses ne les
avoir jamais veus sans une grande lumière. Et ceux qui sont
versez en l'examen et discrétion des Esprits tiennent que la
282 E. RIGHER. LA PUCELLE d'oRLÉANS
constante et ferme lumière provenant de quelque vision non
éblouissante et maligne, comme celle des esclairs, est un des
meilleurs et plus asseurés signes des bons anges, lesquels
pour cette raison sont qualifiez anges de lumière, parce qu'ils
illuminent, consolent et mettent les esprits des hommes à
repos. Au contraire, les mauvais anges ne laissent après eux
que frayeur, ténèbres, inquiétude, confusion et malheur, tout
ainsi que font ordinairement des brigands et voleurs. Les
bons anges de premier abord apportent de la terreur par
l'esclat de leur grande et subite lumière ; mais leur départ
est plein de consolation. Toutes lesquelles circonstances
joinctes aux vertus théologales que Jésus-Christ a consignées
à son Eglise, se trouvent constamment en les actions de la
Pucelle, desquelles ses ennemis ont tenu registre excepté
seulement de sa virginité, de laquelle ils n'ont positivement
et asseurément parlé, ores toutes fois qu'ils l'eussent fait
visiter par des sages-femmes de leur faction.
Pour avoir recognu que ses voi.K l'avoient une seule fois
abordée auprès de la fontaine voisine du Beau May, le Pro-
moteur, quarante huictiesme article de sa reproduction, con-
clud que ce sont malins esprits et les appelle le Conseil de la
fontaine, sans alléguer aucune preuve de sa calomnie.
Comme si cette circonstance de la fontaine ou de l'arbre des
Dames qui en est proche, estoit suffisante présomption de
sortilèges fondée sur des contes de vieilles, que jadis durant
le paganisme les fées auroient hanté ces lieux-là; et [comme]
si cela ne debvoit pas estre mis en balance avec toutes les
autres circonstances de la vie de cette vierge en tout et par-
tout irrépréhensible devant juges équitables.
D'ailleurs elle a confessé, depuis que ses voix l'eurent
abordée une fois auprès de la fontaine, avoir renoncé à
toutes sortes d'esbattements auxquels elle s'adonnoit en
sa jeunesse auprès du Beau May avec les autres filles
de son âge.
"Voici un autre captieux interrogatoire. Ses juges ayant
Guy dire qu'il y avoit une mandragore auprès de ce beau
May, ils demandent à la Pucelle ce qu'elle avoit fait de sa
mandragore et a quoy elle s'en servoit. Mais elle repart n'en
DE COMPIÈGNE A ROUEN. LE PROCÈS 283
avoir jamais eu ni veu : bien avoir ouy dire que c'estoit
chose pernicieuse dont on se servoit pour amasser des
richesses. Et sur cela le Promoteur, selon son ordinaii-e,
prend laffirmative pour la négative et conclud. qu'elle a eu
une mandragore que le vulgaire appelle main de gloire. Il
me souvient, estant jeune, avoir ouy des vaux-de-ville, que
certaines personnes qui foisoient bien leur trafic et y pros-
péroient grandement, possédoient une main de gloire, et
que, la veille de la Saint-Jean, ils alloient à la graine de fou-
gère : qui sont toutes fables et contes faits à plaisir.
Voyez l'iniquité et si cet interrogatoire est une matière de
foy. La Pucelle ayant déclaré que saintes Catherines et Mar-
guerite lui donnoient conseil de se confesser souvent, ils lui
demandent si elle croit estre en péché mortel quand elle se
confesse. Or, elle respond n'en sijavoir rien, et qu'elle ne
pense pas en avoir fait les œuvres : et ne plaise à Dieu
qu'elle les fasse ou qu'elle les aye jamois faictes, pour les-
quelles son âme soit damnée. Response admirable en une
bergère du tout ignorante. Et néantmoins ces pharisiens l'ont
derechef interrogée sur cette haute question, séance dou-
ziesme, où elle respond toujours pertinement.
Quelqu'un penseroit que ce fut un coq-à-l'asne quand elle
dit qu'il n'y avoit eu personne, lorqu'elle monstra à son
Roy le signe de sa mission, combien qu'il y eust beaucoup
de monde assez proche. Toutes fois cela est véritable selon le
sens de cette fille : voulant dire qu'ayant à déclarer au Roy
ses faits et oraisons [les] plus secrètes, elle le retira à part
pour luy donner à entendre que Dieu lui avoit révélé son
secret, duquel nous avons fait mention au premier livre.
Or, les énonciations prophétiques ne se doibvent prendre
ni interpréter selon la rigueur de la lettre, ni conséquem-
ment aussi plusieurs choses que la Pucelle dépose devant
ses juges.
SÉANCE VI
[Sixième interrogatoire public]
Le samedi, troisiesme de mars 1430, au mesme lieu, l'Evesque
•ibdl- E. RICHER. LA PUCELLE D ORLEANS
continuant l'instruction de ce procez, exige derechef le serment de
cette fille, à ce qu'elle ave à jurer et promettre dire simplement
la vérité des choses qu"on lui demandera. A quoj elle respond
comme aux sessions précédentes, et touchant les saints Evangiles
jura.
[De saint Michel, des saintes et de leurs apparitions]
Et pour ce qu'elle avoit dit que saint Michel avoit des aisles,
ainsi que l'Evesque l'a l'ait registrer, sans parler des corps et
membres de saintes Catherine et Marguerite, on l'interrogea ce
qu'elle vouloit dire. Répliqua leur avoir e.\posé tout ce qu'elle
sçavoit et qu'elle ne respondroit autre chose : adjoustant qu'elle
avoit veu saint Michel et ces saintes-là, et sçavoit asseurément
qu'ils étoient saints et saintes en paradis.
Interrogée si elle avoit veu quelque autre chose que leur face :
respond leur avoir dit tout ce qu'elle sçavoit de cela, et qu'elle
aymeroit mieux qu'on lui fist couper la teste que de dire tout ce
qu'elle sçait; mais qu'elle disoit librement tout ce qui appartenoit
au procez.
On lui demanda si elle croit que saint Michel et saint Gabriel
eussent des chefs naturels. Heparl les avoir veus de ses jeux et
croire que ce sont eux aussi fermement que Dieu est.
Enquise si elle croit que Dieu les ave créez en la forme et manière
qu'elle les a veiis : dit que oui.
Enquise si elle croit que Dieu les ave (U'éez dès le commence-
ment en cette forme et manière : réplique qu'ils n'auront autre
chose pour le présent que ce qu'elle a déposé.
Interrogée si elle sçavoit par l'évélation qu'elle deubst échapper
de la prison : repart que cela ne touchoit pas leur procez. Voulez-
vous que je parle contre moj, dit-elle?
On s'enquiert si ses voix lui ont dit quelque chose de cela. Main-
tient encore cela n'estre [pas] de leur procez et qu'elle s'en rappor-
toit à Dieu^ Davantage, jura par sa l'oj qu'elle 'ne sçavoit l'heure
ni le jour qu'elle évaderoit.
Enquise si ses voix lui ont révélé quelque chose de cela en géné-
ral : respond à la vérité lui avoir dit qu'elle seroit délivrée, mais
qu'elle ne sçavoit le jour ni l'heure, et que hardiment elle fera bon
visage.
1. J Quicherat : « Qu'elle s'en rapporloit au procès. » Op. cit., t. I,
p. 94. •
Phrase que donne J. Quicherat. ibid., et passée sous silence par
E. Richer : « Et si lotiim periineret ad vos, ego dicerem vobis lolum. —
Et si tout cela regardait le procès, je vous dirais tout ».
DE COMPIÈGXE A ROUEN. — LE PROCÈS 285
[De 1 habit d'homme.]
On l'interroge, quand elle se présenta premièrement devant son
Roy, si lui demanda point si elle avoit eu révélation pour changer
son habillement. Repartit avoir desjà respondu sur ce point-là et
qu'elle ne s'en souvenoit; que si elle avoit esté interrogée sur cela,
c'estoit escrit à Poictiers.
Enquise si elle se souvient que les docteurs qui obéissent à son
Roy, par lesquels elle asseure avoir esté examinée [par] daucuns
un mois durant, et par les autres trois sepmaines, layent interro-
gée particulièrement sur ce quelle a changé d"habit : répliqua ne
s'en souvenir point, mais bien sçavoir qu'ils lui demandèrent où
elle avoit pris cet habit d"hommc, et avoir recognu et confessé
lavoir pris en la ville de Vaucouleur.
Enquise si ces mesmes docteurs lui avoient demandé si elle
avoit pris cet habit par le conseil de ses voix : repart qu'elle nen
a pas de mémoire.
Interrogée si sa Royne, quand elle la visita, lui demanda pour-
quoy elle avoit changé d'habit : réplique ne s'en pouvoir souvenir.
On lui demanda si son Roy, sa Uoyne et les autres de son parti
l'ont point quelquefois requise de quitter l'habit d'homme. Dit que
cela n'est pas de leur procez.
Interrogée si elle n'en a point esté requise au chasLeau de Beau-
revoir, respond : Oui vraiment, et qu'elle avait dit qu'elle ne le
quitteroit jamais sans la licence et permission de Dieu. Adjousta
que Mademoiselle de Luxembourg et .Madame de Reaurevoir lui
voulurent donner une robe de femme ou du drap pour en faire
une'; et qu'elle leur respondit n'en avoir pas la licence de Dieu, el
qu'il n'estoit pas encore temps.
Enquise si le sieur Jean de Pressy et quelques autres à Arras ne
lui ont pas présenté une robe de femme : recognoist que oui, et
plusieurs autres pareillement lui ont dit maintes fois qu'elle prist
une robe de femme.
On lui demande si elle croit avoir péché mortellement d'avoir
pris un habillement d'homme. Respond qu'il est meilleur d'obéir
et servir à son souverain seigneur, à sçavoir à Dieu ; et que si elle
eust dû prendre un habit de femme, elle l'eust plus tost porté à la
requeste des deux dames susdites que de toutes autres, excepté
la Royne de France.
On lui demande, quand Dieu lui révéla qu'elle changeast son
habit cà un habillement d'homme, si c'est par l'entremise de la
voix de saint Michel ou de saintes Catherine ou Marguerite.
Respond : Vous n'aurez pour le présent autre chose.
1. «... et la requirent qu'elle la portast. « {Procès, t. I. p. 9o).
E. RICHER. LA PUCELLE D ORLEANS
[Des panonceaux de Jeanne et de sa compagnie.]
Interrogée quand son Roy la mit en oeuvre et qu'elle dressa son
estandart, si les autres gens de guerre firent faire des panonceaux
à la façon du sien : dit qu'il est bon de sçavoir que tous les sei-
gneurs maintenoient et gardoient leurs armes ; et qu'aucuns gens
d'armes firent faire des panonceaux comme bon leur sembloit, et
les autres non.
Enquise de quelle manière ils les firent faire, si c'estoit de toile
ou de drap de laine : repart que c'estoit de satin blanc et qu'il y
avoit des lys blancs en quelques uns ; et qu'elle n'avoit que deux
ou trois lances en sa compagnie ; et que ses compagnons de guerre
faisoient quelquefois faire des panonceaux semblables aux siens,
et cela seulement pour recognoistre et discerner leurs gens les uns
des autres.
On lui demanda si on renouveloit souvent ces panonceaux. Res-
pondit qu'elle ne sçavoit, et que les lances estant rompues, on fai-
sait de nouveaux panonceaux.
Interrogée si elle avoit dit quelquefois (^ue les panonceaux faicts
à la ressemblance des siens estoient bien fortunez, recognoist avoir
dit quelquefois : Entrez hardiment par le milieu des Anglais, et
qu'elle-mesme y entroit.
Enquise si elle leur dit qu'ils portassent hardiment ses panon-
ceaux et qu'ils seroient bien fortunez : avoue leur avoir dit ce
qu'estoit arrivé et arrivera encore.
Interrogée si elle mettoit ou faisoit mettre de l'eau bénite sur
ses panonceaux, quand elle les prenoit de nouveau : respond
qu'elle ne sçait rien de cela, et que s'il a esté faict, ce n'a pas esté
par son commandement.
Enquise si elle les avait veus asperger d'eau bénite : repaie que
ce nest pas de leur procez. Et si je l'ay veu faire ou estre faict, je
ne suis à présent conseillé de vous respondre.
On lui demanda si ses compagnons de guerre faisaient mettre
en leurs panonceaux ces noms Jésus Mahia. Dit par sa foy qu'elle
n'en sçait rien.
Enquise si elle avoit porté ou faict porter de la toile en procès-
cession à l'entour de l'autel ou de l'Eglise pour en faire des panon-
ceaux : respond que non et qu'elle n'a jamais veu faire cela.
Interrogée, quand elle fut devant Jargeau, ce qu'elle portoit
derrière son casque, s'il n'y avait pas quelque chose de rond : dit
par sa foy qu'elle n'en sçait rien.
De frère Richard.
Enquise si elle avoit autrefois connu frère Richard : confesse,
DE COMPIEGXE A RÛUEX. — LE PROCÈS 287
auparayant qu'elle fust venue devant la ville de ïroyes, ne l'avoir
jamais veu.
Interrogée quel visage il lui fit : respond qu'elle estime que ceux
de Trojes l'envovérent vers elle, doubtans si elle estoit envoiée de
la part de Dieu ; et que frère Richard approchant d'elle faisoit le
signe de la croix et jetoit de l'eau bénite, et qu'alors elle qui parle
lui dit : Approchez hardiment, je ne m'envolerai pas.
[Des portraits de la Pucelle. de la vénération dont elle
était 1 objet. — Encore de frère Richard.
On lui demande si elle a veu faire ou faict faire quelques images
ou peintures à sa semblance. Kecognoist que, estant à Arras, elle a
veu un portrait que tenoit un certain Escossois faict à sa semblance
et qui la présentoit tout armée, présentant des lettres à son Roy,
un genou en terre : et asseura n'avoir jamais veu ni faict faire
autre image à sa semblance.
Enquise si en la maison de son hoste d'Orléans, il y avoit un
tableau auiiuel estoient peintes trois femmes avec cette inscrip-
tion : justice, paix, union : respond ne sçavoir rien de cela.
Interrogée si elle srait bien que ceux de son parti ont faict faire
services, dire messes et prières à son honneur : repart qu'elle n'en
sçoit rien; que si cela s'est faict, ce n'est pas selon son comman-
dement : toutes fois, s'ils ont prié Dieu pour elle, il lui semble
qu'ils n'ont point mal faict.
On s'enquiert si ceux de son parti croient fermement qu'elle soit
envoiée de Dieu. Réplique n'en sçavoir rien et qu'elle s'en rapporte
à leur conscience : que si ne le croient, elle ne laisse pourtant [pas]
d'estre enviée de Dieu.
Interrogée si ceux qui croient qu'elle, est envoiée de Dieu ont
une bonne créance ; dit, s'ils croient qu'elle soit envoiée de Dieu,
qu'ils ne sont pas abusez en cela.
Demandent si elle cognoissoit l'intention de ceux de son parti,
quand ils lui baisoient les pieds, les mains et ses vestcments.
Repart que plusieurs la voioient volontiers et qu'ils lui baisoient
des mains le moins qu'elle pouvoit : que les pauvres venoient libre-
ment à elle parce quelle ne leur faisoit jamais desplaisir, mais au
contraire les aydoit et supportoit.
S'enquièrent quelle révérence ceux de Troyes lui avoient faicte
à l'entrée de leur ville. Respond qu'ils ne lui en ont faict aucune.
Dit en outre qu'elle estime que frère Richard entra avec elle et
avec ses gens dans la ville de Troyes, mais ne sçait pas si la vist à
cette entrée.
On lui demande si frère Richard fit un sermon quand elle entra
à ïroyes. Maintient n'y avoir pas demouré longtemps, et mesme
qu'elle n'y coucha point, et qu'elle ne sçait rien de ce sermon.
288 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
Interrogée si elle a esté plusieurs fois en la ville de Rheims :
respond qu'elle et les siens, comme elle pense, y ont séjourné cinq
ou six jours.
Enquise si elle y a tenu quelque enfant sur les saints fonts :
recognoist qu'en la ville de Troyes elle en a tenu un, mais ne se
souvient pas den avoir tenu â Rheims ou à Chasteau-Thierry :
bien avoue-t-elle, en avoir tenu à Saint-Denis en France ; et
qu'aux masles elle leur donnait volontiers le nom de Charles en
rhonneur de son Roy, et aux filles le nom de Jeanne; que quel-
quefois elle leur imposoit tel nom qui plaisoit aux mères.
On lui demande si les femmes de la ville de Rheims faisoient
toucher leurs anneaux à l'anneau qu'elle portoit en son doigt.
Recognoist que plusieurs femmes avoient touché ses mains et
anneaux, mais qu'elle ne sçait à quelle intention, ne cognoissant
[pas] leur ame.
Interrogée quels sont ceux de son parli qui ont pris des papillons
sur son estandart devant Chasleau-Thierry : maintient que cela
n'a jamais esté faict par ceux de son parli, mais inventé par les
Bourguignons et Anglais.
On lui demande ce quelle a faict des gants es quels son Roy fut
consacré. Repart quïl fut lors distribué une livrée de gants aux
seigneurs et gens d'armes qui esloient présents au sacre du Roy ;
et qu'un certain y perdit ses gants ; et n'a jamois dit qu'elle les
feroit retrouver. Adjousta que son estandart fut porté à l'église de
Rheims; et lui semble qu'il esloit fort proche de l'autel, quand
son Roy fut consacré, et qu'elle-mesme le tint quelque temps, et ne
sçait point si frère Richard l'auroit aussi tenu.
Enquise si allant par pais et estant aux bonnes villes, elle recep-
vait souvent le saint sacrement de pénitence et d'Eucharistie en
habit d'homme : confesse que oui, mais qu'elle ne se souvient [pas]
l'avoir receu ayant ses armes.
Requise quand ce fut qu'elle prit la haquenée de l'Evesque de
Senlis : respond qu'elle fust achetée deux cens salus et ne sçait pas
s'il les a receus ou non : toutes fois qu'il en a esté assigné ou payé.
Elle qui parle rcscrivit audit Evesque qu'il auroit son cheval s'il
vouloit, et que pour son regard elle ne s'en pouvoit servir, attendu
qu'il ne valoil rien pour porter la fatigue.
[De l'enfant de Lagny]
Interrogée quel âge avoit l'enfant qu'elle avoit ressuscité à
Lagny : dépose que cet enfant avoit trois jours, et fut apporté
à l'église de Lagny devant l'image de la Vierge; et qu'ayant eu
advis que les jeunes filles de Lagny esloient en prières devant
ladite image, et requise d'aller prier Dieu et la Vierge qu'il leur
pleust donner la vie à cet enfant, qu'elle y alla et pria avec les
DE COMPIÈGN'E A ROUEN. — LE PROCÈS 289
autres filles : et finalement on apperceut que cet enfant avoit
recouvré la vie, avant baillé par trois fois; et fut baptisé, et un
peu après mourut, et fut inhumé en terre sainte. Et y avoit trois
jours entiers, ainsi qu'on disoit, durant lesquels il n'avoit apparu
en icelui aucun signe de vie, esloit aussi noir que l'habit qu'elle
porte. Et quand il bailla, la couleur lui commença à revenir : et
qu'alors estant à genoux, elle prioit Dieu avec toutes les autres
filles devant l'image de la Vierge.
On lui demande si lors on publia à Lagny qu'elle avoit fait ce
miracle et que cela avoit esté fait à sa prière. Réplique ne s'eslre
point encherchée [occupée] de cela.
[De Catherine de La Rochellej.
Enquise si elle avoit veu Catherine de La Rochelle : dit qu'à
Jargeau et à, Monlfaucon en Berry, elle lui avoit dit qu'une cer-
taine Dame blanche, couverte d'une robe d'or, venoit toutes les
nuils à elle, lui disant quelle allast par toutes les bonnes villes du
royaume, que son Roy lui donneroit des hérauts et lrom[)etles
pour faire publier que tous ceux qui avoient do l'or ou de l'argent
ou quelque trésor caché, l'appoi-Lassent incontinent; et que s'ils y
manquoient, cette Catherine cognoistroit bien et sçauroit bien
trouver leurs trésors, et que ce seroit pour payer les gens d'armes
d'elle qui parle [de la Pucelle].
Ce qu'ayant entendu, elle [Jeanne] conseilla à celle Catherine de
retourner à son mari, de s'emploier à son mcsnage et nourrir ses
enfants. Que pour cognoistre au vray si ce que celte femme disoit
esloit véritable, elle qui parle voulut sravoir de saintes Catherine
et Marguerite ce qui en esloit; et l'asseurèrent que tout cela esloit
une sottise el badinerie : de quoy elle donna advis à son Roy.
Toutes fois, que frère Richard fut d'advis qu'on emploiast celle
Catherine : à raison de quoy frère Richard et Catherine furent mal
contents d'elle qui parle.
Interrogée si elle avoit conféré avec cette femme nommée Cathe-
rine du siège de La Charilé-sur-Loire : respond que ladite Cathe-
rine ne lui conseilloit pas d'y aller parce qu'il faisoit un trop grand
froid. Adjousta que, cette femme voulant aller au duc de Bour-
gogne pour faire la paix, elle qui parle lui auroit remonstré qu'il
lui sembloit que l'on ne trouveroit point de paix qu'au bout de la
lance.
Item, que pour sçavoir si cette Catherine disoit vérité touchant
cette Dame blanche qui la visitoil toutes les nuils, elle voulut cou-
cher avec elle. Et veilla jusques à minuit, et ne vit aucune chose,
et s'endormit jusques au matin. Et ayant demandé à celle Cathe-
rine si cette Dame l'estoit venuî visiter, responditque oui ; cepen-
290 E, RICHER. — LA PUCELLE d'oRLÉANS
dant qu'elle qui parle dormoit, disant qu'elle ne l'avoit pas esveil-
lée. A raison de quoy, elle qui parle voulut dormir dejour, afin de
pouvoir veiller toute la nuit suivante ; qu'elle alla coucher avec
cette Catherine, et ayant veillé toute la nuit ne vit rien, encore
que souventes fois elle demandast à cette Catherine si la Dame
blanche venoit ou non : laquelle respondoit que oui.
[Du siège de La Charité et du « saut » de Beaurevoir].
Interrogée ce qu'elle a fait aux fossez de la ville de La Cha-
rité : recognoist y avoir fait donner un assaut, mais qu'elle n'y a
point jeté ni fait jeter d'eau bénite pour estre aspergée.
S'enquièrent pourquoy elle n'a pas entré dans La Charité, veu
qu'elle avoit un commandement de Dieu, respond : Qui vous a dit
que j'avois un commandement de Dieu ?
On lui demanda si elle avoit eu conseil de ses voix d'y aller :
repart qu'elle vouloit venir en France, mais que les gens de guerre
lui dirent qu'il estoit meilleur d'aller premièrement au siège de La
Charité.
Enquise si elle avoit esté longtemps en la tour de Beaurevoir :
confessa y avoir esté environ quatre mois : et sçachant que les
Anglois venoient la quérir, elle fut bien faschée. Que ses voix lui
avoient souvent deffendu de sauter de cette tour, et finalement,
pour la crainte quelle avoit d'eux, elle sauta, se recommandant à
Dieu et à la Bienheureuse Vierge Marie, et fut blessée de ce saut.
Et ayant ainsi sauté, la voix de sainte Catherine lui dit qu'elle fist
bon visage, que ceux de Compiègne auroient du secours; et
qu'avec son conseil elle prioit incessamment Dieu pour ceux de
Compiègne.
On lui demanda ce qu'elle avoit dit après qu'elle eut sauté.
Respond qu'aucuns disoient qu'elle estoit morte; et après que les
Bourguignons eurent recognu qu'elle estoit vivante, ils lui dirent
qu'elle avoit sauté.
Enquise si elle avoit lors dit qu'elle aymeroit mieux mourir que
de tomber entre les mains des Anglois : recognoist avoir dit
qu'elle aymeroit mieux rendre son ame à Dieu que d'estre entre
les mains des Anglois.
On lui demande si lors elle ne fut pas bien courroucée, et si elle
avoit blasphémé le nom de Dieu. Respond n'avoir onques maudit
ni saint, ni sainte, et qu'elle n'a jamais accoustumé de jurer.
Interrogée sur le fait de la ville de Soissons et du gouverneur
d'icelle qui l'avoit rendue, à sçavoir si elle avoit renié Dieu, disant
que si elle le tenoit, elle le feroit mettre en quatre quartiers : dé-
clare n'avoir jamais renié Dieu ou saint ou saintes, et que ceux
qui avoient rapporté cela avoient mal entendu.
DE COMPIÈGNE A ROUEN. LE PROCÈS 291
Lesquels interrogatoires faits, l'Evesque finit cette séance
et ordonna que tous les conseillers qui assistoient à ce
procez eussent à revoir diligemment tous les susdits inter-
rogatoires, afin que chacun d'eux avisast à ce qu'il seroitbon
de faire, et quelles inductions l'on en pourroit coUiger pour
l'interroger plus amplement sur les matières et circonstances
esquelles elle n'avoit esté pleinement interrogée. Et ce par
aucuns qu'ils députeroit à cet effect, afin de ne [point faire]
travailler toute la compagnie à ces interrogatoires, etc.
.'Vu reste, fait deffense expresse à tous lesdits conseillers
de sortir de la ville de Rouen sans son congé, auparavant
que ledit procez soit fait et parfait.
Et à faire lesdites inductions, on emploia une. sepmaine
entière. Ce qui fait cognoistre que la Pucelle n'a pas esté
espargnée et (lu'elle avoit bien besoin du secours du ciel.
ADVERTISSEMENT SUR LA SIXIESME SÉANCE
En tout ce procez, l'iniquité de l'Evesque de Beauvais
paraist ; et au commencement de cette séance, il fait dire
faussement à la Pucelle qu'elle avoit déposé que saint Mi-
chel avoit des ailes et n'avoit encore parlé des corps et
membres des saintes Catherine et Marguerite, qui est une
invention pour, la séduire. Car, premièrement, il est faux
qu'elle aye dit aux précédentes séances, que saint Michel
avoit des ailes, et n'a jamais parlé que de leurs faces et
figures, ainsi que nous avons desjà observé. Cet avant-pro-
pos de l'Evesque de Beauvais n'a d'autre fin que d'embar-
rasser la Pucelle en la question des corps et membres des
anges. Car il lui demande incontinent si elle veoit que
saint Michel et saint Gabriel ayent des chefs naturels. Elle
respond les avoir veus de ses yeux, et entend saint Michel
et saint Gabriel, et ne parle point du corps ni des membres.
Ils lui demandent si elle croit que Dieu les aye créez en la
forme et manière qu'elle les a veus. Respond que oui. En-
quise si elle croit que Dieu les aye ainsi créez dès le com-
mencement, leur dit que pour le présent ils n'auront d'autre
response d'elle.
292 E. RICHER. LA riXELLE D ORLEANS
Voici un autre malicieux interrogatoire qui tend à l'accu-
ser de s'estre voulu faire adorer, imposant qu'elle a souffert
qu'on lui baisast les pieds, les mains et ses vestements, et
que maintenant on célèbre des messes en son honneur, etc.
Mais à tout cela respond si à propos, que ses juges en
demeurent confus. Examinez les interrogatoires et les res-
ponses, et vous aurez subject de vous esbahir de l'impu-
dence du Promoteur et de ceux qui ont dressé les douze
articles contre la Pucelle, ayant pris l'interrogatoire pour la
response et l'affirmative pour la négative.
Davantage : ils la blasment comme ennemie de la paix,
pour avoir dit qu'on ne l'auroit avec le Bourguignon que
par le bout de la lance, c'est-à-dire qu'il ne quitteroit jamais
le parti anglais que par la grande prospérité des armes du
Roy, ainsi que nous avons remarqué au premier livre. Cha-
cun ne peut-il pas parler de ce qu'il cognoist, comme faisoit
la Pucelle? et l'événement a montré qu'elle prophétisoit.
Au parsus [surplus], le prétexte que prend l'Evesque de
Beauvais de faire reveoir les interrogatoires et responses de
la Pucelle pour en tirer des inductions, et la faire interroger
tout de nouveau par certaines personnes affidées qu'il dépu-
tera, afin de ne [pas faire] travailler toute la compagnie, etc.,
est inique et frauduleuse, et n'a d'autre fin que pour dresser
les douze prétendus articles faux et calomnieux sur lesquels
est intervenue la censure de l'Université de Paris, dont il
sera parlé en la quatriesme partie de ce procez.
SÉANCE YII^
[Premier interrogatoire dans la prison]
Le samedi, dixiesme mars 1430, l'Evesque en continuant
1. De la séance septième jusqu'à la quinzième, les interrogatoires de
la Pucelle ne furent plus publics. Ils eurent lieu dans sa prison, en
présence de l'Kvesqu^ de Beauvais, président, de deux docteurs de
Paris, à titre d'assesseurs, et de deux ou trois autres témoins. A partir
du 13 mars, frère Isambard de la Pierre, dominicain, fut un de ces
témoins. Ce même jour 13 mars, le vice inquisiteur Jean Lemaître
s'adjoignit à l'Evesque. Il y eut parfois deux séances par jour, souvent
très longues et très fatigantes.
DE COMPIÈGNE A ROUEN. LE PUOGÈS 203
exige le serment de la Piicelle qu'elle dira la vérité des
choses dont elle sera interrogée. Elle respond et promet de
[la] dire de ce qui appartiendra au procez. Et d'autant plus
qu'on la contraingnoit de jurer, d'autant plus relardoit-elle
à faire leur volonté.
[De la sortie de Compiègne].
Donc, IM" .Jean de la Fontaine ' lui demanda qnand la dernière
fois elle alla à Gompiegne, d'où elle esloit partie. Uépliqua : de
Crépj-en-Valois.
Demandent si elle fut longtemps à Compiègne, devant que de
faire sa sortie. Uepart qu'elle estoit venue la matinée bien secrète-
ment, et qu'elle y entra sans que l'ennemi en sceust rien, ainsi
qu'elle pense ; et que, ce mesme jour, sur le soir fit une sortie en
laquelle elle fut prise.
Enquise si, faisant sa sortie, on sonna les cloches : dit que si
elles avoient esté sonnées, c'estoit à son desçeu, et n'avoir point
pensé a cela, et ne se souvenir avoir dit qu'on sonnast.
Interrogée si elle avoit fait cette sortie du commandement de
ses voix : respond que la sepmaine de Pasques dernières, estant
sur le fossé de la ville de Melun, ses voix lui révélèrent qu'elle
sei-oit prisonnière auparavant la feste de saint .lean-Bapliste ;
qu'il falloit que celaarrivast ainsi et qu'elle ne s'en debvoit eston-
ner, mais prendre le tout en gré, et que Dieu lui ayderoit.
En(jtùse si, depuis Melun, cela lui avoit encore esté révélé par
ses voix : asseure que oui, souventes fois et presque chacun jour :
et qu'elle avoit demandé à ses voix qu'incontinent qu'elle seroit
prisonnière, elle mourust sans estre longtemps tourmentée en pri-
son. Et lui avoient respondu qu'elle supportast cela de bon cœur,
qu'il falloit que cela arrivast ainsi ; mais qu'elles ne lui ont
jamais dit l'heure : que si elle l'eust sceu, elle n'eust pas fait
cette sortie. Dit qu'elle les avoit maintes fois requises de lui
déclarer l'heure de sa prise, mais qu'elles ne lui en ont rien fait
sçavoir.
Interrogée si ses voix lui eussent commandé de sortir de Com-
piègne et déclaré qu'elle debvoit estre prise, si elle eust fait cette
sortie : confessa que si elle eust sceu l'heure qu'elle debvoit estre
prise, qu'elle n'y fust allée librement [volontiers] ; et toutes fois
qu'elle eust obéi à ses voix, quoy qui lui en deust arriver.
Enquise si faisant cette sortie de Compiègne. elle avoit révélation
1. Ce n'est plus le docteur Jean Bcaupère que l'Evcsque chargea d'in-
terroger Jeanne en ces neuf séances de la prison, mais Jean de la
Fontaine, l'onicier du tribunal préposé à l'examen des témoins.
294 E. RICHER. — LA PUCELLE d'oRLÉAXS
de pouvoir 'faire sa retraite ^ : respond que ce jour-là elle n'a rien
seau de sa prise et n'a eu aussi commandement de faire cette
sortie ; mais bien lui avoit-il esté dit qu-'il falloit qu'elle fut pri-
sonnière.
On lui demande si, faisant cette sortie, elle passa par le pont
de Compiègne.
Dit avoir passé par le pont et par le boulevard, et qu'avec
sa compagnie alla charger les gens de Monsieur de Luxem-
bourg, lesquels elle repoussa par deux fois jusques en leur camp et
au logis des Bourguignons, et la troisiesme jusques au milieu du
chemin ; et qu'alors les Anglois qui estoient à ce siège lui coupè-
l'ent chemin et à ses gens : et qu'en se retii'ant, elle fut prise aux
champs du côté de Picardie vis-à-vis du dit boulevard ; et entre le
lieu où elle fut prise et Compiègne, il y avoit la rivière entre deux,
et le boulevard avec le fossé - !
[De l'étendard et des biens de la PucelleJ.
Demandent si en son estandart il y avoit un monde despeint et
deux anges. Respond que oui et qu'elle n'en a jamais eu qu'un
seul.
Enquise ce que vouloit dire ce qu'elle avoit fait peindre, Dieu
tenant un monde, et deux anges : recognoist que saintes Cathe-
rine et Marguerite lui ont dit qu'elle pris un estendart et le portast
hardiment, et qu'elle y fist peindre le Roy du ciel ; ce qu'elle avoit
dit à son Roi malgré elle : et d'autre signification n'en sçait
point.
Interrogée si elle avoit un escu et des armes : repart n'en avoir
jamais eu : mais que son Roy avoit donné à ses frères des armes
à sçavoir un escu d'azur auquel il y avoit deux lis d'or et une
espée au milieu ; et qu'en cette ville de Rouen, un certain peintre
avoit peint ses armes, lui ayant demandé quelles armes elle por-
toit. Adjouste que son Roy avoit donné à ses frères cet escu sans
qu'elle l'eust requis et sans aucune révélation.
S'enquièrent, quand elle fut prise, si elle avoit un coursier ou
une haquenée. Avoue qu'elle estoit lors montée sur un demi-
coursier. Enquise qui lui avoit donné ce cheval : dit que c'estoit
son Roy ou ses gens qui [le] lui ont acheté des deniers du Roy :
outre qu'elle avoit encore plus de sept trottiers.
Interrogée si elle a eu d'autres richesses de son Roy, outre les
susdits chevaux: asseure n'avoir jamais rien demandé à son Roy,
1. J. Quiclierat : «.. . si elle avait eu révélation de la l'aire et d'exé-
cuter sa retraite ». Procès, t. I, p. IIG.
2. J. Quicherat : « et il n'y avait pas autre chose ». Op. cit., p, 117.
DE COMPIEGXE A ROUEN. LE PROCÈS 295
sinon de bonnes armes, de bons chevaux et de l'argent pour payer
ses gens et ses hostes.
Enquise si elle avoit un trésor : réplique avoir dix ou douze mille
francs en valeur, mais que cela n'estoit pas grand trésor pour
mener la guerre ; au contraire, que c'est bien peu : et que ses
frères, comme elle pense, possèdent aujourd'huj cela, et que tout
cela est du propre argent de son Roy.
[Du signe donné au Roi par la Puf.elle] .
Interrogée quel signe elle donna à son Roy, arrivant vers lui :
respond que cela est bon et honorable et bien croyable, et le plus
riche qui soit au monde.
On lui demande poui'quoy elle ne le veut dire et monstrer, veu
qu'elle a bien voulu veoir celui de Catherine de la Rochelle. Dit
que si Catherine de La Rochelle eust aussi bien montré le sien en
présence de gens notables, tant d'Eglise que d'autres, et mesme
d'Archevesques et Evesques.à sçavoir en présence de l'Archevesque
de Rheims et autres desquels elle ne sçait pas les noms, comme a
esté son signe d'elle qui parle, qui fut veu par Charles de Bourbon
le seigneur de la Trémouille, le duc d'Alençon et autres gens de
guerre S lesquels ont veu le signe d'elle qui parle, aussi bien
qu'elle-mesme veoit les hommes qui lui parlent et sont assis
devant elle, véritablement elle n'eust [pas] demandé à veoir et à
cognoistre le signe de Catherine de La Rochelle : d'ailleurs que
saintes Catherine et Marguerite lui avoient révélé aujiaravant
tout ce que cette Catherine de La Rochelle disoit, n'estre rien du
tout.
On lui demande si le signe qu'elle a donné au Roy est en estre
et dure encore. Asseure qu'il est bon de le sçavoir et durera
jusques à mille ans et au delà. Dit que ce signe est au trésor
du Roy.
Enquise si c'est de l'or, argent, pierre précieuse ou quelque cou-
ronne : respond qu'elle ne dira rien autre chose ; et qu'un homme
ne pourroit pas décrire un joyau si précieux et riche comme est ce
signe-là. Et toutes fois le signe qu'il vous faudroit est que Dieu me
délivrast de vos mains ; c'est là le signe le plus certain qu'il vous
pourroit envoler. Davantage, dit quand elle partit pour aller trou-
ver son Roy, que ses voix lui dirent qu'elle allast hardiment,
et qu'estant devant lui elle auroit un bon signe pour estre bien
receue et veue.
On lui demande, quand ce signe arriva à son Roy. quelle révé-
rence elle fit, et si cestoit de la part de Dieu qu'il vint. Confesse
avoir remercié Dieu de ce qu'il l'avoit délivrée de la peine que les
1. J. Quicherat : « chevahers — milites. » Op. cit., p. H9.
296 E. r.IClIER. LA PUCELLE d'oRLÉAXS
ecclésiastiques qui tenoient ce parti prenoient en lui contredisant,
et iléchit plusieurs fois les genoux. Adjoute qu'un ange de la part
de Dieu, et non d'autre, avoit donné le signe à son Roy, et qu'elle
en avoit plusieurs fois rendu grâces à, Nostre-Seigneur : et que les
ecclésiastiques cessèrent de la reprendre et de lui contredire, ayans
cognu ce signe.
Enquise si les ecclésiastiques de ce parti-là ont veu ce signe : dit
que son Uoy et ceux qui estoient avec lui ayans veu ce signe et
l'ange qui [le] lui donna, elle demanda à son Roy s'il estoit content :
lequel respondit que oui. Et qu'alors elle se retira et alla en une
chapelle assez proche : et entendit dire qu'estant partie, plus de
trois cens personnes virent ce signe ; outre plus, que Dieu permist,
afin qu'on cessast de l'interroger, que ceux de son parti qui avoient
veu ce signe, vissent pareillement l'ange.
On lui demande si son Roy et elle-mesme firent quelque révé-
rence à l'ange quand il apporta ce signe. Uespond qu'elle fit la
révérence et Iléchit les genoux et découvrit sa teste.
ADVERTISSEMENÏ
Ils interrogent la Pacelle si elle avoit un escu et des armes,
et quels biens elle possédoit, pour tirer cela en crime. Car
ayant respondu que le Roy avoit donné à ses frères un
escu, etc., et qu'elle possédoit environ douze mil francs
vaillants — ailleurs elle a dit douze mil escus, et pour lors
l'escu d'or ne valoit que vingt-cinq sols tout au plus — et
avoir plusieurs chevaux, etc. ; que l'argent que le Roy lui
donnoit estoit pour payer ses hostes, etc.; le Promoteur
prend subject de la comparer aux faux prophètes qui fei-
gnent estre envolez de Dieu et prédire les choses futures
pour attraper de l'argent (article quarante-huit) ; et mesme
lui a reproché qu'elle s'habilloit dissolument, et avoir esté
prise avec une huque ^ de toile d'or sur ses armes toute
ouverte, c'est-à-dire tailladée de tous costés, comme sont
aujourd'huy les pourpoints d'esté que l'on porte.
Mais la response à tout cela est que le Roy avoit donné à la
Pucelle tout ce qu'elle portoit, et, lui faisant service, vouloit
qu'elle fust entretenue honorablement selon la qualité du
maistre qu'elle servoit : attendu mesme que les habillements
\. Cotte huque est une courte cosaque que l'on met sur les armes.
Uemarque de liicher].
DE COMPIEGNE A ROUEN. LE PUOCÈS 297
et l'esclat des armes donnent terreur aux ennemis. Et veoit-
on des peintures du Roy Gtiarles VII armé, avec une huque
semblable à celle de la Pucelle que le Promoteur décrit, et
possible que celle que portoit lors la Pucelle estoit une de
celles du lloy.
Au reste, cette Catherine de La Rochelle dont ils font
parade, estoit une femme hypocondriaque, laquelle ayant
ouy parler de la Pucelle, se mit à courir les champs, publiant
qu'elle feroit trouver des trésors pour faire la guerre aux
Anglois. Et la Pucelle ayant découvert ses impostures parle
moyen de ses voix, et ne la voulant pas scandaliser publique-
ment, lui conseilla de se retirer vers son mari et d'avoir soin
de ses enfants et de son mesnage. A raison de quoy cette
femme rendit tous les mauvais offices qu'elle put à la Pucelle,
et depuis sa prison, s'achemina à Paris, déclarant à l'official
de l'Evesque de Paris que si on ne prenoit bien garde à la
Pucelle, elle sortiroit des prisons par le moyen des diables,
ainsi que le Promoteur le] lui reprocha. Quant au signe que
cette fille apporta au Roy, duquel il est parlé, nous en traite-
rons ci-après, car ils l'ont souvent interrogée sur ce signe.
Mais n'a-t-elle pas bonne grâce disant que le plus asseuré
signe que Dieu leur pourroit donner, seroit de la délivrer de
leurs mains. Et toutes fois il est certain qu'ils eussent attri-
bué cela à sorcellerie ; car les miracles n'opèrent qu'à l'en-
droit de ceux que Dieu a touchez. Ses ennemis tousjours les
détorquent et attribuent aux malins esprits, ainsi que nous
voyons de Moïse et de Notre-Seigneur mesme.
SÉANCE VIÏI
[Deuxième interrog.\.toire d.vns l\ prison]
Le lundi, douziesme mars 1430, au matin, frère Jean
Magistri de l'ordre des Jacobins, docteur en théologie,
vicaire de frère Jean (jraverent aussi du mesme ordre. Inqui-
siteur général par toute la France, ayant plusieurs fois refusé
d'assister au procez de la Pucelle comme inquisiteur — atten-
298 E. RICIIER. — LA PUCELLE d'oRLÉANS
du que sa commission ne s'estendoit qu'au diocèse de Rouen,
et que l'Evesque de Beauvais procédoit en tant qu'il préten-
doit que la Pucelle avoit esté prise en son diocèse de Beau-
vais — tînalement prend cognoissance dudit procez, après
avoir reçu commission et pouvoir de frère Jean Gravèrent,
lequel avoit esté sommé par l'Evesque de Beauvais de se
trouvera la confection dudit procez.
Donc conjoinctement avec ledit Evesque, [Jean Magistri],
commence aujourd'liuy à procéder contre la Pucelle, laquelle
ce mesme jour est derechef requise de prester le serment
qu'elle dira [la] vérité. Et promet selon sa coustume dire
vérité de tout ce qui touche leur procez.
Et M" Jean de La Fontaine continue à l'interroger sur ce signe
quelle fit veoir au Roy, et sur l'ange qui lavoit apporté, lequel dit
au Roy qu'il mist la Pucelle en besongne, et que tout le pais seroit
incontinent soulagé.
[Des visions de la Pucelle. — De l'affaire de Toul].
On lui demande si c'est le mesme ange qui avoit premièrement
parlé ^ à elle. Respond que c'est le mesme et qu'il ne lui a onques
manqué.
Interrogée si en ce qu'elle a esté prise, cet ange lui a manqué aux
biens de fortune : dit qu'elle croit, puisqu'il a ainsi plu à Dieu,
que c'est pour le mieux qu'elle aye esté prise.
Demandent si cet ange lui a défailli aux biens de la grâce.
Réplique : Comment se poui"roit-il faire puisqu'il me conforte
chacun jour ? Et dit que cette consolation estoit par l'entremise de
saintes Catherine et Marguerite.
On s'enquiert si c'est elle qui appelle saintes Catherine et Mar-
guerite, ou bien si elles viennent sans estre appelées. Asseure
qu'elles viennent souvent sans qu'elle les appelle ; et que, d'autres
fois, si elles ne venoient pas inrontinent. elle prieroit Dieu de les
envoier : et dit n'avoir jamais eu besoin d'elles, qu'elle ne les aye
eues à son ayde.
Enquise si jamais saint Denis lui est apparu : respond, non,
quelle sçache.
On lui demande si elle parloil à Dieu, quand elle lui promit de
garder sa virginité. Repart que c'estoit assez de promettre cela à
ceux qui venoient de sa part, à sçavoir à sainte Catherine et
sainte Marguerite.
1. J. Quicherat : « qui lui était apparu. » Op. cif., p. lil&.
DE COMPIÈGXE S ROUEN. — LE PROCÈS 299
Interrogée pourquoj elle fit citer un certain homme à Toul pour
cause de mariage : dit ne Favoir point fait citer, mais que c'est
lui qui la fit citer, et qu'elle avoit juré devant le juge de dire la
vérité. Et avoit asseuré n'avoir onques fait aucune promesse à cet
homme.
Confesse la première fois qu'elle entendit ses voix, avoir voué de
garder sa virginité autant quil plairoit à Dieu, et elle navoit que
treize ans ^ : que ses voix Tasseurèrent quelle gagneroit son procez
à Toul.
Enquise si elle avoit parlé de ses visions qu'elle dit avoir, à son
curé ou à quelque autre ecclésiastique : recognoist que non, mais
seulement à Robert de Baudricour et à son Roy. Dit que ses voix
ne l'ont pas empeschée de déclarer cela, mais qu'elle s'en est
abstenue, craignant que les Bourguignons n'empeschassent son
voyage ; et craignant spécialement que son père ne Tempeschast
aussi.
[Du silence de Jeanne à l'égard de ses parents].
Demandent si elle pensoit bien faire d'eslre partie sans la per-
mission de son père et de sa mère auxquels on doibt rendre
honneur. Respond leur avoir tousj ours obéi en toutes autres choses,
excepté en ce cas ici ; mais qu'après son départ, elle leur rescrivit et
lui pardonnèrent.
Enquise si se retirant d'avec son père et sa mère, elle croit avoir
péché : maintient que Dieu commandant quelque chose, il falloit
faire son commandement, et que lui ayant commandé de partir,
si elle eust eu cent pères et mères, et même si elle eust esté fille de
Roy, néantmoins quelle fust partie.
On lui demande si elle avoit demandé à ses voix si elle adver-
tiroit ses parents de son départ. Confesse, quand est de son père
et mère, [que] ses voix esloient bien contentes qu'elle [le] leur
déclarast, et qu'elles se rapportoient à elle de [le] leur dire ou
non ; mais craignant que ses parents ne lui fissent de la peine, elle
ne leur avoit [pas| fait entendre la résolution qu'elle avoit prise
d'aller trouver le Roy de France-.
Enquise si elle faisoit la révérence à saint Michel et aux ang'es,
quand elle les voyoit : dit que oui, et baisoit la terre par où ils
avoient passé, s'estant retirez.
Interrogée si ces anges estoient longtemps avec elle : repart
qu'ils viennent souvent avec les chrestiens et qu'on ne les veoit
pas ; et qu'elle les a veus souvent entre les chrestiens.
On s'enquit si elle avoit eu des lettres de saint Michel ou de ses
1. .1. Qulcherat : « ou environ. » Op, cil., p. 128.
2. Voit-, sur ce passage, .1. Quiclierat, p. 129.
300 E. RICHER. — LA PUCELLE d'oRLÉANS
voix. Respond n'avoir licence de dii*e cela ; que d'ici à huit jours,
elle leur respondra ce qu'elle sçaura .
Demandent si ses voix l'ont appelée fdle de Dieu, fille de l'Eglise,
fdle au grand cunw. Réplique qu'auparavant la levée du siège
d'Orléans et depuis', quand elles ont parlé à elle, souventes fois
l'ont appelée Jeanne [la] Pucelle, fille de Dieu.
Enquise pourquoy elle ne dit librement sa patenostre, puisqu'elle
se dit Fille de Dieu : Confesse qu'elle la diroit volontiers, et qu'ayant
refusé ci-devant, n'a esté pour autre cause sinon afin que Nous,
évesque de Beauvais, voulussions l'entendre en confession.
ADVERTISSEMENT
L'Evesque de Beauvais interroge la Pucelle pourquoy elle
a fait citer un homme en cause de mariage. Elle respond que
c'est lui qui la fit citer, et que ses voix l'assurèrent qu'elle
gagneroit son procez, etc. Or, de cet article et d'un autre
couché en la seconde séance, oi^i la Pucelle recognoist s'estre
retirée à Neufchastel l'espace de quinze jours chez une
femme nommée la Rousse, le Promoteur a tissu une puis-
sante chicanerie, disant que la Rousse logeoit des femmes et
toutes autres personnes mal renommées, et que la Pucelle y
estant conversoit avec elles, et avoit appris à se gendarmer
et monter à cheval, et qu'un jeune homme qui lui avoit pro-
mis mariage, ayant recognu ses desportements et sa conver-
sation avec ces femmes mal renommées, n'auroit plus voulu
d'elle. A raison de quoy la Pucelle l'auroit fait citer devant
roiïicial de Toul, etc. [Propos] qui sont autant d'impostures
presque qu'il y a de paroles. Car premièrement le père et la
mère de la Pucelle l'emmenèrent à Neufchastel avec eux par
crainte des gens d'armes, et y demeurèrent environ quinze
jours, et logèrent chez la Rousse tous ensemble : auquel lieu
un jeune homme prit en affection cette fille, espérant l'es-
pouser, et la fit citer à ces fins, ainsi que nous avons remar-
qué au premier livre.
Touchant ce qu'elle n'a [pas] déclaré ses visions à son curé,
le Promoteur tire cela à un grand crime et périlleuse consé-
quence, en l'article cinquante-cinq des conclusions qu'il a
\. J. Quicherat : « tous les jours... ». Op. cIL, p. 130.
DE COMPIEGXE A ROUEN. — LE PROCÈS 30f
prises contre cette fille : disant que par ce moyen toutes
sortes de personnes se pourroient eslever et faire accroire au
peuple qu'ils auroient des révélations pour le séduire : et que
c'est chose à quoy les prélats doibvent bien veiller, et punir
la Pucelle ayant par ce moyen abusé et séduit une infinité de
personnes, etc. Mais elle satisfait à cette objection disant que
ses voix ne lui ont pas deiïendu de communiquer ses visions
à son curé, ni de demander congé à ses parents : toutes fois,
craignant que ses père et mère ou les Bourguignons traver-
sassent son voyage, qu'elle n'avoit [pas] communiqué aux
ecclésiastiques le conseil que lui donnoient ses voix et estoit
parti sans le congé de ses parents. Et sur ce, faut veoir l'ad-
vertissement de la quatrième séance touchant les personnes
exemptées de la loy commune et générale, par une loy parti-
culière telle que sont les révélations.
Et en outre remarquez que cette fille ayant des révélations
qui concernoient particulièrement le Uoy de France et son
Estât, elle n'estoit [pas' obligée de les divulguer ni commu-
niquer aux ennemis de sa Majesté, ains seulement au Roy
mesme et à ses plus fidèles subjects. A quoy elle a pleinement
satisfait et a esté suffisamment examinée par les prélats et
docteurs françois, lesquels ne cédoient en autorité ni suffi-
sance à ceux du parti anglois. Mais, au contraire, l'Evesque
de Beauvais estoit obligé de déférer à xMessire Renaut de
Chartres, Archevesque dcRheims, son métropolitain. Certes,
Judith ayant eu révélation de tuer Holopherne, ne debvoit
pas communiquer son dessein à ceux de l'armée d'Holo-
pherne. Bricf, pour les révélations que quelqu'un dit avoir,
il est certain que c'est aux prélats de l'Eglise d'en faire la
preuve et l'examen. Mais au cas qu'elles importent à aucun
prince et que son Estât soit partialisé, nous maintenons qu'il
suffit de s'en ouvrir à ceux auxquelles elles importent ; et au
contraire qu'elles doibvent estre celées aux autres, ainsi
que la Pucelle a toujours protesté de ne point révéler les
secrets de son Roy.
Quant à ce que cette fille faisoit la révérence à saint
Michel et aux saintes qui la conseilloient, baisoit la terre
par ou ils avoient passé après s'estre retirez, etc., le Promo-
302 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLÉANS
teiir bastit là-dessus un crime capital, disant qu'elle adoroit
les malins esprits et les consultoit, articles quarante et un et
quarante deux de sa production : [oej qui est une calom-
nieuse imposture, laquelle suppose pour tout avéré ce qu'il
faut prouver et qui est très faux, sçavoir, que les révélations
de cette fille provenoient du malin esprit : de quoy iln'appa-
roist aucune présomption valable en tout le procez.
Au demeurant, les théologiens expliquant ce passage de la
seconde [EpitreJ aux Corinthiens, chap. onziesme :« Satan se
transforme en ange de lumière, » enseignent que si quel-
qu'un adoroit un démon, pensant adorer un bon ange, il ne
pécheroit point contre ce qui est de la foy et du culte de la
religion ; attendu que son sens corporel seroit trompé et des-
ceu, et que son esprit demeureroit ferme et constant en ce
qui est de la foy : mais que s'il arrivoit que le diable lui fit
faire quelque acte contraire aux vertus théologales et à l'es-
sence [aux préceptes] de la religion catholique, alors il ne
seroit [pas] exempt de péché. Voyez la Glose et saint Thomas
en la seconde delà seconde, question dixiesme, article second,
en la response autroisiesme argument. Par ainsi, posé que
la Pucelle eust fait la révérence à quelque malin esprit, et
baisé la terre par où il auroit passé, estimant que ce fust un
bon ange, elle ne seroit [pas] pour cela coupable, moyennant
qu'elle n'eust adhéré ou trempé en aucun mauvais œuvre,
péché ou induction diabolique, comme elle n'y a jamais
adhéré : et le Promoteur n'en allègue aucune présomption
valable.
SÉANCE IX
[Troisième interrogatoire dans la prison]
Le mesme jour de lundi, douziesme mars 1430, après midi, par
ordonnance de l'Evesque, la Pucelle est eucore interrogée par
j\P Jean de La Fontaine.
[Encore de Jeanne et de ses parents. — De Ihabit dhomme.]
Et premièrement des songes qu'on disoit son père avoir eus
auparavant qu'elle partist de sa maison. A quoy elle repart sa
DE COMPIEGNE A ROUEN. — LE PROCES 303
mère lui avoir plusieurs fois raconté que son père avoit songé que
sa fille Jeanne s'en estoit allée avec les gens darmes, et que, pour
celte raison, son père et sa mère la tenoient bien de court ; et
qu'elle leur obéissoit en toutes choses, excepté au procez quelle
avoit eu à Toul pour cause de mariage, l^t asseura avoir ouj dire
à sa mère que son père disoit à ses frères : Vrayment, si jepensois
que la chose que je crains deust arriver à ma fllle, je voudrois que
vous la noyassiez, et. si vous ne le faisiez, moy-mesme lanoyerois :
et que son père et sa mère perdirent presque le sens quand elle alla
à Vaucouleur.
On lui demande si ces cogitations ou songes arrivèrent à son
père, depuis qu'elle eut ses visions. Respond que oui, plus de deux
ans après.
Enquise si ce fut à la requeste de Robert de Baudricour, ou du
propre motif d'elle, ou de ses voix, qu'elle prit l'habit d'homme :
avoue quelle prit de soy-mesme cet habit, et non à la requeste
daueun homme, et que tout ce qu'elle a fait de bien, elle en a eu
commandement exprés de ses voix. x\u reste, qu'elle prendra
conseil pour respondre demain touchant cet habit dhomme.
Interrogée si en prenant cet habit d'homme, elle croyoit ne pas
faire mal : dit que non, et que si elle estoit aujourd'huy parmi
ceux de son parti ', il lui semble que ce seroit un des grands biens
de la France de continuer à faire tout ainsi quelle faisoit auparavant
sa prise.
[De la délivrance du duc d'Orléans.]
Enquise comment elle eust pu délivrer le duc d'Orléans : reco-
gnoist qu'elle eust pris en deçà do la mer plusieurs Anglois pour le
retirer : et que si elle n'en eust pris assez, elle eust passé avec une
armée en Angleterre pour l'aller quérir-.
Interrogée si ses voix lui avoient dit absolument et sans condition
qu'elle prendroit suffisamment des hommes pour retirer le duc
d'Orléans d'Angleterre, ou qu'elle passeroit la mer pour l'aller
quérir : respond que oui et qu'elle en advertit son Roy, et qu'il lui
laissast la disposition des seigneurs d'Angleterre prisonniers. Que
si elle eust duré trois ans sans avoir empeschement, elle eust
délivré le duc d'Orléans ; et qu'il y avoit bien encore un terme
plus court que trois ans, mais qu'elle ne s'en souvient [pas] main-
tenant.
On l'interroge derechef quel signe elle avoit donné à son Roy.
Respond qu'elle leur dira après s'estre conseillée à sainte
Catherine.
Et l'interrogatoire est remis au lendemain.
1. « ... en habit d'homme. » Procès, t. I, p. 133.
2. « ... en puissance. » Ibid.
304 E. RICHER. LA PUCELLE D ORLEANS
ADVERTISSEMENT
Au procez original qui estoit escrit en françois, M' Guil-
laume Manchon, premier notaire, qui a escrit ce procez, a
déposé en la revision que sur les diiïicultez qui naissoient à
cause des dépositions de la Pucellc, — lesquelles l'Evesque
de Beauvais faisoit aucunes fois varier, ou bien [que] cer-
tains notaires du Roy d'Angleterre changeoient à leur poste
— quand il estoit question de les relire et recognoistre, arri-
vant quelque variété, il faisoit certaines marques en marge
et notoit que ceci ou cela debvoit estre reformé, ainsi que
l'on recognoist par plusieurs articles escrits de la main
dudit Manchon, qui ont esté produits et recognus et avouez
par icelui, lequel sur l'article de cette séance où il est porté
que le père et la mère de la Pucelle perdirent presque le
sens, quand ils sceurent que leur fille estoit partie de Vau-
couleur pour aller en France, a escrit qu'il debvoit estre
réformé et corrigé, et qu'au lieu de « perdirent presque le
sens, » falloit escrire « furent grandement marris et trou-
blez, » et que c'estoit la véritable déposition de la Pucelle.
De sorte que l'on recognoist que lEvesque de Beauvais, pour
rendre cette fille plus criminelle, avoit fait registrer cette
clause laquelle a esté insérée aux douze articles envolez à
l'Université de Paris. J'avois oublié de remarquer que cette
fille ayant déposé en cette séance avoir tousjours obéi en
toutes choses à ses parens, excepté au procez qu'elle avoit
eu devant l'official de Toul, etc., qu'il semble qu'on puisse
inférer de là que son père et sa mère eussent désiré qu'elle
se fust mariée avec le jeune homme qui l'avoit fait citer;
estimans possible que moyennant ce mariage, le désir
quelle avoit d'aller en France pour secourir le Roy se pas-
seroit et qu'elle ne parleroit plus de ses révélations, attendu
que cela donnoit bien de la peine à ses parens, troublez de
veoir leur fille en telle perplexité.
DE COMPIEGNE A ROUEN. — LE PROCES 303
SÉANCE X
[Quatrième interrogatoire dans la prison.]
Le mardi, treiziesme mars 1430. maistre Jean Magistri,
suffragant de l'Inquisiteur de la foy, prend cognoissance du
procez conjoinctement avec l'Evesque de Beauvais, approuve
et admet les notaires, promoteurs et autres officiers et
ministres par lui instituez', etc.
[Du signe donné au roi.]
Premièrement, on l'interroge derechef quel signe elle avoil donné
à son Roy. Leur respond : Seriez-vous contens que je fisse un par-
jure?
On lui demande si elle avoil juré et promis à sainte Catherine
de ne [pas] révéler ce signe. Confesse que de soy-mesme elle avoit
fait serment de ne le point dire, parce que les hommes la pres-
soient par trop de le déceler, et voyant cela, avoit promis de n'en
parler à personne. Adjousla que ce signe fut qu'un ange certifia à
son Roy. lui apportant une couronne, qu'il auroit tout le royaume
de France, moyennant la grâce de Dieu et le travail qu'elle qui
parle prendroit ; et qu'il la mist en besongne, et lui donnast des
gens de guerre, qu'autrement il ne pourroit pas cstre si lost cou-
ronné.
Demandent si depuis hier elle avoit parlé avec sainte Catherine.
Asseure que oui, et [la sainte] lui avoir dit qu'elle parlasl hardi-
ment aux juges des choses qu'ils lui demanderoient concernant le
procez.
Enquise comment cet ange a apporté celte couronne, et s'il l'a
mise sur la teste de son Roy : réplique qu'elle fut donnée à l'Ar-
chevesque de Rheims, et, comme elle pense, il la receut en pré-
sence de son 110}% elle qui parle estant présente ; et fut mise au
trésor du Roy : que ce fust en la chambre du Roy ^ qu'elle fut
apportée, ne sçait quel jour, mais qu'il estoit haute heure [heure
avancée] ; que ce fut au mois de mars ou d'avril, et qu'au pro-
chain mois d'avril ou de mars présent il y aura deux ans passez ;
1. D'après le manuscrit de D'Urfé, Jean Lemaître aurait lui-même
commencé, sinon poursuivi jusqu'au bout, l'interrogatoire, (l^rocès t. I,
p. 139).
2. J. Quicherat ajoute : « au château de Chinon. » [Procès^ t. I,
p. 140).
20
306 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLÉANS
que ce fust après Pasques. Dit que le mesme jour qu'elle vit ce
signe-lù, son Roy pareillement le vit et le receut.
S'enquièrent de quelle matière estoit cette couronne. Réplique,
d'or pur et la plus riche et opulente couronne ; qu'il lui seroit
impossible d'en représenter les richesses. Et signilîoit que son Roy
demeureroit paisible [possesseur] du royaume de Fi'ance.
Interrogée si cette couronne estoit ornée de pierres précieuses :
Je vous ai dit ce que je sçavois, répliqua-t-elle. Enquise si elle
l'avoit tenue et baisée, dit que non.
On lui fait infinies questions sur cet ange qui apporta la cou-
ronse, s'il venoit d'en haut ou marchait sur terre. Respond qu'es-
tant en présence du Roy, il lui avoit fait la révéï'enee, lui rédui-
sant en mémoire sa grande patience aux adversitez et tribulations
qu'il avoit souffertes ', etc.
Interrogée quel espace il y avoit depuis la porte jusques au lieu
où estoit son Roy, respond : Environ la longueur d'une lance ; et que
l'ange s'en estoit allé par le mesme lieu qu'il estoit venu : qu'elle
l'avoit toujours accompagné tant en la chambre du Roy que sur la
jontée, et avoit dit au Roy : Sire, voici votre signe, recevez-le ;
qu'elle prioit toujours Dieu qu'il envoyast le signe du Roy ; qu'elle
estoit en son hostellerie, logée avec une bonne femme, lorsque
l'ange arriva et qu'ensemblement ils allèrent au Roy; que cet ange
estoit accompagné d'autres anges, lesquels n'estoient pas veus d'un
chacun, et que Dieu avoit permis qu'ils fussent veus de plusieurs
qui lui faisoient des questions, afin qu'ils cessassent de l'interroger :
qu'elle croit que l'Archevesque de Reims, monseigneur d'Alençon,
de la Trémouille et Charles de Rourbon ont veu cet ange, mais que
pour le regard de la couronne, plusieurs ecclésiastiques et autres
l'ont veue.
On lui demande de quelle figure et de quelle grandeur estoit cet
ange. Repart qu'elle n'a [pas] permission de leur dire, que ce sera
pour demain.
Enquise si tous les autres anges qui accompagnoient cet ange
dont elle fait mention, avoient une mesme figure : réplique que,
selon qu'il lui sembloit, aucuns avoient une mesme figure, et les
autres non ; que quelques-uns avoient des aisles et des couronnes,
et qu'en leur compagnie estoient aussi saintes Catherine et Mar-
guerite -, jusques hors de la chambre du Roy,
Enquise comment cet ange se retira d'avec elle : respond que ce
fut en une petite chapelle ; de quoy elle fut bien faschée, et pleu-
roit, et eust bien voulu s'en aller avec lui, c'est-à-dire son ame.
Interrogée si au départ de cet ange elle demeura joyeuse : res-
1. Riclier supprime ici quelques détails.
2. On lit de plus dans J. Quicherat : « et alii angeli. » Op. cil.,
p. 144.
DE COMPIÈGNE A ROUEN. — LE PROCES 307
pond qu'il ne lui laissa aucune crainte ni tremeur [effi'oi], mais
qu'elle fut fort faschée de son départ.
On lui demande si c'est par son propre mérite que Dieu lui a
envoie son ange. Avoue que cet ange venoil pour une grande chose ;
et estoit en espérance que son Koy adjousteroit fov à ce signe, et
que les hommes cesseroient après cela de l'interroger ; et [de plus
qu'il venoit] pour donner secours aux bonnes gens delà ville d'Oi'-
léans, tant pour l'amour de son R03' que du bon duc d'Orléans.
Enquise pourquoy elle a plus tost eu cette charge de secourir la
ville d'Orléans que quelque autre : réplique qu'il a plu à Dieu de
faire ainsi par une simple fille pour repousser les ennemis du
Roy.
Interrogée si on lui a dit où cet ange avoit pris cette couronne :
respond quelle fut apportée de la part de Dieu; et qu'il n'y a point
d'orfèvre au monde qui en puisse faire une si belle et si riche.
Mais où l'ange a pris celte couronne, elle qui parle s'en rapporte à
Dieu, et autrement ne sçait où elle a esté prise.
Enquise si cette couronne rendoit une bonne odeur et si elle
estoit reluisante : repart qu'elle ne -s'en souvi-ent [pas] et qu'elle y
advisera. Après, elle a dit qu'elle rendoit et qu'elle rendroit tous-
jours une bonn» odeur, pourveu qu'elle fust conlregardée, ainsi
qu'il appartenoit à une telle couronne '■.
On s'enquiert si l'ange lui avoit escrit des lettres. Dit que non.
Enquise quel signe elle a donné à son Roy et à ceux de sa cour
pour leur faire croire que c'estoit un ange qui avoit apporté cette
couronne : réplique que son Roy l'avoil cru par ladvis et enseigne-
ment des ecclésiastiques de sa cour, et par le signe de la cou-
ronne.
Interrogée comment les ecclésiastiques ont cognu que cestoit un
ange : repart qu'ils ont sceu cela par leur science et suffisance et
pour ce qu'ils estoient clercs.
On lui demande si elle avoit découvert un prestre concubinaire,
et un hanap qui estoit perdu. Dit ne sçavoir ce que c'est et n'en
avoir jamais ouy parler.
[De l'assaut de Paris, de La Charité, de Pont-1'Evêque.]
Enquise si allant à l'assaut de Paris elle avoit eu révélation d'y
aller : dépose que non, mais que ce fut à la requeste des gentils-
hommes qui vouloient faire une escarmouche et quelque vaillantise
d'armes; quelle avoit bien intention de passer outre les fossez de la
ville de Paris.
On luy demande si elle avoit eu révélation d'aller assiéger la
1. Dans J. Quicherat : « ... et estoit en manière de couronne. » Op.
cit., p. 146.
308 E- RICHER. LA PUCELLE D ORLEANS
ville de La Charité. Dit que non, mais qu'elle y avoit esté à la
requeste des gens de guerre, ainsi qu'elle avoit autrefois res-
pondu.
Interrogée si elle avoit eu révélation d"aller h Pont-l'Evesquc :
repart que depuis qu'elle avoit esté advertie par ses voix, estant
sur les fossez de Melun, qu'elle seroit prise, elle s'estoit toujours
rapportée pour la plupart aux capitaines de ce qui concernoit les
affaires de la guerre ; et toutes fois ne leur disoit point avoir eu
révélation qu'elle seroit prise.
Ou lui demande si elle a bien fait, allant donner un assaut à
Paris, le jour de la Nativité Notre-Dame qu'il estoit feste. Confesse
que c'est bien fait de garder la feste de la Vierge depuis le com-
mencement jusques à la fin.
Enquise si estant devant Paris elle avoit dit : Rendez la ville à
Jésus ; réplique avoir dit : Rendez la ville au Roy de France.
ADVERTISSEMENT
Tous les théologiens, canonistes et jurisconsultes demeu-
rent d'accord, au cas qu'une personne soit interrogée par
quelqu'un qui ne soit [pas] son juge, ou bien de chose
laquelle on n'est pas tenu de révéler ou déceler, qu'alors on
peut justement décliner l'interrogatoire fait par celui duquel
on n'est pas justiciable. L'Evesque de Beauvais requiert
infinies fois la Pucelle de jurer qu'elle dira vérité, et lui
demande cent fois par manière de dire quel signe elle a
donné à son Roy et aux ecclésiastiques françois, pour les
induire à croire qu'elle estoit envolée de Dieu. Elle ne le
recognoissoit [pas] pourjuge, mais pour son ennemi mortel,
et dès le commencement lui ayant demandé qu'il appelast
aussi bien des ecclésiastiques du parti de son Roy que du
parti desAnglois, après avoir veu qu'on ne lui faisoit aucun
droit sur cette sienne juste demande, et néantmoins qu'on la
pressoit tousjours, voire contraingnoit, de dire quels signes
elle avoit donnez à son Roy, ainsi qu'elle a déposé, respon-
dant à la production du Promoteur, proteste de ne jamais
leur dire la vérité de tout ce qui concernoit le Roy de France
et des révélations qu'elle avoit eues en sa faveur, comme de
vérité elle n'y estoit [pas] obligée. N'eust-ce pas esté un
sacrilège et une grande trahison de leur donner subject de
faire registre des plus secrètes cogitations et prières
DE COMPIEGNE A ROUEX. LE PROCES 309
mentales de Sa Majesté', desquelles elle avoit eu révélation,
ainsi que nous avons remarqué au premier livre? Certes, ses
ennemis eussent tourné tout cela en risée et moquerie, tout
ainsi que les Egyptiens calomnioient les miracles que Moyse
faisait à leur vue. Et finalement toujours pressée sur ce
mesme interrogatoire de dire quel signe elle avoit donné à
son Roy, Dieu lui inspira un sens allégorique, ainsi que
nous [le] voyons avoir fait souventes fois à ceux qu'il a
prévenus de l'esprit de prophétie aux saintes Ecristures :
moyennant lequel sens allégorique cette fille représentoit le
sacre et le couronnement du Roy qu'elle avoit promis.
Ce que pour esclaircir, faut tenir pour règle premièrement
que quiconque fait quelque chose par autrui est réputé le
faire soy-même; secondement, qu'aux saintes Ecritures les
Evesques sont appelez anges. Donc la Pucelle prenant sa
direction principale de l'ange saint Michel pour conduire
Sa Majesté à Rheims où elle sera couronnée, elle respond à
ses juges que l'ange saint Michel, accompagné de plusieurs
autres anges ayans des couronnes et des aisles, ont apporté
au Roy une précieuse couronne qui fut consignée entre les
mains de rArchevcsquc de Rheims et finalement mise au
trésor du Roy ; qu'elle estoit la plus précieuse qui ait onques
esté, dont il sera mémoire à jamais et durera plus que mil
ans; qu'elle signifie et représente la victoire que Sa Majesté
doibt remporter sur ses ennemis et qu'il demeurera paisible
possesseur de son royaume.
Et en tout cela n'y a aucun mensonge ni absurdité :
d'autant que par les anges couronnez, ayans des aisles, qui
accompagnoient l'ange saint Michel, lequel apportoit cette
couronne à Sa Majesté, elle a voulu désigner les Evesques et
prélats assistans au sacre du Roy lesquels portoient de
grandes couronnes et, revestus de leurs habits pontificaux,
sembloient avoir de grandes aisles. Quant à l'ange saint
Michel qui avoit apporté au Roy cette précieuse couronne,
[Jeanne] a voulu elle-mesme se désigner, parce qu'elle avoit
mené Sa Majesté à Rheims pour y estre couronné.
Ce que posé et sainement entendu, tous les interrogatoires
captieux que l'Evesque de Beauvais comme pièges a dresser
310 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLÉANS
à la Pucelle à raison de cette couronne et des anges qui ont
assisté saint Michel qui l'apportoit, demeurent entièrement
esclaircis et développez. Et pareillement aussi le second
article de la censure de la Faculté de théologie de Paris
contre la Pucelle, dont il sera traicté ci-après. Et suffit que
cette allégorie en gros et en général convienne et s'accorde
avec le sacre et couronnement de Sa Majesté, sans s'arrester
à plusieurs particularitez, ainsi mesme que nous voyons par
les allégories de l'Escriture sainte qu'il faut prendre en [un
sens] général. Véritablement, c'est toute autre chose de
mentir et celer la vérité, dire chose fausse et taire ce qui
est véritable, ainsi qu'il est porté au canon Ne quis 22,
quest. 2, et au canon Quœritur, en la mesme cause et
question, car plusieurs saints personnages ont tu et celé la
vérité, comme Abraham devant Pharaon, roy d'Egypte,
Genèse 12, et autres que Gratien allègue. Et tout ce que nous
feignons n'est pas mensonge, moyennant qu'il signifie
quelque chose de certain, ainsi que les métaphores et
allégories dont l'Escriture sainte est pleine. Et souvent les
prophètes parlent ironiquement, comme lorsque Michée dit
au roy Achab : « Va heureusement, et Dieu livrera tes ennemis
entes mains. » (Troisiesme livre des Roys, chapitre dernier,
verset 15.) Qui est tout le contraire de ce qui arriva, parce
que Achab fut tué. Conclusion : tout ce que la Pucelle a
déposé est une description allégorique du sacre et couronne-
ment du Roy que cette fille avoit ordre de promouvoir, ainsi
qu'elle a fait.
SÉANCE XI
[Cinquième interrogatoire dans la prison]
Le mercredi, quatorziesme mars 1430 du matin, frère Jean
Magistri, inquisiteur de la foy, esleut pour notaire en cette
cause Nicolas Taquel, prestre du diocèse de Rouen, notaire
apostolique au même diocèse, afin de travailler conjointement
avec les deux autres dénommez par l'Evesquede Beauvais.
Et conséquemment interrogèrent la Pucelle :
DE COMPIÈGNE A ROUEN. — LE PROCES 311
[Du «• prétendu » saut de Beaurevoir^]^
Pi-emièrement ce qui lavoit mener de sauter du haut de la tour
de Beaurevoir. Dépose qu'elle avoit ouj dire que tous les habitans
de Compiègne, jusques mesme aux enfans de sept ans, seroient
mis à feu et à sang, et qu'après une telle désolation et ruine de ces
pauvres gens elle désiroit plus tost mourir que vivre : que cela est
l'une des causes pour quoy elle sauta ; l'autre, qu'elle sçavoit estre
vendue aux Anglois, et qu'elle eust aymé plus tost mourir que
d'estre entre leurs mains, pour ce qu'ils estoient ses ennemis.
On s'enquiert si ses voix lui avoient conseillé de sauter. Respond
que non ; au contraire, que sainte Catherine lui disoit presque
tous les jours qu'elle ne sautast pas, que Uieu lui aideroit, et sem-
blablement aussi à ceux de Compiègne. Qu'elle respondit à sainte
Catherine : puisque Dieu avderoit ceux de Compiègne qu'elle vou-
loit bien demeurer en prison. Que sainte Catherine répliqua qu'il
falloit qu'elle supportoit cela de bon cœur, et qu'elle ne seroit point
expédiée qu'elle n'eust veu le Roj d'Angleterre. A quoy repartit
que véritablement elle voudroit bien ne le point veoir, et aymeroit
mieux mourir que d'estre mise entre les mains des Anglois.
On lui demande si elle avoit dit à saintes Catherine et Margue-
rite : Dieu laissera-t-il ainsi misérablement mourir ces bonnes gens
de Compiègne? Repart n'avoir [pas] dit : « laissera-t-il ainsi misé-
rablement », mais bien en cette sorte : « Comment laissera-t-il
mourir ces bonnes gens de Compiègne qui ont esté et sont tant
fidèles à leur seigneur? « Adjouste qu'estant tombée de cette tour,
elle lut deux ou trois jours sans pouvoir manger ni boire, tant elle
fut grevée d'avoir ainsi sauté. Et toutes fois que sainte Catherine
la conforta, lui disant qu'elle se confessast et demandast pardon à
Dieu de ce qu'elle avoit sauté, et que sans faute ceux de Compiè-
gne auroient du secours dans la saint Martin d'hyver. Et qu'alors
elle revint à convalescence et commença à manger et fut inconti-
ment guérie.
Intei-rogée si elle croyoit se tuer en sautant : dit que non, et
qu'en sautant elle s'estoit recommandée à Dieu et pcnsoit évader,
afin de n'estre [point] livrée entre les mains des Anglois.
Enquise si, après qu'elle eust recouvré la parole, elle avoit renié
Dieu et ses saints — car on lui fit entendre que cela estoit porté
par l'information faite de sa chute — : réplique ne se souvenir
1. Aous disons : « du prétendu saut », parce que ce que l'évoque de
Beauvais qualifie de « saut », pour faire croire à une tentative de sui-
cide, ne fut qu'une tentative classique d'évasion au moyen de linges liés
ensemble et attachés à une fenêtre du donjon. Les linges se rompirent et
la captive tomba. Voir noive Histoire complète, ch. xxvu.
312 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
d'avoir onqucs renié Dieu ni ses saints, ni usé d"aucune malédic-
tion, soit là, soit ailleurs.
On lui demande si elle veut se rapporter de cela à l'information
qui a esté faite ou sera faite. Repart qu'elle s'en rapporte à Dieu
et non à autre, et à une bonne confession.
'De la Pucell^ et de ses saintes.]
Enquise si ses voix lui demandent délay pour lui respondre :
dit que sainte Catherine lui respond aucunes fois, et que d'autres
fois elles qui parle ne peut pas bien entendre [comprendre] sa res-
ponse , à cause du trouble que lui apporte la prison et du bruit que
font les geôliers qui la gardent. Et quand elle prie sainte Cathe-
rine, qu'alors elle et sainte .Alarguerite font prière à Dieu et par
après lui font response du commandement de Dieu.
Item, lui demandent si à l'arrivée de ces saintes elle veoit de la
lumière avec elles, et si, quand elle a entendu leurs voix au chas-
teau, ne sçachant si c'est en sa chambre, il y avoit lors de la
lumière. Repart qu'il ne se passe aucun jour quelles ne viennent à
elle au chasteau. et qu'elles ne l'abordent jamais sans lumière.
Quant à celle fois dont elle est interrogée, ne se souvient pas si
elle vit de la lumière, ni mesme si elle apperceut sainte Cathe-
rine.
Asseure avoir demandé trois choses à ses voix : la première,
qu'elle soit expédiée; l'autre que Dieu aydast les François et gar-
dast bien les villes qui leur obéissoient; la troisiesme, le salut de
son âme.
Semblablement, que si elle cstoit menée à Paris, elle puisse
avoir une copie de tous les interrogatoires des juges et des respon-
ses qu'elle a faites pour les donner à ceux de Paris, et qu'elle leur
puisse tout dire : ^'oilà comme j'ai esté interrogée à Rouen et les
responses que j'ai faites aux interrogatoires ; afin qu'on ne la Ira-
vaillast plus de tant de demandes qu'on lui faisoit.
Et d'autant que parlant à l'Evesque de Beauvais, lui avoit dit
qu'il se mettoit en grand danger de la tirer en cause, on l'interro-
gea ce qu'elle vouloit entendre par là et quel estoit ce danger, tant
pour le regard dudit Evesque que des autres qui l'assistoient. Con-
fesse avoir dit, parlant à l'Evesque : Vous dites que vous estes mon
juge: mais advisez bien que vous ne jugiez mal, parce que vous
vous mettriez en grand danger : et je vous advertis que si finale-
ment Dieu vous en cliastie, je fais mon debvoir de vous en adver-
tir.
S'enquièrcnt quel est ce danger. Respond que sainte Catherine
lui a dit qu'elle aura du secours : et ne sçait si ce sera qu'elle
doibve estre délivrée de prison, ou qu'estant en jugement il arri-
vera quelque trouble au moyen duquel elle puisse esti*e délivrée.
DE COMPIÈoXE A ROUEX. — LE PROCÈS 313
Et estime que c'est lune ou l'autre de ces deux. Et que ses voix
lui ont dit le plus souvent quelle sera délivrée par une grande vic-
toire, et qu'elles lui disent après: Prenez cela en gré; ne vous sou-
ciez point du martyre qu'il faut que vous soull'riez : finalement
vous viendrez en paradis. Et que ses voix lui ont dit cela simple-
ment et absolument, sans deffaut. Qu'elle appelle martyre la peine
et vexation qu'elle souffre en la prison : et ne sçait pas si elle doibt
endurer plus grande peine ; mais de cela qu'elle s'en rapporte à
Dieu.
Enquise, puisque ses voix lui ont dit que finalement elle sera
sauvée et ii"a en paradis, si elle se tient asseurée de son salut, et
qu'elle ne sera pas damnée en enfer. Asseure ci'oire fermement ce
que ses voix lui ont dit, sçavoir qu'elle sera sauvée ; et tient cela
pour tout aussi certain que si elle estoit desjà en paradis.
Interrogée si, après celte révélation, elle croit ne pouvoir pécher
mortellement : respond qu'elle n'en sçait rien et de tout cela s'en
rapporte à Uieu. Et comme on lui dit que cette response esloil de
grand poids, repartit aussi qu'elle la tenoit pour un grand trésor.
ADVERTISSEMENT
L'Evesque de Beauvais représente souvent à la Pucelle que
par désespoir elle a sauté de la tour duchasteaudcBeaurevoir,
et qu'elle a commis un grand péché mortel. A quoy elle
respond si à propos, qu'on ne peut rien désirer à sa déposi-
tion, laquelle fait cognoistre que cette fdle estoit régie de
l'Esprit de Dieu. Nous avons dit au premier livre que Jeanne,
en ce saut pouvoit eslre comparée au prophète qui fut occis
d'un lion pour n'avoir Ipointj obéi au commandement de
Dieu, ayant esté ^pourtant advei'ti] par un autre prophète
(livre 3 desRoys, chapitre 13;. Et qu'au cas pareil, elle pour
n'avoir obéi à ses voix, emportée par l'infirmité humaine,
avoit sauté et s'estoit grandement blessée. Cette blessure
faisoit une partie de sa pénitence, joincte à la confession
qu'elle avoit faite, demandant pardon à Dieu, ainsi que ses
voix lui avoient conseillé de faire.
Et faut ici eniploier ce que nous avons noté ailleurs : que
Dieu n'a point exempté les prophètes et apostres des infir-
mitéz auxquelles la nature humaine est subjecte par sa cor-
ruption propre, et qu'il suffit de montrer que la Pucelle
n'est ni hérétique, ni sorcière, ni prévenue d'aucuns crimes
314 E. RIGHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
desquels ses ennemis l'ont -voulu flestrir : seulement que par
infirmité humaine, par la fragilité de son sexe, de son âge,
la dureté et tourmens de sa prison, les opprobres et conviées
de ses ennemis, la perplexité des malins interrogatoires
qu'on lui faisoit pour la surprendre, qu'elle craignoit autant
et plus que l'inhumanité de sa prison, l'inexpérience de sa
langue, veu mesme qu'elle n'avoit aucun sens acquis et qu'elle
estoit en minorité, destituée de conseil, elle a pu humaine-
ment pécher non par malice, comme quand elle fit ce péril-
leux saut, mais que Dieu l'a préservée et retirée incontinent
à soy, ainsi qu'il est arrivé à plusieurs saints personnages.
Ses ennemis lui ont voulu imputer qu'après avoir sauté et
s'être blessée, elle avoit blasphémé, voire renié le nom de
Dieu, et lui ont allégué des informations faites sur cela.
Mais elle nie telle chose lui estre jamais arrivée, et confesse
en la douziesme séance, interrogée derechef sur ces blasphè-
mes, avoir quelquefois accoustumé de dire Bon gré Dieu.
Bon gré la Vierge Marie, et que ceux qui ont entendu ces
paroles les ont interprétées et détorquées à blasphème, [ce]
qui toutes fois ne l'est pas; et ores que cela east esté, il se
faut souvenir que saint Pierre, n'estant en pareil travail ni
péril que la Pucelle, renia notre sauveur Jésus-Chrirt.
Au demeurant, considérons ce qu'elle demande à Dieu, et
comme sa requeste est bien ordonnée selon les règles de
théologie.
Premièrement, qu'il plaise à Nostre-Seigneur de lui aider
et qu'elle soit expédiée. La seconde regarde les exploits de sa
mission et le salut du prochain, sçavoir que Dieu assiste les
François de son secours spécial et conserve les villes de leur
obéissance ; ce qui appartient à la charité qu'elle porte au
public. La troisiesme est pour le salut de son ame. Oraison
d'ailleurs bien tissue et [qui] ne peut provenir d'ailleurs que
d'un esprit illuminé de Dieu. Quant au quatriesme point, si
elle est menée à Paris pour estre encore interrogée, qu'elle
puisse avoir une copie des interrogatoires qu'on lui a faits
à Rouen, etc. C'est un témoignage combien elle se sentoit
grevée par tant d'iniques et malicieux interrogatoires, veu
DE COMPIEGNE A ROUEN. — LE PROCES 315
sa rudesse, ignorance et simplicité naturelle. 3Iais au lieu
desdits interrogatoires et réponses de la Pucelle, l'Evesque
de Beauvais a envoie à Paris de faux faits rédigez en douze
articles, sur lesquels l'Université de Paris a donné sa censure
contre cette fille, chose que l'on doibt souvent représenter au
lecteur.
Quant à ce qu'elle remonstre à l'Evesque de Beauvais, au
cas qu'il juge mal, que finalement Dieu le punira, on a remar-
qué que dix ans environ après que ce prélat eust fait mou-
rir cette fille, il tomba mort subitement ainsi qu'on lui faisait
la barbe. Et pour lors estoit évesque de Lisieux que le Roy
d'Angleterre lui avoit fait avoir : d'autant qu'il ne pouvoit
plus jouir de l'esvesché de Beauvais, parce que cette ville
estoit en la puissance du Roy deFrance.
C'est chose bien à considérer que la Pucelle, sur la fin de
cette séance, expose que ses voix lui ayant souventes fois dit
qu'elle seroit délivrée de prison par une grande victoire,
qu'elle prenne tout en gré sans se soucier du martyre qu'elle
doibt endurer, que finalement elle ira en paradis, asseure
cela lui avoir esté dit simplement et absolument, sans
dcfïaut. Et appelle martyre la peine et vexation de sa prison.
Et dit ne sçavoir pas si elle doibt endurer une plus grande
peine, mais qu'elles'en rapporte à Dieu. En la quatorziesme
séance, dépose que s'il faut qu'elle soit menée jusques au
jugement, c'est-à-dire jusques au supplice, prie messieurs
d'Eglise lui faire cette grâce d'avoir une chemise de femme
et un couvrechef sur sa teste ; et qu'elle ayme mieux mourir
que de révoquer ce que Dieu lui a fait faire. Et leneufviesme
may 1431, ayant demandé à ses voix si elle seroit bruslée,
lui respondent qu'elle se doibt résigner totalement à la
volonté de Dieu, et qu'il lui aydera. Desquelles dépositions il
est aisé de coUiger que Dieu lui avoit voulu celer le cruel
supplice qu'elle debvoit endurer. Car autrement elle eut
tousjours esté en perpétuelle transe et inquiétude.
Semblablement, le prophète Hiérémie eut révélation,
chapitre premier de sa prophétie, que tous les Roys de Juda,
tous les princes, tous les prestres et tout le peuple universel-
316 E. RICHER. LA PUCELLE d'oRLÉANS
lement ne pourroit prévaloir contre lui. Et Dieu lui cela les
tourmens et la mort cruelle qu'il avoit à souffrir de la part
des Roys, princes, prestres et du peuple. Comment donc et
en quel sens cette prophétie de Hiérémie peut-elle subsister
pour en rendre l'effect certain et véritable ? N'est-ce pas spi-
rituellement, à sçavoir que tous les efforts des hommes du
monde s'évanouiroient en fumée contre ce que Hiérémie
avoit prophétiquement énoncé, que Dieu lui donneroit la
force et le courage de maintenir glorieusement envers tous
et contre tous, jusques à la mort qui le rendroit victorieux et
triomphant de tous ses ennemis spirituellement quant à son
ame i Vraye image de ce qui est arrivé à notre Pucelle,
asseurant qu'elle seroit délivrée par une grande victoire.
C'est-à-dire que tout ce que faisoientet feroient les Anglois
ne pourroient empescher l'effect de ses énonciations prophé-
tiques, ainsi que l'événement l'a monstre.
Bien est vray que cette fille, par infirmité humaine, s'est
trompée au commencement de cette victoire et de sa déli-
vrance, se persuadant qu'elle seroit mise en pleine liberté et
et sortiroit des prisons. De quoy il ne se faut esbahir, veu
que naturellement chacun fuit la mort et désire vivre, ainsi
mesme que Jésus-Christ l'a monstre.
Ce n'est pas toutes fois que la Pucelle n'aye eu des pressen-
timents qu'elle ne seroit pas délivrée des mains des Anglois,
comme il est aisé de [le] recueillir des choses sus alléguées,
quand elle dit ne sçavoir point si elle doibt endurer une plus
grande peine, qu'elle s'en rapporte a Dieu et prie les gens
d'Eglise de lui faire donner une chemise de femme et un cou-
vrechef, au cas qu'elle soit menée en jugement, etc. A la
vérité, tous les témoins qui ont déposé l'avoir veue et assistée
jusques au dernier soupir de sa vie, asseurent qu'elle mou-
rut avec constance, invoquant Dieu et tous les saints, et
particulièrement saint Michel, sainte Catherine et sainte
Marguerite, et avoir maintenu qu'elles ne l'avoient trompée
ni déceue, au contraire de ce que lEvesque deBeauvais avoit
voulu faussement lui persuader.
DE COMPIEGXE A ROUEN. — LE PROCES 317
SÉANCE XII
^Sixième interrogatoire dans la prison"
Le mercredi, quatorziesme mars 1430, après midi, la Pucelle est
derechef interrogée. Et dit premièrement que pour le dernier
article concernant lasseurance qu'elle a de son salut, duquel on
l'avoit interrogée au matin, qu'elle entendoit cela moyennant
qu'elle gardast bien son serment et la promesse quelle avoit faite
à Dieu de conserver sa virginité tant du corps que de l'ame.
On lui demande s'il est nécessaire quelle se confesse, ayant
révélation de ses voix qu'elle sera sauvée. Respond ne sravoir si
elle a péché mortellement, et estime, si elle estoit en péché mor-
tel, que saintes Catherine et Marguerite l'abandonneroient incon-
tinent. Et davantage, pour satisfaire à cet interrogatoire de la
confession, dit qu'on ne sçauroit trop nettoyer sa conscience. S'en-
quièrent, depuis quelle est en celte prison, si elle a renié ou mau-
gréé Dieu. Respond que non et que quelquefois, quand elle dit en
françois Bon gré Dieu, ou Saint Jean, ou Sostre Dame, que ceux
qui ont rapporté ces paroles ont mal entendu.
[Circonstances dans lesquelles, d'après ses juges, la Pucelle aurait
péché mortellement. Ses réponses. ,
Enquise si c'est péché mortel prendre un homme à rançon et le
faire mourir prisonnier : respond n'avoir point commis cela. Et
pour ce qu'on lui faisoit mention de Franquet d'Arras qu'on préten-
doit qu'elle eust fait mourir à Lagny. remonstre n'avoir jamais
consenti qu'on le fist mourir sinon qu'il eust mérité la mort. Au
reste qu'il avoit confessé avoir commis des meurtres, vols. larcins
et trahisons ; que son procez avoit duré quinze jours et que le bailly
de Senlis et les gens de justice de Lagny qui lui avoient fait son
procez, avoient dit à elle (jui parle qu'elle feroit une grande injure
à la justice si elle délivroit ce Franquet d'Arras, lequel elle désiroit
avoir pour retirer un de ses gens qui estoit le mai.stre de Ihoslelk-
rie de l'Ours de Paris, détenu prisonnier. Mais ayant sceu que son
homme estoit mort, et attendu ce que le hailly de Senlis avoit dit,
que finalement elle respondit qu'ils fissent dudit Franquet ce qu'ils
debvoient faire selon la justice, puisque mesme son homme estoit
mort.
On lui demande si elle avoit donné ou fait donner de l'argent à
celui qui avoit pris Franquet d'Arras. Repart qu'elle n'estoitargen-
tière ni trésorière de France pour donner ainsi de l'argent.
On lui remit en mémoire qu'elle avoit fait donner un assaut à
Paris un jour de feste : outre qu'elle avoit eu le cheval deFEvesque
318 E. RICHER. LA PUCELLE D ORLÉANS
de Senlis, qu'elle s'esloit précipitée de la tour du cliasteau de Beau-
revoir, quelle portoit un habillement dhomme, qu'elle avoit con-
senti à la mort de Franquet d'Arras, et demande-t-on si en ces
choses elle crojoit n'avoir péché mortellement.
Quant au premier article de l'assaut de Paris, respond qu'elle
ne pense [pas] avoir pour cela péché mortellement ; que si elle a
péché mortellement, c'est à Dieu, à son confesseur qu'elle en doibt
rendre compte.
Pour le cheval de l'Evesque de Senlis, tient fermement qu'il n'y
a aucun péché devant Dieu, joinct que ce cheval fut estimé la
somme de deux cens saluts d'or, et que l'Evesque eut assignation
pour recevoir cette somme ; et qu'elle qui parle renvoia ce cheval
au sieur de la Trémouille pour le rendre à l'Evesque de Senlis ; que
ce cheval ne lui pouvoit aucunement servir, et que ce n'est point
elle qui a pris le cheval au dit Evesque! D'ailleurs, sçachant que
l'Evesque de Senlis estoit mal content de ce qu'on lui avoit pris
son cheval, ne le voulut retenir, veu mesme qu'il n'estoit [pas]
propre pour la fatigue de la guerre. Pour conclusion, dit qu'elle ne
sçaitpassi l'Evesque de Senlis a esté prié de l'assignation qu'on
lui avoit donnée et si on lui a rendu son cheval ; pense bien que
non.
Quant au troisiesme [point], de ce qu'elle avoit sauté de la tour
de Beaurevoir, maintient que ça n'a [point] esté par désespoir,
mais qu'elle espéroit de se sauver pour aller au secours de plusieurs
gens de bien qui estoient en nécessité ; qu'elle se confessa d'avoir
sauté et en demanda pardon à Dieu qui [le] lui octroya. Et estime
que ce n'estoit pas bas bien fait, mais mal fait d'avoir sauté,
qu'elle scait en avoir obtenu pardon, et que sainte Catherine [le]
lui a révélé depuis sa confession, s'estant confessée par son con-
seil.
Interrogée si elle avoit fait grande pénitence d'avoir ainsi sauté :
repart qu'elle a porté une grande partie de la pénitence du mal
qu'elle s'estoit fait en tombant. Enquise si ce mal qu'elle pense
avoir fait en sautant estoit péché mortel : réplique qu'elle n'en
sçait rien et s'en rapporte à Dieu.
Pour le quatriesme point touchant l'habit viril, maintient que
l'ayant pris par commandement de Dieu et pour son service, elle
ne pense point mal faire, et quand il plaira à Dieu le lui comman-
der, qu'elle le quittera.
ADVERTISSEMENT
En la précédente session la Pucelle a déposé que ses voix
lui avoient révélé qu'elle iroit finalement en paradis, etqu'elle
croyoit fermement cela, comme si elle y estoit déjà. On
DE COMPIEGXE A ROUEX. — LE PROCÈS 319
l'interroge continuement si, après une telle révélation, elle
croit ne pouvoir pécher mortellement. Respond qu'elle non
sçait rien et qu'elle s'en rapporte à Dieu. Et comme on lui
remontra que cela estoit de grande conséquence, repartit
qu'elle le tenoit aussi pour un grand trésor (séance onziesme,
sur la fin). Et puis en la douziesme, tout au commencement,
elle explique avoir dit cela pourvu qu'elle observast bien son
serment et la promesse qu'elle avoit faite à Dieu de bien
garder sa virginité tant corporelle que spirituelle, c'est-à-
dire moyennant qu'elle ne péchas't [pas] mortellement. Car
« celui qui demeure en charité demeure en Dieu », dit
saint Jean.
En suite de tout cela, ils lui demandent s'il est nécessaire
qu'elle se confesse, ayant eu révélation qu'elle sera sauvée.
Réplique ne sçavoir si elle a péché mortellement, et qu'elle
estime si elle estoit en péché mortel, que ses voix ne la visi-
teroient plus ; et davantage, qu'on ne sçauroit trop nettoyer
sa conscience. Sur quoy ils font induction de tous les péchés
mortels qu'ils pensent qu'elle aye commis : sçavoir, qu'elle a
renié Dieu en la prison; qu'elle a pris Franquet d'Arras à ran-
çon et peu après l'a fait mourir ; qu'elle a sauté du haut de
la tour de Beaurevoir; qu'edle a pris le cheval de l'Evesque
de Sentis. A toutes les quelles objections elle respond si à
propos, que ses interrogateurs n'ont autre chose que [à] re-
prendre, sinon lui imputer, qu'elle a maintenu n'avoir jamais
péché mortellement ; article trente-six du Promoteur et aux
articles envoies à l'Université de Paris : qu'elle a déposé sça-
voir que la faute qu'elle avoit faite lui avoit esté pardonnée
de Dieu et qu'elle iroit en paradis.
Quant au premier point, elle n'a onques dit n'avoir jamais
péché mortellement, mais seulement ne sçavoir si elle avoit
péché mortellement. Voyez les troisiesme et douziesme
séance oîi elle asseure qu'elle seroit extrêmement dolente
d'estre en péché mortel. Et voyant qu'ils faisaient induction
des péchés mortels qu'ils pensaient qu'elle eust commis, res-
pond que c'est à Dieu et à son confesseur qu'elle en rendra
compte. Pour les autres points, tout cela se résout par ce que
nous avons observé en la quatriesme séance des personnes
320 E. RICHER. — LA PUCELLE d'oRLÉANS
exemptées par privilège de la loy commune. Touchant ces
termes Bo7î gré Dieu, saint Jean ou Notre-Dame, ils ne
signifient autre chose, selon le parler de cette bergère, que
Plaise à Dieu, à saint-Jean, à Notre-Dame, Et ne se faut
esbahir que ses ennemis ayent détorqué cela à blasphème,
veu qu'ils désiroient passionnément sa mort.
SÉANCE XIII
[Septième interrogatoire dans la prison]
[De la soumission de la Pucelle à la détermination de 1 Eglise].
Le jeudi, quinziesme mars 1430 au malin, la Pucelle est admo-
nestée charitablement et requise que s'il arrive qu'elle aje fait
ou commis quelque chose contre la foy, elle s'en veuille rapporter
à la détermination et ordonnance de nostre mère sainte Eglise à
laquelle elle est tenue se soumettre. A quoi elle repart que toutes
ses responses soient veues et examinées par les ecclésiastiques, et
au cas qu'on lui monstre qu'elles contiennent quelque chose contre
la foy chrétienne, elle sçaura bien dire ce qui en sera, et par
après déclarera ce que son conseil lui aura révélé. Toutes fois, s'il
y a quelque chose de mal contre la foy chrestienne que Dieu com-
mande, qu'elle ne levoudroit sousteniret seroit bien marrie d'aller
au contraire.
On lui expose la distinction de l'Eglise triomphante et militante
et [ce] que c'estoit de l'une et de l'autre : et fut requise de se sou-
mettre présentement à la détermination de l'Eglise de tout ce
qu'elle a fait et dit, soit bon ou mauvais. Répliqua qu'elle ne leur
répondra pour le présent autre chose.
[De la tentative d'évasion de Beaulieu].
Plus, requièrent qu'elle jurast dire vérité comment elle pensoit
évader du chasteau de Beaulieu entre deux pièces de bois. Respon-
dit n'avoir jamais esté prisonnière en aucun lieu qu'elle n'en eust
volontiers sorti : et que si le portier du chasteau ne l'eust apper-
ceue et empeschée de se sauver, elle eust renfermé ceux qui la gar-
doient dans la tour où elle estoit prisonnière; mais qu'il ne plai-
soit pas à Dieu qu'elle evadast alors et qu'il falloit qu'elle vist le
Roy d'Angleterre, ainsi que ses voix lui avoient révélé et a esté
escrit ci-dessus.
Enquise si elle avoit permission de Dieu ou de ses voix de s'en
aller toutes et quantes fois qu'elle vouloit : réplique l'avoir plu-
sieurs fois demandé, mais ne l'avoir encore pu obtenir.
DE COMPIEGNE A ROUEN. — LE PROCÈS 321
Interrogée si elle voyoit sa commodité pour s'en aller, si elle s"en
iroit : respond que si la porte estoit ouverte, elle s'en iroitsi Dieu
lui commandoit. Et croit fermement que si elle vovoit la porte
ouverte et que les Anglois et autres ne pussent résister, elle esti-
meroit que Dieu lui donneroit permission de sortir et qu"il lui en-
voieroit du secours ; mais que sans la permission de Dieu, elle ne
s'en iroit pas, sinon quelle fist une entreprise pour cognoistre s'il
plairoit à Dieu qu'elle se sauvast, alléguant un proverbe François :
Ayde-toi, Dieu t'aydera. Et dit cela, afin que s'il arrivoit qu'elle
s'en allast, on ne die pas qu'elle s'en soit allée sans la permission
de Dieu.
[De laudition de la messe].
On lui demande, puisqu'elle a désiré d'ouyr la messe, s'il lui
sembloit plus honneste de porter un habillement de femme, que
de ne la pas ouyr, retenant l'habillement d'homme. Hespond qu'on
lui donne asseurance quelle entendra la messe en prenant l'habit
de femme, et qu'aloi's elle respondra à cet interrogatoire.
Et celui qui l'interrogeoit l'ayant asseurée qu'elle enten droit la
messe, prenant un habillement de femme, répliqua: Que direz-vous
si j'ai juré à nostre Uoy de ne pas quitter cet habit que je porte?
Toutes fois, je demande que vous me fassiez faire une longue robe
qui aillejusques à terre sans queue et me la donner pour aller à la
messe, et en estant retournée je reprendrois l'habit que je porte.
Derechef, on lui demande si elle prendroit un habit de femme
poiu" aller à la messe. Dépose qu'elle prendra conseil sur cela et
qu'elle leur fera response. Et les requiert en l'honneur de Dieu et
de la bienheureuse Vierge Marie qu'elle puisse ouyr la messe en
cette bonne ville.
Ceux qui linterrogeoient lui répliquent qu'elle prenne donc sim-
plement et absolument l'habit de femme, sans condition ni excep-
tion quelconque. Réplique qu'on lui donne un habit tel que [celui
d ] une fille d'un bourgeois, sçavoir une houppelande longue, et
qu'elle le prendra pour aller ouyr la messe. Davantage, les pria
instamment de lui permettre d'ouyr la messe en l'habit quelle
avoit sans le changer.
On s'enquiert si de tout ce qu'elle dit et fait elle se veut sous-
meltre et rapporterai la détermination et ordonnance de l'Eglise.
Respond que tousses faits et dits sont en la main de Dieu et qu'elle
s'en rapporte à lui. Et les asseure qu'elle ne voudroit rien dire ni
faire contre la foy chrétienne, et que si elle avoit dit ou fait quel-
que chose qui y fust contraire, ou qui fust sur son corps, et que les
ecclésiastiques lui pussent dire estre contre la foy chrestienne que
nostre seigneur a establie, qu'elle ne le voudroit soustenir, mais le
rejeteroit.
Enquise si elle se vouloit sousmettre à l'ordonnance de l'Eglise
322 E. RICHER. LA PUCELLE D ORLEANS
touchant ces choses : respond qu'elle ne leur dira pour le présent
autre chose; et qu"on lui envoie samedi un ecclésiastique au cas
qu'ils ne s'assemblent, qu'elle leur respondra moyennant la grâce
de Dieu, et qu'on fera registre de ce qu'elle aura déposé,
[Des rapports de Jeanne avec ses voix].
Interrogée si elle l'ait absolument la révérence à ses voix, quand
elles viennent à elle, tout ainsi qu'à un saint ou à une sainte. Dit
que oui, et que quand elle ne l'a pas faite, elle leur en demande
pardon ; et ne leur sçauroit faire assez d'honneur, ni tel qui leurest
du, croyant fermemement que ce sont saintes Catherine et Mar-
guerite '.
Et parce qu'on fait ordinairement des oblations de chandelles
ardentes aux saints du paradis, on lui demande si elle leur en a
offert, ou quelques autres choses, estant t\ l'Eglise ou ailleurs, et si
elle a fait dire des messes. Respond que non, si ce n'a esté
à l'offrande de la messe en la main du prestre, en l'honneur de
sainte Catherine. Et croit que c'est vme de celles qui lui apparois-
sent. Et ne leur allume pas tant de chandelles comme elle feroit
volontiers k saintes Catherine et Marguerite qui sont en paradis :
lesquelles toutes fois elle tient estre celles mesmes qui viennent à
elle.
Demandent si, quand elle présente des chandelles devant l'image
de sainte Catherine, elle les met en l'honneur de celle qui lui
apparoisl. Réplique qu'elle fait cela en l'honneur de Dieu, de la
vierge Marie, et de sainte Catherine qui est au ciel et de celle qui
lui apparoist.
Interrogée si elle présente ces chandelles en l'honneur de sainte
Catherine qui se présente à elle, ou de celle qui est au ciel ; repart
quelle ne met aucune différence entre celle qui lui apparoist et
celle qui est au ciel.
S'enquièrcnt si elle fait toujours et accomplit ce que ses voix
lui commandent. Respond que de tout son pouvoir elle accomplit
le commandement de Dieu fait par ses voix, autant qu'elle le
peut comprendre, et que ses voix ne lui commandent rien que
sans le bon plaisir de Dieu.
Enquise si, faisant la guerre, elle a fait quelque chose sans le
conseil de ses voix : réplique qu'elle leur a fait response là dessus,
et s'ils lisent bien leur livre, qu'ils le trouveront. Dit néanlmoins
qu'à la requeste des gens de guerre il fut fait une vaillantise
d'armes devant Paris, et devant la ville de La Charité à la requeste
de son Roy, et que cela ne fut fait ni par ni contre le commande-
ment de ses voix.
1. Dans J. Quicherat : « ... ot similiter di.xif, quoad hoc, de sancto
Michaele. » Op. cit., p. 167.
DE COMPIÈGXE A ROUEN. — hk PROCÈS 323
On lui demande si elle navoit onqiies rien fait contre la
volonté et commandement de ses voix. Respond que tout ce qu'elle
a pu et seu faire, elle la accompli de tout son pouvoir. Quant à ce
quelle avoit sauté de la tour de Beaurevoir, c'estoit contre leur
commandement; mais qu'elle n'avoit jamais pu s'en abstenir, et
que ses voix, veu qu'elle ne pouvoit se commander en cela,
l'avoient secourue et préservée qu'elle ne se tuast. Adjousta que
tout ce qu'elle avoit fait en ses grandes entreprises, ses voix
l'avoient tousjours assistée, et que cela est un signe que ce sont
des esprits envoies de Dieu.
Enquise si elle a quelque autre signe que ces voix sont de bons
esprits : respond que saint Michel lui avoit certifié cela aupara-
vant que ses voix viennent à elle.
[Des apparitions de saint Michel en particulier .
Interrogée comme elle avoit cognu que c'estoit saint Michel :
repart que c'estoit par sa parole et par l'idiome des anges, et
qu'elle croit fermement que c'estoit des anges.
Enquise comment elle a pu cognoistre que c'estoient des anges :
repart qu'elle a cru cela bien tost et eut la volonté de le croire.
Adjouste que saint Michel, estant venu à elle, lui dit que saintes
Catherine et iMarguerite viendroient à elle et qu'elle se gouvernast
par leur conseil, qu'elles estoient ordonnées pour la diriger, con-
duire et lui donner advis en tout ce qu'elle auroit à faire, et qu'elle
les crust de ce qu'elles lui diroient, que tout cela se faisoit par le
commandement de Dieu.
On lui demanda si le diable se transformoit en ange de lumière,
comment elle pourroit cognoistre que ce seroit un bon ou mauvais
ange. Répliqua qu'elle cognoistroit bien si ce seroit saint Michel
ou quelque chose feinte sur sa ressemblance. Et que la première
fois qu'elle vit saint Michel, elle eut un grand doubte si c'estoit
saint Michel ou non qui venoit à elle ; et que cette première fois
elle eut une grande crainte, et qu'elle le vit plusieurs fois aupara-
vant que de croii'e que c'estoit saint Michel.
Enquise pourquoj elle a plus tost cru que c'estoit saint Michel
une fois que l'autre : respond que la pi'emière fois elle estoit jeune
et eut une grande crainte, et que, par après saint Michel l'a telle-
ment enseignée et instruite, qu'elle a cru fermement que c'estoit lui.
Interrogée quelle doctrine il lui avoit montrée : reprit que sur-
tout lui recommandoit qu'elle fust bonne fille, et que Dieu luy
aideroit : et entre autres choses lui dit qu'elle allast au secours du
Roy de France ; et que la plus grande pai'tie de ce que saint
Michel lui a dit est escrit au livre auquel on a registi-é ce procez^ :
1. C'est-à-dire au procès-verbal de l'e.'îainen de Poitiers.
324 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLÉANS
et lui racontoit les misères et calamitez du royaume de France.
On s'enquiert de quelle grandeur et de quelle stature estoit cet
ange. Dit que samedi prochain elle leur respondra sur cela, et d'une
autre chose de laquelle elle a promis de respondre de ce qu'il
plaira à Dieu.
Enquise si elle croit que ce soit un grand péché d'offenser sainte
Catherine et sainte Marguerite qui lui apparoissent, et faire
quelque chose contre leur commandement : asseure que oui, et que
ce en quoy elle les a jamais plus offensées est quand elle sauta de
la tour du chasteau de Beaurevoir : de quoy elle leur demanda
pardon, et pareillement de tout ce [en quoy] elle les pouvoit avoir
offensées.
Interrogée si saintes Catherine et Marguerite prendroient une
vengeance corporelle pour cette offense-là : réplique n'en sçavoir
rien et qu'elle ne [le] leur a pas demandé.
L'interrogent pour quelle occasion elle a ci-devant déposé qu'on
pendoit quelques fois [les] hommes pour dire la vérité, et si elle
sçait quelque chose pour quoy elle pourroit ou debvroit mourir au
cas qu'elle le confessast. Uespond que non.
ADYERTISSEMEiNT
Tout ce qui est de plus notable en cette séance et en la
prochaine sont plusieurs interrogatoires faits à la Pucelle
[sur ce point] : si elle ne veut pas soumettre à l'Eglise tous
ses faits et dits. Et pour ce qu'elle maintenoit estre envolée
de Dieu, on lui donne à entendre qu'il y a une Eglise mili-
tante composée de Nostre saint père le Pape, de MM. les
Cardinaux, archevesques, évesques régis du Saint-Esprit et
[qui] ne peut errer, etc. ; et une Eglise triomphante composée
seulement des bienheureux. Dieu, ses saints, etc. Or, la
Pucelle ne pouvant pénétrer en des controverses si ardues et
équivoques, et voyant bien que tout cela tendoit à la sur-
prendre, n'ayant personne pour lui donner conseil ni qui
l'osast entreprendre — tesmoin ce que nous avons dit de
M'= Isambert de la Roche — elle respond qu'il lui semble que
c'est toute mesme chose de l'Eglise militante et triomphante,
qu'elle seroit bien marrie de dire ou faire aucune chose
contre la foy chrestienne que nostre Seigneur a establie et
d'aller au contraire, qu'elle est bonne chrestienne, etc. Car
c'est sur quoy elle debvoit estre principalement interrogée,
DE COMPIÈGXE A UOUEX. — LE PROCES 325
à sçavoir de sa créance, des articles de la foy, commande-
mens de Dieu, sacrement de pénitence et communion de la
sainte Eucharistie, selon sa portée et capacité, examinant
ses révélations par la bonne ou mauvaise vie qu'elle tenoit,
sans user d'aucunes corrélations ni interrogatoires captieux:
joinct, comme nous avons dit au premier livre, que les révé-
lations consistent en une question de fait cognu à Dieu seul
et à celui à qui il lui plaist de la manifester, ainsi mesme que
l'histoire de l'asnesse de Balaam nous le certifie.
Et ne faut passer sous silence une insigne meschanceté et
trahison de l'Evesque de Beauvais qui se dit juge de la
Pucelle et ailleurs lui fait entendre qu'il est prest de lui
donner charitablement conseil. C'est que toutes et quantes
fois qu'il lui a parlé de se soumettre à l'Eglise militante, il
envoioit tousjours clandestinement en la prison M*" Nicolas
Loiseleurun de ses conseillers et assesseurs, qui faisoit sem-
blant d'estre pi-isonnier et du parti françois et se disoit pres-
tre, comme il l'estoit de vray, et donnoit à entendre à cette
pauvre innocente qu'elle se gardast bien de se soumettre à
l'Eglise, que si elle s'y sousmettoit, elle seroit condamnée à
mort. Mesme il entendoit la Pucelle de confession. Et quand
elle fut menée au supplice, se présenfa pour lui demander
pardon de ce qu'il l'avoit trahie, ainsi que plusieurs tesmoins
ont déposé. De vérité, qui voudra et pourra prendre la peine
délire ce procez embarrassé, cognoistra facilement quel'Eves-
que de Beauvais a proposé malicieusement cet interrogatoire
pour restreindre le titre d'Eglise militante aux seuls prélats
et clergé du parti anglois : ce qui se vérifie par les actes. Car
la Pucelle, dès la première citation qui lui fut faite, ayant
demandé qu'on appelast aussi bien des ecclésiastiques du
parti de son Roy comme du parti anglois, on ne lui fit aucune
raison sur cette juste demande. Etmaistre Jean Lohier, audi-
teur de Rote, ayant parlé pour la Pucelle et pour le Roy de
France, fut contraint de vuider le païs. Davantage : la Pucelle
ayant plusieurs fois requis qu'on la menast au Pape, l'Eves-
que respondit que c'estoit chose impossible : ce qui fait
notablement veoir que, sous les termes d'Eglise militante, il
vouloit comprendre les seuls prélats du parti anglois, car
326 E. RIGHER. LA PUCELLE D ORLÉANS
autrement la Pucelle lui e'chappoit et [il] ne la pouvoit con-
damner. De vérité, leprocez qu'il a fait à cette fille, tel mesme
qu'il nous l'a laissé, est sa propre condamnation devant Dieu
et les hommes. Par toute disposition de droit divin et
humain, les ennemis capitaux sont récusez pour juges. Une
pauvre bergère, destituée de conseil, ignorant les termes
dont on use en justice pour se deffèndre et appeler au saint
Siège Apostolique de l'inique sentence de ses ennemis, est
livrée entre les mains du bourreau par l'Evesque de Beau-
vais pour ne s'estre voulu soumettre à l'Eglise d'Angleterre,
laquelle on a proposée à cette innocente sous le terme cap-
tieux et équivoque d'Eglise militante ^
SÉANCE XIV
[Huitième interrogatoire dans la prison]
Le samedi, dix-septiesme mars 1430, la Pucelle est requise
de faire serment qu'elle dira la vérité : ce qu'elle promit. Et
M* Jean de la Fontaine continue tousjours à l'interroger :
outre les autres qui se jetoient quelquefois à la traverse et
deux ou trois à la fois*lui faisoient des questions, ainsi que
nous avons observé ailleurs.
Donc on s'enquit premièrement en quelle forme, grandeur,
espèce et habit saint Michel vient à elle. Confesse que c'est en la
forme d'un vray prud'homme, et pour le regard de l'habit et des
autres choses, n'en parlera point. Quant aux anges, dit les avoir
veu de ses yeux et qu'elle ne dira rien davantage de cela. Adjouste
croire aussi fermement les dits et faits de saint .Alichel qui lui
apparoist, comme elle croit que Notre-Seigneur Jésus-Christ a
souffert mort et passion pour nous; et que ce qui l'induit à croire
1. Observation d'E. Riclier : « J'oubliois d'advertir le lecteur que la
Pucelle interrogée comment elle avoit cognu saint Michel respondit .
Par la parole et idiome des anges; qui est sa propre déposition, alîn
qu'on ne pense pas que ce terme idiome des anges vienne (i'aiheurs. »
Si Richer avoit eu connaissance du manuscrit de d'Orfé qui reproduit
une partie des réponses textuelles de Jeanne, il n'eût pas écrit cette
observation, car la jeune lille parle non de Yidiome, mais du langage
des anges. Au t. I de J. Quicherat, p, 170. on verra qu'elle répondit :
« Parle parler et le langage des anges. »
DE
COMPIÈGXE
cel;
1, est le bon
conseil,
lai
quil lui donne.
A ROUEN. LE PROCÈS 327
bonne consolation et bonne inslniclion
[De la soumission à la détermination de lÊglise].
Enquise si elle se veut rapporter à la détermination de l'Eglise
de tous ses faits, soit bons ou mauvais : respond quant à l'Eglise,
qu elle l'ayme grandement et la voudroit soutenir de tout son pou-
voir pour la fo}^ chrestienne. Et n'est pas telle qu'on la doibve
«mpescher d'aller à l'Eglise et d'oujr la messe. Mais quant aux
bonnes œuvres qu'elle a faites et pour ce qui est de sa venue, il
faut qu'elle s'en rapporte au Roy du ciel qui l'a envolée à Charles
fils de Charles Rov de France. Et vous verrez bientost les François
gagner un grand affaire lequel Dieu leur envoiei'a, et que tout le
royaume de France branlera. Et qu'elle [le] leur dit, afin qu'ils
en ayent souvenance, quand cela arrivera. Requise de dire le
temps auquel cela adviendra, réplique qu'elle s'en rapporte à
Dieu.
Lui demandent derechef si elle s'en remet à la détermination de
l'Eglise touchant ses faits et dits. Réplique qu'elle s'en rapporte à
Dieu qui l'a envolée et à la bienheureuse Vierge Marie, et à tous
les saints et saintes du paradis. Uu'il lui semble que c'est toute
une mesme chose de Dieu et de l'Eglise, et qu'on ne dolbt faire
difficulté de cela; et leur demande pour quoy ils en font difficulté.
Alors on lui remonstra qu'il y avoit une Eglise triomphante où
est Dieu, les anges et les âmes des bienheureux, et une Eglise mili-
tante en laquelle est le Pape, vicaire de Dieu en terre, les cardi-
naux, prélats de l'Eglise, et le clergé, et tous les bons chrestiens et
catholiques ; que cette Eglise bien congregée [réunie] et assemblée
ne peut errer, parce qu'elle est régie du Saint-Esprit.
Interrogée si elle se veut rapporter à l'h^glise militante qui est
en terre, ainsi qu'on lui a déclaré : repart estre envolée au Roy de
France de la part de Dieu, de la bienheureuse Vierge, et de tous
les saints et saintes du paradis, et de l'Eglise victorieuse du ciel
et par leur commandement, et qu'elle se soumettra à cette Eglise.
Et dit que pour se sousmettre à l'Eglise militante, elle ne leur res-
pondra autre chose pour le présent.
[De la reprise de l'habit de femme].
Enquise ce qu'elle veut dire de cet habit de femme qu'on lui
offre, afin qu'elle puisse aller à la messe ; repart qu'elle ne le pren-
dra point encore jusques à ce qu'il plaira à Dieu. Que s'il est ainsi
qu'il faille qu'elle soit menée jusques au jugement, elle se rappor-
tera à messieurs les gens d'Eglise [pour] qu'ils lui fassent cette
grâce d'avoir une chemise de femme et un couvrechef en sa teste
et qu'elle ayme mieux mourir que de révoquer ce que Dieu lui a
328 E. RICHER. — LA PUCELLE d'oRLKANS
fait faire; et ci'oit fermement que Dieu ne permettra pas qu'elle
soit mise si bas, qu'elle n'aye bien tost secours par quelque miracle.
On lui demande, veu qu'elle asseure porter l'habit viril par com-
mandement de Dieu, poui'quoj elle demande une chemise de femme
à l'article de la mort. Respond qu'il lui suffit que cette chemise
soit bien longue.
Interrogée si sa marraine qui a veu mesdames les fées est tenue
pour une bonne et prude femme : maintient que oui et n'est répu-
tée devineresse ni sorcière.
Et attendu qu'elle avoit déposé que, si on lui permettoit de s'en
aller, elle prendroit un habillement de femme, on lui demanda si
c'estoit la volonté de Dieu quelle changeast d'habit. Confesse que
si on lui avait donné permission de s'en aller en habillement de
femme, elle repi-endroit incontinent après un habit d'homme et
feroit ce qui lui est commandé de Dieu, ainsi qu'elle a respondu
autres fois, et que pour chose du monde ne voudroit faire serment
de ne plus porter les armes et un habillement dhomme, désirant
faire le commandement de Dieu.
On s'enquiert d'elle de quel âge estaient sainte Catherine et
sainte ]\larguerite, et quels habillements elles avoient. Respond
qu'ils avoient d'elle sa response sur cela et ne leur en donneroit
point d'autre, qu'elle leur avoit dit ce qu'elle en sç.avoit de plus
certain.
Enquise si, auparavant ce jour, elle a cru que mesdames les fées
estoient de malins esprits : réplique ne sçavoir rien de cela.
[Si les saintes de Jeanne haïssaient les Anglais].
Demandent si saintes Catherine et Marguerite haïssent les
Anglois. Dit qu'elles ayment ce que Dieu ajme, et haïssent aussi
ce qu'il hait.
Interrogée si Dieu hait les Anglois : respond, pour ce qui est de
l'amour et de la haine quant à leur ame, n'en sçavoir rien ni ce qu'il
leur fera ; mais qu'elle sçait bien qu'ils seront chassez de France
et que Dieu envolera une victoire aux François contre les Anglois.
Enquise si Dieu estoit pour les Anglois quand leurs affaii*es pros-
péroient en France : respond qu'elle ne sçait pas si Dieu haïssoit
les François; qu'elle croit bien qu'il vouloit permettre que les
François fussent chastiez pour leurs péchés s'ils en avoient.
On lui demande quelle garantie et secours elle espère de Dieu,
de ce qu'elle portoit un habillement d'homme. Dépose, soit de
l'Habit ou de tout ce qu'elle a fait, qu'elle n'en attend autre
récompense que le salut de son ame.
Interrogée quelles armes elle offrit en l'église de Saint-Denis en
France : asseure que ce fut son harnois blanc tout complet, avec
une épée qu'elle avoit gagnée devant Paris.
DE COMPIÈGXE A ROUEN. — LE PROCÈS 32*
S'enquièrent pourquoy elle offrit ses armes. Maintient que ce fut
par dévotion, ainsi que gens de guerre ont accoustumé après avoir
été blessez; et parce qu'elle avoit esté blessée, elle oiïrit ses armes
à saint Denis, d'autant qu'il est réclamé en France ^ On lui
demande si c'est pour faire adorer ses armes. Dit que non.
Enquise de quoy servoient ces cinq croix engravées en l'espée
qu'elle avoit trouvée à Sainte-Catherine de Fierbois : répliqua n'en
sçavoir rien.
On lui demande qui l'avoit mue de faire peindre des anges avec
des bras, pieds, jambes, et vestements en son estandart. Dit avoir
desjà respondu à cela.
Interrogée si ce sont les anges qui viennent à elle qu'elle a fait
peindre : repart qu'elle les a l'ait peindre comme on les peint aux
églises. On lui demande si elle les a veus jamais de la manière
dont ils ont esté dépeints. Respond qu'elle ne leur dira autre
chose.
Enquise pourquoj elle n'a pai-eillement fait peindre la clarté
qui vient à elle avec l'ange ou avec ses voix : confesse n'avoir eu
commandement de le faire.
ADVERTISSEMENT
Le lecteur prendra garde h plusieurs cavillations proposées
en cette séance àlaPucelle, afin de la surprendre. Et entre
autres, ils lui demandent [ce] qu'elle veut dire de cet habille-
ment de femme qu'on lui offre afin qu'elle puisse aller à la
messe, etc. Car sur cette offre captieuse ils ont fait une
induction couchée aux douze articles envoiez à l'Université
de Paris : que cette fille avoit préféré l'habillement d'homme
qu'elle portoit, pour aller à la messe et pouvoir communier
mesme le jour de Pasques, etc. A raison de quoy, l'Université
de Paris qui n'a eu cognoissance des causes et circonstances
alléguées, pourquoy la Pucelle retenoit cet habillement
d'homme, Ta déclarée absolument impie, hérétique et mal
sentant de la foy, etc., comme ayant préféré le port d'un
habit viril pour ouyr la messe et communier aux jours
ordonnez par l'Eglise : [ce^ qui est une pure et noire calomnie.
Car c'est toute autre chose ne vouloir absolument ouyr la
1. D'après le texte : « d'autant que c'est le cri de France — propter
hoc quod est clamor Franciae. » Montjoie Saint-Denis ! (Procès, t. I, p.
330 E. RICHER. LA PUCELLE D ORLEANS
messe ni recevoir la sainte communion, et refuser de
l'entendre et de communier sous certaines conditions
périlleuses, et mesme de contrevenir aux commandements
de Dieu.
On tient pour règle de théologie, quand deux préceptes
divins semblent se heurter et contrarier l'un l'autre,
que le moindre doibt céder au plus grand, et le condi-
tionnel et provisionnel périlleux à l'absolu non périlleux.
La Pucelle dit avoir exprès et absolu commandement du
ciel de porter un habillement d'homme, pour satisfaire à
sa mission et converser parmi les gens de guerre, afin de
garder sa virginité et n'induire personne à tentation, etc.
Or, estant en prison au chasteau de Rouen, gardée par les
Anglois ses ennemis mortels, qui s'estoient efforcez maintes
fois d'attenter à son honneur, et pour celte occasion estoit
contrainte d'estre jour et nuit esguilletée, ainsi que nous
avons observé ailleurs, l'Evesque de Beauvais lui demande si
elle veut prendre un habillement de femme, et qu'on lui
permettra d'ouyr la messe et de communier le jour de
Pasques. Laquelle proposition est équipollentc à un précepte
conditionnel et provisionnel, périlleux pour cette fille, C'est
pourquoy, régie qu'elle estoit de l'esprit de Djeu, considérant
qu'elle n'avait encore aucun commandement de quitter cet
habit, et, le quittant, quelle s'exposoit au péril d'estre
violée, demeurant tousjours parmi ses ennemis mortels,
pour ces causes elle demeure perplexe sur la proposition de
l'Evesque de Be,auvais ; et il n'y a personne craignant Dieu,
les susdites circonstances posées, qui n'eust fait la mesme
response que cette fille a faite : joinct que cette permission
d'ouyr la messe et de communier n'est que conditionnelle,
provisionnelle et périlleuse pour cette fille.
Voici encore une autre insigne meschanceté. La Pucelle
ayant déposé qu'une sienne marraine lui avoit dit autrefois
avoir veu auprès du Beau ^fay les fées (séance troisiesme), ils
lui demandent si, auparavant ce jour, elle a cru que les fées
fussent des esprits malins; et ayant respondu ne sçavoir si
DE COMPIÈGNE A ROUEN. LE PROCÈS 331
elles l'étaient, le Promoteur (article cinquiesme) conclud
qu'elle les a tenues pour anges de lumière. Mais partout il est
ordinaire à cet homme de substituer l'affirmative pour la
négative, et au contraire la négative pour l'affirmative.
Une autre malicieuse chicanerie: on lui demande si sainte
Catherine et Marguerite, voire Dieu mesme, haïssent les
Anglois, etc. Elle respond que les saints ayment et haïssent
ceux que Dieu ayme et hait ; et quant à ce qui est de l'amour
ou de la haine de l'ame, n'en sçavoir rien, ni de ce que Dieu
fera aux Anglois : bien estre certaine qu'ils seront chassez de
France, etc. Sur laquelle response très véritable, le Promoteur
(article trente-sixiesme de sa production), conclud impudem-
ment et faussement que cette fille a dit que Dieu et ses saintes
haïssoient certaines nations fort saintes et religieuses,
honorant les saints du paradis conformément à l'ordonnance
et tradition de l'Eglise catholique. Car cet homme partial
allègue toujours pour certain et avéré tout ce que la Pucelle
a expliqué en très bon sens et catholique, ou qu'elle a nié
absolument : comme ainsi il asseure qu'elle a laissé ses armes
à Saint-Denis pour les faire adorer au peuple.
SÉA.XCE XV
[Neuvième ixterrogatûiue dans la prison]
De l'étendard. j
Le mesme jour de samedi dix-septiesme mars après-midi, la
Pucelle est interrogée, sçavoir si ces deux angos en son enseigne
représentoient saint Michel et saint (Jabriel. Dépose n"avoir esté
là despeints que pour Ihonneur de Dieu qui tenoit un monde en son
enseigne.
On lui demande si ces deux anges estoient deux anges gardant le
monde, et pourquoy il n'y en avoit plusieurs, veu que Dieu lui
avoit commandé de prendre et porter cet estandart. l{.ecognoist
avoir eu de cela exprès commandement de la pai't de Dieu, saintes
Catherine et Marguerite, lesquelles lui dirent qu'elle prist un
estandart de l'ordonnance du Koy du ciel ; et qu'ayant eu ce com-
mandement, elle avoit fait peindre la figure de Dieu et des anges
en son enseigne, et que le tout avoit esté fait par ordonnance du
ciel.
332 E. mCHER. — LA PUCELLE d'oRLÉANS
Enquise si elle avoit demandé à ses deux saintes qu'en vertu de
cet estandart elle gagnast toutes les guerres auxquelles elle se
mettroit, et qu'elle emportast toujoiu-s la victoire; répliqua qu'elles
lui avoient enjoinct de porter hardiment un estandart et que Dieu
luy ajderoit.
On lui demanda si elle avdoit plus son estandart que son
estandart ne lui aydoit. Respond que toute sa victoire et celle de
son estandart provenaient de Dieu.
Enquise si l'espérance d'obtenir la victoii'e estoit fondée en
l'estendart ou en elle-mesme : repart que tout cela dépendoit de
Dieu et non d'autre.
On lui demande, si quelque autre portant cet estandart, il auroit
aussi bonne fortune qu'elle mesme avoit. Asseure n'en sçavoir rien
et s'en rapporte à Dieu.
Interrogée, si quelqu'un de son parti lui eust donné à porter son
estandart. à sçavoir si elle eust eu autant d'espérance en icelui
qu'au sien propre qui lui avoit esté donné de la part de Dieu, et
principalement en celui de son Roy : répliqua qu'elle portoit plus
volontiers celui qu'elle avoit eu ordonnance de porter de la part de
Dieu ; néantmoins que de tout cela, elle s'en remelloit à Dieu.
On s'enquierl à quoy estoit bon ce signe ou marque qu'elle
mettoit en ses lettres avec ces noms Jésus Maria. Respond que les
ecclésiastiques escrivanl des lettres en usoient ainsi, et qu'aucuns
lui avoient remonstré que c'estoit bien séant avec ces deux noms
Jésus Maria.
Enquise si elle avoit eu révélation, au cas qu'elle perdist sa
virginité, qu'elle perdroit aussi sa bonne fortune et que ses voix
ne viendroient plus à elle : respond que cela ne lui a pas esté
révélé.
On lui demande si elle croit que estant mariée, ses voix conti-
nueroient tousjours de la visiter. Repart n'en sçavoir rien et qu'elle
s'en rapporte à Dieu.
Interrogée s'il elle estimoit et croyoit fermement que son Roy
eust bien fait en tuant Monseigneur le duc de Rourgogne : dit que
c'a esté un grand malheur pour le royaume de France ; mais qu'à
l'aison de ce qui s'estoit passé entre ces deux princes. Dieu l'avoit
envoiié au secours du Roy de France.
Et d'autant qu'elle avoit confessé qu'elle respondroit à l'Evesque
de Reauvais et à ceux qu'il avoit commis, tout ainsi qu'elle feroit
à nostre saint père le Pape mesme, et toutes fois il y avoit plusieurs
articles et points auxquels elle ne vouloitrespondre; on lui demanda
si elle respondroit plus amplement devant le Pape. Maintient avoir
respondu tout le plus véritablement qu'elle a pu, et si elle sravoit
quelque chose de laquelle elle se souvint qu'elle n'eust déclarée, la
diroit très volontiers.
Intei-rogée s'il lui semble qu'elle soit tenue de dire plus pleine-
DE COMPIÈGXE A ROUEX. — LE PROCÈS 333
ment la vérité à nostre saint père le Pape, vicaire de Dieu, de tout
ce qu'on lui demanderoit concernant la foy et le fait de sa con-
science, qu'elle nerespond à lui Evesque : lors elle demanda qu'elle
fust menée devant nostre saint père le Pape et qu'elle respondroit
devant lui tout ce qu'elle doit respondre.
Enquise de quelle matière estoit un de ses anneaux auxquels
estoient engravez ces noms Jésus Maria : repartit qu'elle ne sçait
proprement ; que s'il estoit d'or, ce n'esloit pur or et ne sçait s'il
estoit d'or ou d'ambre : et estime qu'il y avoit trois croix et nul
autre signe, comme elle pense, excepté ces deux noms Jésus Maria.
On lui demande pourquoi allant à quelque faction de guerre, elle
jetoit volontiers les yeux sur cet anneau. Respond que c'est par
quelque complaisance et pour l'honneur de son père et de sa mère,
et qu'ayant cet anneau en son doigt elle en avoit touché sainte
Catherine lorsqu'elle lui apparut visiblement. Interrogée en quelle
part elle avoit touché sainte Catherine, répliqua qu'ils n'auront
autre chose d'elle.
[Des témoignages affectueux reçus de ses saintes
par la Pucelle.]
On lui demande si jamais elle avoit baisé ou embrassé ces deux
saintes, et si elles avoient bonne odeur. Repart qu'il est bon de
sçavoir qu'elles avoient bonne odeur.
Interrogée si, en les embrassant, elle y ressentoit de la chaleur
ou quelque autre chose : dépose qu'elle ne les pouvoit embrasser
sans les sentir et toucher. Enquise par quelle partie elle lesembras-
soit, si c'estoit par en haut ou par en bas : réplique qu'il est meilleur
et plus séant de les embrasser par en bas que par en haut.
On lui demande si elle leur a donné quelques bouquets ou
chapeaux [de fleursL Respond qu'en leur honneur elle a fait et
donné plusieurs fois des bouquets à leurs images ou représentations
qui sont aux églises ; et quanta celles qui lui apparoissent, ne se
souvient leur en avoir donné.
Enquise lorsqu'elle mettoit des bouquets en l'arbre appelé le Reau
May, dont a esté parlé ci-devant, si c'estoit en l'honneur de celles
qui lui apparoissent : dit que non.
Intei'rogée, quand ces saintes viennent à elles, si elle leur fait
la révérence fléchissant les genoux et s'inclinant : asseure que oui.
et le plus qu'elle peut leur fait la révérence, sçachant bien qu'elles
sont au royaume des cieux.
On lui demande si elle sçait quelque chose de ceux qui vont en
l'erré avec les fées. Repart n'y avoir jamais esté et ne sçavoir rien
de cela : bien avoir ouy dire qu'elles y alloient le jeudi, qu'elle ne
croit point cela, et que ce n'est que sorcellerie.
Enquise si quelqu'un avoit fait venteler [flotter] son estandart à
334 E. RICHER. — LA. PUCELLE D ORLEANS
l'enlour de la teste de son Roy, quand il fut consacré à Rheims :
respond que non. au moins quelle sçache.
Interrogée pourquoy son estandart avait plus tost esté porté à
l'église de Rheims que les enseignes des autres capitaines : maintient
que son estendart ayant porté la peine, c'estoit bien raison qu'il
participast à Ihonneur '■.
ADVERTISSEMENT SUR LA QUINZIEME SEANCE
Cette séance regorge de malignes cavillations, car tout y
est détorqué à sorcellerie, comme l'estandart de cette fille, le
signe qu'elle mettoit en teste de ses missives avec ces deux
motsJÉsus3lARiA, ses anneaux de cuivre doré auxquels estoient
engravez les noms de Jésus et de la Vierge ; pareillement sa
virginité: ils lui demandent si sa bonne fortune y est attachée.
Et mesme pour la surprendre et l'induire à parler contre le
sacrement de mariage, s'enquièrent si elle croit que ses voix
ne la visiteroient plus estant mariée. Repart n'en rien sçavoir.
S'enquièrent encore si elle croit fermement que son Roy aye
bien fait, faisant tuer le duc de Bourgogne. Recognoit que
c'a esté un grand malheur pour la France, mais que Dieu
l'avoit envolée au secours du Roy : toutes admirables
responses. Certes, le Dauphin n'ayant que dix-huit ans
lorsque le duc de Bourgogne fut tué, estoit excusable, et non
pas ceux qui lui conseillèrent de se résoudre à consentir à ce
meurtre. Sur lequel nous ferons une considération, puisque
l'histoire est la] maistresse de la vie.
Vérilablement, outre la religion et la foy publique et les
serments violez que Dieu ne laisse jamais impunis, il faut que
le Président de Provence, Tanneguy du Chastel et autres con-
seillers et exécuteurs de cette entreprise fussent du tout aveu-
gles, despourveus de conseil et prudence humaine. Les loups
poursuivans une proie n'entrent jamais en un lieu, qu'ils ne
veoient une autre issue que celle par laquelle ils entrent. Ces
1. Réponse propre de Jeanne, autrement laconique et chevalere^sque,
pour ne pas dire sublime : « Il avait été à la peine, c'était bien raison
qu'il fust à l'honneur : » (Manuscrit de D'Urfé ; Procès, t. I. p. 187).
DE COMPIÈGNE A ROUEN. — LE PROCÈS 335
gens debvoient par ratiocination considérer l'événement de
leur furieuse conspiration sur Testât des affaires publiques qui
régnoit lors. Premièrement, que Charles VI estoit griefvement
malade, auquel Isabeau de Bavière faisoit faire tout ce que bon
lui sembloit, mesme contre le Dauphin son propre fils. Secon-
dement, que l'Anglois recherchoit Madame Catherine de
France pour épouse ettenoit en France toute la Guyenne et la
Normandie : davantage, estoit en très bonne intelligence
avec le duc de Bourgogne, lequel possédoit plusieurs grands
Estats tant en France qu'en Flandre, outre qu'il avoit gagné
l'affection des Parisiens et de l'Université de Paris, voire de
toute la populace de France. Troisiesmement, que son fils
Philippe estoit marié, âgé de vingt-trois ans, capable de
porter les armes, de conduire les armées et de succéder à
tous les Estats et intérests de son père pour se venger du
Dauphin, comme il fit. En quatriesme lieu, que le Dauphin
n'avoit rien que le nom de Dauphin avec un bien petit
apanage ; et d'ailleurs estoit de fort petite complexion et
bien peu agissant. Par ainsi, on cognoist que la Pucelle a
beaucoup plus prudemment considéré et pris cette affaire que
les gens du Dauphin, disant que la mort du duc de Bourgogne
avoit esté un grand malheur pour la France et que Dieu
l'avoit envolée au secours du Roy, car autrement ce prince
eust succombé aux forces de ses ennemis ; afin que chacun
recognoisse les merveilles de Dieu à l'endroit de ce pauvre
Estât.
La Pucelle, séance cinquieshie, avoit dit qu'elle respondroit
comme si elle eust esté devant le Pape. L'Evesque de Beauvais
demande si elle peut estre obligée dire plus amplement la
vérité à nostre saint père le Pape qu'à lui Evesque, etc. Elle
repart et demande d'estre menée devant le saint-Père, et
qu'elle dira tout ce qu'elle a à respondre. Laquelle déposition
debvoit estre tenue pour un juste appel et récusation de
l'Evesque de Beauvais ; veu que cette fille n'entendoit les
termes et formes dont on use en justice, et n'estoit assistée
d'aucun conseil, ainsi que nous avons desjà remarqué.
Ils lui demandent si, embrassant les saintes qui la
336 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
visitoient, elle se ressentoit de la chaleur ou quelque autre
chose. Réplique ne les pouvoir embrasser sans les toucher et
sentir. L'interrogent si c'est par en haut ou par en bas qu'elle
les embrasse. Confesse qu'il est meilleur et plus séant par en
bas que par en haut ; car quelqu'un faisant la révérence, se
doibt abaisser en signe d'humilité et de submission.
Elle nie avoir jamais esté quant et [avec] ceux ou celles qui
vont danser avec les fées, et ne sçavoir ce que c'est. Toutes
fois, le Promoteur prend sa négative pour affirmative, selon
son ordinaire et asseure qu'elle y alloit ordinairement.
Faut observer qu'en ces quinze séances sont contenus tous
les chefs d'accusation sur lesquels on a pu donner sentence
dabsolution ou de condamnation contre celte fille. Car tout
ce qui suit après n'est qu'impostures, conviées et calom-
nies que ses ennemis ont publiées sans aucunes preuves ni
apparence de vérité. Et faudra diligemment conférer le tout
avec lesdites séances, parce que de là résulte la justifica-
tion de la Pucelle.
Fin du procès d'office
APPENDICES DE L'EDITEUR
ET
ÉCLAIRCISSEMENTS
L'EDITEUR AU LECTEUR
I
Il nous a paru bon de faire suivre de quelques appendices
et éclaircissements le récit qu'Edmond Ilicher nous a laissé
des dits et faits de la Pucelle. Les voix et la mission de l'en-
voyée de Dieu en seront les sujets principaux.
A l'époque où vivait le docteur de Sorbonne, les difficultés
soulevées à propos de ces questions n'étaient guère que d'or-
dre théologique. Aussi la dissertation dans laquelle il les
aborde déconcerte-t-elle un peu le lecteur; car Ilicher glisse
sur les points qui nous intéressent, et il appuie au contraire
sur ceux qui n'ont plus à nos yeux qu'une importance secon-
daire.
Tout bien considéré, l'histoire de Jeanne d'xVrc, c'est l'his-
toire de sa mission libératrice, et l'histoire de sa mission
libératrice c'est l'histoire de ses voix. L'héroi'ne n'a délivré
le sol français de l'ennemi héréditaire que grâce à l'assis-
tance, aux conseils, à la direction de ses voix. Durant sept
années, des rapports incessants ont existé entre elle et ses
protecteurs célestes en vue de préparer ce grand fait histo-
rique. Un récit fidèle de ces rapports ne saurait qu'éclairer
cette page de nos annales. Nous allons le demander à Jeanne
elle-même, et c'est elle qui, dans l'appendice suivant, va
nous le donner.
22
338 APPENDICES DE l'ÉDITEUR
Ce récit, elle l'a fait à ses juges de Rouen, et ils l'ont con-
signé dans l'instrument authentique du procès de sa con-
damnation. Il y avait à l'en dégager, et ce n'était pas chose
aisée. Ce que les rédacteurs des procès-verbaux se sont pro-
posé, c'est d'y introduire un désordre capable de découra-
ger les meilleures volontés : ils ne tenaient pas à ce qu'on
vît clair dans leuts inlerrog'ations perfides. Nous avons mis
à cette tâche de faire la lumière toute l'application, toute la
patience nécessaires, nous avons rétabli la suite naturelle
des idées et des faits, et nous ne sommes arrêté que lorsque
les difficultés nous ont semblé vaincues.'
Avons-nous réussi? Le lecteur en jugera. En toutcas, nous
lui fournissons à chaque pa§e, à chaque ligne pour ainsi dire,
le moyen de contrôler l'exactitude et la probité de notre tra-
vail. Des références suivies indiquent les passages de l'édi-
tion de Jules Quicherat qui permettront d'en vérifier la
conscience. Qu'il è'agisse de saint Michel ou des saintes Ca-
therine et Marguerite, c'est par Jeanne d'Arc elle-même qu'o'n
•entendra raconter ses visions et ses voix, et le langage dont
elle usera aura pour garantie le témoignage même de ses
ennemis. Ils l'ont ouï les premiers; volontairement ou non,
ils ont laissé aux historie-ns le moyen de l'entendre à leur
tour. Nous userons de ce moyen : il en résultera le meilleur
des suppléments aux pages d'E. Richer sur ce sujet.
II
Qu'on nous permette encore une remarque.
Ce ne sont pas des admirateurs de l'héroine qui ont
informé la postérité du commerce mystérieux qui, de sa trei-
zième à sa vingtième année, n'a cessé d'exister entre elle et
des êtres supérieurs; c'est elle-même qui l'a fait connaître :
sobrement, quand les circonstances l'ont demandé, avant sa
captivité; avec de nombreux et intéressants détails, lorsque
à la barre d'un tribunalprévenu, elle dut justifier ses actes et
prouver son innocence.
C'est elle qui révéla les noms des protecteurs célestes dont
elle recevait les inspirations, et c'est elle aussi qui les dési-
ET ECLAIRCISSEMENTS 339
gnait sous le nom de « Voix ». Si elle les désignait ainsi, c'est
que l'archange saint Michel, sainte Catherine et sainte Margue-
rite annonraient leurpre'sence et se manifestaient habituelle-
ment à la jeune vierge par la parole intellectuelle ou senaihle,
même quand ils ne lui apparaissaient pas; ce qui semble
avoir eu lieu quelquefois. Chose surprenante, aucun texte ne
permet de conclure qu'ils lui soient apparus pendant le som-
meil. Pour lui faire entendre leurs recommandations, lui
donner leurs conseils, au besoin ils l'éveillaient (voir les troi-
sième et quatrième séances;. En maintes circonstances, à
Boaurevoir par exemple, il y eut entre Jeanne et ses saintes
de véritables dialogues : les saintes insistant afin que Jeanne
se résignât, et Jeanne persistant de son côté à vouloir s'évader
alîn de rejoindre ses amis de Gompiègne.
Mais écoutons rhéro'i'ne elle-même. Elle nous parlera :
1° Des apparitions de l'archange saint Michel ;
^° De ses relations avec les vierges et martyres, sainte
Catherine et sainte Marguerite ;
3° De son attitude devant les juges de Rouen, des révéla-
tions et prophéties que, au nom de ses voix, elle leur fit en-
tendre.
Après leur avoir donné l'explication de sa mission de vie,
elle leur exposa par avance les grandes lignes de sa mission
de survie. En l'année i4o3, l'une et l'autre de ces missions
avaient pris fin et tout ce que l'envoyée de Dieu avait annoncé
se trouvait accompli.
Ph.-H. D.
APPENDICE PREMIER
LES VISIONS ET VOIX DE JEANNE D'ARC
RACONTÉES PAR ELLE MÊME
PREMIERE PARTIE
JEANNE d'arc et SAINT MICHEL
Le juge iNTEnROGATEUR. — Laquelle de vos apparitions est venue
à vous la première [Procès, t. l, p. 72'); et quelle est la première
voix qui vint à vous {ibid., 73) ?
Jeanne. — C'est saint Michel : ce fut la première voix (jui Aint à
moi de par Dieu pour m'aidera me conduire.
La première fois, j'eus grand' peur. La voix vint vers l'heure de
midi, l'été, dans le jardin de mon père ^ J'entendis la voix à droite,
du côté de l'église, et de ce côté venait une grande claité. J'avais
alors treize ans ou environ.
Quand je l'eus entendue trois fois, je reconnus que c'était la
voix d'un ange. Elle me paraissait être une digne voix. Elle m'a
toujours bien gardée et je l'ai toujours bien comprise {ibid., 52).
Le Juge. — Comment avez-vous connu que c'était saint Michel ?
Jeanne. — Par le parler et le langage des anges (p. 1C9). Puis, il
se nomma à moi (p. 274).
1. Le texte i[ue nou.s suivons est celui de l'édition de Jules Quiche-
rat, tome I : nous en désignerons constamment la page. Quant au livre
II de Richer, nous nous contenterons d'inditiuer les séances.
2. C'est la seule fois que la Pucelle indique le lieu où elle ouit la voi.x
de saint Micliel, avant son départ de Domremy. Elle ne l'indiquera non
plus qu'une fois pour les apparitions de sainte Catlierine et de sainte
Marguerite. On le verra plus loin.
JEANNE ET SES VOIX 341
Le iuge. — Avcz-vous vu saint Michel même ? .
Jeanne. — Oui, je l'ai vu devant mes jeux; et il n'était pas seul,
mais accompagné des anges du ciel ( p. 73).
Le JUtiE. — Avez-vous vu saint Michel et les anges corporellemcnt
et réellement?
Jeanne. — Je les ai vus des yeux de mon coups aissi uien que je
vous vois. Et quand ils s'éloignaient je pleiu'ais, cl j'aurais bien
voulu qu'ils m'emportassent avec eux' {ibid.).
Ce que saint Michel enseignait à la petite Jeanne.
Lé juge. — - Pourquoi, lorsque vous crûtes que c'était saint Michel,
le connùlcs-vous plus promplement que vous ne l'aviez connu a sa
première apparition?
Jeanne. — A sa première apparition, j'étais tout enfant, et j'eus
grandpeur. Je le vis plusieurs fois avant de savoir que ce fût saint
Michel. Mais depuis qu'il se fût nommé, il m'enseigna et me mon-
tra tant de choses que je crus fermement que c'était lui.
Le juge. — Quels enseignements vous donna-t-il ?
Jeanne. — 11 m'enseigna à me bien conduire, à fréiiuenter
l'église. Sur toutes choses il me disait d'être bonne jeune fille, que
Dieu m'aiderait. 11 me dit en particulier que j'irais au secours du
roi. Et l'ange me racontait la pitié qui était au royaume de France.
(P. 171, o2. — E. llicHER. loc. cit.)
Gomment l'archange initia la jeune vierge à sa mission.
Le juge. — Que vous dit saint Michel quand il vint à vous - ?
Jeanne. — 11 me dit à moi Jeanne qu'il fallait que je vienne en
France. Il en vint à me le dire deux ou trois fois par semaine, et
je ne pouvais durer où j'étais.
Il m'assurait aussi que je ferais lever le siège mis devant la ville
d'Orléans.
Un jour, il me dit à moi Jeanne d'aller à Vaucouleurs trouver
Robert de Baudricourt, capitaine de la place; qu'il me ilonnerait
des gens pour m'accompagner.
Et moi, Jeanne, je répondis que j'étais une pauvre fille no sachant
ni chevaucher, ni guerr.iyer.
1. E. RiciEu, séances II, IV, XIV.
2. Quoii[ue, en ces passa-^es, la Pucelle ne nomme pas saint Michel,
t'est lai qu'elle désigne par le mot « Voiv » au singulier, comme l'in-
dique la suite des idées.
342 APPENDICE I
Ce|)endaul j'allai chez un oncle à moi. et je lui flis qu'il me fal-
lait aller à Vaucoulcurs. Et mon oncle m'y conduisit.
Quand je fus venue à Vaucouleurs, je reconnus Robert de Baudri-
Gourt, quoique je ne l'eusse jamais vu. C'est la voix qui me le fit
connaître, car elle me dit que c'était lui.
Je dis moi Jeanne à Robert : Il faut que j'aille en France.
Par deux fois, Robert refusa de m'écouter et me repoussa. La
troisième fois, il me reçut et me donna des gens. Or, la voix
m'avait avisée que ce sei^ait ainsi (p. 52. 53).
Je partis de Vaucouleurs en habit d'homme, avec une épée que
m'avait donné Robert de Baudricourt, sans autre armes, accompa-
gnée d'un chevalier (Jean de Metz), d'un écujer (Bertrand de Pou-
lengy), et de quatre serviteurs. Ai'rivée i\ Saint-Urbain, nous pas-
sâmes la nuit dans l'abba ve.
A Auxerre, j'entendis la messe dans l'église principale.
J'avais alors souvent « mes voix -), sans compter celle dont j'ai
parlé plus haut' (p. 54).
Je ne portais plus l'habit de femme, je l'avais quitté pour pren-
dre celui d'homme. Je crois que mon conseil (c'est-à-dire saint Mi-
chel) m'a bien conseillée (p. 55).
C'est sans empêchement d'aucune sorte que j'arrivai à Chinon.
Il était environ midi. Je descendis dans une hôtellerie, en atten-
dant de paraître devant mon roi.
Lorsque j'entrai dans la salle, je le reconnus parmi tous les
autres. C'est la voix (saint Michel) qui me le fit connaître.
La voix m'avait assuré aussi, peu après mon arrivée, que mon
roi me donnerait audience.
Et ceux de mon parti reconnurent que la voix m'élail bien
envoyée de par Dieu, et ils n'en firent pas de doute. Mon roi et
plusieurs autres étaient de ce nombre, je le sais bien, moi Jeanne;
et avec lui aussi Charles de Bourbon et deux ou trois autres.
En finissant la jeune fille dit :
« Il n'est point de jour où je n'entende cette voix, et j'en ai grand
besoin.
« Du reste, je ne lui ai jamais demandé d'autre récompense
finale que le salut de mon âme-. » (P. 56, 57).
1. « Mes Voix », c'est-à-dire celles de sainte Catherine et de sainte
Marguerite. «Celle dont j'ai parlé plus haut», c'est-à-dire celle de
saint Michel dont la jeune vierge raconte les apparitions et la direction.
2. E. RicHER, séance II.
JEAN^ÎE ET SES VOIX 343
Jeanne n'est venue en France et na pris l'habit d'homme que par
commandement de Dieu.
Le juge. — A rinstigation de qui êtes-vous venue en France?
Jeanne- — Je ne suis venue en France que par ommandement
de Dieu. Si Dieu ne me l'avait commandé, j'eu.sse mieux aimé
être tirée par des chevaux que d'v venir. (P. 73 et 74).
Le juge. — Est-ce également par commandement de Dieu que
vous avez pris Ihahit d'homme?
Jeanne. — Je n'ai pris Fhabit d'homme par le conseil d'aucun
homme au monde. .Te n'ai pris cet habit et je n'ai rien fait que par
le commandement de Dieu el des anges (de saint Micliel en parti-
culier).
Le JUGE. — Crovez-vous que le commandement qui vous a été
fait de prendre habit d'homme soit cliose licite?
Jeanne. — Tout ce que j"ai fait, je l'ai fait par commandement
de mon Seigneur. Volontiers je prendrais un autre habit, pourvu
que ce fût par commandement de Dieu.
Le juge. — Avez-vous pris cet habit par ordre de Robert de
Baudricourt?
Jeanne. — Non.
Le juge. — Pensez-vous avoir bien fait de le prendre?
Jeanne. — Tout ce que jai fait par commandement de mon Sei-
gneur, j'estime l'avoir bien fait, et j'attends de lui bon garant et
secours.
Le juge. — Mais dans ce cas particulier, pensez-vous avoir bien
fait ?
.Ieanne. — Dans toutes les choses que j'ai faites, je n'ai rien
PAIT au monde que PAR CO.M.MANDEMENT DE DIEU*. [Ihld.)
Du départ de Jeanne d'Arc contre le gré de ses parents.
Le juge. — Croyez-vous avoir bien fait de partir sans le congé
de votre père et de votre mère ; n'est-ce pas un devoir de les hono-
rer ?
Jeanne. — Je leur ai bien obéi en toutes choses; depuis, je leur
en ai écrit et ils m'ont pardonnée (p. 129).
1. C'est le principe que Jeanne ne cesse dinvotiuei- pour justilicr sa
conduite. — On reviendra plusieurs fois, au cours du procès, sur le
sujet de Tliabit d'homme.
E. RicHER, séance IV.
34 i APPENDICE I
Le juge. — Quels songes voire père avait-il eus avant votre
départ?
Jeanne. — Ma mère m"a dit plusieurs fois que mon père avait
songé que Jeanne sa fille jdevait s'en aller avec des hommes d'ar-
mes. De là grand souci chez mon père el ma mère pour me bien
garder, et ils me tenaient en grande sujétion. Poiu- moi, je leur
obéissais en toute chose; j'excepte le procès intenté à Toul pour
cause de mariage.
Ma mère me disait encore avoir ouï mon père dire à mes frères:
« Si je croyais que la chose que j'ai songée d'elle dût arriver, en
vérité j'aimerais mieux que vous la noyassiez; et si vous ne le fai-
siez, je le ferais moi-même. »
Peu s'en fallut que mon père et ma mère ne perdissent le sens
quand je partis pour Yaucouleurs.
Le .lUGE. — Ces songes venaient-ils h votre père après le temps
où vous aviez eu vos visions'?
.Ieanne. — Il y avait plus de deux ans déjà que j'avais mes voix,
lorsque mon père parla comme je viens de le dire (p. 131, 132).
Le juge. — Demandàtes-vous à vos voix si vous deviez annoncer
votre départ à votre père et à votremère?
Jeanne. — Mes voix eussent été contentes que je le leur annonçasse
n'eût été la peine que cela m'eût faite à moi-même. Pour rien au
monde, je ne leur en aurais parlé. Au demeurant, mes voix s'en
rapportaient à moi de dire mon départ à mon père et à ma mère
ou de n'en rien dire.
Le juge. — Qu'est-ce qui vous a mue de faire citer un homme à
Toul en promesse de mariage?
Jeanne. — Ce n'est pas moi qui le fis citer, c'est lui. Je ne lui
avais fait aucune promesse. Je le déclarai avec serment. Au reste,
mes voix m'assurèrent que je gagnerais mon procès (p. 127, 128).
Le juge. — Quand vous quittâtes vos parents, croyiez-vous pécher ?
Jeanne. — Puisque Dieu commandait, je n'avais qu'à obéir.
Eussé-je eu cent pères et cent mères, eussé-je été fille de roi, Dieu
le commandant, je serais partie' (p. 129'.
En quelle forme saint Michel apparaissait à Jeanne d'Arc
Le juge. — Quelle figure avait saint .Michel lorsqu'il vous est
apparu; — en quelle forme, grandeur, apparence et habit vint-il à
vous ?
1. E. RicHEii. séances VIII, IX.
JEANXE ET SES VOIX 345-
Jeanne. — Il était dans la forme d'un très vrai prud'homme (d'un
homme honnête et sérieux) (p. 90, 173).. De ses vêlements je ne
sais rien.
Le juge. — Etait-il nu ?
Jeanne, — Pensez-vous que Dieu nait point de quoi le couvrir ?
Le JUGE. — Avait-il des cheveux?
Jeanne. — Pourquoi lui seraient-ils coupés ?
Lé juge. — ■ Avait-il une balance?
Jeanne. — Je ne sais. fp. 173 et suiv )
Le juge. — Le voyez-vous souvent ?
Jeanne. — Je ne l'ai pas vu depuis que j'ai quitté le château du
Crotoy'-(P-89)-
Le juge. — En le voyant qu'éprouvez-vous ?
Jeanne. — Jéprouve en le voyant une grande joie. 11 me semble
que je ne suis pas en péché mortel.
Le juge. — Pensez-vous donc être en péché mortel lorsque vous
vous confessez?
Jeanne. — Je ne sais si j'ai été en péché mortel; je ne crois pas
en avoir fait les œuvres. Dieu veuille que je n'y aie jamais été!'
Qu'il lui plaise me préserver présentement et toujours de toute
œuvre qui grève mon âme (p. 89, 90) I
Le juge. — Saint Gabriel était-il avec saint Michel quand l'ar-
change vint à vous ?
Jeanne. — Je n'en ai pas souvenance (p. 83).
Le juge. — Pensez-vous que saint Michel et saint Gabriel aient
des têtes naturelles ?
Jeanne, au lieu de répondre à la question étrange qu'on lui fait,
prononce cette déclaration :
— Je les ai vus d3 mes yeux- ; je crois que ce sont eux aussi fer-
.mement que je crois que dieu existe.
Le juge. — Pensez-vous que Dieu les ait créés de la manière et
dans la forme où vous les avez vus?
Jeanne. — Présentement, vous n'aurez autre chose de moi (p. 93) .
1. C'ost-à-dire depuis envu'on deus mois. — L'arcbange pouvait ne
pas apparaître à la jeune vierge et se borner à lui parler.
2. Cette déclaration de la Pucelle prouve qu'elle avait parlé précé-
demment à ses juges des apparitions de saint Gabriel. Pourtant le pro-
cès d'office n'en dit rien. C'est au cours du procès ordinaire, page 400,
que Jeanne dira : « Le jour de la Sainte-Croi.^ j'eus confort de saint
Gabriel. Et croyez bien que c'était lui. J'ai su par mes voix que c'était
saint Gabriel. »
346 APPENDICE I
Je crois les dits et faits de saint Michel aussi fermement que je crois
cjue Notre Seigneur a souffert mort et passion pour nous.
Quant aux anges, je les ai vus de mes yeux, vous n'aurez pas de
moi davantage (p. 173, 174) ^
De l'audience de Chinon.
Le juge. — Quand vous vîtes le roi pour la première fois, y
avait-il de la lumière ?
Jeanne. — 11 y avait là plus de trois cents personnes et de cin-
quante flambeaux, sans compter la lumière spirituelle. J'ai rare-
ment des révélations sans qu'elles soient accompagnées de celte
lumière.
Le .iuge. — Gomment le roi a-t-il cru à vos paroles '?
Je.anne. — Par les signes qu'il a eus et par le témoignage du
clergé.
Le juge. — Quelle révélation lui avez-vous faites ?
Jeanne. — Vous ne le saurez pas de moi cette année. Pendant
ti'ois semaines je fus interrogée par les clercs à Chinon et à Poi-
tiers. Le roi eut un signe touchant mes faits à moi, Jeanne, avant
de vouloir croire en ma mission. Les clercs de son parti furent de
cette opinion que, dans mon fait, il n'y avait rien que de bon
(p. 75).
A mon roi j'ai dit en une seule fois tout ce qui mavait été révélé.
C'est que j'étais envoyée vers lui (p. 73).
Le juge. — Pensez-vous que votre roi fit bien de tuer ou de faire
tuer le duc de Bourgogne ?
Jeanne. — Ce fut grand dommage pour le royaume de France.
Quoi qu'il y eut entre ces deux princes, c'est au secours du roi de
France que Dieu m'a envoyée (p. 183, 184).
Le J.UGR. — Quelles troupes vous donna votre roi lorsqu"il vous
mit à l'œuvre ?
Jeanne. — 11 me donna de dix à douze mille hommes.
Le juge. — N'aviez-vous pas dit que vous feriez lever le siège
d'Orléans ?
Jeanne. — J'étais assurée de faire lever le siège d'Orléans, car
cela m'avait été révélé. Je le dis à mon roi avant de venir dans la
place.
Le juge. — Ne fûtes-vous pas blessée?
Jeanne. — A l'assaut livré à la bastille du Pont, je fus blessée
1. E. RicHER, séa7ices Y, VI, XIV.
JEANNE ET SES VOIX 347
par une flèche au cou. Mais celte blessure ne m'empêcha ni de
monter à cheval ni d'agir.
Le juge. • — Saviez-vous que vous seriez blessée ?
Jeanne. — Je le savais parfaitement et je le dis à mon roi. Cela
m'avait été révélé par mes voix ' (p. 78, 79).
De 1 épée de Fierbois.
Le JUGR. — Avez-vous été à Sainte-Catherine-de-Fierbois?
Jeanne. — Oui, j'y ai été, j'y ai entendu trois messes le même
jour, ensuite j'allai à Chinon. J'écrivis à mon roi des lettres dans
lesquelles je lai demandais si je devais entrer dans la ville où il
se trouvait. Je venais de faire un voyage de cent cinquante lieues
pour le rencontrer et lui être en aide, et je savais beaucoup de
bonnes choses pour lui. Il me semble même avoir mis dans ces
lettres que je reconnaîtrais mon roi parmi tous les assistants.
Le juge. — Aviez-vous alors une épée ?
Jeanne. — J'en avais une qu'on m'avait donné à Vaucouleurs.
Mais à Tours j'envoyai chercher une épée qui était dans l'église de
Sainte-Catherine-de-Fierbois, derrière l'autel. On l'y trouva en
effet couverte de rouille.
Le juge. — Comment sùtes-vous que cette épée se trouvait là?
Jtîanne. — Je le sus par mes voix. Jamais je n'avais vu Ihomme
qui alla chercher cette épée. Elle était couverte de rouille, dans la
teiTe. et il y avait cinq croix. J'écrivis aux prêtres de cette église
de vouloir bien m'envoyer cette épée, et ils me l'envoyèrent. Elle
était derrière l'autel, sous terre, autant qu'il me semble.
Aussitôt que l'épée eût été retrouvée, les ecclésiastiques de cette
église la frottèrent et la rouille s'en détacha sans difficulté. Un
ai-murier de Tours l'alla chercher. Les ecclésiastiques de l'endroit
me donnèrent un fourreau. Les gens de Tours m'en donnèrent un
également. Ces fourreaux étaient l'un de velours vermeil, l'autre
de drap d'or. J'en fis faire un autre de cuir solide. Lorsque je fus
. prise, je n'avais plus cette épée ^ (p. 75, 76).
1. E. RicHER. séances IV, XIV.
Jeanne n'e.>^t pas la seule qui nous ait informé de ces révélations
qu'elle fit au roi. Un document précieux, la lettre du sire de Rotselaer.
en date de lin avril 1420, mentionne ces propliélies et quelques autres
avec des précisions auxquelles il n'y a rien à opposer. Voir J. Qliche-
rat. Procès, IV, 42.3.
2. Aucun document ne dit ce qu'est devenue l'épée de Fierbois.
— E. RiCHEii, séance IV.
348 APPENDICE I
De Tétendard.
Le juge. — Quand vous allâtes à Orléans, aviez-vous un éten-
dard ou une bannière et quelle en était la couleur?
Jeanne. — J'avais une bannière dont le champ était semé de
lis. Le monde y était figuré et Dieu le tenait dans la main. Deux
anges étaient à côté. Elle était de couleur banche, de toile blanche
dite boucassin et les noms Jhesus Maria v étaient inscrits. La
frange était de soie.
Le juge. — Qu'aimiez-vous plus de votre étendard ou de votre
épée ?
Jeanne. — J'aimais beaucoup plus, jaimais quarante fois plus
l'étendard que l'épée.
Le juge. — Qui vous fit faire cette peinture sur l'étendard ?
Je.\nne. — Je vous l'ai déjà dit : je n'ai rien fait que par com-
mandement de Dieu ^
Si je chargeais les ennemis l'étendard à la main, c'était pour
ne pas verser de sang. Et, en fait, je n'ai jamais tué personne -
(p. 78).
Du signe donné par Jeanne au roi.
Le JUGE. — Quel est le signe que vous donnâtes à votre roi quand
vous vîntes à lui ?
Jeanne. — Ce fut un signé remarquable, digne de foi et le plus
excellent qui soit au monde ^ .
Le Ji'GE. — En sûtes-vous quelque chose par vos voix.
Jeanniî. — Quand je partis pour venir vers mon roi mes voix
me dirent : V^a sans crainte; quand tu seras devant le roi, il aura
bon signe pour te recevoir et te croire *.
\. On verra plus bas sainte.s Catherine et Marguerite transmettre à
Jeanne ce commandement.
2. E. RiCHER, séance IV.
3. Le signe qui fournit à Charles Vfl la preuve péremptoire que
Jeanne lui était envoyée de Dieu pour lui être en aide, fut la révélation
que la jeune vierge lui lit des trois prières qu'il avait adressées au
ciel dans un moment où il n'espérait plus, et l'assurance qu'elle y joi-
gnit qu'il était le fils légitime de Charles Vf. Seulement, la Pucelle ne
voulut jamais, à aucun prix, faire connaître ce signe à ses juges. Elle
ne s'e.vprima qu'en ternies généraux et allégoriques. Yoir Histoire com-
plète de Jeanne d'Arc, chapitre vu, Le secret du uoi.
4. Preuve qu'il s'agissait de convaincre Charles Vit de la vérité de
sa mission. Cette conviction fut l'cifet de la révélation que nous venons
JEANNE ET SES VOIX 349
Le juge. — Ce signe venait-il de par Dieu ?
Jeanne. — C'est un ange de par Dieu qui donna le signe à mon
roi^ et j'en rendis grâce à Notre-Seigneur.
Le juge. — Les gens d'église virent-ils le signe en question ?
Jeanne. — Ils eurent connaissance du dit signe et cessèrent de
me contredire. Dieu le permit pour mettre fin aux questions qu'on
m'adressait (p. 120-122).
Le juge. — L'ange qui apporta à votre roi ledit signe ne parla-
t-il pas?
Jeanne. — Il dit à mon roi qu'on me mît en besogne, que la
« patrie <) serait aussitôt allégée (p. 126).
Le juge. — Cet ange était-ce l'ange qui vous était apparu pre-
mièrement (c'est-à-dire saint Michel), ou était-ce un autre?
Jeanne. — C'était toujours le même (saint Michel) (p. 126).
Que saint Michel ne lui a jamais failli.
Le juge. — Faites vous la révérence à saint Michel et aux anges
quand vous les voyez ?
Jeanne. — Oui, et après leur départ, je baise la terre sur laquelle
ils ont passé (p. 130).
Le juge. — L'ange qui vint avec vous au roi ne vous a-t-il point
failli ?
Jeanne. — Non, il ne m'a jamais failli.
Le juge. — Ne vous a-t-il point failli dans les biens de la fortune
puisque vous avez été prise ?
Jeanne. — Puisque cela a plu à Dieu, je crois que c'est pour le
mieux que j'ai été prise.
Le juge. — Dans les biens de la grâce ne vous a-t-il point
failli ?
Jeanne. — Comment me faillirait-il quand il me conforte tous
les jours (p. 126, 127).
Le juge. — Est-ce pour vos mérites à vous que Dieu vous a envoyé
son ange ?
de rappeler. Et c'est le changement immédiat qui se produisit chez le
Dauphin qui avisa les personnages présents de la confiance que Jeanne
avait obtenue.
1. Le Dauphin recul aussi do ["archange saint Michel, comme rhéroine
va le dire, les lumières et grâces nécessaires pour établir sa lerme con-
viction. Ou bien s'agit-il de Jeanne elle-même, véritable « ange », c'est-à-
dire « messagère, envoyée de Dieu », selon la signification propre du
mot.
350 APPENDICE I
Jeanne. — L'ange venait pour une grande chose : pour donner
secours aux bonnes gens d'Orléans, à cause des mérites de son roi
et du bon duc d'Orléans.
Le juge. — Pourquoi vous a-t-il choisi plutôt qu'un autre ?
Jeanne. — lia plu à Dieu de se servir dune simple Pucelle pour
rebouter les adversaires du roi ' (P. 144, 14:j).
Ce que Jeanne était pour Saint Michel et ses voix.
Le juge. — Vos voix ne vous ont-elles pas appelé fille de Bien,
fille de rEyli^e, fille au grand cœur^?
Jeanne. — Avant la levée du siège d'Orléans et depuis, quand
elles me parlent, souvent elles m'appellent Jeanne la Pucelle, fille
de f)ku-^! (P. 130).
deuxii<:me partie
JEANNE d'aUC ET LES SAINTES CATHERINE ET MARGUERITE
De leurs apparitions.
Le juge. — Que vous dit saint Michel au sujet de vos voix?
Jeanne. — Quand il vint à moi, saint Michel me dit que sainte
Catherine et sainte Marguerite viendraient aussi ; que j'agisse par
leur conseil, car elles étaient chargées de me conduire et de me
conseiller sur ce que j'aurais à faire; que je crusse ce qu'elles
me diraient, que c'était le commandement de Notre Seigneur
(p. 170).
En effet, il }• a sept ans révolus qu'elles sont chargées de me
gouverner (p. 172).
Le juge. — Avez-vous. depuis samedi entendu la voix qui vient à
vous ?
Jeanne. — Oui, je l'ai entendue plusieurs fois (p. 70).
Le juge. — La voix qui vous parlait était-ce la voix d'un ange, la
voix d'un saint ou d'une sainte, ou la voix de Dieu sans intermé-
diaire 1
Jeanne. — C'était la voix de sainte Catherine et de sainte Mar-
1. E. Riche», séances VIII, IX.
2. E. RicHER. séance VIII. — Voir, livre premier, chapitre x, p. 118.
rapportée par le comte de Dunois, la scrne dans laquelle Jeanne
raconte à €harles VII la manière dont ses voix lui parlaient. « Va, va,
fille de Dieu, lui disaient-elles ; je serai à ton aide. »
JEANNE ET SES VOIX 351
guerile. Elles étaient parées de belles, de très riches et de très pré-
cieuses couronnes.
Le juge. — Comment savez-vous que ce sont ces deux saintes; les
distinguez-vous bien lune de l'autre ?
Jeanne. — Je sais que ce sont elles et je les distin-gue l'une de
l'autre.
Le juge. — Comment cela ?
Jeanne. — Par la manière dont elles me saluent et parce qu'elles
se nomment à moi.
Le juge. — SoTit-elles vêtues des mêmes étoffes?
Jeannk. — Je ne vous dirai rien autre maintenant.
Le juge. — Sont-elles du même âge?
Jeanne. — Je n'ai pas congé de vous le dire.
Le Juge. — Ces saintes parlent-elles ensemble ou Tune après
l'autre ?
Jeanne. — J'ai toujours eu conseil des deux ensemble^ (p. 71, 72)
Le juge. — Depuis mardi vous êtes-vous entretenue avec sainte
Catherine et sainte Marguerite ?
Jeanne. — Oui, hier et aujourd'hui. 11 n'est point de jour que je
ne les entende.
Le juge. — Les voyez-vous toujours de même?
Jeanne. — Je les vois toujours avec la même forme. Leurs têtes
sont parées de magnifiques coui"onnes. Je ne parle pas du reste du
vêtement. De leurs tuniques je ne sais rien.
Le Juge. — Comment savez-vous que la chose qui vous apparaît
est homme ou femme ?
fe.ANfNE. — Je le sais parfaitement. Je les distingue à leur voix et
elles me l'ont révélé.
Je ne sais rien de cela que ce ne soit par révélation ou comman-
dement de Dieu (p. 85).
Le juge. — Quelle figure-apercevez-vous?
Jeanne. — La face.
Le juge. — Ont-elles des cheveux?
Jeanne. — Mais oui.
Le juge. — Y a-t-il quelque chose entre leurs cheveux et leurs
couronnes?
Jeanne. — Non, il n'y a rien.
Le juge. — Leurs cheveux sont-ils longs et pendants?
Jeanne. — Je n'en sais rien, pas plus que si elles ont des bras ou
autres membres.
Le juge. — Quel langage vous parlent-elles ?
352 APPENDICE I
JEA^^•E. — Un langage 1res bon et 1res beau, et je les comprends
très bien.
Le juge. — Comment peuvent-elles parler si elles n"ont pas
de membres?
Jeanne. — Je m'en rapporte à Dieu. Leur voix est belle, douce.
humble, et elle parle français.
Le juge. — Sainte Marguerite ne parle donc pas anglais ?
Jeanne. — Comment parlerait- elle anglais, puisqu'elle n'est pas
du parti des Anglais?
Le juge. — Avec les couronnes qui ornent leurs tètes ces saintes
ont-elles des anneaux aux oreilles ou ailleurs '?
Jeanne. — De cela je ne sais rien (p. 86).
Le juge. — Sainte Catherine et sainte Marguerite n'ont-elles pas
conversé avec vous sous le Bel Arbre dont il a été question ?
Jeanne. — Je n'en sais rien.
Le juge. — Ne vous ont-elles pas parlé près de la fontaine voisine
de l'arbre?
Jeanne. — Elles m'ont parlé et je les ai entendues en cet endroit.
Mais que me dirent-elles alors, je ne m'en souviens pas ^ (p. 87).
Rapports de Jeanne avec les saintes
Le juge. — Est-ce vous qui appelez vos saintes ou viennent-elles
sans que vous les appeliez?
Jeanne. — Souvent elles viennent sans que je les appelle. D'au-
tres fois, si elles ne venaient, je demanderais bientôt à Noire-Sei-
gneur de les envoyer.
Le juge. — Ne les avez-vous pas appelées quelquefois sans qu"el-
les soient venues ?
Jeanne. — Jamais je n'ai eu besoin d'elles qu'elles ne soient
venues (p. 127).
Quelque chose que j'aie faite dans les occasions importantes,
mes voix me sont toujours venues en aide (p. 169).
Le juge. — Vous demandent-elles un délai pour répondre ?
Jeanne. — Sainte Catherine me répond quelquefois. Mais il
m'arrive de ne pouvoir la comprendre à cause du trouble de la prison
et de la noise de mes gardes.
1. E. RiCHEU, séance Y.
i. Jeanne a garde le silence sur les autres endroits des environs de
Domrcmy où ses voix la visitaient. Elle nous apprend plus bas qu'elle
cUait dans sa treizième année quand les saintes lui apparurent pour la
première fois.
JEANNE ET SES VOIX 3133
Et quand je fais requèle h sainte Calherino, alors sainte Cathe-
rine et sainte Marguerite font requête à Dieu ; et puis, par com-
mandement de Nolrc-Seigneur, elles me donnent la réponse ^
(p. 153).
Du vœu de virginité.
Le juge. — Vous promîtes de garder votre virginité. Est-ce à
Notre-Seigneur lui-même que vous parliez?
Jeanne. — 11 devait bien suffire de le promettre à celles qui
venaient de par lui, sainte Catherine et sainte Marguerite.
Le juge. — Quand avez-vous promis de garder la virginité?
Jeanne. — La première fois que j'ouis mes voix, je fis vœu de
garder ma virginité tant qu'il plairait à Dieu. J'avais alors treize
ans ou environ (p. 128).
Le jcge. — Quand vos saintes viennent à vous, y a-t-il de la
lumière avec elles ?
Jeanne. — Il n'est point de jour qu'elles ne viennent au cliâleau,
et elles ne viennent pas sans lumière (p. 153).
Le juge . — Qu'avez-vous demandé à vos voix ?
Jeanne. — J'ai demandé à mes voix trois choses : l'une, mon
expédition ; l'autre, que Dieu vînt en aide aux Français et qu'il
gardât bien les villes de leur obéissance ; la troisième, le salut de
mon âme- fp. 154).
De l'étendard.
Le juge. — Sur votre étendard le monde était-il peint, ainsi que
deux anges, etc. ?
Jeanne. — Oui. et je n'en eus jamais qu'un.
Le juge. — Que signifiait cette peinture de Dieu tenant le monde
et des deux anges (p. 117) ?
Ces deux anges représenlaient-ils saint Michel et saint Gabriel?
Jeanne. — Ces deux anges n'étaient là que pour l'honneur de
Notre-Seigneur qui était peint sur l'étendard. Je n'y fis représenter
deux anges que pour l'honneur de Dieu qui était figuré tenant le
monde.
Je le dis à mon roi, quoique avec peine. De la signification de
l'étendard je ne sais pas autre chose.
Le juge. — Les deux anges figurés sur votre étendard étaient-ce
i . E. RicHEB, séances VIII, XI.
2. E. RicHER, séances Vllf, XI.
Î54 APPENDICE I
les deux anges qui gardent le monde ? Pourquoi n'y en avait-il pas
un plus grand nombre ?
Jeanne. — Tout létendard était commandé de Dieu par les voix
de sainte Catherine et de sainte Marguerite. Elles me dirent :
Prends l'étendard de par le Roy du ciel, porte-le hardiment, et fais-
y peindre le Roy du ciel.
C'est parce qu'elles me dirent : Prends F étendard de par le lioy
du ciel ; que je fis faire cette figure de Notre-Seigneur et des anges et
que je les fis peindre. Le tout, je le fis par commandement de Dieu.
Le juge. — Demandâtes-vous, si, par la vertu de cet étendard,
vous gagneriez toutes les batailles que vous livreriez et si vous
auriez victoire?
Jeanne. — Elles me dirent : Prends hardiment l'étendard et Dieu
t'aidera.
Le juge. — Aidiez-vous plus à l'étendard ou l'étendard à vous ?
Jeanne. — De la victoire de l'étendard ou de Jeanne, c'était tout
à Notre-Seigneur.
Le juge. — L'espérance d'avoir victoire était-elle fondée en
votre étendard ou en vous ?
Jeanne. — 11 était fondé en Notre-Seigneur et non ailleurs.
Le juge. — Si un autre que vous eût porté votre étendard, aurait-
il eu aussi bonne fortune que vous ?
Jeanne. — Je n'en sais rien ; je m'en attends à Notre-Seigneur.
Le juge. — Si un des gens de votre parti vous eût donné son
étendard à porter ; supposons même que ce fût l'étendard de votre
roi ; auriez-vous eu aussi bonne espérance ?
Jeanne. — Je portais plus volontiers celui qui m'avait été ordonné
de par Dieu. Toutefois, de tout je m'en attendais à Notre-Seigneur
(p. 117; 181-183).
Le juge. — Avez-vous dit que les panonceaux faits à la ressem-
blance du vôtre étaient heureux?
Jeanne. — Ce que je disais aux miens, le voici : Entrez hardi-
ment parmi les Anglais.
Et moi-même j'y entrais ' (p. 97).
1. E. RicHER, séance Vif, XV, YL
La Pucelle a dit de l'épée de Fierbois qu'elle ne la portait pas lors-
qu'elle fut prise: mais « elle avait avec elle son étendard, dit Monstrelet,
lorsque avec ses gens, de Compiègne elle alla en belle ordonnance
assaillir les premiers logis du Duc. » [Procès, t. IV, p. 439).
L'étendard tomba entre les mains des anglo-bourguignons et fut dé-
truit sans doute, comme tout ce qui appartenait à la Pucelle, de peur
que le garder ne portât malheur aux Anglais.
JEANNE ET SES VOIX 355-
Du signe du Roi.
I.E JUGE. — Quel signe avez-voiis donné à votre roi ?
Jeanne. — Des choses que j"ai promis de tenir secrètes je ne
dirai rien.
Le juge. — A qui avez-vous fait cette promesse ?
Jeanne. — Je l'ai faite à sainte Catherine et à sainte Marguerite
cela a été montré au roi. Je le leur ai promis de moi-même, parce
qu'on me tourmentait trop de le dire. Et je promis de n'en plus
parler à qui que ce soit (p. 90).
Le juge. — Que voulait dire ce signe ?
Jeanne. — L'ange (saint Michel par la bouche de Jeanne) certi-
fiait à mon roi qu'il aurait le royaume de France tout entier,
moyennant l'aide de Dieu et le labeur de moi Jeanne. Qu'il me mit
en besogne, qu'il me donnât des gens d'armes, et il serait promp-
tement couronné et sacré.
Et quand l'ange vint devant le roi, il remettait en la mémoire du
roi la belle patience qu'il avait montrée dans les grandes tribula-
tions qui lui étaient venues.
Le juge. — En quel lieu l'ange vous apparut-il à vous Jeanne ?
Jeanne. — J'étais presque toujours en prière afin que Dieu
envoyât le signe du roi. J'étais en mon logis dans la maison d'une
bonne femme, près du château de Chinon, quand l'ange vint. Puis
lui et moi allâmes au roi. Et l'ange était accompagné d'autres
anges que chacun ne voyait pas.
Le juge. — Tous ces anges avaient-ils la même figure?
Jeanne. — Les uns se ressemblaient, les autres non. Quelques-
uns avaient des ailes, d'autres des couronnes. Avec eux se trou-
vaient saintes Catherine et Marguerite. Et elles allèrent avec
l'ange jusque dans la chambre du roi'.
Le juge. — Comment l'ange vous quitta-t-il ?
Jeanne. — Il me quitta dans une petite chapelle. Je fus peinée de
son départ ; je pleurais et volontiers je m'en fusse allée avec lui ;
moi, c'est-à-dire mon âme (p. 139-144).
Jeanne blessée a la bastille du Pont.
Le juge. — Au siège d'Orléans fùtes-vous blessée ?
Jeanne. — A l'assaut de la bastille du Pont, je fus blessée au
1. Evidemment la scène que raconte Jeanne était visible pour elle,
mais pour elle seule.
2. E. RicHEn, séances V, X.
356 APPENDICE I
COU par une flèche ou vireton. î\Iais sainte Calherine me réconforla
grandement. Je fus guérie dans une quinzaine de jours, sans cesser
de monter à cheval et d'agir.
Le juge. — Saviez-Yous que vous seriez hlessée?
Jeanne. — Je le dis à mon roi. Cela mavait été révélé par les
voix des deix saintes, je veux dire des Bienheureuses Calherine et
Marguerite (p. 79).
De la délivrance du duc d'Orléans.
Le juge. — Comment auriez-vous délivré le duc d'Orléans ' ?
Jeanne. — J'eusse fait assez de prisonniers Anglais de ce côté-ci
de la mer pour délivrer le duc. Si je n'en eusse pas pris assez,
j'aurais passé la mer en puissance et je serais aller le chercher en
Angleterre .
Le juge. — Saintes Catherine et Marguerite vous ont-elles dit
absolument et sans condition que vous prendriez assez dhommes
pour avoir le duc retenu prisonnier en Angleterre, ou bien que vous
passeriez la mer et liriez chercher dans trois ans?
Jeanne. — Oui, je le dis à mon roi. et lui demandai de me laisser
disposer des seigneurs anglais qui étaient alors prisonniers.
Si j'avais duré trois ans sans être empêchée, j'aurais délivré le
prince. Pour le faire, trois ans eussent suffi, mais c'était trop peu
d'une année- (p. 133, 134),
Jeanne et les pauvres gens. — De l'enfant de Lagny.
Le juge. — Connaissiez-vous les sentiments de ceux de votre
parti, lorsqu'ils baisaient vos pieds, vos mains et vos vêtements?
Jeanne. — Beaucoup me voyaient volontiers. Cependant ils bai-
saient mes vêtements le moins que je pouvais. Les pauvres gens
venaient volontiers à moi, parce que je ne leur faisais pas de
déplaisir et que je les supportais plutôt de mon mieux (p. 102).
Le juge. — Oiielàge avait l'enfant pour lequel vous priâtes à
Lagny •* ?
Jeanne. — L'enfant avait trois jours. Il fut apporté à Lagny
1. Jeanne avait annoncé à plusieurs reprises que le duc d'Orléans
prisonnier reviendrait cerlainemenl d'Angleterre ; mais elle n'avait pas
ajouté ([ue cela adviendrait par son entremise à elle et de son vivant.
2. E. RicHEU, séances IV, IX.
3. Minute française : giie vous visildles; le.vto latin : « que vous res-
suscitâtes ».
JEANNE ET SES VOIX 3o7
(levant limage de Noti-e-Dame. On me dit que les jeunes filles de
la ville étaient devant cette image ; que je voulusse bien aller moi
aussi prier Dieu et la Bienheureuse Vierge de lui donner la vie.
J'y allai avec les autres jeunes filles, je priai; finalement il donna
signe de vie et bailla trois fois. On le baptisa, il mourut presque
aussitôt et on l'inhuma en terre sainte.
Il y avait trois jours, à ce qu'on disait, que l'enfant ne don-
nait aucun signe de vie, et il était noir comme ma cotte. Mais
quand il eut baillé, la couleur commença à lui revenir. Pour moi,
j'étais avec les jeunes filles, à genoux, priant devant Notre-Dame.
Le iUGE. — Ne dit-on pas par la ville que vous aviez fait faire
cette résurrection et qu'elle avait été l'effet de votre prière ?
Jeanne. — Je ne m'en occupai pas. ' (P. 105, 106.)
De Catherine de la Rochelle.
Le juge. — Avez-vous vu et connu Catherine de la Rochelle ?
Jeanne. — Oui, à Jargeau et à Montfaucon en Berry.
Le juge. — Ladite Catherine ne vous a-t-elle pas montré une
dame vêtue de blanc quelle disait lui apparaître quelquefois?
Jeanne. — Non.
Le juge. — Que vous a dit icelle Catherine?
Jeanne. — Elle ma dit qu'une dame blanche, velue de drap d'or,
venait à elle Catherine, lui disant d'aller par les bonnes villes, et
de se faire bailler par le roi des hérauts et des trompettes pour
crier que quiconque aurait or, argent ou trésor caché l'apportât
aussitôt; que ceux qui auraient des trésors cachés et qui ne les
apporteraient pas, dame Catherine les connaîtrait bien et ferait
découvrir les trésors; et avec cet argent elle payerait mes hommes
d'armes. Je lui répondis de retourner à son mari, de s'occuper de
son ménage et de nourrir ses enfants.
Pour savoir à quoi m'en tenir, je parlai à sainte Catherine et à
sainte Marguerite. Elles me dirent que du fait de ladite Catherine
de la Rochelle ce n'était que folie, et que tout cela n'était rien.
J'écrivis à mon roi ce qu'il en devait faire.
Le juge. — N'avez-vous pas parlé à ladite Catherine d'aller à
La Charité-sur-Loire"?
Jeanne. — Dame Catherine ne me conseillait pas d'y aller, tout
au contraire, il faisait trop froid. Elle voulait se rendre auprès du
duc de Bourgogne pour faire la paix. Je lui dis que, à mon avis,
on n'aurait de paix que par le bout de la lance.
1. E. RicfiF.R, séaiiceW.
338 APPENDICE I
Je demandai h icelle Catherine si la dame blanche qui lui
apparaissait venait la trouver chaque nuit, et je lui dis que, pour
ce, je coucherais avec elle. De fait, jy couchai et veillai jusqu'à
minuit : je ne vis rien et je m'endormis. Au matin je demandai à
ladite Catherine si la dame blanche était venue la trouver. Elle me
répondit qu'elle était venue pendant que je dormais et qu'elle
n'avait pu m'éveiller. Lors, je lui demandai si elle ne viendrait
pas le lendemain. Elle me répondit que oui. A cause de cela, je
dormis de jour et demeurai éveillée toute la nuit. Mais je ne vis
rien, quoique souvent j'interrogeasse Catherine : Cette dame
va-t-elle venir oui ou non? Et elle me x-épondait: Oui, tantôt.
(P. i06-109'.)
Les saintes annoncent à Jeanne qu'elle sera prisonnière
des Anglais.
Le jugk. — Avez-vous fait la sortie de Compiègne par commande-
ment de vos voix?
Jeanne. — En la semaine de Pâques dernières, comme j'étais sur
les fossés de Melun, mes voix, je veux dire sainte Catherine et
sainte Marguerite, me dirent que je serais prise avant la Saint-Jean :
qu'il fallait que ce fût ainsi, que je ne m'en ébahisse pas, mais prisse
tout en gré, que Dieu m'aiderait.
Le juge. — Depuis Melun, vos voix ne vous redirent-elles pas
encore que vous seriez prise ?
Jeanne. — Oui, plusieurs fois et presque tous les joui's. Et je
demandais à mes voix que, une fois prise, je mourusse aussitôt
sans long tourment. Et elles me dirent: Prends tont en gré, il faut
qu'il soit fait ainsi.
Je leur ai plusieurs fois fait requête pour savoir l'heure où je
serais prise; mais elles ne me la dirent pas. (P. ] 14-'! 15.)
Le juge. — N'est-ce pas la voix ou une révélation qui vous dit
de faire la sortie?
Jeanne. — Ce jour-là, je ne sus pas que je serais prise et je n'eus
aucun commandement de sortir; mais il m'avait toujours été dit
qu'il fallait que je fusse prisonnière. (P. 116-.)
1. E. RicHEEi, séance YI.
2. E. RiCHER, séance VII.
Les historiens qui sont d'avis que la mission de renvoyée de Dieu
finissait à Reims et qu'après le sacre ses Voi-x ne s'occupaient presque
plus d'elle, feront bien de peser le sens et la valeur de ces textes. Il leur
laudra du courage pour persister dans leur st-ntiment.
JEANNE ET SES VOIX 359
Du saut de Beaurevoir.
Le juge. — Pour quelle cause avez-vous sauté de la tour de
Beaurevoir ?
Jeanne. — .l'avais ouï dire que ceux de Compiègne devaient être
mis à feu et à sang; et moi j'aimais mieux mourir que de vivre
après une telle destruction de bonnes gens. Ce fut une des causes-
L'autre fut que je me savais vendue aux Anglais, et j'eusse
mieux aimé mourir que d'être entre les mains des Anglais, mes
adversaires.
Le juge. — Fites-vous le saut par le conseil de vos voix?
Jeanne. — Sainte Catherine me disait chaque jour de ne point
sauter, que Dieu me viendrait en aide et aussi à ceux de Compiègne.
Et moi, je dis à sainte Catherine : « Puisque Dieu sera en aide à
ceux de Compiègne, je veux y être». Alors sainte Catherine me
dit : « Sans faute, il faut que tu prennes tout en gré. Tune seras
pas délivrée que tu n'aies vu le roi des Anglais. » Je répondis :
« Vraiment, je ne voudrais point le voir. J'aimerais mieux mourir
que d'être mise en la main des Anglais.
Le juge. — N'avez-vous pas dit à sainte Catherine et à sainte
Marguerite : Dieu laissera-t-il mourir si mauvaisement ces bonnes
gens de Compiègne?
Jeanne. — Non, je ne l'ai pas dit. La vérité est que je parlai à
mes saintes en cette manière : Comment Dieu laissera-t-il mourir
ces bonnes gens de Compiègne qui ont été et sont si loyaux à leur
seigneur '?
Après ma chute je fus réconfortée par sainte Catherine. Elle me
dit de me confesser et de demander pardon à Dieu d'avoir sauté ;
que sans faute ceux de Compiègne auraient secours avant la Saint-
Martin d'hiver. Alors je me pris a revenir, je commençai à manger
et tantôt je fus guérie ^ (P. 150-152.)
De la dévotion de Jeanne envers ses saintes.
Le juge. — Quand vos voix viennent, leur faites-vous l'évérence
absolument comme à un saint ou à une sainte ?
1. E. RicHER, séance XI.
Les juges de Rouen dénaturent les faits lorsqu'ils représentent Jeanue
« se précipitant du haut de la tour de Beaurevoh- ». La prisonnière ne
se précipita pas, elle tenta simplement de s'évader au moyen de linges
noués ensemble et attaeiiés à la fenêtre du donjon. Los linges se rom-
pirent et Jeanne tomba.
360 APPENDICE I
Jeanne. — Assurément. Et si parfois je ne l'ai pas fait, je leiu' on
ai demandé pardon. En vérité, je ne sais pas leur faire de
révérence aussi profonde qu'il conviendrait, car je crois fermement
que ce sont saintes Catherines et Marguerite. .le dirai la même
chose de saint Michel.
Le juge. — On fait volontiers oblation de cierges aux saints du
paradis. Quand ces saints et saintes sont venus à vous, ne leur
avez-vous pas offert des cierges ardents ou autres choses, à
l'église ou ailleurs, et n'avez-vous pas fait dire des messes ?
.Ieanniî. — Non, si ce n'est en faisant, à la messe, l'offrande
entre les mains du prêtre, pour l'honneur de sainte Catherine :
c'est une des saintes qui m'apparaissent. .le n'ai pas fait brûler
autant de cierges que j'eusse voulu en l'honneur de sainte Catherine
et de sainte Marguerite du paradis, parce que je crois fermement que
ce sont elles qui viennent à moi.
Le juge. — Quand vous mettez les cierges devant l'image de
sainte Catherine, le faites-vous en l'honneur de celle qui vous
apparaît ?
Jeanne. — Je le fais en l'honneur de Dieu, de Notre-Dame et de
sainte Catherine qui est au ciel.
Le juge. — Encore une fois, mettez-vous ces cierges en
l'honneur de cette sainte Catherine qui se montre à vous ou vous
apparaît ?
Jeanne. — Mais oui ; je ne sais pas de différence entre celle qui
m'apparait et celle qui est au ciel. (P. 166-108).
Jeanne et les commandements de ses voix.
Le juge. — Faites-vous et accomplissez-vous toujours ce que vos
voix vous commandent?
Jeanne. — J'accomplis de tout mon pouvoir le commandement
de Dieu que mes voix me transmettent. Autant que je le comprends,
mes voix ne me commandent rien sans le bon plaisir de Dieu.
Le juge. — Dans les faits de guerre, avez-vous jamais rien fait
sans le conseil de vos voix?
Jeanne. — Je vous en ai répondu : lisez bien votre livre et vous
le trouverez. (P. 168.)
C'est, ajouta-t-elle, à la requête des hommes d'armes qu'eut lieu
la vaillance d'armes devant Paris. A la Charité, j'y allai à la
requête de mon roi. Ce ne fut ni par commandement de mes voix
ni contre leur commandement.
JEAXXE ET SES VOIX 361
Le juge. — N'avez-vous jamais l'ien fait conti'e leur commande-
ment et leur volonté ?
Jeanne. — J'ai accompli selon mon pouvoir ce que j'ai pu et su
faire. Quand au saut du donjon de Beaurevoir, je le fis contre leur
commandement. Mais elles me vinrent en aide et empêchèrent que
je ne me tuasse.
Sainte Catherine et sainte Marguerite me font me confesser de
temps en temps; tantôt l'une, tantôt l'autre. Preuve de l'intérêt
qu'elles portent à mon âme. (P. 89, 169.)
Le juge. — Ne croyez-vous pas que ce soit un grand péché
d'offenser sainte Catherine et sainte Marguerite qui vous apparais-
sent et d'agir contre leur commandement ?
Jeanne. — Mais oui, pour qui le comprend. Ce en quoi je les ai
le plus oflensées, c'est le saut de Beaurevoir. Mais je leur en ai
demandé merci, ainsiquedes autres offenses que j'ai pu commettre
contre elles. (P. 172'.)
Comment Jeanne était traitée par ses saintes.
Le juge. — Pourquoi regardiez-vous volontiers, allant à la guerre,
l'anneau qui portail les noms de Jésus et de Marie ?
Jeanne. — Par plaisance et pour l'honneur de mon père et de
ma mère, et parce qu'ayant cet anneau en main et au doigt, j'ai
touché sainte Catherine qui m'apparaissait. (P. 185-187.)
Le juge. — N'avez-vous jamais baisé ou embrassé sainte
Catherine et sainte Marguerite ?
Jeanne. — Je les ai embrassées toutes deux,
Le juge. — Fleuraient-elles bon ?
Jeanne. — Assurément elles fleuraient bon.
Le juge. — En les embrassant, senliez-vous la chaleur ou autre
chose ?
Jeanne. — Je ne pouvais pas les embrasser sans les sentir et les
toucher.
Le juge. — Par quelle partie les embrassiez-vous ?
Jeanne. — 11 était plus séant de les embrasser par en bas que par
en haut.
Le juge. — N'avez-vous point donné à vos saintes des guirlandes
ou .chapeaux de fleurs ?
Jeannr. — En leur honneur, j'en ai donné plusieurs fois à leurs
1. E. RicHEH, séance XIII.
362 APPENDICE I
images ou à leurs statues dans les églises ; mais aux saintes qui
m'apparaissent je ne me souviens pas d'en avoir donné.
Le Ji'GE. — Quand vous mettiez des guirlandes à lArbre des
Dames, les meltiez-vous en l'honneur de celles qui vous apparais-
saient ?
Jeanne. — Non.
Le juge. — Quand ces saintes venaient à vous, leur faisiez-vous
révérence, en fléchissant les genoux ou en vous inclinant?
Jeanne. — Mais oui : je leur faisais le plus de révérences que je
pouvais, parce queje sais bien que ce sont celles qui sont dans le
l'oyaume du paradis.
Je vous ai dit de saint Michel et des saintes ce que je sais. Je les
ai vus, aussi vrai qu'ils sont avec les bienheureux au paradis
(P. 93). Je crois que ce sont eux que Notre Seigneur m'a envoyés
pour me soutenir et me donner conseil. Je le crois aussi fermement
que je crois que Notre-Seigneur Jésus-Christ a souffert la mort pour
nous et nous a rachetés des peines de l'enfer. (P. 274, 275.)
Le juge. — Ne fit-on pas flotter ou tourner votre étendard autour
de la tête de votre roi pendant son sacre à Reims ?
Jeanne. — Pas que je sache.
Le juge. — Pourquoi votre étendard fut-il porté en l'église de
Reims au sacre de votre roi, plutôt que ceux des autres capi-
taines ?
Jeanne. — 11 avait été à la peine, c'était bien raison qu'il fût à
l'honneur*. (P. 187.)
DU « CONSEIL » DE L.\ PUCELLE
Les textes qui précèdent nous montrent saint Michel et les
saintes exerçant de concert une action d'assistance et de
tutelle sur la jeune vierge confiée à leurs soins. Du commen-
cement à la fin de sa mission, ils seront ses inspirateurs et
ses guides. A l'archange reviendra la direction souveraine, le
« gouvernement supérieur ». Aux deux saintes, il appartien-
dra d'intervenir dans les incidents et les difficultés de chaque
jour. En réalité, les voix de l'Envoyée de Dieu seront pour
elle un véritable « Conseil ».
1. E. RicHEit. féanceUX.
JEANNE ET SES VOIX 3G3
Ceci n'est pas iinç hypothèse ou une imagination des histo-
riens. Jeanne elle-même s'en est expliquée avant et pendant
le procès, ses juges ont pris soin de nous le faire savoir.
Au début du premier interrogatoire public, l'évêque de Beauvais
somme l'accusée de dire toute la vérité.
— Voulez-vous, lui demande-t-il, dire la vérité sur les questions
qui vous seront posées, touchant la foi et que vous saurez ?
Jeanne répond. — Volontiers, je jurerai dédire ce que je sais de
mon pèx'e et de ma mère et de ce que j'ai fait depuis que j'ai pris
la route de France. Mais de mes révélations de par Dieu, je n'en ai
parlé à personne, sauf à Charles mon roi, et je n'en parlerai à qui
que ce soit. « Mon conseil secret, » c'est-à-dire mes visions et mes
voix m'ont défendu de les faire connaître. (P. 45.)
A propos de la prise de .largeau, le juge dit à la Pucelle.
— Les Anglais demandaient un délai de quinze jours avant de
se retirer avec armes et bagages. En avez-vous délibéré avec « votre
Conseil, c'est-à-dire avec vos voix m? Anhabuil tune déliberationcm
cum suo Consilio. videlicet cum suisvocibus?
Jeanne. — Je n'en ai pas souvenance. (I^. 7U,80.)
Au cours du même interrogatoire public, le cinquième, le juge
lui demande :
— Vos voix vous ont-elles dit que vous sei'ez délivrée de prison ?
Jeanne. — Non. J'ignore quand je serai délivrée.
Le juge insiste et pose la même question en d'autres termes :
— Votre « Conseil » vous a-t-il dit que vous serez délivrée de la
prison actuelle?
Jeanine. — Parlez m'en dans trois mois et je vous répondrai.
(P. 88.)
C'est encore le même sujet que le juge aborde une autre fois
et avec les mêmes expressions.
— Votre (■ Conseil » vous a-t-il révélé que vous vous évaderiez
de votre prison.
Jeanne. — De cela je n'ai rien à vous dire. (P. 64.)
Dès le second interrogatoire, le juge veut savoir qui a poussé la
Pucelle à prendre l'habit d'homme.
Elle répond qu'elle avait dû laisser 1 habit de son sexe pour pren-
dre l'habit d'homme. Et donnant a entendre que c'était par com-
mandement de ses voix, elle ajoute : « Je pense que mon « Conseil »
m"a donné un sage avis. » (P. o'j.)
3Ù4 APPENDICE I
Ce qui lui faisait dire en une autre circonstance : « Tout ce que
j'ai fait de bien, je l'ai fait par commandement de mes voix. »
(P. 133.)
De ce « Conseil supérieur » Jeanne parla plusieurs fois à son roi
Charles VII, au comte de Dunois, h son intendant Jean d'Aulon,
aux capitaines.
Nous avons rappelé la scène du château de Loches dans laquelle,
en présence du Dauphin, du Bâtard dOrléans et de quelques autres
personnages, la jeune fille consentit à dire « de quelle manière en
usait son Conseil, quand il lui parlait ». (E. Richer, livre 1, loco
supra cilato.)
Au Bâtard d"Orléans, aux capitaines qui sans consulter Jeanne,
ont pris des résolutions qu'elle n'approuve pas, elle dira sans hési-
ter : — En nom Dieu, XOr Conseil de mon Seigneur est plus sage que
le vôtre.
Vous avez été à votre Conseil, et moi j"ai été au mien. Croyez
que ce qu'a décidé le Conseil de mon Seigneur s'accomplira, et que
le vôtre périra. [Procès, t. III, p. 5, 108.)
Le jour de la « chasse de Patay », lorsqu'elle apprit que les
Anglais s'étaient mis en retraite, la jeune guerrière dit toute joyeuse
aux capitaines : « Fussent-ils pendus aux nues, nous les aurons. Ils
sont tous nôtres: mon Conseil me l'a dit. » {Ibid. 98, 09.)
L'intendant de laPucelle, Jean d'Aulon, racontait que « lorsque
ladite Pucelle avait aucune chose à faire pour le fait de la guerre,
elle disait que son Conseillui avait appris ce quelle devait faire. »
Un jour le brave intendant eut la curiosité de savoir qui « était
le Conseil ». Il le demanda simplement à Jeanne d'Arc. « Elle lui
répondit qu'ils étaient trois ses conseillers, desquels l'un était tou-
jours résidamment avec elle (sainte Catherine) ; l'autre allait et
venait souventes fois vers elle et la visitait (sainte Mai'guerite) : et
le troisième était celui avec lequel les deux autres délibéraient. »
Poussant la curiosilé plus loin, d'Aulon requit Jeanne « qu'elle
voulût lui montrer iceluj Conseil. »
Jeanne lui répondit catégoriquement « qu'il n'était pas assez
digne ni vertueux pour iceluy voir. »
L'honnête intendant comprit la leçon. « 11 se désista de plus en
parlera la Pucelle ni enquérir. » [Ibid. p. 219-220.)
N'est-ce pas une chose également originale et touchante que cette
assistance des protecteurs célestes de la Pucelle devenus son
Conseil ? Sous sa direction tutélaire. la jeune guerrière ne fut
jamais isolée, jamais il ne lui faillit. Tout ce qu'elle annonça
JEAXNE ET SES VOIX 305-
de sa pari s'accomplit à la lettre. Orléans fut délivré, le Dauphin
sacré, les Anglais battus et la France sauvée.
ïliOISlEME PARTIE
LES JUGES DE JEANNE ET LES VOIX
Premières interrogations.
Au commencement du premier interrogatoire public, Tévèque de
Beauvais parle à Jeanne en ces termes :
— Nousvous requérons judiciairement de jurer, la main sur les
Saints Evangiles, de dire la vérité dans toutes les questions qui
vous seront posées.
Jeanne. — Mais je ne sais pas sur quels points vous voulez m"in-
lerroger. Peut-être me demanderez-vous des choses que je ne pour-
rai dire.
L EvÈQUE. — Jurez-vous de dire la vérité sur ce qui vous sera
demandé touchant la foi, si vous le savez ?
Jeanne. — Pour ce qui regarde mon père et ma mère, et ce que
j"ai fait depuis que j'ai pris le chemin de France, je jurerai volon-
tiers. Mais pour les révélations que j'ai eues de Dieu, je n'en ai jamais
rien dit ni révélé à personne qu'au seul roi Charles, mon roi, et je
n'en dirai rien. Mon Conseil secret,, mes visions m'ont défendu d'en
rien dire à. personne. (Procès, t. I. p. 45.)
Au commencement du second interrogatoire, le juge désigné
pour interroger la Pucelle, maître Jean Beaupère, revient sur la
question du serment.
— Tout d'aboi'd, lui dit-il, je vous exhorte à dire, comme vous
l'avez juré, la vérité sur ce que j'aurai à vous demander.
— Vous pourriez bien, dit Jeanne, me demander telle chose sur
laquelle je répondrais, et telle autre sur laquelle je ne répondrais
pas. Si vous étiez bien informé, vous devriez vouloir que je fusso
hors de vos mains, « car je n'ai rien fait que par révélation ».
Et elle maintint, ainsi que dans les interrogatoires suivants,
la réserve qu'elle avait mis à son serment '■. (P. 50, oi.)
Les voix pressent Jeanne de répondre hardiment.
Le juge intebrogateur. — Avez-vous entendu la voix qui vient
à vous?
1. !•;. RiciiF.H, {éanccsl, H.
366 APPENDICE I
Jeanne. — Je l'ai entendue hier et aujourd'hui.
Le juge. — A quelle heure hier ?
Jeanne. — Une fois le matin, puis à vêpres, puis le soir, à VAve
Maria. Il m'arrive de l'entendre plus souvent que je ne dis.
Le juge. — Que faisiez-vous hier matin, quand la voix est venue
à vous.
Jeanne. — Je dormais, elle ma éveillée.
Le juge. — Est-ce en vous touchant les bras.
Jeanne. — Non, sans me toucher.
Le juge. — Était-elle dans la chambre.
Jeanne. — Pas que je sache, mais dans le château.
Le juge. — L'avez-vous remerciée ?
Jeanne. — Oui, je l'ai remerciée : j'ai joint mes mains en me
soulevant et m'assejant sur le lit. J'avais d'ailleurs requis son
conseil.
Le juge. — Que vous a-t-elle dit ?
Jeanne. — De répondre hardiment.
Le juge. — En somme, que vous a-t-elle dit, lorsque vous avez
été éveillée ?
Jeanne. — Elle m'a dit. je le répète, de répondre hardiment; que
Dieu viendrait à mon aide. Oui, elle m'a dit de répondre sans
crainte.
Sadressant aussitôt à l'évêque de Beauvais, la jeune fille lui dit :
— Vous, évéque, vous pi'étendez que vous êtes mon juge. Prenez
garde à ce que vous faites, car, en vérité, je suis envoyée de dieu, et
vous vous mettez en grand danger.
Le juge. — La voix a-t-elle changé d'avis ?
Jeanne. — Jamaisjenel'ai trouvée tenant deux langages contrai-
res. Celte nuit en';ore elle me pressait de répondre hardiment.
(P. 61-63.)
Le juge. — L'avez-vous entendue depuis samedi ?
Jeanne. — Oui et plusieurs fois.
Le juge. — Que vous a-t-elle dit ?
Jeanne. — Toujours et plusieurs fois la même chose : de vous
répondre hardiment quand vous m'interrogeriez sur ce qui touche
le procès i. (P. 71, 140.)
Des révélations faites à la Pucelle.
Le juge. — La voix vous a-t-elle défendu de dire tout ce qui vous
serait demandé ?
1. E. RicHER. séances III, lY, X.
JEANNE ET SES VOIX 367
Jeanne. — J'ai l'eçu des révélations concernant le roi que je ne
vous dirai pas.
Le juge. — Cette voix vient-elle de Dieu ?
Jeanne. — Oui et par son ordre, je le crois aussi fermement que
je crois la foi chrétienne et que dieu nous a rachetés des peines de
l'enfer.
Je le répète : elle vient de la part de Dieu. Assurément, je ne vous
dirai pas tout ce que j'en sais. J'appréhende beaucoup plus de me
mettre en faute en disant quelque chose qui déplaise à mes voix,
qu'en vous répondant à vous-même.
Le juge. — Vos voix vous ont-elles donné conseil sur ce que
vous leur demandiez ?
Jeanne. — J'ai eu conseil sur quelques points; mais il en est
d'autres dont je ne parlei'ai que si j'en ai permission. Si je répon-
dais sans en avoir la permission, je naurais pas mes voix en
garant; mais si le Seigneur me le permet, je répondrai sans
crainte, car j'aurai bonne garantie.
Le juge. — Croyez-vous qu'il déplaise à Dieu qu'on dise lavérité ?
Jeanne. — Mes voix m'ont dit certaines choses pour le roi et non
pour vous. Cette nuit même, la voix m'a dit beaucoup de choses
pour le bien du roi. Je voudrais bien qu'il les sût, dussé-je ne pas
boire de vin d'ici à Pâques.
Le juge. — La voix ne pourrait-elle pas porter cette nouvelle à
votre roi?
Jeanne. — Elle ne le ferait que si c'était la volonté de Dieu. Si
Dieu lui-même y consentait, j'en serais bien contente.
Le juge. — Pourquoi la voix ne pai'le-t-elle pas maintenant au
roi, comme elle le faisait lorsque vous étiez en sa présence?
Jean-ne. — J'ignore si telle est la volonté de Dieu. N'était la
grâce de Dieu je ne saurais rien faire.
Le juge. — Savez-vous si vous êtes en la grâce de Dieu ' "?
Jeanne. — Si je n'y suis, Dieu veuille m'y mettre; et si j'y suis,
Dieu veuille m'y garder. Je serais la plus malheureuse du monde
si je savais n'être pas dans la grâce de Dieu. Certainement la voix
ne viendrait pas à moi si j'étais dans le péché -. (P. 63, 6i-.)
1. L'assesseur Jean Lefèvre, professeur de théologie, fît observer à
l'évêque de Beauvais que ce n'était pas là une question à poser à une
simple jeune fille. L'évêque de Beauvais repartit aigrement : « Vous,
vous auriez mieux fait de vous taire. » Peu de docteurs, assurément,
eussent répondu de façon aussi arlmirable que cette fille dos cliamps.
2. E. RiCHER, Séance III.
368 APPENDICE I
Jeanne adolescente.
Le JUGE. — Avez-vous appris quelque métier en votre jeunesse^
Jeanne. — Oui, j'ai appris à coudre et à filer, et à ce métier je
ne crains aucune femme de Rouen.
Dans la maison de mon père, lorsque je n'allais pas aux champs
avec les bi-ebis et les animaux, je vaquais aux soins du ménage.
Le juge. — Vous confessiez-vous tous les ans?
Jeanne. — Oui, à mon curé; et, quand il était empêché, à un
autre avec sa permission. Je me suis confessée deux ou trois fois,
ce me semble, à des religieux mendiants à Neufchâteau. Par
crainte des Bourguignons, nous nous étions réfugiés en celte ville,
en Lorraine, chez une femme surnommée La Rousse, où je demeu-
rai environ quinze jours. (P. 53.)
Le juge. — Dans votre jeunesse, alliez-vous aux champs vous
promener avec les enfants du village?
Jeanne. — Oui, j'j suis allée plusieurs fois.
Le juge. — Les habitants de Domremy tenaient-ils le parti des
Bourguignons ouïe parti adverse?
.Ieanne. — Je n'ai connu parmi eux qu'un Bourguignon, et j'eusse
bien voulu qu'on lui coupât la tête, pourvu toutefois que ce fût le
plaisir de Dieu.
Le juge. — Les habitants de Maxey-sur-Meuse étaient-ils pour ou
contre les Bourguignons?
Jeanne. — Ils étaient pour les Bourguignons.
Le juge. — Quand vous étiez jeune, la voix vous a-t-elle dit de
haïr les Bourgnignons ?
Jeanne. — Quand j'eus compris que les voix étaient pour le roi
de France je n"aimai pas les Bourguignons. Ils auront guerre s'ils
ne font pas ce qu'ils doivent, je le sais par ma voix.
Le juge. — Avez-vous jamais été avec les petits enfants qui se
battaient pour votre parti ?
Jeanne. — Je ne m'en souviens pas; mais j'ai bien vu que quel-
ques-uns de Domremy qui s'étaient battus contre ceux de Maxey,
en revenaient parfois maltraités et tout en sang.
Le juge. — Dans votre jeune âge, aviez-vous l'intention de com-
battre les Bourguignons?
Jeanne. — Ma ferme volonté, mon vif désir étaient que mon roi
eût son royaume.
Le Juge. — Conduisiez-vous les animaux aux champs ?
Jeanne. — Quand j'eus grandi et atteint l'âge de raison, je ne
JEANNE ET SES VOIX 369
gardais pas habiluellement les animaux, mais jaidais à les mener
dans les prairies et dans le château nommé de llle, par crainte
des gens de guerre.
Le juge. — Parlez-nous de l'arbre qui était près de votre village.
;P. 65-68.)
Je.\nne. — (Voir dans E. Richer, à la fin de la troisième séance,
le texte et l'Adverlissement.)
De l'habit d'homme.
Le juge — Croyiez-vous faire mal en portant Ihabit d'homme ?
Jeanne. — Puisque je le porte par commandement de Notre-
Seigneur et à son service, je ne pense pas faire mal. Quand il
plaira à Dieu de me l'ordonner, je l'aurai bientôt quitté. (P. 161.)
Le juge. — Lorsque vous abordâtes pour la première fois votre
roi, ne vous a-t-il pas demandé si vous avez changé d'habit par
suite d'une révélation?
Jeanne. — Je n'ai pas souvenance que pareille chose m'ait été
demandée. C'est écrit à Poitiers.
Le juge. — Votre roi, la reine et ceux de votre parti ne vous
ont-ils pas quelquefois demandé de quitter l'habit d'homme?
Jeanne. — Ceci n'est pas du procès.
Le juge. — A Beaurevoir ne vous a-t-on pas fait la même
requête ?
Jeanne. — Oui, en vérité. Mais je répondis que je ne le quitte-
rais pas sans congé de Dieu.
La demoiselle de Luxembourg et la dame de Beaurevoir m'of-
frirent un habit de femme ou du drap pour le faire et me deman-
dèrent de le porter. Je répondis que je n'en avais pas la permission
de Notre-Seigneur et qu'il n'en était pas encore temps.
Le juge. — Eussiez-vous cru commettre un péché mortel en pre-
nant habit de femme?
Jeanne. — Je fais mieux d'obéir et de servir mon souverain
Seigneur, à savoir Dieu. Si j'eusse dû prendre cet habit, je l'eusse
plutôt fait à la requête de ces deux dames que d'autres dames qui
soient en France, excepté ma reine ^.
Le juge. ^— Lorsque Dieu vous révéla d'avoir à quitter l'habit de
femme pour Ihabit d'homme, le fit-il par la voix de saint Michel
ou par celles de sainte Catherine ou Marguerite?
1. Cotte mention de la reine indique, ce semble, que ]\Iarie d'.Anjou
avait fait à la Pucelle la même demande et reçu la même explication.
370 APPENDICE I
Jeanne. — Je ne vous dirai pas maintenant autre cliose. (P. 94-
96.)
Le juce. — En refusant de prendre habit de leaime, n'affectcz-
vous pas de tenir en mépris votre sexe ?
Jeanne. — Quant aux œuvres de femme, il y aura toujours assez
<le femmes pour les faire. (P. 230.)
Le juge. — Quel garant et quel secours attendez-vous de Notre-
Seigneur en portant l'habit d'homme ?
Jeanne. — Tant de l'habit d'homme que d'autres choses que j'ai
faites, je n'attends d'autre loyer que le salut de mon âme ^.
;P. 179.)
De la sortie de Compiègne.
Le jl'ge. — D'où étiez-vous partie, à votre dernière venue à Com-
piègne ?
Jeanne. — De Crépy-en- Valois. Je vins à heure secrète du matin,
et j'entrai dans la ville sans que les ennemis s'en doutassent. Ce
jour même, sur le soir, je fis la sortie où je fus prise.
Le juge. — Avez-vous fait cette sortie par commandement de
vos voix ?
Jeanne. — Ce jour-là. je ne sus point que je serais prise et je
n'eus aucun commandement de sortir. Mais il m'avait toujours
été dit qu'il fallait que je fusse prisonnière.
Le juge. — Si vos voix vous avaient commandé cette sortie en
vous signifiant que vous seriez prise, y seriez-vous allée '?
Jeanne. — Si j'eusse su que je devais être prise je n'y serais pas
allée volontiers. Toutefois, j'eusse fini par faire ce que comman-
daient mes voix, quelque chose qu'il dût m'en advenir.
Le juge. — Quand vous fîtes cette sortie, passàtes-vous parle
pont de Compiègne ?
Jeanne. — Je passai par le pont et par le boulevard. Avec la
compagnie des gens de mon parti j'allai contre ceux de monsei-
1. Iv lîiCHEU, séances Wl. "VI, XIV.
Ces questions sur l'habit d'homme, avec celios que nous avons rap-
portées plus haut, ne sont pas les seules que les juges aient posées à
ia Pucelle. Ils y reviennent à plusieurs reprises, tantôt en lui offrant de
prendre un habit de femme, ce qui lui permettrait d'ouïr la messe
(p. 176), tantôt en essayant de lui prouver qu'elle s'était rendue cou-
pable d'une faulc mortelle fp. 169). A ces arguties, la Pucelle oppose ces
deu.K réponses : 1° Elle n'a pris l'habit d'homme que par commande-
ment exprès de Dieu: 2° Elle est prête à le quitter dès que Dieu le
lui commandera.
JEAXXE ET SES VOIX 371
gneui' Jean de Luxembourg. Je les reboutai par deux fois jusqu'au
logis des Bourguignons, et la troisième fois jusqu'à mi-chemin.
Alors les Anglais qui étaient là coupèrent le chemin à moi et à
mes gens. Pendant que je me retirais, je fus prise dans les champs,
du côté qui regarde la Picardie, près du boulevard. Entre l'endroit
où je fus prise et Compiègne il y avait la rivière et le boulevard
avec son fossé ; il n'y avait pas autre chose^. (P. H4-il7.)
De l'assaut de Paris. — Des affaires de Pont 1 Evêque
et de La Charité.
Le .iuge. — Quand vous allâtes devant Paris, y allàtes-vous par
l'évélations de vos voix ?
Jeanne. — Non, j'y allai à la requête des gentilshommes qui
voulaient faire une escarmouche ou une vaillance d'armes. Mon
intention était de passer outre et de traverser les fossés.
J'y fus blessée, mais au bout de cinq jours je fus guérie. (P. 146,
37.)
Le juge. — Avez-vous eu quelque révélation d'aller à Ponl-
l'Evéque ?
Jeanne. — Après la révélation qui m'apprit sur les fossés de
Melun que je serais prise, je me rapportai le plus souvent aux capi-
taines pour ce qui était. de la guerre. Toutefois, je ne leur disais
pas avoir eu révélation que je serais prise.
Le juge. — Avez-vous eu révélation d'aller devant La Charité ?
Jeanne. — Pas davantage. J'y allai à la requête des gens d'ar-
mes.
Le juge. — Pourquoi n'entràtes-vous point dans cette ville puis-
({ue vous en aviez commandement de Dieu ?
Jeanne. — Qui vous a dit que j'avais commandement de Dieu
d'y entrer ?
Le juge. — N'avez-vous pas eu conseil de votre voix ?
Jeanne. — Je voulais aller en France. Mais les hommes d'armes
dirent que c'était mieux d'aller premièrement devant La Charité -.
iP. 146, 109.)
Des armes offertes à Saint-Denis, par la Pucelle .
Le juge. — Quelles armes offrîtes-vous à l'église de Saint-Denis
en France ?
■1. E. RiCHEis, séance VU.
i. E. RicHER, séancesll, X, VI.
372 APPENDICE I
Jeanne. — Un blanc harnais tout entier m'apparlenant, avec une
épée que je gagnai devant Paris.
Le juge. — A qui ofTrîtes-vous ces armes ?
Jeanne. — Je les offris par dévotion, selon la coutume des
hommes d'armes quand ils sont blessés. Ayant été blessée devant
Paris, j'offris ces armes à Saint-Denis, parce que c'est le cri de la
France (Mont-Joje-Saint-Denis).
Le juge. — Les offrîtes-vous pour qu'on les adorât?
Jeanne. — Non.
Le juge. — Saint Denis vous est-il jamais apparu?
Jeanne. — Jamais, queje sache. (P. 127.)
Le juge. — A Saint-Denis, n'avez-vous pas désobéi à vos voix ?
Jeanne. — Elles m'avaient recommandé d'abord d'y demeurer :
je voulais bien, iiioi, ne pas méloigner ; mais les seigneurs m'em-
menèrent malgré moi. Toutefois, à mon dépari, j'eus congé de m'en
aller '.(P. 179, 57,259.)
De la soumission à 1 Eglise et de l'appel au Pape.
L'un des pièges les plus dangereux mis par l'évêque de
Beauvais sous les pas de la pauvre prisonnière fut linlerro-
gatoire qu'il lui fit subir le samedi saint (3 1 mars) sur la sou-
mission à l'Eglise.
S'exprimer avec la justesse et la précision nécessaire était
impossible à qui n'avait pas étudié la théologie et le droit
canon. Jeanne ignorait l'un et l'autre. Ce qui n'empêche pas
que dans la condition où elle se trouvait, son argumentation
ne soit admirable. Il n'y avait qu'un mot à ajouter pour la
rendre décisive. L'appel au Pape y suppléa. Moyennant cet
appel, sa soumission à l'Eglise était hors de cause.
Le juge. — Jeanne, voulez-vous vous en rapporter au jugement
de l'Eglise qui est sur terre de tous vos dits et faits, et spécialement
de tout ce qui touche le procès ?
Jeanne. — Je m'en rapporterai à l'Eglise, pourvu qu'elle ne me
demande rien d'impossible.
Le juge. — Qu'appelez-vous impossible?
Jeanne. — J'appelle impossible, révoquer tout ce que j'ai dit au
procès touchant les visions et révélations que j'ai eues de par
Dieu, et regretter d'avoir fait ce que notre sire m'a fait faire et
1. E. RiCHEB, séances XIV, il.
JEANNE ET SES VOIX 373
commandé. Ces choses, je ne les révoquerai et ne les laisserai à
faire pour homme qui vive. Au cas où l'Eglise voudrait me faire
faire quelque chose de contraire au commandement que Dieu m'a
fait, pour rien au monde je ne le ferais *.
Le juge. — Si l'Eglise vous dit que vos révélations sont illusions
ou choses diaboliques, vous en rapporterez-vous à l'Eglise ?
Jeanne. — Je men rapporterai toujours à Notre-Seigneur de qui
je ferai le commandement. Je sais que ce qui est contenu dans le
procès n'a été fait que par commandement de Dieu. Ce que j'ai
affirmé ou dit au procès avoir fait par commandement de Dieu, il
me serait impossible de faire le contraire. Je m'en rapporterai à
Notre-Seigneur dont je ferai toujours le bon commandement.
Le juge. — Ne croyez-vous pas être sujette à l'Eglise de Dieu qui
estsur terre, c'est-à-dire à notre saint père le Pape, aux cardinaux,
archevêques, évêques et autres prélats ?
Jeanne. — Oui, notre sire Dieu premier servi-.
Le juge. — Avez-vous commandement de vos voix de ne pas vous
soumettre à l'Eglise et à son jugement ?
Jeanne. — Mes voix ne me dissuadent pas d'obéir à l'Eglise, mais
notre sire Dieu premier servi'. (P. 324-326.)
Appel au Pape
i° Pendant les interrogatoires.
Le juge. — Vous avez dit que vous répondriez aussi complètement
à Monseigneur de Beauvais et à ses représentants quë^ous répon-
driez à notre saint père le Pape. Pourtant il y a plusieurs questions
auxquelles vous refusez de répondre.
1. El Jeanne pouvait ajouter : l'Eglise militante, celle qui n'est pas
l'Eglise de P. Gauchon, ne le voudra certainement pas.
2. En songeant à la pensée secrète de l'ëvêque de Beauvais qui
entend se substituer personnellement à l'Eglise militante et est décidé
à ne tenir aucun compte de l'appel de Jeanne au Pape, la Pucelle ne
fait ici que redire le mot des Apôtres au sanhédrin : Si juslum est in
conspectu Dei vos potius audire qiiani Deum judicate. (Actes, IV, 19.)
A ce point de vue, le mot « Notre sire Dieu premier servi » est admi-
rable.
3. Quelques assesseurs, touchés de la bonne foi de l'accusée, l'éclai-
rèrent sur cette question périlleuse. Jeanne alors déclara se soumettre
au Concile de Bâle qui allait se réunir. Mais révoque de Beauvais ne
permit pas qu'on prit acte de sa soumission. [Procès, t. II, 4, 304, 349,
350.)
374 ArPENDICK I
lié pondriez- vous plus complèlemenl devant le Pape que vous ne
le faites devant Monseigneur?
Jeanne. — J ai répondu le plus vrai que j'ai su : s'il me venait en
mémoire quelque chose que je me souvienne n'avoir par dite, je la
dirais volontiers.
Lk juge. — Vous semble-l-il que vous soyez tenue de dire la vérité
plus complètement à notre seigneur le Pape, vicaire de Dieu, sur
tout ce qu'on vous demanderait touchant le procès et le fait de votre
conscience ?
Jeanne. — Ce que je requiers, c'est que vous me meniez devant
NOTRE SEIGNEUR LE PAPE, ET ALORS DEVANT LUI, JE RÉPONDRAI TOUT CE
QUE JE DEVRAI RÉPONDRE^. (P. 184, 18;j.)
2" Au cimetière de Saiat-Oiien.
L'appel au Pape que nous venons de mentionner n'est pas le seul
que la Pucelle ait fait entendre durant le procès. Celui qu'elle for-
mula le 24 mai au cimetière de Saint-Ouen, fut aussi catégorique et
beaucoup plus solennel.
Le juge. — Voulez-vous soumettre tous vos dits et faits à notre,
sainte mère l'Eglise ?
Jeanne. — Pour ce qui est de la soumission à l'Eglise, j'ai demandé
aux juges que toutes les clïoses que j'ai faites ou dites soient
envoyées à Rome, à notre saint père le Pape à qui et à Dieu d'abord
je me rapporte. Quant à mes dits et faits, je les ai faits de par
Dieu. Je n'en veux charger personne, ni mon roi, ni aucun autre.
S'il y a quelque faute, c'est à moi seule qu'elle doit être attribuée.
Le juge. — Uévoquez-vous lesfaits et dilsqui sont réprouvés par
les clercs ?
Jeanne. — Je m'en rapporte à Dieu et à notre saint pèi'c le Pape.
Le Juge. — Cela ne suffit pas. On ne peut pas aller chercher
le saint père si loin. Les évêques sont juges, chacun dans son
diocèse.
Et par trois fois, le juge renouvela sa question.
Par trois fois l'accusée répondit «qu'elle se soumettait au souve-
rain Pontife et à l'Eglise, et elle requit qu'on la menât devant le
Pape » .
— Khbien. lui dit-on, votre procès sera envoyé au Pope, cl il le
jugera.
Jeanne réplique : — Pas du tout. Cela ne doit pas se passer
1. E. RicHEii. Séance XV.
JEANNE ET SES VOIX M;,,
ainsi. Je ne sais pas ce que vous mettriez dans le procès, .le veux
être menée au Pape et qu'il m'interroge. (P. 444-446 et tom- II,
p. 328, 358.)
Ces instances de la jeune fille demeurèrent non avenues. L'évéqiio
de Beauvais nen tint aucun compte : il se chargea de remplacer le
Pape et de porter la sentence.
Du martyre de Jeanne.
Le juge. — Savez-vous par révélalion que vous seriez délivrée :
les voix vous en ont elles parlé ?
Jeanne. — Oui, elles m'en ont parlé. Elles mont dit que je
serais délivrée, mais j'ignore le jour et l'heure; et que je fisse hon
visage. (P. 94.)
Le juge. — Vos saintes vous ont donc promis secours ?
(P. m).
Je.\nne. — Sainte Catherine m'a dit que j'aurais secours. Je ne
sais s'il consistera à me délivrer de la prison, ou si, quand je serai
en jugement, il se produira quelque trouhle par le moyen duquel
je pouri'ai être délivrée. Je pense que ce sera l'un ou l'autre.
Ce que mes voix m'ont dit le plus, c'est que je serai délivrée par
grande victoire. Elles ajoutent :
— Prends tout en gi'é ; ne te chaille pas de ton martyre : tu t'en
viendras finalement au royaume du paradis.
Cela, mes voix me l'ont dit simplement et absolument, sans
faillir.
Je crois fermement que Notre-Seigneur ne permettra pas que je
tombe si bas, que je n'aie bientôt secours. (P. 176.)
Le juge. — Qu'entendez-vous par martyre ?
Jeanne. — J'entends la peine et l'adversité que je souffre en la
prison. Je ne sais si je souffrirai davantage, mais je m'en attends
à Notre-Seigneur.
Le juge. — Depuis que vos voix vous ont dit que vous irez fina-
lement au royaume du paradis, vous tenez-vous assurée d'être sauvée
et de n'aller point en enfer ?
Jeanne. — Je crois fermement ce que mes voix m'ont dit. à
savoir que je serai sauvée aussi fermement que si je l'étais déjà.
(P. 156.)
Le juge. — Maintenez-vous cette réponse '?
Jeannf. — J'ai répondu que je serai sauvée pourvu que je tienne
le serment que j'ai fait à Dieu de garder ma virginité d'âme et de
corps.
376 APPENDICE I
Le juge. — Alors, vous n'avez plus besoin de vous confesser.
Jeanne. — .Je ne sache point avoir péché mortellement. Mais si
j'étais en péché mortel, j'estime que sainte Catherine et sainte
Marguerite me délaisseraient tantôt.
Quant à la question que vous m'avez faite, je crois qu'on ne sau-
rait trop nettoyer sa conscience'. (P. 137.)
Le juge. — N'invoquez-vous pas vos voix chaque jour, ne leur
demandez-vous pas conseil sur ce que vous avez à faire ?
Jeanne. — Je vous ai répondu sur cela. Tant que je vivrai, j'ap-
pellerai mes voix à mon aide.
Le juge. — De quelle manière les requérez-vous?
Jkanne. — Je supplie Dieu et Notre-Dame de m'envoyer conseil
et confort ; et ils me l'envoient.
Le juge. — Par quelles paroles les requérez-vous ?
Jeanne. — Je les requiers de cette manière : « Très doux Dieu,
en l'honneur de votre sainte passion, je vous requiers, si vous
m'aimez, que vous me révéliez comment je dois répondre à ces
gens d'église. Je sais bien, quant à l'habit, le commandement,
comment je l'ai pris ; mais je ne sais point par quelle manière
je le dois laisser. Pour ce, plaise à vous de me l'enseigner. »
Et aussitôt les voix viennent.
Aujourd'hui, elles sont venues trois fois. Et saintes Catherine
et Marguerite m'ont dit comment je devais répondre au sujet de
l'habit. (P. 278-280.)
Le juge. — Pourquoi vous obstinez-vous à porter cet habit
d'homme sans nécessité, puisque vous êtes en prison ?
Jeanne. — Quand j'aurai fait ce pour quoi je suis envoyée de
par Dieu, alors je prendrai habit de femme. (P. 39L)
Le juge. — Contre toute bienséance, ne restiez-vous pas en la
compagnie des hommes, refusant le service des femmes ?
Jeanne. — Mon gouvernement était d'hommes. Quant au logis et
au gîte, le plus souvent j'avais une femme avec moi. Et lorsque
j'étais à la guerre, si je ne pouvais trouver de femme, je couchais
vêtue et armée. (P. 293-294.)
Le juge. — Ne vous étes-vous pas constituée chef de guerre,
vous arrogeant orgueilleusement le commandement sur les
hommes?
1. E. Riche». Séance X.
JEANNE ET SES VOIX 377
Jeanne. — J'ai dit comment j'ai été constituée chef de guerre.
Si j'ai été chef de guerre, c'était pour batti;e les Anglais. (P. 293.)
Le JUGE. — Ne vous êtes-vous pas vantée de connaître l'avenir,
vous attribuant à vous, créature ignorante, ce qui n'appartient
qu'à Dieu ?
Jeanne. — Notre-Seigneur est maître de révéler l'avenir à qui
il lui plaît. Ce que j'ai dit de l'épée de Fierbois et d'autres choses
à venir, c'est par révélation. (P. 251.)
Le juge. — Ne voulez-vous pas vous amender, conformément
aux délibérations des gens de savoir ?
Jeanne. — Lisez ce que vous avez à lire, et je vous répondrai. Je
m'en attends à Dieu, mon créateur, de tout; je l'aime de tout
mon cœur. (P. 383.)
JEANNE ENVOYÉE DE DIEU
L'evèque. — Voulez-vous jurer sans conditions, ni réserves ?
Jeanne. — Je dirai sans peine ce que je sais, mais je ne dirai
pas tout. Je suis venue de par Dieu, je n'ai rien à faire ici. Ren-
voyez-moi à Dieu de par qui je suis venue. (P. 61.)
Le juge. — Voulez-vous soumettre tous vos dits et faits à la
détermination de notre sainte mère l'Eglise?
Jeanne. — J'aime l'Eglise et voudrais la soutenir de tout mon
pouvoir. Quant à ma venue, il faut que je m'en rapporte au Roi
du ciel qui m'a envoyée h Charles, fils de Charles qui est roi de
France ^
Le juge. — Encore une fois, vous rapportez-vous de vos dits et
faits à la détermination de l'Eglise ?
Jeanne. — Je suis venue au roi de France de par Dieu, de par la
Bienheureuse Vierge Marie, de par tous les benoîts saints et
saintes du paradis et par leur commandement. A cette Eglise-là,
je soumets tous mes bons faits et tout ce que j'ai fait ou ferai.
Quant à me soumettre à l'Eglise militante — celle de laquelle les
juges avaient exclu les prêtres du parti français, repoussant la
demande que l'accusée avait faite, — je n'en répondrai mainte-
nant autre chose -. (P. 174-176.)
Le juge. — Pensez-vous que votre roi fit bien de tuer ou de
faire tuer le duc de Bourgogne ?
1. E. RiCHER, séances IH. XIV.
2. E. Richer; séance XIV.
378 APPENDICE I
.Ikanîse. — Ce fut grand dommage pour le royaume de Fi'ance.
Quoi quil j eût entre ces deux princes, c'est au secours du roi de
France que Dieu m'a envoyée ^ (P. 183-184.)
On a vu plus haut que la Pucelle ne craignit pas, aucommenco-
ment du troisième interrogatoire public, d'interpeller l'évêque de
Beauvais et lui déclara que, « en vérité, elle était ênvo^'ée de Dieu.
Qu'il prît garde de bien juger, car, il se mettrait en grand dan-
ger ».
Dans la séance du 14 mars, la dixi;ine, l'évêque de Beauvnis
revint sur ce sujet et posa à la jeune fille la question suivante :
Vous avez dit que nous, Evoque, nous nous exposions a un
grand danger en vous mettant en cause. Qu'est-ce que ce danger
auquel nous et les autres nous exposons?
Jeanne. — Oui, je vous ai dit : Vous prétendez que vous êtes
mon juge; je ne sais si vous l'êtes. Mais, avisez-vous de ne pas
juger mal, car vous vous mettriez en un danger grave. Je vous en
avertis, et si Dieu vous frappe, j'aurai fait mon devoir de vous le
dire. (P. 154-155.)
Car, en vérité, je suis envoyée de Dieu. (P. 62.)
Le juge. — Ceux de votre parti croient-ils fermement que vous
êtes envoyée de Dieu ?
Jeanne. — Je ne sais s'ils le croient, et je m'en rapporte à eux.
Mais, s'ils ne le croient pas, je n'en suis pas moins envoyée de par
Dieu.
Le juge. — En vous croyant envoyée de Dieu, pensez-vous qu'ils
aient bonne créance ?
Jeanne. — S'ils me croient envoyée de Dieu, ils ne sont pas abu-
sés'^. (P. 101.)
DES PRÉDICTIONS FAITES PAR LA PUCELI-E EN PRÉSENCE
DU TRIBUNAL DE ROUEN
La soumission de Paris.
Au commencement du cinquième interrogatoire public, les
juges firent donner lecture de la lettre de Jeanne aux Anglais.
Dans cette lettre, la jeune fille dit au roi d'Angleterre et à ses
capitaines qu'elle est « envoyée de Dieu pour faire rendre les clefs
1. l^. RicHEB, séance XV.
2. E. RicHER, séance VI.
JEANNE ET SES VuIX 379
de toutes les bonnes villes qu'ils ont prises en France; quelle est
venue de par Uieu pour réclamer le sang royal n.
En ordonnant cette lecture, l'évéque de Beauvais procurait à
l'accusée l'occasion de rétracter, s'il y avait eu lieu, ce que la
lettre contenait d'assurances défavorables à la cause anglaise, en
particulier que « le roi Charles entrerait dans Paris en bonne
compagnie »■. (Procès, 1, 2i0.)
Loin de retirer aucune de ces assurances, Jeanne les maintient
et renouvelle, en fixant l'époque, la prédiction de la rentrée de
Paris en l'obéissance de son souverain légitime.
« Avant (jue sept années se soient écoulées, dit-elle, les Anglais
abandonneront un gage plus précieux qu'ils ne l'ont fait devant
Orléans : ils perdront tout en France. Oui, les Anglais éprouveront
la perle la plus grande qu'ils aient jamais éprouvée : cela par une
grande victoire que Dieu enverra aux Français. »
Cette victoire fut la soumission de la capitale et son abandon
par les troupes anglaises, en 1436.
Devant le tribunal de Rouen, l'envoyée de Dieu ne lait que
renouveler et confirmer la prédiction qu'elle avait faite devant la
Commission royale de Poitiers et dans la lettre aux Anglais.
Seulement, la Voyante fait observer que si les Anglais eussent
ajouté foi à sa lettre, ils eussent agi sagement; qu'avant sept ans,
ils reconnaîtront le bien fondé de ce qu'elle leur avait écrit.
(P. 241.)
Le juge, continuant, demande à la l'ucelle : — Comment savez-
vous cela?
Jeanne. — Je le sais par une révélation qui m'a été faite et qui
sera accomplie avant sept ans. Et de ce qui m'a été révélé, j'en mifi
aussi assurée que je le suis de votre présence devant moi.
Le juge. — Quand cela s'accomplira-t-il '?
Jeanne. — J'ignore le jour et l'heure.
Le juge. — Par qui savez- vous ces choses à venir?
Jeanne. — Je les sais par sainte Catherine et sainte Marguerite^
(P. 84-83.)
Le traité d'Arras.
Nous avons rapporté plus haut, la réponse de l'héroïne au juge
qui la sommait de soumettre ses dits et faits à la détermination
de l'Eglise. Elle insistait sur ce point que « le Roi du ciel l'avait
envoyée à Charles, fils de Charles, qui était roi de France ».
1. E. RicHER. séance V.
380 APPENDICE I
Pi'éocr-upée avant tout de défendre la vérité de sa mission de
par Dieu, sous l'inspiration de ses voix elle en apporte une preuve
nouvelle et annonce en ces termes l'un des événements qui, peu
après sa mort, devaient affaiblir considérablement la cause
anglaise.
(( V^ous verrez, dit-elle, que les Français gagneront bientôt une
grande besogne que Dieu enverra aux Français, et qui mettra en
branle presque tout le royaume de France.
« Je vous le dis, afin que quand ce sera advenu, on ait mémoire
que je l'ai dit. »
Le juge. — Quand cela adviendra-t-il ?
Jeanne. — Je m'en rapporte à Notre-Seigneur *. (P. 174175.)
Celle grande besogne, c'est le traité d'Arras, signé le 21 septem-
bre 1435, qui détacha le duc de Bourgogne du roi d'Angleterre et
le réconcilia définitivement avec Charles Vil.
Prédiction de la recouvrance du royaume et de l'expulsion
des Anglais.
Le juge. — Quelles promesses vous ont faites sainte Catherine
et sainte Marguerite ?
Jeanne. — Elles m'ont assuré que mon roi serait rétabli dans
son royaume, que ses adversaires le voulussent ou non.
Le juge. — Vos voix vous ont-elles dit aussi que dans trois mois
vous serez délivrée de prison ?
Jeanne. — Cela n'est pas du procès.
Le juge. — Vos voix vous ont-elles défendu de dire la vérité ?
Jeanne. — Vous voudriez que je vous dise ce qui regarde le roi
de France. Ce que je sais, cest que mon roi gagnera le royaume
de France. Cela, je le sais comme je sais que vous êtes là devant
moi pour me juger. Je serais morte si ces révélations ne me con-
fortaient chaque jour -. (P. 87-88.)
Le juge. — N'avez-vous pas promis à celui que vous appelez
votre roi, trois choses, entre autres : de faire lever le siège
dOrléans, de le faire couronner à Reims, et de le délivrer de ses
adversaires ?
Jeanne. — Oui, je confesse avoir porté des nouvelles de par
Dieu à mon roi, à savoir que notre Sire lui rendrait son royaume,
qu'il le ferait couronner à Reims et qu'il mettrait hors ses adver-
1. E. RiCHER, .séance XIV.
2. E. RicHER, séance V.
JEANNE ET SES VOIX 381
saires. El de ce, je fus messagère de par Dieu. Ou"il me mil donc
hardimenl à l'œuvre,
Et en parlant du royaume, je dis tout le royaume. Que si mon-
seigneur de Bourgogne et les autres sujets du royaume ne venaient
à lobéissance, le roi les y ferait venir par force. (P. 231-232.)
Pour monseigneur de Bourgogne, je l'ai requis par lettre, lui cl
ses ambassadeurs, qu'il y eût paix entre son roi et lui. Mais pour
les Anglais, la paix qu'il y faut, c'est qu'ils s'en aillent chez eux, en
Angleterre. (P. 233-234.)
Victoire de Castillon.
Lk juge. — Savez-vous si sainte Catherine et sainte Marguerite
haïssent les Anglais?
Jeanne. — Elles aiment ce que Dieu aime et haïssent ce que
Dieu hait.
Le juge. — Dieu hait-il les Anglais ?
Je.\nne. — De l'amour ou de la haine que Dieu a pour les
Anglais et pour leurs âmes, je ne sais rien. Mais je sais bien qu'ils
seront boutés hors de France, excepté ceux qui y demeureront et
mourront, et que Dieu enverra victoire aux Français contre les
Anglais '. (P. 177.)
Cette victoire qui « bouta les Anglais hors de toute France »,
fut la victoire de Castillon (14o3) ; le vieux ïalbot y perdit la
bataille et la vie.
Avisée l'éditeur. — Sur ce sujet des Voix de la Pucelle, on
poiu'ra consulter les deux ouvrages spéciaux suivants :
Chassagnon (Abbé Hyacinthe). — Les Voix de Jeanne d'Arc, in-S"^,
Lyon, 1896.
Dunand (Chan. Philippe-Hector). — Les iiiio)is et les Voix,
in-8°, Paris. 1903. lvi-662 pages.
Aux pages lii-lvi de celle deuxième étude, le lecteur trouvera
l'indication d'une Bibliographie assez abondante. L'étude même se
divise en trois parties :
Première partie : Les textes et les faits.
Deuxième partie : Les voix de Jeanne et les explications imaginées.
Troisième partie : Les voix de Jeanne et lexplication chrétienne.
Suivent cinq Appendices, dont un sur riiallucinalion et l'hysté-
rie, et trente notes.
1. E. RiCHER, séance XIV.
APPENDICE II
' *AVANT LE PROCÈS DE ROUEN, LA PUCELLE NA-T-ELLE
JAMAIS PARLÉ DE SES VOIX
De la plume de M. Gabriel Hanotaux, dans les articles- qu'il a
donnés à la Revue des Deux Mondes sur Jeanne d'Arc, est tombée
cette réflexion : « 11 est l'emarquable que des anges et des saintes
qui furent envoyés à Jeanne, il n'est pas fait mention une seule
fois avant le procès ■ . »
Ce langage est-il bien exact? Sans doute, aucun document n'af-
firme qu'avant le procès de Rouen la Pucelie « ait dévoilé toute la
belle histoire des Voix ». Parce qu'elle était sainte, elle la recou-
verte en partie du voile de l'humilité chrétienne, tant qu'elle s'est
sentie libre de parler ou de se taire. Parce qu'elle était sainte, elle
a pensé qu'elle devait parler, dès qu'elle a été interrogée sur ce
sujet par un tribunal ecclésiastique ayant les apparences d'un tri-
bunal régulier. Mais il est très vrai que plusieurs fois, au cours
de son histoire et de sa mission, l'envoyée de Dieu a parlé de ses
voix en termes des plus explicites.
C'est d'abord l'un des deux gentilshommes à qui Robert de Bau-
dricourt la confia pour la conduire à Chinon, Jean de Metz, qui
dira aux juges de la réhabilitation : « Sans cesse, Jeanne nous
recommandait de ne rien craindre. Elle avait ordre de faire ce
qu'elle faisait. Ses friH-es du paradis lui marquaient ce qu'elle
avait à faire. Depuis quatre ou cinq ans, ses frères du paradis —
elle répète le mot — et son seigneur, c'est-à-dire Dieu, lui avaient
dit qu'il lui fallait guerroyer pour recouvrer le royaume de
France. — Sûrement, ajoutait-elle, elle arriverait jusqu'au Dau-
phin, elle était née pour cela, il les recevrait et leur ferait bon
visage. » [Procès, t. II, pp. 437, 438, 449.)
La Pucelie mentionne ici, à deux reprises, ses « frères du para-
dis ». Aux juges de Rouen qui l'en presseront, elle dira, de plus.
1. Revue des Deux Mondes tlu !'>'■ juin 1910. p. 484.
DES VOIX DE JEANNE AVAxM' LE l'ROCES DE ROUEN 383
comment ils se nommaient et quelques-unes des circonstances qui
ont signalé leurs nombreuses apparitions.
11 j a plus. Au cours des quinze interrogatoires du procès d'ol-
llce, il est question, on l'a vu plus haut, du « Conseil secret » de la
l'ucclle et de ses Voix. Ce n'est pas seulement à ses juges que
.leanne a parlé de ces faveurs providentielles. Elle en a maintes
lois entretenu son roi, les seigneurs de la cour, les maîtres et pré-
lats qui l'examinèrent, et nous en retrouvons l'écho fidèle jusque
chez les chroniqueurs de l'époque.
Au rapport d'un témoin, la jeune vierge parla « de grande
manière » de ses visions, en présence de la Commission rojale de
Poitiers. Comme on lui demandait ce qui l'avait poussé à venir
jusqu'au i*oi, elle répondit magno modo en ces termes :
'.; Pendant qu'elle gardait les animaux, une Voix lui apparut —
expression propre au témoin, le religieux dominicain Seguin de
Seguin, — qui lui dit que Dieu avait grand'pitié du peuple de
France, et qu'il fallait qu'elle, Jeanne, vint en France. En enten-
dant ces paroles, elle se mit à pleurer. Et alors, la \'oix lui dit
,d"aller à Vaucouleurs, qu'elle y trouverait un capitaine qui la
ferait conduire sûrement en France et au roi ; qu'elle niiésitàt pas.
Et elle avait fait ce que lui disait la Voix, et elle était venue au
roi, sans empêchement aucun. » {Procès, t. III, p. 204.)
Perceval de Boulainvilliers, dans sa lettre au duc de Milan,
s'exprime à peu près de la même manière. C'est « une Voix sortie
d"une nuée, qui apprit à Jeanne d'Arc enfant, quelle mission guer-
rière elle aurait à remplir. Cette Voix se fit entendre plusieurs
fois : et les apparitions se succédèrent jusqu'à ce que Jeanne prit
la route de Chinon ». {Procès, t. V, pp. 117, 118.)
D'après Alain Chartier, c'est également « une Voix sortie d'une
nuée qui avertit maintes fois la jeune vierge de venir au secours
du royaume et du roi ». {Ibid., p. 132.)
On trouvera les Voix de Jeanne mentionnées à plusieurs reprises
dans la Chronique de la Pucelte {Procès, t. 1\', p. 23:j), et dans les
pages de Jean Chartier. {Ibid., pp. 168, 169.)
Lenvoyée de Dieu n'attendit pas lexamen de Poitiers pour
entretenir les prélats et docteurs de Chinon du Conseil et des Voix
qui la dirigeaient. Le duc d'Alençon nous apprend que, comme on
lui demandait le motif de sa venue à la Cour, elle leur répondit
'( quelle était venue par ordre du roi des cieux, qu'elle avait un
Conseil et des Voix qui lui marquaient ce quelle avait à faire ».
{Procès, t. III, p. 92.)
Confirmant et tout ensemble expliquant cette déclaration, elle
384 APPENDICE II
disait au jeune duc, avec qui elle prenait son i-epas, qu'on lavait
fort examinée, mais quelle en savait beaucoup plus qu'elle nen
avait montré à ses interrogateurs. {Ibid.)
ICUe faisait la même confidence au frère Pasquerel, son aumô-
nier. Plus dune fois elle lui avoua que « son fait n'était qu'une
mission d'en haut, ou, selon son expression, qu'un ministère ».
Quand on remarquait en sa présence « que jamais on n'avait rien
vu de comparable à son fait, que dans aucun livre on ne trouvait
rien de pareil », la jeune fille répondait : « Mon seigneur possède
un livre dans lequel nul clerc ne lit, si parfait soit-il en cléri-
calure. » (I6jrf.,pp. 110, lii.)
Ce sont là des allusions manifestes à ses révélations et à ses
Voix. Aux propos le bon père Pasquerel joindra des faits. Il rap-
pellera les insultes grossières dont les Anglais la couvraient, lors-
qu'à Orléans, elle les sommait de lever le siège. Jeanne ne put
s'empêcher de répandre d'abondantes larmes, « en invoquant le
secours du Roi du ciel ». Elle ne l'invoqua pas en vain, ajoute
l'excellent aumônier. « Elle fut consolée, car elle eut des nouvelles
de son Seigneur. »
Ue même, à l'assaut des ïournelles. Blessée par une flèche,
« d'abord elle fut effrayée et pleura ; mais bientôt, avoua-t-elle,
elle fut consolée )'. {Ibid., pp. 108, 109.)
Mais revenons aux témoignages formels dans lesquels il est ques-
tion du Conseil de la jeune guerrière et de ses Voix.
En arrivant en vue d'Orléans, qu'elle venait délivrer, Jeanne
reproche à Dunois de lui avoir fait prendre la route de la rive
gauche de la Loire, au lieu de celle de la rive droite. « Croyez, lui
dit-elle, que le Conseil de mon Seigneur, celui qui me dirige, est
plus sage que le vôtre. » {Procès, t. 111, p. 3.)
Aux capitaines qui, ayant délibéré sans elle, veulent lui imposer
leurs résolutions, elle fera savoir « qu'elle a été à son Conseil,
elle aussi, et que ce que son Conseil a décidé s'accomplira ». {Ibid.,
p. 108.)
Le jour de la « chasse de Patay », elle assurera de la victoire
ses compagnons d'armes. « Les Anglais fussent-ils pendus aux
nues, nous les aurons, dit-elle : ils sont tous nôtres, mon Conseil
me l'a dit. » {Ibid., pp. 98, 99.)
Mais les deux personnages qu'il nous faut entendre de préférence,
sont le Bâtard d'Orléans et Jean d'Aulon, l'intendant de l'hé-
i-oïne.
Le Bâtard d'Orléans, dans sa déposition à l'enquête du procès
de revision, peindra la scène si touchante dans laquelle Jeanne,
DES VOIX DE JEANNE AVANT LE PROCÈS DE ROUEN 385
en présence du roi et de plusieurs seigneurs, au nombre desquels
était Dunois, consentit à dire comment elle invoquait ses Voix.
Il avait été question de la marche sur Reims, et la Pucelle avait
pressé le Dauphin d'aller, au plus tôt, recevoir son « digne sacre ».
L'un des seigneurs présents, Christophe d'Harcourt, lui demanda
si tel était l'avis de son Conseil. Jeanne répondit que oui. Chris-
tophe d'Harcourt alors ajouta :
— JNe voudriez-vous pas dire, en- présence du Roi, de quelle
manière votre Conseil vous parle ?
— Volontiers, répondit Jeanne, je vous le dirai.
— Vraiment, fit Charles VII. il vous plaii-ait de le dire devant
les personnes présentes?
— Mais oui, repartit la Pucelle.
Alors elle dit que lorsqu'on refusait de croire ce quelle assurait
de la part de Dieu, elle se retirait à l'écart, priait Dieu, et se plai-
gnait à lui que ceux à qui elle s'adressait refusassent de croire à
ses paroles. Et quand sa prière était achevée, elle entendait une
Voix qui lui disait : Fille de Dieu, va, va, je serai à ton aide. Et
quand elle entendaitcette Voix, elle devenait toute joyeuse et elle
eût voulu être toujours en cet état. » {Procès, t. III, p. 12.)
iN'est-ce pas au même sentiment que la « Fille de Dieu » obéis-
sait, lorsque, à propos des Anges qui lui apparaissaient, elle dira
plus tard : « Oui, je les ai vus aussi bien que je vous vois; et, quand
ils s'en allaient, je pleurais et j'aurais bien voulu qu'ils me pris-
sent avec eux. » {Procès, I, 73.)
L'intendant de la Pucelle, Jean d'Aulon, le plus honnête homme
que Dunois ait connu, eut, ainsi que Christophe d'Harcourt, la
curiosité de savoir ce qu'était ce Conseil dont la jeune guerrière
suivait les avis et dont elle faisait à son brave intendant 1 honneur
de parler.
« Car, rapporle-t-il lui-même, quand la Pucelle avait aucune
chose à faire pour le fait de sa guerre, elle lui disait que son Con-
seil lui avait dit ce qu'elle devait faire.
« Il l'interrogea donc qui était son dit Conseil. Jeanne lui répon-
dit qu'ils étaient trois, ses conseillers, desquels l'un résidait habi-
tuellement avec elle, l'autre allait et venait souventes fois vers
elle, et le tiers (troisième) était celui avec lequel les autres délibé-
raient. »
Cette communication ne suffit pas au brave d'Aulon; il désira
en savoir davantage et il requit Jeanne « qu'elle voulut une fois
lui montrer icelui conseil. Jeanne répliqua qu'il n'était ni assez
digne, ni assez vertueux pour icelui voir ». {Procès, t. 111, 218.)
25
386 APPENDICK II
Qu'inférer de ces textes divers ?
Deux choses aussi évidentes l'une que l'autre.
La pi'emière, c'est que l'Envoyée de Dieu ne garda pas un
silence absolu, durant sa vie publique, sur le Conseil supérieur et
les Voix d'en haut qui la dirigeaient dans laccomplissement de sa
mission libératrice. Le roi, les seigneurs de la cour, les prélats qui
l'examinèrent, les capitaines en furent informés, et autour d'eux,
de simples hommes d'armes ne l'ignorèrent pas. « C'était son Con-
seil, déposera un écuyer, Gobert Thibaut, qui lui avait dit de venir
sans tarder jusqu'au roi. » {Procès, t. III, 75.)
La seconde, c'est qu'à ces affirmations, suffisantes au point de
vue de la transcendance et de la garantie de sa mission, l'Envoyée
Ac Dieu ne joignit pas de détails. Elle ne fit connaître, en aucune
circonstance antérieure au procès de Rouen, la personnalité de
ses Voix et les noms des êtres supérieurs qui formaient son Con-
seil. A ses ennemis mortels était réservée la tâche de provoquer,
de recueillir et de nous conserver ces aveux.
APPENDICE III
LA MISSION DE LA PUCELLE — LES ORIGINES
Quelque inléi'essant que soit le récit des visions de la Piicelle
racontées par elle-même, ce qui ne Test pas moins, c'est la lumière
(lu'il projette sur la mission libératrice de lliéroïne, ses origines,
son accomplissements
L'histoire de Jeanne c'est, avons-nous dit, l'histoire de sa mis-
sion annoncée d'abord, puis exécutée. Et parce que, au cours de
cette mission, ses Voix ne cessent d'intervenir, d'inspirer ses pro-
pos et ses actes, la jeune fille parlera autant de ses Voix que d'elle-
même, des conseils, de la direction, des révélations qu'elle rei^oit
que de la manière dont elle se conforme à ces conseils et obéit à
cette direction.
Comme elle est la seule qui puisse en témoigner et qui en ait
témoigné, son témoignage devient la source unique de sa propre
histoire. De ses rapports mystérieux de sept années avec ses pro-
tecteurs célestes, nous ne savons, les historiens ne savent que ce
qu'elle nous en a l'aconté.
Quel a donc été, d'après Jeanne elle-même, le principe de sa
mission libératrice, quelles en ont été les origines, quelle a été la
raison d'être de son apparition à la cour du roi Charles Vil et de
son intervention dans les affaires du royaume?
I
Ce que la Pucelle n'a cessé d'affirmer, c'est que sa vocation et sa
mission sont de Dieu, c'est que ses Voix les lui ont fait connaître,
c'est enfin que dans sa réponse à l'appel de Dieu, dans l'accoui-
i . Sur la mission de la Pucelle et les problèmes qui s'y rattaclienl"
nous uous permettrons de renvoyer à notre Etude criliriue, 4« série :
Jeanne d'Arc et sa mission d'après les documents. Conférences données
en 1909 à l'iuslitut catholique de Paris. In-12, G. Beauchesne, H7, rue de
Rennes, éditeur.
388 APPENDICE III
plissement de sa mission, aux jours de Iriomphe comme aux jours
d'épreuve, elle a constamment été guidée, conseillée, assistée,
confortée, éclairée par ses protecteurs d'en haut.
Demandons-lui quel est le point de départ de sa vocation, elle
répondra :
« Une Voix venant de Dieu pour l'aider à se bien conduire. »
Quelle est la raison d'être de cette vocation? Elle ajoutera que,
indépendamment de sa sanctification personnelle, c'est le relève-
ment du royaume, la défaite et l'expulsion de 1". anglais.
« Il faut que la jeune vierge quitte son village pour aller en
France. Seule, elle peut recouvrer les provinces au pouvoir de
l'étranger. D'elle seule le pars et son roi auront secours ^ »
Devant un tel langage, l'horizon s'illumine, l'on est transporté
en pleine histoire sacrée. On a l'intuition que Jeanne appartient k
l'histoire de l'Église aussi bien qu'à l'histoire de notre pays. En lui
réservant l'honneur de vaincre et de chasser les envahisseurs. Dieu
en use envers sa petite servante comme il en a toujours usé envers
les personnages dont il a fait ses envoyés extraordinaires, ses ins-
truments de choix, Abraham, Moïse, Josué, Gédéon, Debbora,
Esther, Judith, saintes Brigitte de Suède et Catherine de Sienne,
sans oublier les vierges et martyres sainte Catherine et Marguerite.
A ces âmes privilégiées, l'appel de Dieu s'est fait entendre avant
toutes choses. Jeannette l'entendra pareillement. Sauver le peuple
élu était la mission des Moïse et des Debbora. Sauver un grand pays
et son prince, leur rendre l'indépendance, briser le joug de l'An-
glais prêt à s'abattre sur eux, telle sera la mission de la vierge de
Doinremy.
Cet appel d'en haut, Jeanne l'entendra plusieurs fois pendant
deux années consécutives avant que lui soit révélée l'œuvre à
laquelle cet appel la destinait. La première fois, ce sera, on l'a vu
plus haut, dans le jardin de son père, par un beau jour d'été; puis
au milieu des prairies qui bordent la iMeuse, puis dans la solitude
de Bermont, sous les ramures du Bois Chesnu, dans les champs
lorsque sonne V Angélus, et jusque dans les sanctuaires de dévotion
où elle aime venir prier. Jamais, sans ces appels réitérés,' la
simple villageoise qu'était Jeanne n'eût songé à se parer du titre
d' « Envoyée de Dieu ».
Ce n'est pas dès la première apparition que ce titre lui est
conféré. Ses Voix la font passer par plusieurs degrés d'initiation
avant de lui révéler leur secret.
1. l'rocès, t. I, p. 51 ; t. 11, p. 436.
LA MISSION DE LA PUCELLE, LES ORIGINES 389
Premier degré. — La vocation et l'appel de Dieu. — L'archange
saint Michel, d"abord, les saintes Catherine et Marguerite, quelque
temps après, lui apparaissent et conversent avec elle « pour Taidcr
à se bien conduire ».
Deuxième degré. — La mission se prépare. —Jeanne met en pra-
tique les conseils de ses Voix. Sa piété, sa foi, son amour de la
France et de Dieu grandissent. Larchange alors « lui raconte la
pitié du royaume ».
Troisième degré. — La mission se précise. — Jeanne brûle du
désir de porter remède à cette pitié. La Voix lui apprend qu'il lui
faudra pour cela quitter son village et venir en France. A un
moment donné, elle le lui dira deux ou trois fois par semaine.
Quatrième degré. — J.es voiles se déchirent. La jeune vierge est
investie de sa mission. — Le siège d'Orléans approche. Jeajine doit
le faire lever. Mais il est indispensable qu'elle ait une audience du
Dauphin. Qu'elle se rende donc à Vaucouleurs et qu'elle demande
à Baudricourt une escorte pour la mener à Chinon. Qu'elle n'hésite
pas à se présenter à lui comme 1' « Envoyée de Dieu », qui seule
peut venir en aide au royaume, qu'elle lui donne comme gage la
révélation de la défaite de Rouvray, et Baudricourt finira par con-
sentir à sa demande. Ses officiers la conduiront au roi, et la jeune
fille sera mise à même d'accomplir sa mission.
Celte mission, elle la connaît maintenant dans .ses éléments
essentiels ; l'esprit de Dieu et ses Voix la lui ont révélée. Comme
elle le dit au capitaine de Vaucouleurs, comme elle le redira maintes
fois aux conseillers, gens du roi et gens d'Église, ce sera, dans un
sens général, le salut du pays, la recouvrance du royaume à main
armée, si les envahisseurs repoussent les propositions de paix; ce
sera plus particulièrement et à brève échéance la levée du siège
d'Orléans, le sacre du Dauphin à Reims, et deux séries d'événe-
ments précisés plus tard, correspondant aux deux parties de sa
mission, l'une, « mission de vie », qui s'accomplira de son vivant,
l'autre, « mission de survie », qui ne s'accomplira qu'après sa mort,
mais cependant du vivant même de son roi. Dans l'une' et dans
l'autre, le vrai titre de Jeanne sera celui d" « Envoyée de Dicui:.
« Gentil Dauphin, dira-t-elle à Chai'Ies Vil, je suis venue et suis
envoyée de Dieu pour donner secours au royaume et à vous '. »
A l'évéque de Beauvais, son juge, elle dira par «Jeux fois :
« Prenez garde à ce que vous faites, car je suis envoyée de Dieu -. »
1. Procès, t. I, p. 17.
2. Ibid., t. II. p. 62, 154.
390 APPENDICE III
Sur le bûcher, son acte suprême de foi sera celui-ci : « Non. mes
Vnix ne mont pas trompée, ma mission était de Dieu '. ))
Et ses fidèles auxiliaires dans l'accomplissement de sa mission
seront les protecteurs célestes qui l'en ont investie de par Dieu-
ce Tout ce que jai fait de bien, déclarera-t-elle, je l'ai fait par
commandement de mes Voix. — Jamais je n'ai eu besoin d'elles
qu'elles ne soient venues. Voilà sept ans qu'elles ont entrepris de
me gouverner -. »
Du reste, ses Voix ne lui ordonneront rien que par commande-
ment de Dieu. « Elles viennent de Dieu et par son ordre. Et elle n'a
rien fait que par commandement de Dieu et de ses anges ^. »
De là ses protestations réitérées : « Je ne suis venue en France
que par commandement de Dieu. J'eusse mieux aimé être écartelée
que d'y venir sans son commandement. »
Ses juges lui opposant le devoir d'obéir à ses père et mère :
« Puisque Dieu commandait, répliqua-telle, il fallait bien obéir,
lîlussé-je eu cent pères et cent mères, eussé-je été fille de roi, Dieu
le commandant, je serais partie K »
II
Les esprits formés à l'école du christianisme ne seront pas sur-
\>y\s de ce dessein de la Providence. Ils savent que Dieu se plaît à
« choisir les faibles de ce monde pour confondre les forts ». Quant
aux esprits que les considérations de ce genre laissent indilférents,
l'étude sérieuse des documents les gênera fort pour donner de la
mission de laPucelle et de ses origines une explication purement
naturelle.
A tenir compte du milieu et des. occupations dans lesquelles la
petite Jeanne a passé les années de son adolescence, c'est un pos-
tulat de bon sens quelle n'a pu concevoir d'elle-même et improviser
sa vocation et sa mission telles qu'elle les présenta à son parent
Laxart et au capitaine de Vaucouleurs d'abord, plus tard au jeune
roi, aux prélats et gens de guerre qui l'examinèrent, en dernier
lieu à ses juges de Rouen. Simple villageoise, d'une famille
obscure, sans instruction, sans formation spéciale, ces idées lui
sont venues d'ailleurs.
1. Ibid., t. m, p, 170.
2. Procès, t. I,pp. 71-72, 127, 1.32, 133. 134.
3. Ibid.. p. 74.
4. ma., p. 129.
r. MISSION DE LA PUCELLE, LES ORIGINES 301
Mais c'est un postulai de bon sens non moins manifeste el une
(•nnséqiience qui jaillit des documents, que ces idées n'ont pu lui
venir davantage ni des siens, ni des compagnons de son adoles-
cence, ni des personnes, ecclésiastiques ou laïques, avec qui elle a
été en relation de sa treizième à sa seizième année. Auprès d'aucun
des personnages dont parlent les textes, la jeune fille na pu puiser
les éléments du plan qu'elle a conçu, et apprendre les moyens de
le mettre à exécution : l'intelligence, l'expérience, les connaissances
indispensables leur faisaient totalement défaut.
Oubliant que les procédés commodes du i^oman doivent être
bannis de l'histoire, un écrivain de renom imaginait récemment
\m moine quelque peu fanatique dont la Pucelle aurait subi l'in-
fluence, un directeur inconnu qui « aurait préparé à Charles VII un
angélique auxiliaire' ».
On a dit encore : « Jeanne fréquentait beaucoup de prêtres et de
moines. »
Si l'on s'en tient aux documents, la Pucelle n'a fréquenté ni
beaucoup de prêtres ni beaucoup de moines. Elle a pu en ren-
contrer sur son chemin quelques-uns, mais elle ne fréquentait
guère que son curé. Elle visita une fois l'an, de sa dixième à sa
quinzième année, son oncle, le curé de Sermaize. et put voir un de
ses cousins, religieux à l'abbave de Cheminon. Elle se confessa
trois ou quatre fois en passant à jMessire Fournier, curé de Vau-
couleurs. Henri Arnolin, de fiondrecourt-Ie-Chàteau, l'entendit
trois fois en confession pendant un carême, et une autre fois à
l'occasion d'une fête. Jean Colin, chanoine de Brixey, la confessa
deux ou trois fois. A Neufchàteau, elle se confessa deux ou trois
fois à des religieux mendiants ^ Parmi ces prêtres, on n'en aperçoit
aucun qui ait pu remplir le rôle d'initiateur et de « directeur »
imaginé par M. A. France. La jeune fille a pu également se con-
fesser aux curés des paroisses voisines de Domremv où elle allait
en dévotion, à Maxey-sur- Valse, à Biu'ey-le-Petit, à Saint-Nicolas-
du-Port. à Toul, à Nancy peut-être. Mais ces ecclésiastiqnes. elle
ne Tes a a'us que par circons tance et il n'est pas exact de dire
qu'elle les fréquentait. Il l'est encore moins d'ajouter « qu'elle se
trouvail en relation avec nombre de personnes ecclésiastiques aptes
il reconnaître le don qu'elle avait de voir des choses invisibles. «
• .es personnes sont rares, on ne les rencontre pas aisément, et
.nicun document n'apprend que Jeanne les ait rencontrées.
1. A. Frange, 17e de Jeanne d'Arc, t. 1, p. 54.
2. Procès, t. II, 446, 4o9, 432.
392 APPENDICE III
Ces hypothèses n'éclairent pas plus la mission de l'Envoyée de
Dieu que ne l'éclairent les théories de la suggestion, de l'auto-
suggestion et des phénomènes hallucinatoires.
Aux historiens qui trouvent une explication suffisante de la voca-
tion de la Pucelle dans l'impression douloureuse que les malheurs
du temps produisaient sur son àme vibrante et sensible à l'excès,
Henri Wallon oppose cette remarque malaisée à réfuter :
« Si le sentiment des souffrances que la guerre apporte, si la
haine qu'inspire le conquérant maître du sol natal, avaient suffi
pour donner un sauveur à la France, il serait né par tout ailleurs
qu'à Domremy. »
D'un autre côté, il faut bien convenir que rien dans la condition
sociale où se trouvait la Pucelle ne la prédisposait à sa mission et
ne la favorisait. Ce n'est point la vocation personnelle qui a fait
surgir la vocation divine, c'est plutôt celle-ci qui a donné naissance
à celle-là. Humainement parlant, les vocations sont déterminées
d'habitude par le milieu dans lequel on a vécu, par les traditions
familiales, par les goûts et les aptitiides propres aux individus. Qui
s'aventurerait à dire que le milieu villageois, les occupations
champêtres et autres travaux dans -lesquels Jeanne a passé son
adolescence, que l'infirmité de son sexe l'ont poussée vers cette vie
guerrière à laquelle on la voit ne se résoudre qu'avec peine et se
résigner? « Guerroyer, chevaucher à la façon des hommes d'armes,
je ne sais pas, dit-elle, ce n'est pas mon état : j'aimerais miçux
filer à côté de ma pauvre mère. Si je le fais, c'est que Dieu, mon
seigneur, veut que je le fasse-. »
Encore moins pourrait-on prêter une influence efficace en ce sens
à ses parents, amis et compagnons de jeunesse. Ce n'est pas son
père qui l'eût poussée en cette voie, ni les ecclésiastiques et aucun
des personnages avec qui les documents la montrent en rapport.
Ce que l'on peut dire, et ce qui est la conduite habituelle de la
Providence, c'est que l'appel de Dieu a fait naître chez la Pucelle,
à côté de la vocation surnaturelle, une vocation naturelle de cir-
constance. L'ardente foi chrétienne de la jeune fille, son patrio-
tisme non moins généreux auront raison des résistances de la
nature, elles donneront des ailes à ses désirs, et la jeune vierge
mettra au service de son pays les riches facultés, cœur, imagina-
tion, volonté, intelligence, dont le Créateur n'a pas oublié de la
douer.
1. H. Wallon, Jeanne d'Arc, t. I. pp. 83, 84.
2. Procès, t. I, 53; IF, «6.
LA MISSION DE LA PUCELLE, LES ORIGINES 393
III
Autre queslion qui a bien son importance. Que sied-il de penser
de la conviction profonde avec laquelle Jeanne parle de ses visions
et de ses Voix? Jamais elle n'émet l'ombre d'un doute sur leur
réalité et leur objectivité. Au contraire, elle ne trouve pas d'expres-
sion assez forte pour rendre ce qu'elle éprouve. L'archange saint
Michel, les anges qui l'accompagnaient, les saintes Catherine et
Marguerite, elle affirme les avoir vus de ses yeux, comme elle
voyait siégeant sur leur tribunal les juges qui étaient devant elle.
Ces impressions, cette conviction, comment les expliquer?
Une première explication bien simple, parce qu'elle est fondée
sur la loyauté, la sincérité de la jeune fille, consiste cà dire qu'elle
s'exprimait de la sorte, parce qu'elle pensait et sentait de la sorte
au plus intime de son être.
Mais comment se les expliquait-elle à elle-même?
Oh! bien simplement aussi, grâce à la créance dans laquelle
•elle avait été élevée, grâce à la pureté de sa vie et à l'ardeur de sa
foi.
Nous l'oublions trop dans nos temps de scepticisme et dincrédu"-
lité. Le christianisme était la religion de Jeanne d'Arc et de son
siècle. Or, l'un des points fondamentaux du christianisme, c'est
que jamais Dieu n'a cessé d'être en rapport avec l'homme, le ciel'
avec la terre, les « habitants du paradis » avec certaines âmes
prédestinées. II en a été ainsi dans l'Ancien et dans le Nouveau
Testament; il en a été ainsi dans toute l'histoire de l'Église. Quel-
ques années avant l'apparition de la vierge de Domremy, Brigitte
de Suède et Catherine de Sienne avaient été de ces âmes choisies :
pourquoi Jeanne ne l'aurait-elle pas été?
L'enfant ne se disait pas cela, mais Dieu le lui fit entendre. Des
messagers divins entrèrent en relation avec elle et créèrent en son
âme la conviction qu'elle était choisie pour sauver son pays et
l'arracher à la domination anglaise. Pom" Jeanne chrétienne
ardente, pour Jeanne sœur des saintes et des anges, cela suffisait.
Cela suffit aussi à Ihistorien qui accorde à l'Évangile et à l'his-
toire de l'Église le respect qu'ils méritent. Les secrets ressorts des
Voix et visions de la Pucelle restent pour lui un mystère : dans-
l'ensemble, ces Voix et visions ne le sont plus : elles se présentent
comme l'un des moyens dont use la Providence pour former les
créatures exceptionnelles dont elle veut faire 1 instrument de ses
miséricordes.
394 AI'PEXDICE III
Au reste, la foi que ces visions et révélations réelauient des
esprils qui les jugent dignes de créance est une foi purement
humaine, n'ayant rien de commun avec la foi surnaturelle due aux
vérités révélées de Dieu.
Ce qui fait de cette foi humaine pour tout historien sans parti
pris la seule solution acceptable du problème des Voix, c'est le
langage formel des documents, et ce qu'il apparaît de raisonnable
dans l'explication que la Libératrice du pays donne de son inter-
vention.
D'une part, le langage des documents est formel et, quoiqu'il
s'agisse d'une continuité de faits qui i-emplissent sept années,
aucune obscurité, aucune équivoque, aucune lacune ne se produit
qui permette d'élever le moindre doute sur cette succession de
visions, d'apparitions, et sur l'objet de ce commerce supérieur que
l'héroïne a fait connaître avec les précisions les plus significali,ves.
D'autre part, simple et raisonnable apparaît l'explication de ce
qu'il y a de merveilleux dans son histoire. Il est évident que ce qui
s'est passé au temps de la Bible et de l'Évangile a pu se passer au
XV' siècle. L'archange Gabriel a été envoyé de Dieu au prophète'
Daniel, au prêtre Zacharie, père de Jean-Baptiste, à la bienheureuse
Vierge Marie. Pourquoi Dieu ne l'aurait-il pas envoyé, ainsi que
saint Michel et les saintes Catherine et Marguerite, à la future
Libératrice de son peuple préféré '? Qui oserait dire que les raisons
ou la puissance lui ont fait défaut ?
Si l'on tient à comprendre de quelle manière des esprits incor-
porels ont pu se manifester à un être corps et à me, qu'on recoure
aux grands théologiens comme saint Thomas d'Aquin et Suarez,
aux grands penseurs tels que Pascal et Leibniz, Descartes et
Bossuet, et les lumières jailliront abondantes.
Et pour les esprils qui tiendraient à ne pas quitter le terrain de
l'histoire pure, qu'ils veuillent bien noter parmi les visions et révé-
lations de l'envoyée de Dieu, celles dont l'éclat resplendit assez
pour qu'on y découvre une portée objective convaincante qu'il est
aisé à tout historien de vérifier ^
IV
A quel titre, d'ailleurs, récuserait-on l'affirmation que riiéro'ine
L Pour les questions que le sujet des Voix; de la Pucelle soulève, on
les trouvera présentées avec les développements voulus dans les deux
ouvrages cités plus haut.
LA MISSION DE LA PUCELLE, LES ORIGINES 39'5
fait de sa mission divine et des phénomènes exli-aordlnaires qui
l'ont accompagnée ? Serait-ce parce qu'on ne croit pas en Dieu ?
Oui oserait proclamer cette raison suffisante ? Entre Jeanne qui
affirme ce qu'elle a expérimenté pendant plusieurs années et des
incrédules qui nient pour le plaisir de nier, à qui doit-on s'en
rapporter? Est-ce que ces négateurs ont vu ce qui se passait dans
l'âme de la Pucelle lorsqu'elle recevait ses visiteurs célestes; et
parce qu'ils prétendraient ces communications impossibles, depuis
quand leur intelligence serait-elle la mesure des possibilités et
des réalités?
Le seul personnage dont les déclarations fassent foi dans cette
question, ce n'est ni un académicien sceptique, ni un professeur de
Sorbonne athée, qui n'ont rien constaté ni expérimenté, c'est
Jeanne d'Arc. 11 s'agit de faits nombreux d'expérience qui lui sont
propres. Elle était dans les conditions d'intelligence et de sincérité
requises pour ne dire que la vérité.
Donc c'est à son témoignage, à l'exclusion de tout autre, à
moins de faire la preuve du contraire, que l'historien sans paiti
pris, sans préjugé sectaire doit s'en rapporter.
Après tout n'est-ce pas la chose la plus rationnelle du monde
que cette explication catholique des dits et gestes d'une sainte
catholique, dans un pays catholique. Qu'onréserve pourles héroïnes
païennes les théories qui font litière de l'idéal et du divin.
APPENDICE IV
LA QUESTION « JEANNE d'aRC » AUX XV*" ET XVII^ SIÈCLES
ET CETTE QUESTION AUJOURD'HUI
Une des raisons qui nous font atlacher du prix à la publication
de l'œuvre d'Edmond Richer c'est que, de son temps comme
aujourd'hui, deux portraits de la Pucelle sollicitaient les préfé-
rences de l'opinion, l'un dessiné d'après l'évéque de Beauvais,
l'autre, d'après les juges et les témoins de la réhabilitation. Avant
de se prononcer, le docteur de Sqrbonne rechercha les vraies
sources de l'histoire de Jeanne, les étudia profondément et ne prit
la plume que lorsque sa conviction eût été solidement établie.
Aussi, son œuvre est-elle tout ensemble un témoignage en faveur
de la Pucelle, longuement et mûrement réfléchi, et un monument
qui fixe la tradition et la critique pour la première moitié du dix-
septième siècle.
Or, à quelques égards, en ce qui concerne la question « Jeanne
d'Arc ;;, ce qu'on voit aujourd'hui rappelle ce que l'on voyait au
temps de Richer et ce qui se passait au milieu du xv° siècle, lorsque
le procès de revision eut été jugé.
Rapprochons les faits afin de mieux nous en rendre compte.
LES DEUX JEANNE d'aRC AU XV*" SIÈCLE : LA JEANNE D ARC
DE l'université DE PARIS ', ET LA JEANNE DARC DES VRAIS
ET LOYAUX FRANÇAIS.
Quelle idée les Français qui vivaient au lemps des deux
i . Au temps de la Pucelle, on nommait couramment «faux Français »
les sujets du royaume qui soutenaient la cause anglaise.
E. RICHER ET L HISTOIRE DE JEANNE AUJOURD'HUI 397
procès de la Piicelle, du procès de condamnalion et du pro-
cès de réhabilitation, pouvaient-ils concevoir de son patrio-
tisme, de son héroïsme, de sa sainteté, de la part qui lui
revenait dans la libération du territoire, de ses droits à la
gratitude du pays ?
On plaçait sous leurs regards deux images bien différentes:
l'une dessinée, peinte, garantie par le personnage qui avait
jugé, condamné, livré Jeanne au bûcher ; l'autre dessinée,
peinte d'après les témoins de sa vie, et certifiée sincère par
les juges chargés de reviser le procès qui l'avait condamnée.
En laquelle de ces deux images pouvait-on s'attendre à
rencontrer le véritable portrait de l'héroïne ?
D'après les docteurs de l'Université de Paris, son portrait
authentique, c'était l'image dessinée, garantie par l'évêque
de Beauvais, Pierre Cauchon. D'après les juges de la réhabi-
litation, c'était l'image dont les témoins de la vie de Jeanne
avaient fourni les traits.
1° Du portrait de Jeanne dWrc, d'après Pierre Cau-
chon. — Si le tableau que Pierre Cauchon a peint de Jeanne
d'Arc était fidèle, quelle idée les contemporains auraient-ils _
gardée de la Libératrice ?
Ils en auraient gardé l'idée d'une aventurière qui, par le
mensonge et l'imposture, avait réussi à capter la confiance
du roi Charles VII ;
D'une intrigante qui se disait « envoyée de Dieu » pour
tromper plus sûrement les princes et les peuples ;
D'un suppôt des démons, avec qui elle était en commerce
constant ;
D'une fille inventrice de fausses apparitions et de fausses
révélations ;
D'une hérétique convaincue de schisme envers l'Eglise et
d'erreurs dans la foi ;
D'un sujet coupable de rébellion envers son souverain
légitime, le roi de France et d'Angleterre, Henri YI, et cap-
turée les armes à la main ;
D'une accusée en cause de foi, justement condamnée à la
prison perpétuelle par une première sentence ;
398 APPENDICE IV
D'une hérétique relapse, plusieurs fois parjure, renégate,
apostate, condamnée définitivement à la peine du feu et livrée
au bras séculier, le 30 mai 1431.
Pour que la postérité pût avoir confiance en la fidélité
d'un portrait aussi chargé, elle devrait être assurée de la
sincérité, de l'esprit de justice, de l'indépendance, de
l'impartialité de l'auteur, l'évéque de Beauvais, et du
corps enseignant qui s'en portait caution, l'Université de
Paris.
Or, c'est un fait avéré que l'évéque de Beauvais et l'Uni-
versité de Paris étaient vendus au gouvernement anglais ;
qu'ils n'ont vu dans la Pucelle que l'ennemie de ce gouver-
nement, lequel avait chargé Pierre Gauchon de la faire
brûler par arrêt de justice ; et c'est un fait non moins cer-
tain que le prétendu portrait de Jeanne, dessiné par l'évéque
de Beauvais n'a qu'un but, rendre vraisemblable et justifier
aux yeux des contemporains et de la postérité la sentence
inique dont il a pris la responsabilité, et le' supplice infâme
auquel il a condamné sa victime.
L'opinion publique, depuis la seconde moitié du xv^ siècle,
a-t-elle estimé exacte et fidèle l'image qu'a tracée de sa vic-
time l'évéque P. Gauchon ?
A cette question, Ihistoire fait une réponse négative. Jus-
qu'à une date assez récente, historiens et érudits se sont
accordés à ne voir en cette image que le plus faux des por-
traits ; et si, depuis quelques années, l'accord n'est plus una-
nime, c'est encore du côté de l'opinion traditionnelle que se
trouve la grande majorité.
2" Du portrait de Jeanne d'Arc, d'après les témoins de la
réhabilitation. — Le tableau d'histoire dessiné par Pierre
Gauchon ayant été ]'econnu indigne de confiance, on jugea
tout différemment le tableau dessiné d'après les témoins
de 1456.
D'ailleurs, pour en assurer la fidélité, on n'avait négligé
aucune des précautions propres à écarter les inexactitudes
et les méprises. Les hommes les plus compétents, légiste.-^,
canonistes, maîtres en théologie étudièrent, au point de vue
E. RICHER ET L HISTOIRE DE JEANNE AUJOURD'HUI 390
du droit et des faits, toutes les questions intéressant l'histoire
de l'héroïne.
Outre plus de douze mémoires ou consultations de grande
valeur, rédigés en vue d'éclaircir la matière sur le terrain
spécial des faits, on rassembla cent quarante-quatre déposi-
tions de nature à commander la confiance et à se contrôler
les unes les autres.
C'est un point aujourd'hui reconnu en critique, que
cette masse de témoignages est au-dessus de toute discus-
sion.
Une fois achevé, ce portrait offrit aux loyaux Français une
héroïne bien différente de l'aventurière hérétique et parjure
de l'évêque de Beauvais. Les contemporains y reconnurent
la Pucelle dont ils avaient gardé le souvenir.
Après eux, la postérité n'a cessé de voir en elle la « vierge
inspirée » dont les prédictions avaient annoncé la délivrance
du royaume, la guerrière dont la vaillance la préparait,
une libératrice dont la recouvrance du territoire fut l'œuvre
nationale.
II
DEUX C( JEANNE D ARC )) A PARIS ET EN FRANCE
ENCORE aujourd'hui
Ce n'est plus un secret qu'un violent effort a été tenté der-
nièrement pour remettre en honneur la « Jeanne d'Arc » de
Pierre. Cauchon, et amener les esprits à penser que le tableau
signé de ce maître fourbe est le seul qui donne la « Jeanne
d'Arc de l'histoire ».
[° La « Jeanne cVArc » de Vévéque de Beauvais et Mes-
sieurs les professeurs de V Université. — Est-ce simple coïn-
cidence fortuite, serait-ce l'effet calculé de la mise en jeu d'un
certain nombre de causes, en ce xx^ siècle, les principaux
personnages qui se portent garants de la fidélité du portrait
de la Pucelle par l'évêque de Beauvais, sont, comme en 1431 ,
des maîtres, des docteurs, des professeurs de l'Université de
400 APPENDICE IV
Paris? L'image qu'ils offrent en leur nom au public n'est
guère qu'une réduction du tableau peint par Pierre Cau-
chon.
Ainsi, Pierre Cauchon a dit que les voix, visions,
apparitions, révélations de l'héroïne étaient fictives et
mensongères.
Nos professeurs universitaires disent, eux aussi, qu'elles
étaient fictives et mensongères.
Pierre Cauchon a dit que Jeanne avait été fausse prophé-
tesse, que plusieurs de ses prédictions ne s'étaient point
accomplies.
Nos professeurs de l'Université et autres historiens,
disciples du même maître, soutiennent après lui la même
opinion.
Pierre Cauchon a dit que Jeanne avait consenti une abju-
ration canonique qui n'a jamais eu lieu :
Qu'elle a signé un formulaire infâme, quand il est établi
qu'elle ne l'a jamais vu;
Qu'elle s'est parjurée plusieurs fois, quand elle n'a
jamais prononcé aucun des serments que l'évêque de Beau-
vais lui prête ;
Qu'elle a renié ses révélations, son patriotisme, quand le
document auquel on emprunte ce mensonge est un faux docu-
ment;
Qu'elle a été hérétique relapse très volontairement, quand
elle n'a jamais erré dans la foi et n'a repris l'habit d'homme
dans sa prison que contrainte par un véritable guet-apens ;
Quelle a été, pour ces motifs, justement condamnée et
livrée au bûcher, quand après examen, il ne subsiste même
pas l'ombre d'un seul de ces motif.
Ces accusations ou du moins la plupart qui, si elles étaient
fondées, infligeraient à l'héroïne une flétrissure ineffaçable,
nos professeurs universitaires les acceptent sur la parole de
l'évêque de Beauvais, ils les prennent à leur compte et les
reproduisent sans ombre d'hésitation.
Au nom de l'école nouvelle, un membre de l'Académie
française qui passe actuellement pour chef de ladite école,
écrit une vie de l'héroïne dans laquelle, non seulement il in-
E. RIGHEU ET l'hISTOIRE DE JEAN.NE AUJOURD'HUI 401
sère comme justifiées la plupart de ces accusations, mais il
les aggrave, ne reculant pas devant l'invention d'un faux
interrogatoire, ignominieux pour Jeanne d'Arc, dont il n'y a
pas un seul mot au procès. (A. France, Vie de Jeanne à^ Arc,
t. II, p.383etsuiv.)
Dans cette biographie, les dilettanti trouvent beaucoup
d'ironie, beaucoup de scepticisme, beaucoup d'esprit même;
mais, remarque un écrivain anglais, sir Andrew Lang, on y
trouve encore plus de ricanement dépensé en des sujets qui
méritaient autre chose ; et, de l'avis des critiques les plus
autorisés, en ce qui regarde l'héroïne elle-même, encore plus
de dénigrement.
Une vie conçue et présentée de la sorte donnera pleine
satisfaction aux esprits pour qui la seule « Jeanne d'Arc )> de
Pierre Cauchon, évèque de Beauvais, est la Jeanne d'Arc de
l'histoire. Ils ne s'y attendent peut-être pas ; mais on la leur
sert revue et notablement augmentée.
t" La nouvelle école et M. Achille Luchaire. — Ce sont,
avons-nous dit, des professeurs et membres de l'Université
de Paris qui ont entrepris cette réhabilitation de la fausse
Jeanne d'Arc de Pierre Cauchon, et, par suite, la réhabilita-
tion de l'évêque lui-même ^
Loin de nous la pensée de prêter un pareil dessein à l'Uni-
versité de France : les œuvres sont personnelles, et les res-
ponsabilités aussi. Et puis, nous sommes heureux de pro-
duire un exemple établissant que, parmi les professeurs les
plus éminents du corps universitaire, il en est qui sont loin
d'approuver la dite entreprise.
Cet exemple et les textes qui le justifient, nous les deman-
derons à i\I. Achille Luchaire, le regretté professeur d'his-
toire médiévale en Sorbonne.
Au sujet du culte que les adeptes de la nouvelle école pro-
1. Au nom de M. Luchaire. nous poumons joindre le nom d'un
membre de l'Académie française, M. Gabriel Hanotaux, qui. sans
entrer dans la discussion, se range aux conclusions du savant profes-
seur de la -Sorbonne. L'étude de M. Hanotaux sur la Pucelle est une
rectification courtoise des idées du dernier académicien, biographe de
Jeanne, M. A. France.
402 A^'l'l£^DlCh; iv
fessent pour le maître qu'ils ont choisi, l'on doit distinguer
entre le principe et les applications.
Le principe est celui qui fait de l'honnêleté de l'ëvèque de
Beauvais un dogme intangible, et du procès de condamnation
un « bloc sacro-saint », devant lequel les historiens n'ont
qu'à s'incliner. Les applications regardent les accusations
spéciales que le prélat porte contre la Pucelle, et les actes
que, contre toute évidence, il lui attribue.
M. Achille Luchaire proteste contre le principe, et il pro-
teste non moins énergiquement contre les applications.
Du principe lui-7néme : Vhonnélelé de Pierre Ccmchon,
dogme intangible. — « Malgré l'autorité de leur nom, dit
M. A. Luchaire, «Jules Quicherat et M. A. France ne m'en-
traîneront pas à partager leur foi robuste dans l'honnêteté
professionnelle du juge Gauchon, trop habile et aussi trop
amoureux de la forme et du droit, prétend-on, pour avoir
osé insérer au dossier des actes qui ne seraient pas l'ex-
pression exacte de la réalité. » (Article de la Grande Revue,
marsi908, p. 214.)
Du procès, bloc sacro-saint. — « Aujourd'hui, poursuit le
professeur en Sorbonne, les historiens de l'école de J. Qui-
cherat ne peuvent s'empêcher d'avouer que l'évèque de
Beauvais, tout en conduisant, à certains égards, les débats
de manière à donner l'illusion qu'il respectait les règles du
droit, les a violées en fait, tant qu'il a pu, au préjudice de
l'accusée, et que sa passion haineuse, nuancée d'hypocrisie,
a été ici aussi flagrante que l'irrégularité de certains actes
de sa procédure.
« Si la réalité est telle, comment expliquer cette sorte de
respect dont ces historiens continuent à entourer l'instru-
ment tronqué de cette procédure ?
« Et pourquoi « ce bloc sacro-saint » de pièces de justice
où l'on n'admet ni la possibilité des témoignages complai-
sants, ni des omissions et suppressions calculées, ni des textes
mutilés, intercalés ou falsifiés ? » (Ibid.)
Après le principe, les applications. — Les pièces fabri-
E. RTCHER ET L HISTOIRE DE JEANNE AUJOUUd'hUI 403
quées par l'évêque de Beauvais, pour faire croire en la cul-
pabilité de la Pucelle, sont le long formulaire du procès et l'In-
formation posthume. La pièce rédigée de façon dolosive et
calomnieuse est celle des douze articles. M. Achille Luchaire
expose sa pensée, sur la confiance que méritent ces pièces,
dans les termes suivants.
DE L INFORMATION POSTHUME ET DES DOUZE ARTICLES
«Jamais je ne me résoudrai à couvrir de ma garantie
l'Information posthume, cette pièce étrange, ajoutée après
coup au procès, qui ne porte pas de signature, et qu'un gref-
fier a formellement refusé de valider.
« J'admire aussi la belle confiance des savants qui caution-
nent la valeur historique du réquisitoire en soixante-dix
articles, ou celle des douze articles soumis à l'Université de
Paris. ))
DU DRAME DE SAINT-OUEN ET DE LA FAUSSE CÉDULE
« Quant au récit officiel de la scène qui se passa au cime-
tière de Saint-Ouen, le 24 mai 1431, nulle personne de bonne
foi, dit toujours M. A. Luchaire, ne peut affirmer sans un
profond trouble de conscience, que la courte cédule, lue et
signée par la Pucelle, était identique au formulaire d'abjura-
tion que Cauchon a fait transcrire en latin et en français
dans le manuscrit de son procès.
« Sur ce point essentiel, nœud de toute l'action, puisqu'il
s'agissait d'aboutir à la condamnation exigée par les Anglais,
il y a contradiction évidente entre l'assertion d'un juge sans
pudeur et les rectifications des témoins de 1456, dont
plusieurs avaient assisté de très près au drame de Saint-
Ouen.
« Pas de milieu. Ou il faut décerner à l'évêque de Beauvais
un certificat de loyauté et de sincérité quasi angélique, ou il
faut accuser des témoins au nombre de cinq d'avoir effronté-
ment menti.
« Quel historien indépendant se résignerait à n'avoir
404 APPENDICE IV
jamais l'ombre d'un doute sur la véracité du « scélérat », —
ainsi l'appelle M. France, préf. p. lv — qui présidait le
tribunal de Rouen ? » {Ibid., p. 215.)
Enfin, il est une personnalité quasi universitaire dont on
ne permet pas de soupçonner l'infaillibilité, et qui est mise
ici sur la sellette : Jules Quicherat, le chef même de l'école
antitraditionnelle. M. A. Luchaire n'hésite pas à signaler ses
erreurs à propos des deux procès.
« La critique de Quicherat, dit-il, n'a été pour l'ensemble
de cette question, ni assez pénétrante, ni assez sévère : il a
eu le tort d'affirmer et de croire, là oii s'imposaient plus que
jamais le doute et la défiance ; en un mot, sa démonstration
sur la valeur historique des deux procès a besoin d'être
revisée. Nous n'incriminons pas l'exactitude du paléographe
et de l'éditeur des textes ; nous contestons sur ce point le
jugement de l'historien. » {Ibid., p. 215.)
CONCLUSION
Jeanne d'Arc et son portrait traditionnel.
Si l'argumentation de M. A. Luchaire est irréprochable,
si les articles publiés par M. G. Hanotaux dans la Revue des
Deux Mondes sont d'une belle et véridique inspiration,
c'est à l'Eglise catholique et à son chef qu'il faut demander
le portrait fidèle de la servante de Dieu. Son premier histo-
rien en date, Edmond Richer, aura eu le mérite d'en fixer
l'image et de la transmettre aux âges suivants. En tête de
son ouvrage on pourra mettre sans blesser la vérité : His-
toire de la Bienheureuse, de sainte Jeanne d'Arc, laPucelle
d'Orléans.
Jeanne béatifiée, c'est l'héroïne telle qu'elle lui est appa-
rue ; l'héroïne prenant place, non dans le panthéon des
romanciers stercoraires, mais dans la « cité éternelle de
Dieu ».
C'est l'enfant du peuple, la pauvre paysanne, la modeste
chrétienne, si riche de cœur, que la France, l'Eglise s'accor-
dent à proclamer la Jeanne d'Arc de l'histoire.
APPENDICE V
DU SECRET ET DU SIGNE DU ROI
Edmond Richer a traité ce sujet dans le livre premier de son
Histoire de la Pucelle et dans ses Adoertissements sur les interroga-
toires où il est question des efforts des juges pour amener l'accu-
sée à se contredire à ce propos et à se compromettre.^
Quelques éclaircissements complémentaires ne seront pas inu-
tiles.
I
De la scène elle-même.
Où se trouvait la Pucelle, quand elle offrit au jeune roi de lui
révéler un secret « connu de lui seul et de Dieu », révélation qui
lui prouverait qu'elle lui était véritablement envoyée de Dieu ?
La Pucelle était alors au château royal de Ghinon dans la tour
du Couldray. Elle souffrait de l'indécision du Dauphin. Un jour,
plus inquiète qu'à l'ordinaire, elle vint trouver Charles VII et lui
dit.
On a vu le résumé de son langage dans E. Richer. En voici à
peu près les termes.
« Gentil Dauphin, pourquoi re'fusez-vous de me croire ? Je vous
dis que Dieu a pitié de vous, de votre royaume et de votre peuple,
car saint Louis et saint Charlemagne sont à genoux devant lui,
faisant prière pour vous. Si je vous révèle des choses si secrètes,
qu'il n'y a que Dieu et que vous qui les sachiez, croirez-vous bien
que je suis envoyée de par Dieu "? »
A l'appui de cette proposition, la jeune fille admit comme
témoins de cette communication, le duc d'Alençon, Robert Le
Maçon, seigneur de Trêves en Anjou, Christophe d'FIarcourt, et le
confesseur du prince Gérard Machet. Elle leur fit jurer qu'ils gar-
406 APPENDICE IV
deraienl le secrets Puis, en leur présence, elle tint au Dauphin ce
langage :
« Sire, n'avez-vous pas bien mémoire que le jour delà Toussaint
dernière, vous étant en la chapelle du château de Loches, en
votre oratoire, tout seul, vous fîtes trois requêtes à Dieu ? »
Le Roi répondit qu'il se souvenait très bien d'avoir fait à Dieu
trois requêtes.
« La première requête que vous fîtes à Dieu, poursuivit la
Pucelle, fut que, si vous n'étiez vrai héritier du royaume de
F'rance, ce fût le bon plaisir de Dieu de vous ôter le courage de
travailler à recouvrer ledit royaume, de vous garder la vie sauve
et un refuge en Ecosse ou en Espagne.
« La seconde requête fut que vous priâtes Dieu, si les grandes
adversités et tribulations que le pauvre peuple de France souffrait
et avait souffert si longtemps, procédaient de votre péché et que
vous en fussiez cause, que ce fût son plaisir d'en relever le peuple
et que vous seul en fussiez puni et portassiez pénitence, soit par
mort ou telle autre peine qu'il lui plairait.
« La troisième requête fut que si le péché du peuple était cause
desdites adversités, ce fût le plaisir de Dieu pardonner audit
peuple et mettre le royaume hors des tribulations auxquelles il
était depuis douze ans et plus ^. »
II
Questions à résoudre.
Cette scènn est d'une grande importance, eu égard à la mission
de la Pucelle. Elle suscite de graves questions et nous ne regrette-
rons pas nos efforts si nous parvenons à les élucider.
Ces questions sont au nombre de trois :
Première question. — Est-ce un fait historiquement certain que,
au commencement de sa mission, la Pucelle a révélé à Charles VU
une chose qui ne pouvait être connue, et n'était connue que de lui
seul et de Dieu ?
Deuxième question. — Cette chose était-elle uniquement l'affir-
mation de la légitimité du Dauphin comme « vray héritier du
royaume de France ? »
1. Chro7iique delà Pucelle, Procès, t. IV, p. 208-209.
2. VAbréviateur du Procès, dans J. Quicherat, t. IV, pp. :!38-259. —
Voir aussi le Miroir des femmes vertueuses, ibid., pp. 271-272: — et
Pierre Sala, ibid., p. 280.
• LE SECHET ET I.E SIGNE DU ROI 407
Troisième question. — Ou bien cette chose consistait-elle dans
les trois prières rappelées ci-dessus, et n'est-ce qu'après avoir
convaincu le jeune roi de sa qualité d'inspirée de Dieu, que Jeanne
ajouta la révélation de sa légitimité?
1° Réponse à la première question.
D'après des témoignages au-dessus de toute suspicion, c'est un
fait certain que la Pucelle a révélé au jeune roi une chose qui
n'était connue que de lui seul et de Dieu. Six contemporains
dignes de confiance attestent le fait : frère Pasquerel et le cheva-
lier d'Aulon, en leurs dépositions au procès de 1456, Cousinot de
Montreuil (1467) en sa Chronique de la Pucelle, l'évêque de Lisieux,
Thomas Basin (U71) en son Histoire de Charles Vil, qui le rap-
porte sur la parole de Dunois lui-même ; Alain Chartier, et le sire
de Rotselaer, chargé d'affaii'es du duc de Brabant.
D'après frère Pasquerel, aumônier de Jeanne, le Roi dit aux sei-
gneurs présents que la Pucelle lui avait révélé « certaines choses
secrètes que personne ne savait ou ne pouvait savoir, sinon Dieu.
C'est pourquoi il attendait beaucoup d'elle ^ »
L'intendant de Jeanne, le chevalier d'Aulon, déposa qu'après
avoir été présentée à Chinon, « la jeune fille parla au Roy secrète-
ment et luy dit aucunes choses secrètes : quelles, il ne sçait ».
L'honnête intendant ajoute ce détail important. Peu de temps
après, Charles rappelait ces révélations de la Pucelle en présence
de quelques membres de son Conseil et de Jean d'Aulon lui-même,
et il donnait à entendre que si Jeanne les lui avait communiquées,
c'était en vue de lui persuader « qu'elle lui estoit envolée de par
Dieu pour l'ayder à recouvrer son royaume ^ ».
Ce qui l'essort du langage de l'intendant de Jeanne, c'est le fait
incontestable de la révélation d'un secret connu de Charles VII et
de Dieu.
La Chronique de la Pucelle a le soin de nommer les quatre per-
sonnages en présence desquels Jeanne révéla le secret à son Roi ;
il note les circonstances de cette révélation, et en particulier le
serment de la tenir secrète que la Pucelle exigea des témoins. Ceux-
ci furent fidèles à leur promesse ; c'est pourquoi l'auteur en est
réduit à nous apprendre que « Jehanne dist au Roy une chose de
grand conséquence, bien secrète, qu'il avait faicte ; dont il (le
1. Procès, t. III, p. 103.
2. Ibld., p. 209.
408 APPENDICE V
Koy) fut fort esbahy, car il n'y avait personne qui le pût savoir
que Dieu et luy. Dès lors, fut comme conclu que le Roy essayerait
à exécuter ce quelle disait ' » .
Mais en quoi consistait cette chose secrète ? Les témoins ayant
gardé le silence, Cousinot de Montreuil nen sut rien et n'en put
dire davantage.
L'évéque de Lisieux, Thomas Basin, assure tenir du comte de
Dunois lui-même, avec qui il était très lié, le fait de cette révéla-
tion. Si Charles Vil, dit-il, se confia en la Pucelle, « c'est qu'il y
fut amené par les choses très secrètes qu'elle lui avait révélées :
choses si secrètes, si cachées, connues de Charles seul, qu'aucun
homme au monde ne pouvait les savoir que par révélation di-
vine ».
Voilà poui-quoi, ajoute cet historien, « le roi vit en la Pucelle
un chef de guerre que la Providence lui envoyait ». Voilà pour-
quoi, à partir de ce moment, en dépit des influences contraires
qu'il subissait et des fluctuations qui en étaient la conséquence, la
rectitude de son jugement l'amenait à convenir qu'une jeune villa-
geoise en possession d'un pareil secret ne pouvait le tenir que du
ciel et lui était envoyée de par Dieu.
Dans une letti*e écrite en juillet 1429 à un prince étranger, Alain
Chartier parle de l'entretien que Jeanne, à Chinon. eut avec
Charles Vil. « Le roi l'écouta avec grand intérêt. Que lui dit-elle,
il n'y a personne qui le sache. Cependant, à en juger par la joie
peu ordinaire dont Charles fut rempli, on eût dit qu'il venait
d'être visité du Saint-Esprit 2. »
A la date du 22 avril 1429, le sire de Rotselaer, chargé d'affaires
du duc de Brabant, écrivait de Lyon une lettre qui mentionne la
présence de la Pucelle auprès du Dauphin, quelques-unes des pré-
dictions dont elle lui a donné l'assurance, et, ajoute-t-il à la fin,
« plusieurs autres choses dont le roi garde devers lui le secret —
plura alia quse rex pênes se tenet sécréta ^ ».
Quoique ces deux derniers témoignages n'aient pas la précision
des quatre premiers, il n'est pas douteux qu'ils ne concernent le
même objet.
2° Réponse à la deuxième question.
C'est donc un fait historiquement certain que, au commence-
1. Chronique de la Pucelle, loco citato.
2. Procès, t. V. p. 133.
3. Jbid., t. IV. p. 426.
LE SECRET ET LE SIGNE DU ROI 409
ment de sa mission, la Pucelle, pour établir son titre d'envoyée
de Dieu, a révélé au jeune roi une chose qui n'était connue que de
lui seul et de Dieu.
Ce qui n'est pas moins certain, c'est que cette chose n'a pu être,
en cette circonstance, l'affirmation pure et simple de la légitimité
de Charles Vil et de ses droits à la couronne de France.
La raison en est aussi concluante qu'obvie. La chose révélée au
jeune prince était connue de lui seul et de Dieu. Or, peut-on dii-e
que la légitimité de sa naissance et la justice de ses droits à la
possession du royaume étaient connues du Dauphin, sans tomber
dans la plus flagrante des contradictions? Charles doutait, Charles
éprouvait la plus cruelle des anxiétés. Donc il n'était pas cei'tain;
donc sa légitimité n'est pas le fait personnel que Jeanne a pu lui
révéler, pour lui fournir la preuve péremptoire qu'elle lui était
envoyée de par Dieu.
Elle a pu le lui révéler, elle le lui a certainement révélé, soit en
cette circonstance, soit en des circonstances difféi'entes, mais seu-
lement après avoir posé en principe une révélation préalable,
manifeste, qui a sei'vi comme de majeure à l'affirmation dont il
s'agit.
Jeanne, par exemple, a raisonné ainsi :
u Gentil Dauphin, vous reconnaissez que je dis la vérité, que je
suis éclairée d'en haut, quand je vous rappelle les trois prières sor-
ties de votre cœur en un jour d'affliction que vous ne sauriez
oublier. Reconnaissez que je dis également la vérité, que je suis
éclairée d'en haut, quand je vous affirme que vous êtes vi'ay héri-
tier du royaume et que je vous suis envoyée de par Dieu. »
C'est par un raisonnement de ce genre que la Pucelle, — si elle
l'a fait, et nous le croyons sans peine — a rassuré le prince sur sa
naissance royale, soit à l'audience de Chinon, soit dans la scène
que nous avons rapportée. Mais il n'en demeure pas moins que sa
légitimité n'était certainement pas la chose « connue de lui seul
et de Dieu » qu'elle lui rappela en ce moment, puisque Charles Vil
n'y songeait qu'en proie au plus opiniâtre des doutes et aux plus
cruelles perplexités.
3'^ Réponse à la troisième question.
Si l'on ne peut admettre que l'affirmation de sa légitimité ait
été l'objet unique de la révélation faite au roi par la Pucelle, il
nest aucunement invraisemblable de penser que les prières rap-
portées plus haut, celles-ci bien connues du Dauphin et de Dieu, en
410 APPENDICE V
aient été l'objet principal et aient précédé et autorisé l'affirmation
de la légitimité de Charles Vil. Trois chroniques : VAbréviateur
du procès, l'auteur du Miroir des femmes vertueuses, et Pierre Sala
qui, d'après J. Quicherat, « peut passer pour un auteur contempo-
rain à l'égard de Jeanne d'Arc », rapportent le fait avec un accord
qui laisse peu de place à une objection sérieuse.
Disons quelques mots de ces sources diverses :
1. VAbréviateur du Procès.
L'écrivain désigné sous le nom d'Abréviateiir du Procès est l'au-
teur demeuré inconnu d'une Histoire de Jeanne d'Arc que termine
un abrégé des deux Procès. Cette histoire fut écrite vers l'an 1500
par ordre de Louis XII. Tout ce qu'on peut savoir de l'auteur, c'est
qu'il était clerc, sinon prêtre, et admirateur de Gerson qu'il appelle
7iotre maître. Buchon publia, en 1827, d'après un manuscrit
d'Orléans, une partie de cet ouvrage sous le titre de Chronique et
Procès de la Pucelle d'Orléans. J. Quicherat n'en a donné qu'une
dizaine de pages {Procès, t. IV, pp. 256-266), le l'este n'ajoutant
rien aux documents qu'il avait précédemment reproduits.
Dans ces pages se trouve la révélation du secret du Roi. D'après
l'auteur, ce serait sur Tavis de Gérard Machet. son confesseur, que
Charles VII demanda cette révélation à la Pucelle, comme preuve
de la divinité de sa mission. En la rapportant, VAbréviateur du Procès
déclare narrer ce qu'il a ouï dire et attester, « non pas en une fois
seulement, mais plusieurs, à grans personnages de France, qui
disaient l'avoir vu en Chronique bien authentique, laquelle chose
rédigée par escript dès lors, tant pour l'autorité et la réputation
de celui qui la disait, que pour ce qu'il me sembla que chose estoit
digne de mémoire, je l'ay bien voulu ici mettre par escript. »
(Procès, t. IV, p. 257.)
2. Mirouer {miroir) des femmes vertueuses.
Cet ouvrage, comme le précédent, est d'un auteur demeuré
inconnu. Il contient une Histoire de la Pucelle, qui fut très popu-
laire et très répandue sous le règne de Louis XII. Cet ouvrage ren-
ferme sur Jeanne d'Arc deux récits précieux : celui qui traite du
secret du Roi, et l'anecdote du passage de Jeanne à Compiègne
dans l'église Saint-Jacques, quelques jours avant qu'elle fût prise.
Le récit concernant le secret du Roi est tiré mot pour mot des
Grandes annales de Bretagne d'Alain Bouchard, avocat au Parle-
LE SECRET ET LE SIGNE DU ROI 411
ment de Bennes, qui les publia en 1514. 11 en est de même du récit
que Jean Bouchet a inséi'é sur le même sujet dans ses Annales
d'Aquitaine.
Voici, au reste, cette page fort intéressante du Mirouer :
« Quand Jehanne la Pucelle eut aperçu le Boi, elle s'approcha de
lui et lui dit : « Moble seigneur... m'a été commandé par Dieu que
autre personne que vous ne sache ce que j'ai à vous dire. »
« Et quand elle eut ce dit et remontré, le Boi fit reculer au loin
au bas d'icelle salle ceux qui y étaient, et à l'autre bout où il était
assis, fit approcher la Pucelle de lui. Laquelle par l'espace d'une
heure parla au Boi, sans que autre personne que eux deux sût ce
qu'elle lui disait. Et le Boi larmoyait moult tendrement : dont ses
chambellans, qui voyaient sa contenance, se voulurent approcher
pour rompre le propos; mais le Boi leur faisait signe qu'ils se
reculassent et la laissassent dire.
« Quelles paroles ils eurent ensemble, personne n'en a pu rien
savoir ni connaître; sinon que on dit que après que la Pucelle fut
morte, le Boi qui moult dolent en fut, dit et l'évéla à quelqu'un
qu'elle lui avait dit comment, peu de jours avant qu'elle vînt à lui,
songeant aux grandes affaires où il était et tout hors d'espérance
du secours des hommes, il se leva de son lit .et comme indigne
d'adresser sa prière à Dieu, supplia sa glorieuse Mère que, s'il était
vrai fils du roi de France et héritier de sa couronne, il plût à la
Dame de supplier son Fils qu'il lui donnât aide et secours contre
ses ennemis, en manière qu'il les pût chasser hors de son royaume
et gouverner icelui en paix; et s'il n'était fils du roi et le royaume
ne lui appartînt, que le bon plaisir de Dieu pût lui donner patience
et quelques possessions temporelles pour vivre honorablement en
ce monde.
« Et dit le Boi que à ces paroles qui lui fui'ent portées par la
Pucelle, il connut bien que véritablement Dieu avait révélé ce
mystère à cette jeune Pucelle, car ce qu'elle lui avait dit était vrai.
Et jamais homme autre que le Boi n'en avait rien su. » (J. Qui-
cherat, t. IV, pp. 270-272.)
La seule particularité à relever en ce récit, c'est qu'il place au
cours de l'audience royale de Chinon la révélation que la Chronique
de la Pucelle place dans un entretien privé.
3. Pierre Sala.
Pierre Sala, fils d'un illustre parlementaire de ce nom, était
panetier du Dauphin Orland ou Boland. fils de Charles VIU. Mes-
4i2 APPENDICE V
sire Guillaume Goufïier, seigneur de Boisy, ancien chambellan de
Charles VII, avait été donné au Dauphin comme gouverneur. De là.
une liaison des plus honorables entre Guillaume Goufïier et Pierre
Sala. Le seigneur de Boisy, en 1480, conta à Pierre Sala le « secret
qui avait été entre le Roi et la Pucelle », et Pierre Sala le divulgua
en i516 dans son ouvrage Len Hardiesses des grands rois et empe-
reurs, recueil de traits de courage anciens et modernes.
Ce secret, le seigneur de Boisy « bien le pouvait savoir, dit
Pierre Sala, car il avait été en sa jeunesse très aimé de ce roi, à
ce point qu'il ne voulut souffrir coucher aucun gentilhomme en son
lit, fors lui. En cette grande privauté, le Roi lui conta les paroles
que la Pucelle lui avait dites.
« Du temps de sa grande adversité, le roi Charles Vil se trouva
si bas qu'il ne savait plus que faire. Étant en cette extrême
pensée, il entra un matin en son oratoire, tout seul ; et là fit une
humble requête et prière à Notre-Seigneur, dans son cœur, sans
prononcer de parole, où il lui requérait dévotement que si ainsi
était qu'il fût vrai hoir descendu de la noble maison de France et
que le royaume justement dût lui appartenir, qu'il lui plût de lui
garder et défendre, ou au pis lui donner grâce de échapper sans
mort ou prison; et qu'il se pût sauver en Espagne ou en Ecosse,
qui étaient de toute ancienneté frères d'armes et alliés des roys de
France, et pour ce avait-il choisi là son dernier refuge.
« Peu de temps après ce, la Pucelle lui fut amenée, laquelle avait
eu en gardant ses brebis aux champs inspiration divine pour venir
réconforter le bon Roi. Laquelle ne faillit pas, et fit son message
aux enseignes dessus dites, que le Roy connut être vraies; et dès
l'heure il se conseilla par elle. » (J. Quicherat, t. IV, pp. 277-281.)
Un accord si frappant entre les trois auteurs que nous venons de
citer écarte, ce nous semble, de cette explication du secret révélé
au Roi par Jeanne d'Arc toute ombre sérieuse de suspicion.
Une difficulté pourrait se tirer du secret imposé par la Pucelle
au:?L témoins de la révélation du secret. La réponse est aisée.
D'abord, il y a lieu de croire que ce serment ne fut pas imposé
au roi. Puis, après la mort de Jeanne sur le bûcher de Rouen, les
autres seigneurs purent s'estimer déliés de la discrétion promise, et
l'on conçoit, avec la remarque de Pierre Sala, la déclaration ana-
logue de l'Abrévialeur du Procès assurant « avoir ouï raconter
cette révélation à grands personnages de France qui l'avaient vue
en chronique bien authentique ».
LE SECRET ET LE SIGNE DU ROI 413
III
Questions finales.
Faut-il voir dans la révélation du secret connu de Dieu seul et du
Roi le signe donné par la Pucelle à Charles VII, pour lui prouver
la vérité de sa mission, en sorte que le signe du roi et le secret du
roi seraient une seule et même chose?
Et existe-t-il un rapport quelconque entre la révélation de ce
secret et la couronne apportée au roi par un Ange, sur laquelle les
juges de Rouen interrogèrent Jeanne avec tant dinsislance?
Éclaircissement du premier point.
Le signe du roi et le seeret du roi sont une seule et même chose
en ce qu'ils constituent la preuve spéciale que Jeanne a donnée au
roi de sa mission et qu'elle a refusé constamment de faire con-
naître à ses juges.
Mais le signe du roi n'est pas le seul signe donné au Roi par la
Pucelle, bien qu'il soit le principal, pai'ce que postérieurement à
l'audience de Chinon et à la scène décrite par Cousinot de Montreuil,
l'envoyée de Dieu a donné au Dauphin et à ses conseillers bien
d'autres signes de sa mission pour lesquels elle n'a pas demandé le
secret, et dont elle n'a pas fait mystère à ses juges de Rouen.
Sur le signe du Roi envisagé comme signe propre au Roi, la
Pucelle déclare ce qui suit ;
Elle a donné ce signe à son Roi; mais le Roi et les témoins de la
scène seront seuls à le connaître. Le tribunal de Rouen n'en saura
jamais rien.
Le juge interrogateur lui demande : — Quel signe avez-vous
donné à votre Roi pour prouver que vous veniez de la part de
Dieu?
Jeanne. — Je vous ai toujours répondu que vous ne me tireriez
jamais cela de la bouche. Allez le lui demander à lui-même.
Le JUGE. — Mais vous savez bien quel signe vous avez donné à
votre roi.
Jeanne. — Vous ne saurez pas cela de moi^.
Pierre Cauchon et ses assesseurs ignoreront donc en quoi con-
siste ce signe. Ils n'ignoreront pas néanmoins que la jeune fille l'a
1. Cinquième interrogatoire public, Procès, t. I, p. 90.
414 APPENDICE V
donné à son Roi, que le prince en a été satisfait et que seigneurs
et gens d'Église ont su qu'il lui avait été donné.
« Pour ajouter foi à ses dits, fait observer la Pucelle. Charles Vil
avait de bonnes enseignes. Il eut un signe de ses propres faits —
la révélation des prières dont nous avons parlé — avant de s'en
rapporter à elle. Et interrogée par des gens d'Église soit à Ghinon,
soit à Poitiers, les clercs de son parti furent de cette opinion qu'il
n'y avait dans son fait rien que de bon.
« Va sans crainte, lui avait dit la Voix; quand tu seras devant
le Roy, il aura bon signe pour te recevoir et te croire. Et le Roi eut
son signe, et il lui dit qu'il était content. Et les clercs cessèrent de
la tourmenter lorsque le dit signe eût été donné ^ w
Oue Jeanne, en parlant de la sorte, fasse allusion au secret dont
nous nous sommes occupé tout à l'heure, cela résulte du langage
qu'elle tient au jeune prince après le lui avoir révélé.
(( Et l'Ange, dit-elle, c'est-à-dire elle-même, la messagère de
Dieu, remettait en mémoire à son Roi la belle patience qu'il avait
montrée au milieu des grandes tribulations qui lui étaient sur-
venues ". »
N'y a-t-il pas en ces paroles une allusion transparente aux
angoisses qui accablaient le Dauphin en ces années si malheureuses
du commencement de son règne, et à la prière qu'il fit à Dieu et à
la bienheureuse Vierge?
Nous avons dit que si le secret rapporté plus haut et aboutissant,
à la révélation de sa légitimité fut le signe spécial qui permi
d'abord à Charles Vil de reconnaître la mission divine de Jeanne,
il ne fut pas le seul. En effet, la Pucelle y en ajouta plusieurs
autres. Telles furent les révélations à portée objective que le sire
de Rotselaer mentionne dans sa lettre aux conseillers du duc de
Brabant. Tels furent les signes qu'elle donna à ses examinateurs de
Poitiers. Telles furent les pi-omesses qu'elle fit au jeune Roi, que le
tribunal de Rouen lui reprochait, et qu'elle se garda bien de désa-
vouer^. Nous les avons rappelées plus haut.
C'est sa mission tout entière que la jeune fille avouait de la sorte
avoir exposée à Charles VII, en insistant sur les deux points qui
devaient la caractériser, Pexpulsion des Anglais, « ces adversaires
qui seraient mis dehors », et la rentrée en possession de son
« roj-aume tout entier ». Et c'est dans le séjour qu'elle fit à Chinon
1. IbicL.pp. 73, i-20, 121.
2. Procès, t. I, p. 142.
3. Procès, Réquisitoire, art. XVIIl.
LE SECRET ET LE SIGNE DU ROI 415
et Poitiers que surgirent les occasions qui lui permirent de s'expri-
mer avec son roi en toute liberté.
Éclaircissement du second point
C'est assurément une chose étrange que l'insistance des juges
de la Pucelle — si toutefois ils n'ont pas altéré ses réponses —
pour lui arracher toute cette histoire de la couronne apportée et
remise au roi Charles Vil par un Ange qui tantôt parait être saint
Michel, tantôt Jeanne elle-même. Ils insistent parec qu'ils s'ima-
ginent qu'il s'agit du secret que la Pucelle refuse de leur révéler.
Et la Pucelle semble se prêter à leur insistance parce que, à la
faveur de cette feinte, elle glisse une explication allégorique au
moyen de laquelle le secret véritable demeurera inviolé*.
Elle tient à ne pas le livrer, parce qu'il intéresse l'honneur de
la maison de France. Et elle ne cache pas a ses juges sa ferme
résolution, puisque pressée de tout dire sur ce point, elle répond
jusqu'à vingt-quatre fois qu'elle « ne dira rien, que cela ne touche
pas au procès, qu'elle ne pourrait parler qu'en se parjurant ».
Pour se garder de toute indiscrétion, poussée à bout par ses
interrogateurs, la jeune fille s'efforce de leur donner le change en
leur présentant cette histoire allégorique de la couronne remise
au roi par Jeanne elle-même, « ange et messagère de Dieu » ou
par saint Michel — car ses réponses ont l'un et l'autre sens —
dans une scène supra-terrestre où l'envojée de Dieu aurait été
actrice et témoin.
C'est l'explication qu'Edmond Richer, à la suite de Théodore de
Lellis et de Paul Pontanus, a donnée du langage et de la conduite
de Jeanne en ces circonstances. Elle ne supprime pas toutes les
difficultés qui naissent des textes, mais elle résout les principales.
Pour celles qui restent insolubles, nous avons un jugement qui nous
dispense de les examiner, celui d'un homme qui n'est pas suspect,
Vallet de Viriville.
« Toute cette histoire de signe, d'ange, dit-il, paraît être quel-
que pax'odie, dénaturée par la mauvaise foi, des réponses que put
faire la prévenue. » {Procès traduit..., p. 87, note 2; p. 88, note!.)
1. Les interrogatoires dans lesquels il est particulièrement question
de la couronne remise au Roi et considérée comme signe établissant la
mission de Jeanne de par Dieu, sont le cinquième interrogatoire public,
Procè.t, t. (, 90-91 : — le deuxième interrogatoire de la prison ou huitième
séance ihid., 126; — le quatrième ou dixi-ème séance, 140-144. Voir
aussi !o deuxième des douze articles, ibid., 330-3ol.
416 APPENDICE V
Ces réserves faites, nous répondrons à la question posée plus
haut. Non, 11 n'existe aucun rapport entre le vrai signe du roi.
celui par lequel Jeanne lui a prouvé la réalité de sa mission de
par Dieu, et l'allégorie que les juges de Rouen ont prise pour ce
signe-là. En les suivant sur ce terrain, en répondant à leurs inter-
rogations, la Pucelle y gagnait de garder son secret, et en effet, rien
dans le procès n'a transpiré de la révélation qu'elle fit à son roi.
Au demeurant, en tenant compte des documents d'une part, des
interrogatoires du procès de l'autre, l'historien se trouve en pré-
sence de deux signes qualifiés de signes du roi : le signe authen-
tique et le signe allégorique ; l'un correspondant à la révélation
par la Pucelle des prières connues de Dieu seul et de Charles Vil ;
l'autre ne concernant que l'entrevue de Jeanne avec le Dauphin à
Chinon, et la traduction allégorique de l'assurance qu'elle lui
donna, ainsi qu'à l'archevêque de Reims et à la Commission de
Poitiers, qu'il serait sacré à Reinis et recouvrerait tout son
royaume. L'un est le signe véritable, l'autre n'est qu'un signe de
circonstance. A l'historien de ne pas les confondre et de faire à
chacun sa place.
IV
Si la Pucelle a donné au roi Charles VII le signe qui lui était
spécial en lui révélant des choses « connues de lui seul et de Dieu » ;
si ce sont « les trois requêtes que, dans un moment de désespé-
rance, le jeune prince soumit au ciel », l'on doit convenir qu'il
n'était pas possible à la jeune fille d'acquérir cette connaissance
par elle-même, et qu'elle en a été redevable à une illumination
venue d'en haut.
De cette même manière, on s'explique qu'elle ait été instruite
du projet que formait le Dauphin de se réfugier en Ecosse ou en
Espagne, et qu'elle le lui ait rappelé. Ce que la petite paysanne
ignorait, l'envoyée de Dieu l'apprenait par ses Voix. Etant donnée
la vérité du rôle que Jeanne leur attribue, l'historien catholique
voit toutes les difficultés soulevées par les historiens libre-penseurs
s'évanouir, et il n'en est pas réduit comme eux à mutiler les textes
ou à les dénaturer.
C'est le seul parti qui reste à la disposition des écrivains de
l'école antitraditionnelle. Pour n'avoir pas à expliquer la révéla-
tion du secret du Roi, ils la suppriment. 11 lui substituent l'affir-
mation de sa légitimité.
Frère Pasquerel, l'aumônier de Jeanne, déposait que, dans l'en-
LE SECRET ET LE SIGNE DU ROI 4i7
trelien secret qu'elle eut avec le Dauphin, le jour de l'audience de
Chinon, Jeanne lui donna l'assurance qu'il était le fils légitime de
Charles YI et l'héritier de sa couronne. [Procès, t. IH, p. 103.)
Ce que frère Pasquerel a omis de dire, c'est que cette assurance,
pour être prise au sérieux, dut être précédée d'un fait caractéris-
tique, d'une confidence obligeant le Dauphin à convenir qu'elle
était vraiment inspirée de Dieu. Une garantie de ce genre faisant
défaut, Charles ne pouvait voir en ce propos qu'une imagination
pure, et dans la Pucelle qu'une aventurière dont il devait surtout
se défier.
Avec le fait de la révélation des piuères du Roi connues de Dieu
seul, la logique reprend ses droits, et l'on conçoit que Charles VU
ait accepté une assurance ayant pour fondement une révélation
d'ordre vraiment surhumain.
Cette révélation, les historiens antîtraditionnels la réduisent à
rien. Ainsi, au cours de son récit, Henri Martin s'exprime comme
s'il ne doutait pas de l'authenticité de la dite révélation. Mais,
arrivé aux Éclaircissements, la peur du surnaturel s'empare de lui
et il retire ce qu'il paraissait avoir avancé. 11 borne la révélation
de l'héroïne à l'affirmation de la légitimité de la naissance du
Dauphin, et il n'admet que de vagues rapports entre le langage de
Jeanne et la teneur des prières du roi. {Jeanne d'Arc, p. 42, 43,
322: in-12, Hachette, 1857.)
On ne saurait trop le redire, vouloir à tout prix bannir le sur-
humain, le miraculeux de l'histoire de Jeanne d'Ax'c, c'est travestir,
dénaturer cette histoire tout entière.
Un procédé non moins suspect est celui des historiens qui, pour
se débarrasser du divin, attribuent ci l'héroïne des facultés psy-
chiques d'un ordre exceptionnel. C'est le procédé cher à H. Martin
et à J. Quicherat. Nous sommes surpris qu'il ait séduit un esprit
aussi positif que M. Andrew Lang. Ce critique convient que bien
des particularités de la vie de Jeanne, telles que le secret du Roi
semblent dépasser les limites du pouvoir, humain. Elles « semblent »
seulement. Au fond, le critique anglais reste persuadé que ces phé-
nomènes, quelque exceptionnels qu'ils soient, « ne dépassent
nullement ces limites. » (Andrew Lang. La Jeanne d'Arc d'A.
France, p. 162-163, in-18, Paris, 1909.)
Mais d'où vient que ces « phénomènes déconcertants » ne se
rencontrent que dans une seule histoire et en telle quantité, l'his-
toire de notre grande Française, de notre grande sainte, Jeanne
d Arc ?
APPENDICE VI
LA PUCELLE A-T-ELLE ÉTÉ PRISE SUR LE TERRITOIRE
DU DIOCÈSE DE BEAUVAIS^
De l'élude des documents il résulte que le procès de la Pucellen'a
pas été un procès d'inquisition proprement dite, avec l'inquisiteur
pour juge principal; il a été un procès dit « de lOrdinaire », avec
un évéque pour principal juge, l'évêquedeBeauvais, et un inquisiteur
pour juge assistant. Jean Lemaître, vice-inquisiteur de Rouen.
Ce n'élait pas à ce dessein que s'était arrêtée tout d'abord T Uni-
versité de Paris.
Dès la première heure, elle ne songeait qu'à faire livrer la pri-
sonnière des Anglais à l'inquisiteur et à la faire juger dans Paris
même. De là la lettre que le 26 mai, c'est-à-dire deux jours après
la sortie de Compiègne, frère Billory, vicaire général du grand
inquisiteur, écrivait au duc de Bourgogne.
C'est à sa personne qu'il demandait que Jeanne fût livrée
« pour ester par devant nous à droit contre le procureur de la
sainte inquisition. » [Procès, t. 1, p. 12, 13.)
Il en fut autrement.
Dans le mois de juillet qui suivit, [un personnage nouveau,
l'évêque de Beauvais, entrait en scène. Ce prélat prétendit être le
juge propre et, selon le terme juridique, « Ordinaire » de Jeanne
d'Arc : cela parce qu'elle aurait, d'après lui, été prise sur le terri-
toire de son diocèse.
Tout heureux de cette revendication, les dirigeants de la politique
anglaise donnèrent satisfaction à l'évêque. En conséquence, ils
arrêtèrent que le procès de la Pucelle serait jugé non à Paris,
mais à Rouen, non par l'inquisiteur de France, mais par l'évêque
de Beauvais à titre de juge « Ordinaire », avec un inquisiteur pour
l'assister.
En se prononçant de la sorte, les régents de France et d'Angle-
terre avaient leurs raisons. A Paris, l'ennemie des Anglais eût
1. Cet Appendice développe et complète la Noie explicative des
pages 16fi, 167.
DU DIOCESE OÙ JEANNE FUT PRISE 419
échappé peut-être à une condamnation capitale. A Rouen, avec
l'évêque de Beauvais pour juge principal, des soldats anglais pour
garnisaires, les conseillers royaux pour surveiller et au besoin gui-
der les débats, tous obstacles sérieux étaient écartés et les vaincus
d'Orléans et Patay restaient assurés de leur vengeance.
I
Nous ne venons pas rechercher présentement si, même en admet-
tant que la Pucelle ait été prise sur le territoire du diocèse de
Beauvais, Pierre Cauchon devenait par cela même son juge com-
pétent et « Ordinaire ». C'est là une question de droit canonique
que les docteurs de la réhabilitation ont tranchée négativement.
On n'a, pour s'en convaincre, qu'à lire les pages 189-192 du mémoire
de l'évêque de Lisieux, Thomas Basin, dans les Mémoires et Consul-
tations publiées par M. P. Lanéry d'Arc (in-8°, A. Picard, 1889). La
conclusion à laquelle les raisons invoquées aboutissent est celle-ci :
Concludo ex incompetentia judicum et fori, processum et senten-
tiam contra Johannam habitos cornière et nullos de jure existere.
[Op. cit., p. 192).
La question que nous voudrions examiner est purement histo-
rique et documentaire, à savoir si, comme l'a prétendu le juge de
la Pucelle, le point de territoire sur lequel elle fut prise apparte-
nait ou non au diocèse de Beauvais. Edmond Richer le nie à plu-
sieurs reprises dans son histoii*e de l'héroïne. Éditeur de son
ouvrage, il est naturel que nous nous demandions si les documents
connus appuient son sentiment ou le combattent.
Précisons le point à éclaircir et notons d'où vient la difficulté.
Le point à éclaircir est celui-ci. En affirmant que la Pucelle a
été faite prisonnière sur le territoire du diocèse de Beauvais,
l'évêque Pierre Cauchon en a-t-il fourni la preuve ; s'il ne l'a pas
fournie, existe-t-il et a-t-on ultérieurement découvert des pièces
suppléant à son silence ?
Quant à l'origine de la difficulté, elle se trouve dans ce fait peu
connu que, au temps de Jeanne d'Ai'c, la ville de Compiègne
appartenait, non au diocèse de Beauvais, mais au diocèse de Sois-
sons. Jeanne ayant été prise sur un terrain dépendant de la ville
de Compiègne, rive droite de l'Oise, la question serait de savoir si
Compiègne en cette partie de son territoire n'était plus du diocèse
de Soissons, mais de celui de Beauvais. La Lrallia Christiana, t. X,
XI, affirme expressément que la ville de Compiègne dépendait
du diocèse de Soissons. Reste à savoir s'il en était de même
420 APPENDICE Vr
de la partie de son territoire qui se trouvait sur la rive droite de
l'Oise, au delà du pont.
II
En revendiquant le di'oit de juger la Pucelle à titre de « Juge
ordinaire », et en fondant sa revendication sur le fait qu'elle était
sur un point de son diocèse quand elle tomba dans les mains de
ses ennemis, l'évêque de Beauvais a-t-il produit au procès la preuve
de ce fait ; à son défaut, l'Université de Paris, le roi d'Angleterre
l'ont-ils produite?
Cette preuve, on la cherche en vain au procès et ailleurs. Il ne
paraît pas qu'on ait songé un instant à la donner. L'évêque affirme,
l'Université affirme, le roi d'Angleterre affirme ; ils ne prouvent
pas. Gomme il s'agit d'une chose nullement évidente, un petit bout
de preuve n'eût pas été inutile.
La preuve que le procès de condamnation ne présente pas, les
enquêtes de la revision ne la donnent pas davantage. On y trouve
mentionné le bruit que Jeanne avait été prise sur le territoire du
diocèse de Beauvais ; mais on n'y trouve pas autre chose. Des 125
témoins entendus en 1455-1456, cinq seulement font allusion à la
prise delà Pucelle : les deux notaires-greffiers du procès, G. GoUes
et G. Manchon, l'assesseur Thomas de Gourcelles, l'appariteur
Leparmentier et le chanoine André Marguerie.
Le notaire-greffier G. Colles dit bien que l'évêque de Beauvais
justifiait sa qualité de juge de Jeanne par ce fait quelle aurait été
prise dans les limites du diocèse de Beauvais ; mais il ne dit pas
que l'évêque en ait jamais fourni la preuve.
« Episcopus Belvacensis, dépose-t-il, incoepit processum contra
Johannam ex eo quod dicebat eam fuisse captam infra metas diœce-
cesis Belvacensis . » (Procès, t. ill, p. 161.)
Le notaire-greffier ,G. Manchon n'affirme pas autre chose. « La
Pucelle, à ce qu'on disait, avait été prise dans le diocèse de Beau-
vais. C'est pourquoi, ajoute-t-il, l'évêque de Beauvais prétendait être
son juge, et il prit tous les moyens pour qu'elle lui fut livrée. —
Ut dicebatur, Johanna capta fuit in diœcesi Beloacensi... » {Ibid., p.
134.)
D'après Thomas de Gourcelles, « si l'évêque P. Gauchon se char-
gea du procès de Jeanne, c'est parce qu'il était conseiller du roi
d'.Vngleterre et que Jeanne avait été prise sur son territoire: Quia
erat episcopus Belvacensis in cujus territorio ipsa Johanna fuerat
capta et apprehensa. {Ibid., p. 57.)
DU DIOCESE OÙ JlîANNE FUT PRISE 421
Courcelles rappelle l'affinnation du prélat ; il ne parle ni d'en-
quête officielle, ni de preuve apportée, ni de vérification person-
nelle.
I/appariteur Leparmentier et le chanoine André Marguerie ne
mentionnent le fait que par ouï-dire. « On disait, dépose Lepar-
mentier, que la Pucelle avait été prise dans le diocèse de Beau-
vais : — dicebalur...» {Ibi(l.,p. 185.)
— « Ce que j'ai ouï dire, ajoutait André Marguerie, c'est que
Jeanne avait été prise en deçà des limites du diocèse de Beauvais,
près de Compiègne. » {Ibid., p. 182, 183.)
III
Jusqu'ici nous sommes en présence d'une opinion qui. d'un côté,
intéresse et favorise trop les personnages qui l'ont émise pour être
acceptée sans preuves, et qui, d'un autre côté, en fait de preuves,
ne peut invoquer qu'une rumeur sans fondement.
C'est chose i-egrettable que les docteurs de la revision n'aient
point fait porter leurs investigations sur ce sujet. Ils auraient pu
relever dans la lettre du roi d'Angleterre du 3 janvier 1429 (nou-
veau style) des expressions comme celles-ci : que Jeanne « a été
prise armée devant Compiègne, — es termes et limites du diocèse
de Beauvais {Procès, 1. 1, p. 18) ; » et dans la lettre de l'Université de
Paris, cette restriction : « en la juridiction de nostre très honoré
seigneur, l'évesque de Beauvais, comme on dit {Ibid., p. 11). » L'Aima
parens n'en était donc pas bien certaine. Le canoniste Paul Pon-
tanus s'en est souvenu lorsqu'il posait la question de la compé-
tence de l'évêque de Beauvais en ces termes :
An dicti processus et sententia nuliitati subjiciantur, cum dominus
Belvacensis 7ion videatur fuisse competens judex, etiam dato quod
esset in ejus territorio capta? {Procès, t. Il, p. 64.)
Toutefois il faut arriver au premier quart du xva" siècle pour
rencontrer la négation catégorique de la prétention de Pierre
Cauchon, sous la plume d'un historien. On a pu la voir énoncée au
premier livre de l'ouvrage d'Edmond Richer, p. 161 et suiv. Et il ne
se borne pas à cette rectification. Il y revient au livre II dans sa cri-
tique du procès, toutes les fois que l'occasion lui en est donnée, et
particulièrement dans les trois passages suivants :
Dans VAdvertissement sur la lettre de l'Universitéde Paris, au duc
de Bourgogne, E. Richer écrit :
« L'Université requiert que la Pucelle soit envoyée à Paris, ou
422 APPENDICE VI
mise entre les mains de l'Évesque de Beauvais, en tant qu'ils pré-
tendent qu'elle avoit été prise en son diocèse ou jurisdiction spiri-
tuelle; chose faulse et supposée, estant certain qu'elle fut prise
au territoire de Compiégne, qui est en la jurisdiction spirituelle de
l'Évesque de Soissons. » (Ms., livre 2" f. 8)
De même, il fera suivre de ces lignes le texte de la Lettre du roi
d'Angleterre :
Cette lettre, remarque-t-il, « ne contient autre chose de mémo-
rable, sinon que l'Évesque de Beauvais est son féal conseiller, et
qu'il est juge ordinaire de la Pucelle : d'autant qu'elle a esté «prise
es limites de son diocèse »,et ne dit pas : « dans le diocèse positi-
vement, » ainsi qu'il est porté aux précédentes lettres. Or, est-il
véi"itable que cette fille fut prise aux limites et non dans et sur
le diocèse de Beauvais. »
Dans VAdvertissement qui suit la lettre de l'Évêque Pierre Cau-
chon au duc de Bourgogne et au comte de Luxembourg, le même
historien dit encore :
« N'est-ce pas un sacrilège, dire qu'elle [la Pucelle] a été prise en
son diocèse [celui de Beauvais] ? Or, les actes du procès, septième
séance, font foy qu'elle a esté prise au-delà du pont de Compiégne,
lequel borne le diocèse de Beauvais. »
IV
D'après cette insistance de Richer, c'était bien chez lui, non une
simple opinion, mais une conviction arrêtée que Jeanne avait été
faite prisonnière sur le territoire de Compiégne, et par suite dans
le diocèse même de Soissons, duquel Compiégne dépendait : et
l'opinion du docteur de Sorbonne a paru suffisamment motivée à
quelques historiens pour qu'ils aient cru devoir s'y ranger. Tels
sont Lenglet-Dufi'esnoy et Voltaire auxviii'' siècle. Michelet au xix® ^
Quelle raison a pu les frapper, sinon les convaincre ? 11 y a eu du
moins celle-ci : E. Richer parle d'une chose qu'il semble avoir pris
la peine de vérifier, à savoir que le territoire de la ville de Com-
1. Pour ne citer que Michelet, il s exprime ainsi dans son Histoire de
France, t. V, p. 115 :
« Il se trouva fort à point, — pour imposer le choix de l'évêque de
Beauvais comme juge — que la Pucelle avait été prise sur la limite du
diocèse de Cauchon : non pas, il est vrai dans le diocèse même ; mais
on espéra faire croire qu'il en était ainsi. »
DU DIOCESE OÙ JEANNE FUT PRISE 423
piègne situé sur la rive droite de l'Oise appartenait, comme la ville
même, au diocèse de Soissons.
D'abord, il n'y a rien en cette opinion qui soit en désacord avec
le récit que la Pucelle fait à ses juges des cii'constances dans
lesquelles eut lieu son dernier combat.
« Interrogée si, en la sortie, elle passa par le pont, respondit
qu'elle passa par le pont et par le boulevard, et alla sur les gens
de Monseigneur de Luxembourg et les rebouta par deux fois ;
et à la troisième, les Anglais qui estoient là coupèrent les chemins
à elle et à ses gens entre elle et le boulevard : et pour ce se retraïrent
ses gens ; et elle, en se retirant aux champs, en costé devers
Picardie, prés du boulevard, fut prise. Et estoit la rivière entre
Compiègne et le lieu où elle fut prise; etn'y avoit seulement entre
le lieu où elle fut prise et Compiègne que la rivière, le boulevard et
le fossé dudit boulevard. »
Mais quel était « le lieu où elle fut prise ? » D'après- J. Quiche-
rat {Aperçus nouveaux, p. 89), c'était « l'angle formé par le flanc
du boulevard et le talus de la chaussée »; et, doit-on ajouter, pour
tenir compte des détails donnés par la Pucelle, angle prolongé par
la rivière du côté du boulevard, dans la direction de la Picardie et
du nord.
A inférer de cette description que le champ où l'héroïne fut
faite prisonnière était tout proche, sinon partie, du terrain sur
lequel avait été consti'uit le boulevard, et ressortissait du diocèse
duquel ressortissait au nord du boulevard, la rive droite de la riviè-
re: En tout cas, c'est chose indubitable que Jeanne n'a pas été
prise dans les champs, en plein diocèse de Beauvais, mais sur la
rive droite de l'Oise, à proximité du boulevard qui défendait le
pont de la place, « devant Compiègne », comme le dit la lettre du
roi d'Angleterre ; Compiègne, dont la rivière seule la séparait. »
Selon toute vraisemblance, ce point faisait partie du territoire de
la ville qui, bien que bâtie sur la rive gauche de l'Oise, possédait
sur la rive droite, comme toutes les villes en pareille situation, et
comme elle possède aujourd'hui, des terrains longeant le fleuve. De
ces terrains, d'après E. Richer, ceux de la rive droite au-dessous
du pont et du boulevard,dans la direction du sud et de l'ouest, appar-
tenaient au diocèse de Beauvais. %Ceux qui étaient au-dessus du
pont, dans la direction du nord et de l'est, appartenaient au dio-
cèse de Soissons; en sorte que jusqu'à moitié pont du côté de la
rive droite, les diocèses de Soissons et de Beauvais étaient limitro-
phes. Voici d'ailleurs les termes d'E. Richer.
« Les actes du procès, dit-il, portent que Jeanne fut prise au-
4_* Al'l'li.NUICJi VI
delà du pont de Compiègne, du coslé de Picardie, tirant vers
Noyon. Ce que pour donner à entendre, faut remarquer que la
rivière d'Oise arrose les murailles de Compiègne du côté de
septentrion, et que le pont est hors la ville du mesme costé, fai-
sant la séparation du diocèse de Beauvais et de Soissons : telle-
ment que la partie du pont qui est à l'occident est du diocèse de
Beauvais, et que l'autre partie qui est à l'orient du coté de
Noyon, est du diocèse de Soissons. Donc la Pucelle ayant esté prise
au-delà du pont, du costé de Picardie, vers l'orient, et ayant eu la
rivière d'Oise et le boulevard de Compiègne à l'opposite du lieu
où elle fut prise, il est certain qu'elle n'estoit pas justiciable de
l'évesque de Beauvais, ainsi que tous ceux qui ont écrit en la
revision du procez remarquent. » {Histoire..., liv. I, p. 161.)
C'est, en d'autres termes, ce que nous disions tout à l'heure.
D'après notre historien, le pont de Compiègne, au xv'' siècle, sur
la rive droite de l'Oise marquait la limite des deux diocèses. La
partie au sud du pont était du diocèse de Beauvais; la partie au
nord du pont était du diocèse de Soissons. Or, Jeanne avait été
prise en cette partie-là. entre le boulevard et la rivière.
Edmond Richer présente cette limitation comme de notoriété
publique de son temps. Par suite de la position de Compiègne
débordant l'Oise du côté de la rive droite, il n'y avait rien que
de raisonnable à ce que cette rive dépendit tout ensemble des
paroisses situées à l'intérieur de la ville, ainsi qu'on le voit
aujourd'hui, et du diocèse duquel ces paroisses mêmes dépen-
daient.
L'érudition de nos contemporains qui a éclairci bien des points
relatifs à l'histoire de la Pucelle, n'a découvert aucune pièce, aucun
document de nature à confirmer ou à contredire pertinemment
l'opinion d'Edmond Richer sur la question que nous venons d'ex-
poser. Une carte détaillée des deux diocèses de Beauvais et de
Soissons du xV au xix^ siècle, de source officielle ou officieuse,
eût rendu de grands services aux historiens. Cette carte, ils l'ont
cherchée en vain. La seule qu'ils aient à leur disposition est celle
qu'on trouve en tête du tome X de la Gallia christiana, et elle est
loin de résoudre les difficultés. Pourtant, en fait de document, on
a retrouvé les mémoii-es d'un annaliste de la fin du xvif^ siècle qui
nous donnent sur Compiègne, à cette époque, des renseignements
dignes d'intérêt.
DU DIOCESE OU JEANNE FUT PRISE 425
Cet annaliste est un certain Claude Picard, procureur de la ville,
qui avait l'habitude de noter au jour le jour les événements
survenus de son temps. Le président de la société historique de
Compiégne, M. de Bonnault, se porte garant de la conscience et
de l'exactitude de cet auteur. Jamais, à ce qu'il assure, il ne l'a
trouvé en désaccord avec les archives de la ville. 11 a puisé en son
manuscrit bon nombre d'informations dont il a enrichi l'étude
historique qu'il va publier à la librairie Champion de Paris sous
ce titre : Compiégne pendant les guerres de religion et de la ligue.
Or, à l'occasion du transport des restes mortels de Henri III à
Compiégne en lf>89, l'annaliste Picard fait allusion dans son récit
à la limite des deux diocèses de Beauvais et de Soissons.
Le cercueil royal devait être remis au prieur et au clergé de
Saint-Corneille. La cérémonie eut lieu le 15 août. « Le funèbre
dépôt, raconte M. de Bonnault d'après Picard, avait été confié à
l'évéque de Beauvais, Nicolas Fumée, confesseur du roi trépassé.
Arrivé à la croix qui s'élevait sur le pont de Compiégne, l'évéque
en habit épiscopal remet le corps du feu roi à la garde du prieur
de Saint-Corneille, et prend soin d'en faire dresser procès-verbal
par deux notaii'es de Compiégne, Bleuet et Jean de Pronnay. »
[Ouvrage cité, p. 251-253.)
La ci'oix dont il est question était placée au milieu du vieux
pont de Compiégne. Il subsiste encore une amorce de ce pont qui
fut démoli sous le règne de Louis XV.
Le procès-verbal dressé par ordre de l'évéque de Beauvais a été
conservé. M. de Bonnault a bien voulu nous en procurer une copie
authentique. 11 est conçu en ces termes.
Procès-verbal de la remise du corps de Henri III au prieur de
saint Corneille.
'( A tous ceulx qui ces présentes lettres verront, Anthoine
Cacquin, garde des sceaux roiaulx de la baillie de Senlis, et Pierre
Lefebvre. tabellion de par le Roy nostre sire es prevostez et chas-
tellenyes de Compiégne et de Choisy, salut. Sçavoir faisons que le
mardy quinzième jour d'aoust mil cinq cens quatre vingt neuf de
rellevée, en la personne de Raoul Bleuet et Jehan de Pronnay,
notaires roiaulx audict Compiégne, révérend père en Dieu messire
Nicolas Fumée, évesque et comte de Beauvais, pair de Fi-ance,
estant au diocèse de Beauvais, sur le pont de Compiégne, au
devant de la croix, a consigné et mis es mains des religieux,
prieur et couvent de saint Corneille au dit Compiégne, le corps du
426 APPENUICE VI
feu Roy Henry Iroisiesme, roy de France et de Polongne, pour en
avoir la garde, du commandement de Sa Majesté et jusque
que aultrement par icelluy en soit ordonné, et de y faire prières
continuelles pour son âme, tant pour estre mort comme il a vescu
enla relligion catholique, apostolique et romaine pour laquelle il
auroit exposé souvent sa personne en danger et du bon office et
debvoir rapporté des grandes et signalées victoires des hérétiques,
que pour estre les dits relligieux de la fondation de ses prédé-
cesseuVs Roys à la succession desquels ils ont obligation : pour
lesquelles considérations, sa dicte Majesté auroit ordonné son dict
corps y estre consigné : et à cette fin ledict sieur evesque a esté
commis, envers laquelle et pour sa descharge auroit requis et est à
luy accordé ce présent acte pour luy servir en temps et lieu ce que
de raison. En tesmoins de ce, nous avons scellé ces présentes qui
furent faictes et passées l'an et jour et en la forme et manière que
dessus, et ont ledist sieur evesque, comme pareillement Lesset le
clerc, Telon et Vincent, signé. — Bleuet.
Collation faite à la minute du dict Lefebvre tabellion.
De Pronnay.
Biblioth . de Compiègne, B. P. 9., fol. 5 (en parchemin).
VI
Maintenant que le texte du procès-verbal lui-même a passé sous
les yeux du lecteur, qu'on nous pei'mette une question .
Existe-t-il une contradiction formelle entre lopinion de Richer
présentée plus haut et le contenu du procès-verbal ?
Il n'en existe, ce nous semble, aucune. Le dit procès-verbal
n'affirme rien concernant les limites des diocèses de Beauvais et
de Soissons. 11 dit que « sur le pont de Compiègne, au devant de
la croix, l'évèque Nicolas Fumée a consigné et mis entre les
mains des religieux de Saint-Corneille le corps de feu Roy Henry
troisième. » 11 n'ajoute pas que cette croix « marquait la limite
des deux diocèses ».
11 est vrai que M. de Bonnault l'ajoute « d'après une phrase
jointe au récit de Picard qu'il suppose être de Picard lui-même. »
Cette phrase, qu'on retrouve dans D. Bertheaud, est celle-ci :
« Le corps fut conduit par Tévesque de Beauvais jusqu'à la
croix qui est dessus le pont de Compiègne et qui est la limite de
son diocèse. » Dibl. nation., Picardie XX. M' f. 372, v" et suiv. —
D. Bertheaud.)
DU DIOCESE OÙ JEANNE l'Ul' PIUSE 427
0 Cette question de limite, conclut M. le Président, n'est pas
chose même discutable pour nous. »
Quoi qu'il en soit de cette appréciation, l'on conviendra que la
méthode suivie pourrait être plus rigoureuse. En somme, ce sont
des hypothèses qu'on invoque pour conclure à un fait positif. On
« suppose » que l'annaliste Picard a fait sienne la phrase de Dom
Bertheaud, et on « suppose >> qu'il ne s'est pas trompé. Deux hypo-
thèses, c'est beaucoup, c'est même trop.
Cette dualité d'hypothèses se complique d'un oubli ou d'un
défaut de précision. L'annaliste cité oublie ou néglige de préciser
de quelle manière la croix du vieux pont de Compiègne délimitait
les deux diocèses. Si aucun autre texte ne pouvait être opposé,
l'explication la plus obvie consisterait à donner au diocèse de
Soissons le côté du pont aboutissant à la ville de Compiègne, et
au diocèse de Beauvais le côté aboutissant à la rive droite. Mais il
y a le texte dEdmond Richer, et l'historien de la Pucelle est un
auteur trop sérieux pour le taxer de légèreté et ne tenir aucun
compte de ce qu'il a écrit.
A ce point de vue, la comparaison entre l'annaliste inconnu
Picard et le docteur de Sorbonne ne peut tourner qu'en faveur de
ce dernier. De plus, les deux écrivains sont du même temps -.l'un et
l'autre vivaient à la fin du xvi" siècle. Richer n'avait que trente ans
environ lorsqu'on transporta le corps de Henry 111 à Compiègne.
Us ont pu donc être également bien informés. Il ne serait pas
juste sans doute de sacrifier Claude Picard à Richer. 11 ne le
serait pas davantage de sacrifier Richer à Claude Picard.
Au demeurant ne serait-il pas possible de concilier leurs opi-
nions ? Examinées de près, elles ne se contredisent assurément
pas.
Qu'affirme Picard? Que la croix du milieu du pont délimite les
deux diocèses, sans déterminer de quelle manière.
Qu'affirme Richer? Que c'est le pont qui marquait cette limite.
S'il ne parle pas de la croix, il tie la nie pas non plus, et ses expli-
cations se concilient parfaitement avec l'existence et la destination
de la dite croix.
De la sorte nos deux auteurs, loin de se contredire, s'éclaire-
raient réciproquement et se compléteraient. Du premier, l'anna-
liste Picard, nous appi*endrions qu'au milieu dtj vieux pont de
Compiègne se dressait une croix indiquant l'endroit où les deux
diocèses de Soissons et de Beauvais se rencontraient. Par le
second, l'historien de la Pucelle, nous saurions que si la partie de
la rive droite située au sud et à l'ouest du pont était du diocèse
428 APPEiNDICE VI
de Beauvais, la partie septentrionale que Compiègne possédait de
ce même côté était néanmoins du diocèse de Soissons; chose
des plus naturelles, la ville dans son ensemble étant de ce diocèse.
Et nous ne découvrons pas de raison suffisante pour renoncer à
ce projet de conciliation dans l'opuscule publié par M. le chanoine
Ledouble sur le passage de Jeanne d'Arc dans les diverses régions de
l'Aisne (in-12 de 29 pages, Soissons, 1909). Cet érudit cite un
écrivain de la seconde moitié du xviu*= siècle qui confirme ce que
Claude Picard a dit de la croix du pont de Compiègne et de la
limite qu'ejle marquait. Dans son Etat du diocèse de Soissons.
publié en 1773, cet écrivain, nommé Rouiller, donne des détails
sur cette croix. Elle était posée sur une colonne quadrangulaire
à la façon des obélisques, s'élevant vers le milieu du pont, côté
amont.
Mais qu'inférer de ces détails dans la question présente ?
Mettons que le dit' Houiller nous parle de ce qu'il a vu. Edmond
Richer aussi dans son histoire parle, non de ce qu'il imagine ou sup-
pose, mais de ce qu'il a vu et constaté. Les raisons décisives pour
rejeter ce qu'il assure sont à trouver. Encore un coup, dans ce
qu'il avance, il n'y a rien que de vraisemblable. 11 est tout naturel
que, au xv^ et xvi^ siècle, Compiègne et le diocèse duquel cette
ville dépendait possédassent sur la rive droite de l'Oise un terri-
toire bien à eux, ainsi qu'on le voit dans la plupart des villes
bâties sur les bords d'une rivière. L'auteur de Compiègne au temps
de la ligue convient qu'à cette époque « l'élection de Compiègne
embrassait partie de la rive droite de l'Oise » . Pourquoi n'en eût-
il pas été de même au point de vue religieux'? Est-ce que, de nos
jours, le point de la rive de lOise où la Pucelle fut prise n'appar-
tient pas à la principale paroisse de Compiègne? (Chan. Ledouble,
op. cit., p. 25).
Ce sont là des considérations qui ne peuvent qu'être favorables
au sentiment de Richer sur la question examinée en cet appendice.
Toutefois, il ne nous en coûtera pas d'avouer que nous serions
bien aise de voir ce sentiment embrassé par un plus grand nombre
d'historiens, et appuyé par des documents autres que les pages
d'Edmond Richer lui-même. Espérons qu'il s'en découvrira et, dans
cet espoir, attendons.
APPENDICE VII
LA MISSION HISTORIQUE DE JEANNE d'aRC,
SON OBJET, SON ÉTENDUE
L'histoire de la Pucelle est une des belles pages de l'his-
toire de l'Église et de notre histoire nationale; et la beauté
de cette histoire tient principalement à la grandeur de la
mission dont l'héroïne a été chargée de par Dieu. Nous avons
rappelé l'origine de cette mission et en quelques mots nous
en avons indiqué l'objet. Mais un tel sujet mérite d'être traité
d'une façon plus approfondie. Nous allons donc le reprendre
et dire, d'après les documents, quel a été l'objet de la mission
de Jeanne et quelle en a été l'étendue. C'est de sa bouche que
nous recueillerons les paroles qui mettront en lumière ce que
nous estimons être la vérité.
I
Opinions en présence
Critiques et historiens sont loin d'être d'accord sur cette
question. Longtemps l'opinion dominante a été que la mis-
sion historique de l'héroïne n'avait pour objet que la levée
du siège d'Orléans, le sacre et le couronnement du fils de
Charles VI : elle ne s'étendait pas au delà. Ainsi pensait
Mézeray, ainsi pense Edmond Richer lui-même 2; et l'un des
derniers historiens de Charles VII, Du Fresne de Beaucourt,
a repris à son compte cette opinion en invoquant des argu-
ments nouveaux '.
1. Nous disons «mission historique», afin de la distinguer de la «mis-
sion personnelle» de l'Envoyée de Dieu, qui avait pour objet sa propre
sanctification.
2. Voir son Histoire, livre I, p. 138.
3. Revue (les questions historiques, t. II, année 1867.
430 APPENDICE VII
Telle n'est pas l'opinion de l'éditeur des deux Procès,
Jules Ouicherat, et du Révérend Jésuite, le père Ayroles.
Au sentiment de Jules Ouicherat, la mission de la Pucelle
avait un objet qui dépassait de beaucoup le sacre de Reims,
la délivrance du pays et l'expulsion des Anglais jusqu'au
dernier. Mais, remarque le critique historien, l'héroïne
n'ayant point expulsé les envahisseurs, « sa mission fut man-
quée ^»
Le R. P. Ayroles concède que la mission de Jeanne dépas-
sait la levée du siège d'Orléans et le sacre de Reims ; il con-
cède également qu'elle n'a pas été remplie. Il se sépare de
J. Ouicherat par la manière dont il explique qu'elle ne l'ait
pas été. Si Jeanne ne l'a pas remplie, ce n'est pas, remarque
t-il, par sa faute, mais par la faute de ceux qui devaient la
seconder, lui prêter leur concours, et qui le lui ont refusé. Ces
personnages on les connaît : ce sont les conseillers de
Charles VU, principalement la Trémoille et Regnault de
Chartres; c'est, à quelques égards, Charles VII lui-même.
Ainsi, d'après le révérend père, la mission de Jeanne
se divise en deux parties : l'une absolue, qui comprendrait
la levée du siège d'Orléans et le sacre, partie qui aurait été
ponctuellement accomplie ; l'autre, conditionnelle, qui ne
s'est point accomplie, non parce que la Pucelle n'a pas été
personnellement à la hauteur de sa tâche, mais parce que
les auxiliaires dont elle ne pouvait se passer, au moment
voulu, lui ont fait totalement défaut-.
De ces trois opinions, aucune ne nous satisfait pleinement.
La première nous semble pécher tout à fait par la base.
Nous admettons avec J. Quicherat que la mission de l'en-
voyée de Dieu avait pour objet le relèvement du royaume
1. Aperçus iiouveaux sur l'histoire de Jeanne cVArc, p. 44. — L'au-
teur fait observer qu'il se sert à dessein de «cette brutale expression ».
Et Henri Martin, Histoire de France t. VI, p. 19C et seq., l'approuve
pleinement. Les deux historiens ont fait erreur .- la mission de la
Pucelle n'a pas été « manquée » ; on verra qu'elle a été de tout point
accomplie.
2. R. P. Ayroles, La Pucelle devant l'Eglise de son temps, p. 78-79, 655 ,
— La vierge guerrière, p. 118-136.
LA MISSION HISTORIQUE DE JEANNE D ARC 431
et s'étendait jusqu'à* l'expulsion des Anglais ; mais nous ne
saurions admettre « qu'elle ait été manquée ».
Quant aux deux parties que le R. P. Ayroles distingue
dans la mission de Jeanne^ cette distinction ne paraît pas
recevable. D'ordinaire, les missions vraiment, positivement
divines, et la mission de la Pucelle était de celles-là, sont
absolues.
A notre avis, l'objet de la mission de Jeanne était le relè-
vement de la France et l'expulsion de l'Anglais : l'objet en
marquait l'étendue.
Sans doute la mission de l'héroïne comprenait la levée du
siège d'Orléans et le sacre de Reims, mais elle allait beaucoup
plus loin ; elle impliquait le relèvement du pays, la défaite
des Anglais, leur expulsion finale, et la recouvrance du
royaume tout entier du vivant de Charles VII.
Dans l'accomplissement de sa mission, laPucelle s'est révé-
lée « voyante inspirée et guerrière libératrice ».
« Voyante inspirée », elle l'a été dès la première heure et
durant toute sa vie publique, même quand elle était au pou-
voir de ses ennemis.
« Guerrière libératrice », elle l'a été tant qu'elle a pu tenir
une épée et courir sus à l'Anglais.
Et ses prédictions et ses prouesses ont eu pour effet de ra-
mener la victoire sous le drapeau de la France, de redresser
les caractères ; et il en est résulté ce relèvement moral et
patriotique du pays qui l'a rendu capable d'achever l'œuvre
que la « Française au grand cœur » avait commencée.
Le moment venu, Jeanne annonce d'abord sa mission,
elle en indique les deux phases l'une guerrière, l'autre
morale; elle en précise l'objet et l'étendue.
En même temps qu'elle lannonce, elle en commence l'exé-
cution. Elle en mène les deux parties de front et si bien que,
à sa mort, elles seront assez avancées pour qu'elle puisse in-
sister de plus belle à la face de ses juges sur la certitude du
succès final.
Sans doute, personnellement elle ne sera plus là; mais elle
y sera toujours par ses vaticinations, par son âme, par son
432 APPENDICE VII
souvenir. A sa mission de vie succédera une mission de sur-
vie. Ses anciens compagnons d'armes achèveront ce qu'elle a
commencé. Même après son trépas, sa voix, comme le dit
l'Écriture, ne cessera de se faire entendre : defuncta, adhuc
loquilur. Poursuivant la tâche commencée, les vaillants dé-
fenseurs du royaume en mèneront à bonne fin l'accomplisse-
ment.
Telle est, considérée dans l'ensemble, la mission de l'En-
voyée de Dieu. Examinons-en maintenant de près chacune
des parties.
II
La mission de Jeanne d'Arc, son objet. — Jeanne voyante inspirée.
Pour être une mission de salut et de délivrance nationale,
la mission de Jeanne devait être et a été, disons-nous, une
mission de voyante inspirée et de guerrière libératrice, de
restauration patriotique et da relèvement moral, l'une et
l'autre se prêtant un mutuel appui.
Voyons d'abord a l'œuvre la « Voyante inspirée. ».
Sous ce rapport, l'œuvre de la Pucelle consiste à définir sa
mission, à préciser son objet, à dire son étendue, et à faire
connaîti"e par avance les étapes qui conduiront lentement
mais sûrement au but final.
Le but final, c'est la délivrance du territoire, la recou-
vrance du royaume et l'expulsion de l'Anglais. Les étapes
qui conduiront à ce but seront la levée du siège d'Orléans,
le sacre de Reims, la défaite des envahisseurs en diverses
campagnes, et une série d'événements, tels que la rentrée de
Paris en l'obéissance de son souverain légitime, qui dépasse-
ront toute espérance. Ces événements, la Voyante les annonce
et les précise si clairement que son langage ressemble moins
à une prophétie qu'à une page d'histoire. Pour s'en
convaincre, il n'y a qu'à rappeler le langage qu'elle a fait
entendre à Vaucouleurs, Ghinon, Poitiers, Rouen, tant à ses
amis qu'à ses ennemis déclarés.
A Vaucouleurs, la jeune vierge insiste surle secours qu'elle
portera au Dauphin avant la mi-carême. Elle ajoute qu'il
LA MISSION HISTORIQUE DE JEANNE D ARC 433
régnera malgré tout et qu'elle le mènera sacrer à Reims.
Mais ce ne sera que le début de sa mission. Car il s'agit de
recouvrer autre chose qu'une ville, le royaume même de
France. « Pour cela, déclare-t-elle, il n'y a secours que de
moi ; ni rois ni ducs n'y pourront réussir. » {Procès, t. II, p.
456, 436.)
A Chinon, dans l'audience solennelle qui lui est donnée,
Jeanne salue Charles VII en ces termes :
« Gentil Dauphin, je viens h vous et vous suis envoyée de
Dieu pour venir en aide au royaume et à vous.» {Pi^ocès,
t. III, 17.)
De quelle manière lui viendra-t-elle en aide ? Le bruit pu-
blic l'a déjà fait savoir. Jeanne délivrera Orléans assiégé et
mènera le roi à Reims'pour l'y faire sacrer {ibid. p. 4.)
Et ce n'est pas tout. Quelques jours après l'audience royale,
afin que le jeune roi ne perde pas de temps, l'envoyée de
Dieu, en présence du duc d'Alençon, lui révèle le peu que
durera sa carrière : « Un an, guère plus. Qu'il songeât donc
à la bien employer, » C'est qu'elle n'avait pas seulement à
faire lever aux Anglais le siège d'Orléans et à faire sacrer
Charles VII ; il lui fallait encore préparer la délivrance du
duc d'Orléans prisonnier, battre nos ennemis et apprendre
aux défenseurs du royaume le chemin de la victoire {Procès,
111,99.)
Voilà nettement indiqués les secours que Jeanne apporte
au roi et au royaume. Au roi, la délivrance de la cité orléa-
naise et son « digne sacre » ; au royaume la défaite des An-
glais dont la délivrance du territoire sera la conséquence.
En sera-t-il de même des déclarations de la Pucelle à Poi-
tiers?
A Poitiers, la Pucelle sera encore plus explicite. Assuré-
ment elle n'oubliera pas les deux événements majeurs qui se-
ront comme les premiers signes établissant sa mission d'en
haut. «Qu'on me donne, dira-t-elle, des hommes, des chevaux
et des armes, et Orléans sera délivré, et je mènerai le roi a
Reims sans empêchement aucun. » jMais à ces signes pro-
chains elle en ajoute d'autres qui, survenant plus tard,
dissiperont les doutes qu'on pourrait avoir sur l'objet de sa
28
434 Al'PENUICli VII
mission. Car cette mission ne sera pas terminée, tant s'en
faut, lorsque le Dauphin aura été sacré : d'autres événements
devront s'accomplir. Et c'est alors que la Voyante annonce
aux membres de la commission royale, comme devant ad-
venir infailliblement, ces trois autres choses ^réputées alors
impossibles :
La ville de Paris rentrerait en l'obéissance du roi Charles.
Le duc d'Orléans, prisonnier, retournerait d'Angleterre et
n'y mourrait pas ;
Les Anglais seraient «détruits » : le mot y est. Dixit guod
Anglici essent deslructi (Procès, III, p. 205.)
Ce langage si réconfortant pour le jeune prince et ses féaux
sujets, la Pucelle tient à ce que les ennemis de la France ne
l'ignorent pas. Elle se réserve de le leur signifier elle-même
et elle leur écrit la lettre-sommation dont les juges de Rouen
ont inséré le texte dans l'instrument du procès. (Procès, I,
p. 240.)
En cette lettre, Jeanne n'use pas de circonlocution pour dé-
clarer au roi d'Angleterre et à ses capitaines qu'elle est
« envoyée de par Dieu le roi du ciel ; »
Qu'elle vient « réclamer le sang royal », c'est-à-dire réin-
tégrer le fils de Charles VI et la maison de France dans tous
leurs droits ;
Que la ville de Paris ne restera pas en la possession de
l'Angleterre, qu'elle se rendra au roi Charles, « lequel y en-
trera en bonne compagnie; »
Qu'ils ne tiendront pas « le royaume de France, mais le
tiendra le roi Charles; »
Enfin que, si elle est « cy envoyée de par Dieu, le roy du
ciel », c'est pour les « bouter hors de France » et délivrer le
royaume tout entier.
Voyante inspirée, Jeanne comprend donc dans l'objet de
sa mission une série d'événements futurs dont la levée du
siège d'Orléans est le premier, et l'expulsion de l'Anglais le
dernier. C'est à ce dénouement que, d'après ses déclarations
de Vaucouleurs, Chinon, Poitiers, sa mission doit aboutir.
LA MISSION HISTORIQUE DE JEANNE D ARC 435
Mais à Rouen, à la barre du tribunal qui lajuge, dans la soli-
tude affreuse de son cachot, la Voyante va-t-elle maintenir
ses déclarations, n'essaiera-t-elle pas de les atténuer ou de
les retirer ?
Non seulement la prisonnière des Anglais ne retire ou
n'atténue aucune de ses vaticinations précédentes, non seule-
ment elle les maintient, les confirme, les renouvelle, mais elle
yen ajoute d'autres non moins étonnantes qui toutes vont
au même but.
Confirmation de ses vaticinations de Chinon et de Poitiers.
Le juge interrogateur lui demande : — Vous avez été bles-
sée à l'assaut de la bastille du Pont ; saviez-vous par avance
que cela arriverait ?
Jeanne répond : — Oui, je le savais. Je le dis à mon Roi ;
que d'ailleurs la blessure ne m'empêcherait pas d'agir.
J'étais assurée aussi de faire lever le siège d'Orléans, car
cela m'avait été révélé. Avant de venir dans laville,je l'avais
dit à mon Roi. Je lui dis aussi que je le mènerais sacrer à
Reims (Procès, I, 39.)
Le jour du prononcé du Réquisitoire, à l'article XVII le
promoteur repproche à l'accusée d'avoir promis à son roi trois
choses : 1° de faire lever le siège d'Orléans; 2° de le faire
couronner à Reims; 3° de le délivrer de tousses ennemis, tant
Anglais que Bourguignons.
A^cet article, la Voyante répond : — Oui, j'ai porté des
nouvelles de par Dieu à mon Roi. Il lui rendrait son royaume,
il le ferait couronner à Reims, il lui donnerait la victoire sur
ses adversaires. Et de ce, je fus messagère de par Dieu. Qu'il
me mit hardiment en œuvre, je ferais lever le siège d'Orléans.
Et quand je parle du royaume, je veux dire tout le royaume.
(Procès, L 231, 232.)
Au cours des interrogatoires,le juge lui demandant quelles
promesses ses saintes lui ont faites : — Elles m'ont assurée,
dit Jeanne, que mon roi serait rétabli dans son royaume, que
ses adversaires le veuillent ou non. (Ibid., 87.)
Pour la délivrance du duc d'Orléans, qu'on lise les pages
133, 134 du procès de condamnation.
Pour l'expulsion finale de nos ennemis, dernier mot de sa
436 APPENDICE VII
mission, il faut entendre la réponse de la prisonnière à cette
interrogation : Dieu hait-il les Anglais ?
— De l'amour ou de la haine que Dieu a pour les Anglais
et pour leurs âmes, je ne sais rien. Ce que je sais, c'est qu'ils
sont boutés hors de France, excepté ceux qui y mourront,
et que Dieu enverra victoire aux Français. [Ibid. , ilS).
Telle est sa réponses aux juges qui ont charge de la
condamner comme visionnaire diabolique et de la faire brûler.
Mais il ne suffit pas à l'Envoyée de Dieu de maintenir ses
vaticinations premières ; le bras chargés de chaînes, elle en
prononce de nouvelles tout en faveur de la cause natio-
nale.
Elle a maintes fois assuré que Paris se soumettrait à son
roi dans un avenir prochain : elle fixe maintenant la date à
laquelle s'effectuera cette soumission, a Avant que sept
années se soient écoulées, dit-elle, les Anglais perdront un
gage plus précieux qu'Orléans. »
Certainement, Orléans valait moins que Paris.
Puis, c'est le traité d'Arras qu'elle annonce, « besogne qui
fera branler tout le royaume ».
Puis enfin, c'est la victoire de Gastillon, « la grande vic-
toire que Dieu enverra aux Français », et qui mettra fin à la
guerre de Cent ans (Procès, I. 84, 174, 178).
— Je dis ces choses, ajoutait la prisonnière, afin que lors-
que ce sera advenu, on ait mémoire que je l'ai dit (Ibid.).
Tous ces événements annoncés soit avant, soit pendant la
captivité de la Pucelle, sont comme les étapes successives
de sa mission ; l'expulsion définitive de l'Anglais devait
seule en être le point terminus.
Jusqu'au bout, Jeanne a gardé au cœur cette conviction
profonde. Lorsque Jean de Luxembourg, le triste sire qui la
vendit à l'Angleterre, viendra la visiter dans son cachot, la
prisonnière ne la lui cèlera pas.
— Je le sais, lui dira-t-elle, les Anglais me feront mourir,
croyant par ma mort gagner le royaume de France. Mais
fussent-ils cent mille godons de plus qu'ils ne sont à présent,
ils ne l'auront pas ce royaume. » {Procès, t. II, 122).
LA MISSION HISTORIQUE DE JEANNE D ARC 437
La mission de Jeanne d'Arc, son objet. — Jeanne « guerrière
libératrice ».
C'était beaucoup que, dès son arrive'e à Chinon, laPucelIe
marquât clairement l'objet de sa mission, qu'elle en dessi-
nât à Poitiers les grandes lignes, et qu'à Rouen elle achevât
d'en indiquer les étapes ; mais il n'importait pas moins
qu'elle mît la main à l'œuvre et qu'elle commençât l'exécu-
tion de ce plan libérateur. Ici ce n'est pas la « Voyante ins-
pirée » que nous allons entendre^, c'est la « guerrière sans
peur » que nous aurons en spectacle, et c'est la délivrance,
le relèvement du pays qui vont commencer.
Après l'idée l'action, c'est la loi. Aussi la mission de
Jeanne, après l'avoir introduite dans le conseil du roi, l'amè-
nera-t-elle sur les champs de bataille et s'affirmera-t-elle
comme une mission essentiellement guerrière.
La jeune fille ne se faisait pas illusion. Le but de son inter-
vention dans les affaires du royaume étant la défaite des
Anglais et la recouvrance du territoire, elle comprenait et ne
le cachait pas, qu'on n'y réussirait que « par le bout de la
lance ». Aussi l'une de ses premières paroles à Charles VII
fut-elle « qu'il lui fallait aller en guerre contre les Anglais »
(Procès, I, 56, 108).
Elle ne le dit pas en vain. Sa mission active n'a été qu'une
succession de combats, sous les murs de la cité orléanaise»
àJargeau, Meung-sur-Loire, Patay, même après les échecs
de Paris et de La Charité. Par sa présence à Lagny, Sois-
sons, Pont-l'Évèque, Compiègne, la vaillante guerrière pro-
clame la nécessité de combattre tant que les envahisseurs
fouleront le sol français. « Les Anglais, disait-elle, n'ont
aucun droit sur la France. Je suis envoyée de Dieu pour les
en chasser, et pour le faire il faut armer » {Procès, t. V^^
p. 120; IV, 104.)
Chose étrange assurément, que cette mission poursuivie
les armes à la main par une jeune fille, une vierge, une
héroïne profondément chrétienne, qui, en voyant couler le
438 APPEN'DICE VII
sang français, sentait ses cheveux se dresser sur sa tête ! On
conçoit l'étonnement de Robert de Baudricourt lorsque Jeanne
vint lui soumettre son dessein. Et les gentilshommes qui la
conduisaient au Dauphin durent n'être pas moins surpris
lorsqu'elle leur dit de la façon la plus simple : « Voilà quatre
ou cinq ans que mes frères du paradis m'ont avisée qu'il me
faudrait partir en guerre pour recouvrer le royaume de
France. »
Elle ajoutait : « Pourtant ce n'est pas mon état -.j'aimerais
mieux filer auprès de ma pauvre mère. Mais il faut que
j'obéisse, car Dieu, mon seigneur, le veut'. »
Il le fallait, en outre, parce que guerroyer était le seul moyen
d'en finir avec les Anglais. On ne pouvait avoir la paix avec
eux qu'à la condition de la leur imposer. La paix, mais c'est
la première chose que l'envoyée de Dieu songe à leur offrir.
« Avant tout, disait-elle, je dois leur écrire et les sommer de
se retirer : telle est la volonté de Dieu. » Et, en effet, elle
écrivit cette lettre au roi d'Angleterre et à ses capitaines,
dans laquelle elle leur dit « qu'elle est toute prête à faire la
paix ».
C'est son premier mot, ce sera aussi son dernier : « Faites
réponse si vous voulez faire paix en la cité d'Orléans ; si
ainsi ne le faictes, de vos bien grans dommages il vous sou-
viendra brièvement ^. »
Les Anglais ne voulurent pas de la paix que Jeanne leur
offrait. Gela ne les empêcha pas de l'accuser de se plaire en
l'effusion du sang humain et de ne combattre que pour cela.
A quoi elle répondit : « Que premièrement [elle requérait
qu'on fit la paix; au cas qu'on ne voudrait faire paix, qu'elle
était toute prête à combattre ^ »
Et devant cette mauvaise foi de ses juges, elle ne craignait
pas de leur dire : Avec le duc de Bourgogne, on peut parler de
paix. « Quant aux Anglais, la paix qu'il y faut, c'est qu'ils
s'en aillent en leur pays, en Angleterre*. »
1. Procès, t. II, 436, 437.
2. Ibid.,t. I„p. 240.
3. Procès, t. I. art. XXV du Réquisitoire, p. 243.
4. Ibid., p. 233.
LA MISSION HISTORIQUE DE JEANNE D ARC 439
Maîtres de la capitale, de lIle-de-France, de la Normandie,
de la Guyenne, d'un grand nombre de places et de châteaux,
alliés du puissant duc de Bourgogne, nos ennemis étaient
persuadés qu'ils n'avaient qu'à étendre la main pour devenir
maîtres du reste du royaume. Voilà pourquoi ils ne voulaient
pas de paix, et voilà pourpuoi la mission de la Pucelle a dû
être avant tout une mission guerrière. Puisqu'on veut se bat-
tre, dira-t-elle, on se battra, et l'on verra « aux horions
échangés, qui aura meilleur droit des Français ou des enva-
hisseurs » {Lettre aux Anglais).
Et Jeanne a combattu vaillamment, et elle n'a cessé de
combattre jusqu'au jour où les armes lui ont été arrachées
des mains. Et si la liberté lui eût été rendue, à moins d'im-
possibilité absolue, elle se fut remise à combattre. Ce qui le
montre, c'est le mot tombé de ses lèvres pendant le procès de
Rouen.
Les juges la pressant de renoncer à l'habit d'homme et de
reprendre les vêtements de son sexe, la prisonnière répond :
— Quand j'aurai fait ce pour quoy j'ai été envoyée de
Dieu, alors je reprendrai l'habit de femme (I, p. 394).
Elle était donc persuadée qu'elle n'avait pas encore achevé
« ce pour quoy elle était envoyée de par Dieu ». Elle nourris-
sait encore l'espoir que par rançon, par un coup de force ou
tout autre moyen, elle serait rendue à la liberté.
Mais de la liberté recouvrée que comptait-elle faire?
Ce qu'elle comptait en faire c'était ce qu'elle en avait déjà
fait après la campagne de la Haute-Loire, ce qu'elle en fit
lorsque, s'arrachant à l'oisiveté du château de Sully, elle
prit la route de l'Ile de France
Des historiens, catholiques ont eu le courage de le lui
reprocher. Jeanne à Lagny, Soissons et Gompiègne n'est
plus, disent-ils, l'héroïne d'Orléans et de Patay. La guerre
qu'elle va faire n'est plus que la guerre d'aventure ^
Erreur grave qu'un tel langage, critique injuste et critique
à trop courte vue. La guerre que l'héroïne va faire à Lagny,
Soissons et Compiègne, est toujours la guerre nationale, la
1. De Beaucocrt, cité plus haut.
440 APPENDICE VII
guerre qu'elle a mission de poursuivre et à laquelle, tant
qu'elle pourra tenir son étendard, elle consacrera sa vie.
C'est la guerre contre les Anglais et les Bourguignons, caf
si Jeanne prend le chemin de l'Ile-de-France, c'est que nos
ennemis y exercent lenrs déprédations et leurs hostilités.
Elle n'est plus, il est vrai, à la tête des troupes royales, elle
en est parfois réduite à faire la guerre de partisans. N'im-
porte, c'est toujours la guerre, et l'essentiel est qu'on ne s'en-
dorme pas à Sully, Bourges, Loches, Ghinon dans une sécu-
rité trompeuse; c'est qu'on n'oublie pas que l'ennemi foule
toujours en vainqueur le sol de la patrie.
Et voilà pourquoi elle qui avait mission de « bouter les
Anglais hors de toute France », elle qui était convaincue que
la seule paix possible avec eux était qu'ils « s'en allassent en
leur pays, en Angleterre, » n'a pu se résigner à l'oisiveté et
au repos. Gomme les vaillants, Jeanne est tombée au champ
d'honneur, les armes à la main et face à l'ennemi. C'est un
cas de fortune dont l'envoyée de Dieu, n'a point à rougir. Sa
renommée guerrière n'y perdra rien, et ses vertus de sainte
n'en auront que plus d'éclat.
IV
La mission de^ Jeanne d'Arc — Mission de relèvement moral
et patriotique. — Mission sanctificatrice et rédemptrice.
-Mission de « voyante inspirée », mission de « guerrière
libératrice », la mission de la Pucelle est encore une mission
de « relèvement patriotique et moral ». Relèvement indis-
pensable pour que l'envoyée de Dieu fût de son vivant secon-
dée comme il le fallait dans l'œuvre qu'elle avait charge d'ac-
complir ; relèvement non moins nécessaire pour que, après
sa mort, le but qu'elle avait marqué fût atteint.
De son vivant, ce relèvement des âmes, ce redressement
des caractères, ce renouveau d'attachement au pays devait
lui donner les auxiliaires dont elle avait besoin. Après sa
mort, ces auxiliaires se trouvaient montés au ton voulu de
confiance et de courage pour soutenir vingt ans encore la
lutte qui devait délivrer la France de ses envahisseurs.
LA MISSION HISTORIQUE DE JEANNE D ARC 441
A cette tâche de relèvement patriotique des âmes et de
redressement des caractères, Jeanne, « la Française au grand
cœur », ne faillira pas. Elle opérera ce double relèvement
par ses vaticinations et par ses actions d'éclat. A mesure que
la parole de la Voyante inspirée remplissait d'espoir les
loyaux Français, à mesure que les victoires de Jeanne « chef
de guerre » changeaient la face des choses, le sentiment
de l'honneur, l'amour du sol français devaient grandir dans
les âmes, préparant la transformation morale sans laquelle
vains eussent été les efforts de l'envoyée du ciel.
Sous cette double action, l'on sent qu'il y a du nouveau
dans le pays jusque-là si malheureux, que l'ère des défaites
est fermée, que celle des succès est ouverte et qu'elle n'est
pas près de prendre fin. D'un côté la décision succède à
l'abattement, au désarroi la confiance : la confiance en Dieu
et en soi, au présent et à l'avenir.
D'un autre côté, c'est l'inquiétude qui se révèle, on ne
reconnaît plus les Anglais. Ils assiègent la cité orléanaise et
on dirait des assiégés. Ces vainqueurs d'Azincourt et de Ver-
neuil qui semblaient avoir fait un pacte avec la victoire, res-
tent comme des femmes enfermés dans leurs bastilles. Du
continent la panique passe jusque dans la Grande-Bretagne,
et ses hommes d'armes n'osent venir combattre en France,
terrifiés qu'ils sont par une jeune fille.
Aussi Jeanne guerrière peut livrer à Compiègne son der-
nier combat ; sa mission telle que la Providence l'a ordonnée
s'accomplira tout de même. Par ses prédictions dont on a
déjà vu les plus étonnantes réalisées, par ses exploits, par
son dévouement à la cause nationale, par le relèvement
patriotique qui en a été la conséquence, elle a posé en somme
la cause de la délivrance promise. Pour nous servir de l'ex-
pression énergique d'un chroniqueur de l'époque, « le net-
toyage du sol français » ne sera plus qu'une affaire de temps.
La cause posée, aucune puissance humaine n'empêchera l'ef-
fet de se produire.
Ainsi entendue, la mission de la Pucelle sort du cadre
étroit d'une mission uniquement militaire, elle apparaît
€omme une mission d'un ordre supérieur. Elle ne vise pas
442 APPENDICE VII
seulement un certain nombre de fails d'armes, de succès
plus ou moins brillants : elle agit sur le fond, sur l'âme
même de la nation, elle y opère une transformation si prodi-
gieuse que cette nation, naguère désemparée, devient capa-
ble d'en finir avec ses envahisseurs. En outre, à cette reprise
d'elle-même, la France gagnera la conservation de sa foi
religieuse. Elle n'aura rien à redouter, dans un avenir pro-
chain, des caprices sanglants d'un Henri VIII, et si elle ne
devient pas une friande continentale, après Dieu elle en
devra remercier Jeanne d'Arc.
C'est là un bienfait exceptionnel dont les contemporains
reconnurent le prix. « Le restaurement de France et recou-
vrement, écrit Mathieu Thomassin, a été moult merveilleux.
Et sache un chacun que Dieu a montré et montre chaque
jour qu'il a aimé et aime le royaume de France, et l'a spé-
cialement élu pour son propre héritage et pour, par le
moyen de lui, entretenir la sainte foy catholique, et pour ce
Dieu ne veut pas le laisser perdre. Mais sur tous les signes
d'amour que Dieu a envoyés au royaume de France, il n'y
en a point de si grand ni de si merveilleux comme de cette
Pucelle. » {Procès, t. IV, 309-310.)
La mission de Jeanne d'Arc. — Mission sanctificatrice
et rédemptrice.
En parlant du relèvement moral que l'Envoyée de Dieu
devait opérer chez tous les bons Français, nous omettrions
une considération essentielle si nous ne rappelions pas de
quelle manière l'héroïne chrétienne, la martyre, la sainte
qu'était Jeanne devait contribuer à ce relèvement. En l'en-
voyant au descendant de saint Louis, Dieu se proposait le
relèvement du royaume ; mais il se proposait aussi la sancti-
fication et la glorification de la jeune fille qui devait l'opérer.
De ces desseins de Dieu sur la vierge de Domremy, un
chrétien aujourd'hui ne peut pas douter. En lui confiant la
charge de combattre et de vaincre les Anglais, la Providence
voulait tout aussi fermement sa sainteté par la pratique des
plus héroïques vertus, que la défaite des ennemis de la France,
LA MISSION HISTORIQUE DE JEANNE d'ARC 443
que la délivrance d'Orléans et le sacre de Reims. C'est pour-
quoi nous devons ajouter que la mission de l'envoyée de
Dieu a été morale dans le sens le plus haut, ayant été une
mission sanctificatrice et rédemptrice : sanctificatrice pour
elle d'abord, pour beaucoup d'âmes ensuite dont ses vertus et
son zèle s'efforçaient de procurer le salut, ainsi qu'on a pu le
voir au cours de son histoire ; de plus, rédemptrice au profit
de la France dont l'indépendance et la prospérité étaient
l'objet de son vœu le plus cher. Qui se refuserait à voir dans
les épreuves de la Pucelle, en particulier dans son abandon
après la tentative sur Paris, dans sa captivité à Rouen, son
procès et son supplice, le prix de la rançon du pays ? Comme
tous les êtres supérieurs, l'humble fille des champs avait ses
ennemis et ses jaloux. C'étaient naturellement les Anglais à
qui elle avait fait connaître la « fuite honteuse ; » mais
c'étaient aussi des courtisans et des capitaines français ;
sans compter ce roi qui, lorsqu'elle est tombée à Compiègne
entre les mains des Anglo-Bourguignons, paraît ne pas plus
songer aux moyens de la délivrer, que si elle n'eût jamais
existé.
On admire Jeanne guerrière, et l'on a raison, lorsque sur
les champs de bataille, son étendard à la main, elle court au
plus épais des ennemis, et donne à ses compagnons l'exem-
ple du courage et du mépris de la mort. Admirons aussi
Jeanne rédemptrice, — elle le mérite tout autant —
lorsque prisonnière au château de Rouen, enchaînée dans une
cage de fer construite exprès, elle est en butte nuit et jour
aux violences et aux propos infâmes de ses gardiens. C'est là,
c'est à la barre du tribunal qui la juge, en présence des maî-
tres et docteurs qui ne cherchent qu'à la perdre, en fin sur le
bûcher dont les flammes vont la dévorer, en face de la plus
horrible des morts, c'est là disons-nous, que se révèle la chré-
tienne, l'héroïne, la sainte que Jeanne était. Ses souffrances
inexprimables, son honneur de vierge à chaque instant
menacé, le délaissement dont elle est l'objet, ses larmes ren-
dues plus amères, sa condamnation ignominieuse, sa mort
cruelle, voilà de quel prix l'envoyée de Dieu a payé sa gloire
céleste et la rédemption de la patrie. De tels sacrifices, de tels
APPENDICE VII
exemples ne sont-ils point partie intégrante et partie admira-
ble d'une mission libératrice ?
La mission de Jeanne d'Arc, son étendue.
Ses deux parties, la mission « de vie > et la mission de survie ».
En définissant, d'après l'héroïne elle-même, l'objet de sa
mission, nous en avons indiqué l'étendue et inféré des textes
cités qu'elle allait jusqu'à la recouvrance du royaume du
vivant de Charles VII et jusquà l'expulsion des Anglais. Si l'on
se demande maintenant: cette mission, l'envoyée de Dieu l'a-
t-elle remplie tout entière ; il semble qu'on soit obligé de
répondre négativement, puisque c'est seulement vingt-
deux ans après sa mort que les Anglais ont perdu leur der-
nière bataille et, en France, leur dernière province.
Toutes choses dûment examinées, il y a lieu d'apporter
quelque mitigation à cette réponse négative et de réserver
une part importante à l'héroïme, même dans l'accomplisse-
ment de la partie de sa mission qui ne devait se produire
qu'après sa mort. Nous obtiendrons ce résultat en reconnais-
sant que la mission totale de Jeanne comprenait deux parties
distinctes, et que en ces deux parties, il lui revient un rôle
considérable. Nous nommerons ces deux parties, l'une mis-
sion de vie, laquelle se termine au bûcher de Rouen, l'autre
mission de survie, laquelle dépasse le supplice de la martyre
et ne prend fin qu'avec la guerre de Cent ans.
On ne peut nier que cette division ne soit des plus natu-
relles. Ce qui souffre quelque difficulté, c'est de montrer que
même après sa mort, la Pucelle a rempli une mission vérita-
ble, complément de son action libératrice et morale, et qu'une
part réelle lui revient logiquement dans les événements qui,
annoncés par elle, aboutirent à la délivrance du territoire et
à l'expulsion de l'Anglais.
Eh'bien, cette difficulté nous paraît facile à résoudre.
N'ous n'avons pour cela qu'à nous souvenir de la manière
dont le relèvement du pays devait s'accomplir, et de la part
essentielle que l'héroïne a prise à ce relèvement.
LA MISSION HISTORIQUE DE JEANNE D AUC 445
Nous disons « part essentielle » ; ce qui revient à dire que,
après Dieu, Jeanne d'Arc a été la cause première de ce relève-
ment et de ses conséquences, y compris la plus importante de
loutes, la défaite et l'expulsion des envahisseurs.
Comme ce relèvement lui-même, la part qui en revient
essentiellement à l'envoyée de, Dieu est militaire et morale.
Militaire : Si Jeanne n'eût pas fait lever le siège d'Orléans,
Talbot n'aurait pas perdu la bataille de Castillon, et les
Anglais n'eussent pas, à la suite de cette bataille, évacué le
sol français.
Morale : Si Jeanne « Voyante inspirée », n'eût pas à plu-
sieurs reprises fait savoir à tous, amis et ennemis, l'issue
inévitable de la lutte qu'elle allait engager, et la série des évé-
nements inattendus qui devaient y conduire, l'âme française
n'eût pas tressailli d'espoir à sa parole, et le patriotisme ne
l'eût pas définitivement reconquise.
Il y a, dans ce que nous appellerons le ministère prophé-
tique de l'envoyée de Dieu, une particularité qu'on ne saurait
trop remarquer : c'est la précision avec laquelle on la voit
délimiter le terrain sur lequel elle se place, lorsqu'elle parle de
l'objet de sa mission et des prophéties dont l'accomplissement
mettra sa véridicité hors de cause. Parmi ces prophéties, il y
en a toujours qui concernent un temps où elle ne sera plus là.
A quoi donc s'appliquent ces prophéties ? Elles ne s'appli-
quent pas à sa mission de vie, puisque la mort y aura mis un
terme. Elles ne peuvent s'appliquer alors qu'à une mission
qui, de fait, en sera la continuation et le complément, et que,
pour cette raison, nous dénommons « mission de survie ».
Celle-ci sera, disons-nous, la continuation de la mission de
vie, car alors se dérouleront les événements annoncés par la
Voyante comme les précurseurs certains de la victoire défini-
tive. Et elle en sera le complément, parce que ces événements
en se réalisant, fournissent aux témoins et aux contemporains
la preuve historique qui achève de démontrer, aussi bien que
d'exécuter, sa mission de par Dieu.
Désirerait-on quelques textes à l'appui de ces réflexions ?
Il y a d'abord la parole si touchante de la jeune fille au
Dauphin et au duc d'Alençon : « Gentil sire, je durerai un an,
440 APPENDICE VII
guère plus : il faut donc me bien employer. » Parole qui défi-
nit avec trop de clarté le fait et la brièveté de sa mission de
vie.
Et il y a, si l'on veut, comme définition parallèle de sa mis-
sion de survie, le mot de Mathieu Thomassin : « S'il lui fallait
mourir avant que ce pour quoy Dieu l'avait envoyée fût
accompli, nonobstant sa mort, tout ce pour quoy elle était
venue s'accomplirait. »
Et Mathieu Thomassin, témoin oculaire tout comme Seguin
de Seguin de ce qu'il affirme, ajoute en manière de confir-
mation :
« Et il a été ainsi fait par la grâce de Dieu, comme claire-
ment et évidemment il appert et est chose notoire de notre
temps.» {Procès, IV, p. 309-310;. A ce moment, la mission
de survie de la Pucelle avait produit son suprême effet.
C'est parce que cette double mission était comprise dans
sa mission totale que Jeanne entretient [Robert de Baudri-
court et ses deux officiers non seulement du siège d'Orléans,
et du voyage à Ghinon, mais « du recouvrement du royaume, o
A quel autre titre que celui de cette mission de survie parle-
t-elle au duc d'Alençon, au jeune roi, à la Commission de
Poitiers de la soumission de la capitale, du retour du duc
d'Orléans de sa captivité d'Angleterre, de la recouvrance du
royaume tout entier, événements qui tous ne se produiront
qu'après sa mort ?
Et n'est-ce pas surtout cette mission de survie que, les bras
chargés de chaîne, Jeanne captive ne cesse d'affirmer à ses
juges ? Elle tient à leur dire qu'ils auront beau la faire
mourir, elle ne mourra pas tout entière, elle verra et ils ver-
ront comme elle se réaliser les surprises qu'elle leur annonce
la paix d'Arras, la soumission de la capitale, les victoires des
Français et enfin la délivrance du pays.
Le fait de ces deux missions de vie et de survie une fois
établie, toute difficulté sérieuse s'évanouit. L'on voit clair
dans la .mission de l'envoyée de Dieu, dans son étendue, dans
son accomplissement.
L'on conçoit que, malgré la brièveté de sa carrière, elle ait
été chargée d'une mission aussi considérable, et que cette
LA MISSIOX HISTORIQUE DE JEANNE D ARC 447
mission ait été tout entière accomplie. Dieu qui lui a fourni le
moyen d'exécuter en sa courte vie ce qui la concernait person-
nellement, ne lui a pas fait défaut pour remplir à l'égard de
la France la partie que, vu sa mort prématurée, elle n'a pu
personnellement exécuter.
La part qu'elle a prise aux événements survenus alors se
détermine de deux façons. C'est d'abord le souvenir persistant
que les capitaines, ses compagnons d'armes et les défenseurs
du royaume ont conservé de ses paroles de « Voyante ins-
pirée, )) paroles qui déchiraient à leurs yeux le voile de l'ave-
nir, leur en marquaient les phases successives et leur en
fixaient le but. C'est ensuite le souvenir de ses exemples, de
ses exploits, de sa vaillance, de sa confiance en Dieu, de ses
grandes vertus et, avec ce souvenir, la persuasion qu'une
œuvre aussi admirablement commencée ne pouvait pas ne pas
se terminer de même.
Ainsi la double action de Jeanne envoyée de Dieu, en tant
que « Voyante inspirée » et de « Libératrice guerrière »
après s'être exercée durant sa vie se poursuit au delà du tom-
beau.
Les capitaines qui ont commencé avec elle l'œuvre de la
délivrance auront l'heur de la continuer.
Parce que la Libératrice d'Orléans ne sera plus à leur tête
lorsque les Anglais perdront leur dernière bataille, gardons-
nous de donner raison aux historiens myopes qui lui dénient
l'honneur d'en avoir posé la cause première.
Les missions historiques des grands hommes ne finissent
pas d'ordinaire à leur mort : elles se prolongent au delà.
C'est à ces grands hommes que, sans compter, l'histoire en
rapporte l'honneur. Que dans nos annales, on réserve aux
ancienscompagnons d'armes de l'héroïne qui vainquirent les
Anglais en 1449-1453 une place glorieuse, rien de plusjuste.
Mais qu'au milieu d'eux et un peu au-dessus, on en réserve
une tout aussi glorieuse à Jeanne la Pucelle. La victoire de
Castillon est la sœur puînée de la victoire de Patay.
Et si l'on demandait pourquoi, nous répondrions :
Mais simplement parce que c'est le changement que l'en-
voyée de Dieu a opéré chez les défenseurs du pays, l'élan
448 APPENDICE VII
qu'elle leur a imprimé, la confiance dont elle les a pénétrés ;
c'est le souvenir vivant de ses faits d'armes, celui de ses pré-
dictions dont ils avaient vu les plus étonnantes s'accomplir,
qui ont amené la victoire finale, résultante logique de sa
double mission.
L'on dirait que du jour où la grande française subit son
martyre, son âme soit devenu l'âme même de la France,
Dans sa mission de vie, elle avait montré que les vainqueurs
d'Azincourt n'étaient pas invincibles. Dans sa mission de
survie ils ne le furent pas davantage. Les troupes du roi
marchèrent de succès en succès, les troupes anglaises de
défaite en défaite. En vingt années, les provinces qu'elles
avaient mis près de cent ans à conquérir rentraient en la
possession de leur souverain légitime. La mission totale de
l'envoyée de Dieu était bien accomplie. « 11 a plu à Dieu,
disait-elle, de faire toutes ces choses par une faible femme,
par une simple pucelle. » {Procès, t. I, p. 144).
On peut le dire encore aujourd'hui : l'on ne sortira pas de
la vérité historique.
VI
Réponse à quelques objections.
Avant de présenter la conclusion qui se dégage des consi-
dérations précédentes, nous devons au lecteur l'exposé des
faits et raisons qu'on allègue pour limiter la mission de la
Pucelle au sacre de Reims, c'est-à-dire à une durée de moins
de trois mois, n'y comprenant que les résultats obtenus en
cet espace de temps.
Nous ne nous arrêterons pas aux arguments présentés par
J. Quicherat pour établir que la mission de la Pucelle telle
qu'il l'entend a été « manquée ». J. Quicherat est persuadé
que Jeanne s'était engagée à s'emparer en personne de Paris
et à exterminer les Anglais {Aperçus nouveaux..., p. 75).
Cette opinion du critique ayant contre elle le sens obvie des
\. Voir sur ce sujet la première série de nos études critiques, Les
visions et les voix, cliap. xvii.
LA MISSION HISTORIQUE DE JEA.NiNE D ARC 449
textes, il n'y a pas lieu de s'y arrêter et nous n'en dirons pas
autre chose.
Les historiens qui limitent au sacre de Reims la mission
de Jeanne d'Arc lui font, on ne saurait en disconvenir, la
mesure bien étroite. Quelles raisons apportent-ils à l'appui?
Ils allèguent des paroles tombées de sa bouche. Ils prétendent
que, à partir du sacre, ses Voix ne l'assistent guère plus. Pri-
vée de leurs inspirations, la jeune guerrière laisse désormais
les chefs de l'armée diriger les opérations à leur guise. On
voit bien qu'elle n'a plus qu'à attendre lissue incertaine de
sa destinée.
Commençons par les paroles tombées de la bouche de l'hé-
roïne. Examinons-les de près, nous verrons qu'elles expri-
ment le contraire de ce qu'on prétend y trouver.
C'était dans les premiers jours d'août 1429. Poursuivant
sa marche à travers l'Ile-de-France, la petite armée royale était
arrivée à La Ferté et à Crespy en Valois. Les habitants du
pays accouraient en foule sur le passage de Charles VII qui
venait d'être sacré, et tout joyeux, criaient : u Noël! Noël ! »
Touchée jusqu'aux larmes, Jeanne qui chevauchait entre
Dunois et l'archevêque de Reims, ne put s'empêcher de
dire :
— Voilà un bon peuple ! Je n'en ai jamais vu qui se réjouit
comme celui-ci de l'arrivée d'un si noble prince. Puissé-je
être assez heureuse pour finir mes jours en ce pays et inhu-
mée en cette terre !
L'archevêque de Reims alors lui demanda :
— En quel lieu, Jeanne, croyez-vous mourir?
— Où il plaira à Dieu, répondit-elle; car je ne suis assurée
ni du temps ni du lieu plus que vous-même. Que je voudrais
qu'il plût d Dieu mon créateur que je m'en retournasse
maintenant, quittant les armes, et que je revinsse servir
mon père et ma mère, et garder leurs troupeaux avec
ma sœur et mes frères, qui seraient grandement joyeux de
me voir* I
1. Procès, i. m, pp. 14-15. Déposition de Dunois.
450 APPENDICE VII
Voilà, d'après le comte de Dunois, témoin oculaire, le
langage qu'aurait tenu la jeune Lorraine ^ On remarquera
qu'il n'y est nullement fait mention de la levée du siège
d'Orléans et du sacre de Charles VII. Par conséquent, on ne
saurait inférer des paroles citées que Jeanne, ayant obtenu
ces deux résultats, estimait sa mission accomplie tout entière.
Ce qui en ressort au contraire, c'est la pensée que cette
mission n'est pas arrivée à son terme, puisque Jeanne
voudrait « qu'il plût à Dieu qu'elle s'en retournât », et qu'elle
ignore si Dieu le veut.
Ou plutôt, non, elle ne l'ignore pas. Elle sait que la volonté
divine l'appelle ailleurs qu'en son village; elle est encore
loin du ternie de sa mission, car ce terme, d'après ses pro-
pres déclarations, n'est autre que l'expulsion définitive des
envahisseurs.
Parlons maintenant du prétendu silence des Voix après le
sacre. D'abord rien n'est moins prouvé que ce silence.
En second lieu, ce silence, s'il était prouvé, s'explique-
rait de la façon la pkis naturelle.
Rien, disons-nous, n'est moins prouvé que ce silence des
Voix de la jeune fille après Reims. Il est démenti formelle-
ment par ses déclarations réitérées aux juges de Rouen ; il
est démenti par les faits.
« Pendant sept ans, dira la Pucelle à ses juges, mes Voix
n'ont cessé de me gouverner.
— Jamais je ne les ai requises qu'elles ne soient venues.
1. A la vérité, la Chronique de la -Pucelle et le Journal du siège prê-
tent à Jeanne des paroles que Dunois ne mentionne pas. « Et dit oultre
(Jeanne) auxdils seigneurs : J'ai accomply ce que Messire (mon Sei-
gneur) m'a commandé, de lever te siège d'Orléans et faire sacrer le gen-
til Roy. Je voudrais bien qu'il voulust me faire ramener auprès mes
père et mère, et garder leurs brebis et bestail, et faire ce que je saou-
lais faire — Et quand lesdits seigneurs ouyrent ladite Jeanne ainsi par-
ler, et que les yeux au ciel remercioit Dieu,' ils crurent mieux que c'es-
toit chose venue de par Dieu qu'autrement (o) ».
On pourrait mettre en question l'authenticité de la phrase que les
deux clironiques ajoutent h. la déposition de Dunois. Mais en cette
phrase, filt-elle d'une authenticité inattaquable, jamais on n'y décou-
vrira l'aveu que la mission de la Pucelle finit au sacre de Reims.
tt) I. Chronique de la Pucelle, p. ."îSe ; — Journal du siège, pp. 116-117.
LA MISSION HISTORIQUE DE JEANNE D ARC 451
— Quelque chose que j'ai faite onques, en si grandes affai-
res que je me sois trouve'e, elles m'ont été en aide. » (Pro-
cès, t. 1, 127, 169 et passùn).
A ce démenti verbal se joint le démenti des faits.
N'est-ce pas une révélation de première importance
que les Voix font à la jeune vierge sur les fossés de Melun?
Et c'était bien après le sacre de Reims.
« En la semaine de Pâques dernières, disait-elle, étant sur
les fossés de Melun, mes Voix, c'est à savoir saintes Catherine
etMarguerite, médirent que je serais prise avantlasaint-Jean,
qu'il fallait que ce fût ainsi, que je ne m'étonnasse pas mais
prisse tout en gré, que Dieu m'aiderait. »
Qu'on remarque ce qui suit.
Les juges lui demandant si, depuis Melun, ses Voix lui ont
redit qu'elle seroit prise : « Oui, répond la jeune fille; elles
me l'ont redit par plusieurs fois et comme tous les jours. »
(Procès,!, .135).
Devant ces paroles de Jeanne que devient le silence qu'on
invoque?
On a dit que Jeanne elle-même convenait que, après le
sacre, elle s'en rapportait volontiers aux capitaines de la
ligne à suivre et des décisions à prendre en face de l'ennemi.
C'est une inexactitude. La jeune guerrière n'a dit s'être
arrêtée à ce parti qu'après la révélation de ses Voix sur les
fossés de Melun. Il s'agit donc, non de sa conduite après le
sacre, mais du temps qui s'écoula entre son départ de Sully-
sur-Loire et la sortie de Gompiègne {Procès, I, 147).
Au reste, serait-il vrai — ce que nous ignorons ; l'héroïne
qui, seule pouvait nous l'apprendre, n'ayant pas touché à ce
sujet, — serait-il vrai que ses protecteurs célestes n'aient
plus, après Reims, guidé Jeanne en ses opérations militaires,
la raison n'en serait pas difficile à trouver. Ce n'était plus le
cas de lui parler de nouveaux combats suivis de nouveaux
succès, comme ceux de la levée du siège d'Orléans et de la
campagne de la Loire : il ne devait plus y en avoir de |tels
pendant la vie guerrière de l'envoyée de Dieu.
Au point où elle en était, elle n'avait qu'à recueillir les
conséquences du courageux effort qu'elle avait accompli; et
452 APPENDICE Vil
ces conséquences n'étaient point de peu de prix, puisqu'elles
firent ouvrir à l'armée royale les portes d'un grand nombre
de places de la Champagne, de l'Ile-de-France et de la Picar-
die.
Et puis, la jeune guerrière devant prochainement dispa-
raître, il était bon que les capitaines s'habituassent à ne pas
compter uniquement sur elle. C'est pourquoi elle s'en rap-
porte à eux. Les seules choses dont elle ne prendra pas son
parti, sont l'inaction, l'oisiveté, la mollesse. Qui pourrait dire
qu'elle n'a point obéi à saint Michel et à ses saintes lorsque,
en mars 1430, elle quitta la cour et gagna l'Ile-de-France?
Un dernier reproche, et non le moindre, qu'on peut adres-
ser aux théoriciens qui limitent au sacre de Reims la mission
de la Pucelle, c'est de paraître en exclure sa captivité et son
martyre. Après la révélation de Melun, qui oserait avancer
que les épreuves qu'elle lui annonçait n'entraient pour rien
dans l'œuvre libératrice dont elle était chargée d.e par Dieu?
Quand le moment vient de décider la sortie de Compiègne,
les saintes de Jeanne ne lui disent rien; elles ne la détour-
nent pas d'une résolution qui doit aboutir à un insuccès.
Pourquoi ? Parce qu'il était bon que la servante de Dieu con-
nut l'insuccès; parce que cet insuccès et ses suites rentraient
dans le plan delà Providence.
Nous l'avons déjà dit, et c'est toujours vrai : Dieu voulait
autant la sanctification de la jeune vierge par la souffrance,
sa glorification par le martyre, qu'il voulait la délivrance du
royaume et le relèvement du pays. En ces épreuves terribles,
Jeanne comprit ce que Dieu lui demandait. Déférant au con-
seil de ses saintes protectrices, elle s'en remit à lui de l'ac-
oomplissement de sa mission, elle prit tout en gré, et elle
alla recevoir l'unique récompense qu'elle eût sollicitée, « le
salut de son âme au royaume du paradis ».
VII
ConclusioD.
En livrant aux flammes la jeune fille qui leur avait arra-
ché la proie qu'ils s'apprêtaient à dévorer, le beau royaume
LA MISSION HlsrORIQUK DE JEANNE D ARC 453
de France, les Anglais pensaient conjurer à jamais le mau-
vais sort jeté sur leurs armes. Ils &e trompaient : vingt ans
s'étaient à peine écoulés que la prophétie de la Voyante s'ac-
complissait : ils quittaient la France pour n'y plus revenir;
« excepté, selon l'observation de Jeanne, ceux dont le sol
français gardait les cadavres ».
Vers ce même temps, justice allait être rendue à la libéra*
trice : Rome se préparait à la réhabiliter, le pays à l'accla-
mer et à la glorifier. D'une part, le docteur qui ouvrit la pre-
mière enquête de la revision, Guillaume Bouille, doyen de
Noyon, écrivait :
« Jeanne a restauré enfin ce royaume de France, ainsi
qu'elle l'avait annoncé. N'a-t-elle pas rempli ses ennemis de
frayeur, ne les a-t-elle pas chassés? A sa voix, l'ardeur n'a-t-
elle pas succédé à l'inertie? Depuis ce moment, la force de nos
adversaires n'a-t-elle pas constamment décliné? » {Procès,
t. III, p. 324j.
D'autre part, le peuple de France acclamait cette enfant
sortie de son sein, cette villageoise qui avait aimé son pays
jusqu'à se sacrifier pour lui, et il la glorifiait comme l'auteur
principal de l'expulsion des insulaires envahisseurs. Sans
méconnaître la part qui revenait aux Dunois, aux Riche-
mont, aux La Hire dans cette œuvre de la délivrance
nationale, au-dessus de toutes ces figures il ne cessa d'aper-
cevoir une figure plus radieuse, celle de la vierge inspirée,
de l'héroïne de Patay, de la martyre de Rouent
Dans son Histoire de la Pucelle, Edmond Richer
signale entre autres biens dont le pays est redevable à
Jeanne d'Arc, la paix qui lui fut rendue et qui a été comme
le couronnement de sa mission. « Et peut-on dire, remar-
que-t-il, que Jeanne a servi au roi et à la France d'ange de
paix. La paix, voilà le grand bien qu'il a plu à Dieu nous
moyenner par cette Pucelle qui devrait avoir autant de sta-
\ . C'est ce que marque le titre d'un tout petit livre fort répandu à la
fin du XV* siècle. On y lit : Miroiter des femmes vertueuses : l'histoire
admirable de Jehanne la Pucelle. laquelle par révélation divine et par
grand miracle fut cause de expulser tes Anglais tant de France, Nor-
mandie, que aultres lieux circonvoisins. (Procès, t. IV, p. 207.)
454 APPENDICE VII
tues de bronze en France que jadis on en dressa à Démétrius
de Phalères, le méritant beaucoup mieux ^ ».
Au [lendemain de la béatification de l'envoyée de Dieu, ce
vœu de son premier historien en date n'est-il pas comme
exaucé ? Il ne se passe guère de mois oii les feuilles publiques
n'annoncent l'inauguration, en quelque ville ou village,
d'une statue, d'un monument en l'honneur de Jeanne d'Arc :
preuve que les Français du xx'' siècle apprécient son héroïsme
comme l'appréciaient les Français du xvII^ Les érudits pour-
ront disputer à leur aise sur l'objet précis de sa mission;
une voix dominera leurs disputes : la voix du pays tout
entier acclamant en Jeanne la villageoise, en Jeanne la
vierge, en Jeanne la sainte, la libératrice d'Orléans et celle
de la France -.
1. E, RiCHER, op. cit., livre I, fol. 35 verso.
2. Pour de plus amples données sur ce sujet, voir notre étude
critique : Jeanne d"Arc et sa mission d'après les documents, in-lî,
Paris, 1909, G. Beauchesne.
APPENDICE VIII
LE PAYS DE JEANNE d'aRC
1° Aperçu général.
Un académicien d'aujourd'hui, M. Paul Bourget, parle du pays
de Jeanne d'Arc en ces termes :
« C'est un coin bien particulier de la France que cette portion
de la Lorraine qui touche à la Champagne, que ce pagus Barrensîs
qui va de la iMarne à la Moselle. Placée entre le versant du Rhin
et celui de la Seine, cette même ligne de terre a vu naître dans
un de ses villages, à Domremy, le cœur de vierge où laniour de
la France a brûlé de la flamme la plus intense.
« La nature n'est pas ici grandiose. C'est la terre des coteaux
et des bois, nature aimable et qui se laisse approcher, où l'hiver
n'est pas rude, où l'été n'est pas trop brûlant. La race qui s'est
formée là est à la fois sensée et réfléchie, exaltée et judicieuse^. »
Le lecteur qui voudra se rendre compte de l'aspect du pays de
la Pucelle, de sa configuration, des localités qu'on y rencontre, n'a
qu'à jeter un coup d'oeil sur la carte dressée par l'état-major.
De Neufchâteau . à Vaucouleurs, la Meuse coule doucement à
travers les prairies, formant une vallée de un à deux kilomètres
de largeur, de trente à trente-cinq kilomètres de longueur.
Sur la rive gauche, à l'ouest par conséquent de la rivière, court
une ligne de coteaux, à pente douce en bas, mais assez raide en
haut, formant l'extrémité de plateaux peu fertiles que l'on nomme
les Hauts-Pays. Sur la rive droite, de Neufchâteau à Apponcourt,
le paysage est riant et découvert. Les coteaux ne se rapprochent
de la Meuse que vers Moncel; mais à partir de ce point, ils ne la
quittent plus jusqu'à "Vaucouleurs, quoique moins réguliers et
moins abruptes que ceux de la rive gauche.
Domremy est situé à peu près au tiers de cette vallée, en prenant
i. Paul Bourget. Réponse au discoui's de 7'éception de M. André
I heurte t.
456 APPENDICE VIII
pour points extrêmes Neufchàteau au sud et Vaucouleurs au nord.
Les localités qui se rencontrent des deux côtés de la Meuse, sont
d'abord Rouceux, qui est comme un faubourg de Neufchàteau ;
puis, sur une colline escarpée, le vieux castel de Bourlemont, et
au pied de la colline, Frébécourt, village patrie de Jean Barre ou
Barrey, l'un des parrains de Jeanne. A mi-chemin de Neufchàteau
à Domremy se présentent Coussey, chef-lieu de canton, un peu
plus loin Apponcourt et Moncel qui nest plus qu'un hameau sans
église, dépendant de la paroisse d'Apponcourt.
Si l'on suit la route de Verdun à partir de Domremy, on ren-
contre d'abord Greux, et en face, de l'autre côté de la rivière on
aperçoit au pied du coteau Maxey-sur- Meuse, station du chemin
de fer de Pagny-sur-Meuse à Neufchàteau. A trois kilomètres plus
loin à peu près, on découvre sur une élévation à gauche, à moitié
colline, le petit oratoire de Notre-Dame de Bermont, et de l'autre
côté de la Meuse, à mi-côte, Brixey-les-Chanoines. Dans la direc-
tion de Goussaincourt se trouvent Burey-la-Côte et Vouthon ; et
enfin, en se rapprochant de Vaucouleurs, Maxey-sur-Vaise et
Burey-en-Vaux.
Le pays de Jeanne était loin d'être un pays infertile. Grâce à ses
prairies, on y élevait, comme on le fait encore aujourd'hui, de
nombreux troupeaux, source d'aisance, sinon de richesse pour les
habitants. Sur la pente des collines, une étendue de terrain assez
considérable permettait de cultiver des céréales, la vigne, et grand
nombre d'arbres à fruits.
Pour jouir du coup d'teil ravissant qu'offrent la vallée et les
coteaux qui la dessinent, le. pèlerin na qu'à se rendre par une
belle journée d'été sur le plateau du Bois Chesnu, devant la nouvelle
basilique. Si c'est un dimanche, à l'heure des offices, les belles
cloches de Coussey, Apponcourt, Maxey-sur-Meuse, Domremy, lui
enverront leurs sons majestueux et leurs notes éclatantes. A cette
heure où le silence plane sur les champs, on dirait des voix mys-
térieuses sortant des profondeurs de la vallée.
Aux regards s'offre un spectacle non moins captivant. C'est la
rivière qui promène ses eaux argentées à travers les prairies d'un,
vert d'émeraude ; ce sont les villages dont on aperçoit les habita-
tions au-dessus desquelles s'élèvent la masse des églises et la flèche
des clochers ; ce sont les longs rectangles à couleurs vives que les
diverses cultures dessinent sur la déclivité des collines; ce sont
enfin les bouquets sombres de bois qui de loin en loin se dressent
et tranchent sur le fond clair du terrain. Tel est le cadre dans
lequel s'est déroulée la jeunesse de Jeanne d'Arc.
LE PAYS DE JEANNE D ARC 4B7
2° Domremy.
Le petit village où naquit la libératrice d'Orléans est de nos
jours aussi modeste, aussi humble qu'il pouvait l'être autrefois :
il ne compte guère que deux cent quatre-vingts habitants.
On l'appelle, en souvenir de Jeanne d'Arc, Domremy-la-Pucelle.
Autrefois, il s'appelait Domremy-de-Greux ou Domremy-sur-
Meuse, pour le distinguer des autres localités de même nom, telles
que Domremy-aux-Bois, canton de Commercy (Meuse), Domremy-
en-Ornois, canton de Doulaincourt (Haute-Marne), Domremy-la-
Canne, canton de Spincourt (Meuse), etc..
Pour se rendre aujourd'hui dans la patrie de Jeanne, on prend
le chemin de fer de Pagny-sur-Meuse à Neufchâteau, on descend à
la gare de Maxey, on suit le chemin de Greux, qui, après avoir
traversé la Meuse va rejoindre la route de Vaucouleurs à Dom-
remy, on tourne à gauche et au bout de 500 mètres on est arrivé.
Pi'ésentement, Domremy appartient au département des Vosges
et au diocèse de Saint-Dié. Depuis le Concordat jusqu'en 1821, il
ne fut qu'un annexe de la paroissade Greux. En 1821, une ordon-
nance royale l'érigea en succursale. En 1823, le cadastre recula
quelque peu du coté de Greux le territoire communal.
Au temps de la Pucelle, le seigneur de Domremy était Henri
d'Ogeviller, bailli des Vosges et maître d'hôtel du duc de Lorraine
Charles 11. Ce seigneur étant mort, sa femme, Jeanne de Joinville,
se remaria à Jean, comte de Salm. La seigneurie de Domremy
demeura dans cette famille. A la fin du seizième siècle, elle passa
de la famille de Salm à la maison ducale de Lorraine jusqu'à
la réunion du duché à la France en 1737 (J.-Ch.. Chapellier,
Étude historique et géographique sur Domremy, p. 10.)
Une des dépendances des seigneurs de Domremy dans le village
était une construction nommée le Château de l'Isle, sorte de forte-
resse bâtie dans une petite île formée par les eaux de la Meuse.
On la nommait encore « la forte maison de Domremy, fortali-
tium ». C'était à. ses murailles que les habitants de la localité
demandaient un abri pour eux et leurs troupeaux, lorsque des
bandes de pillards étaient signalés dans le voisinage. Ce château
était à peu de distance et presque en face de l'église. 11 en est assez
souvent question dans les témoignages recueillis pour la l'éhabili-
tation. Aujourd'hui l'île dans laquelle ce château était construit
n'existe plus : elle a fait place à une prairie que longe une planta-
tion de saules.
458 APPENDICE VIII
Outre ce château, les seigneurs du village natal de la Pucelle y
possédaient une maison seigneuriale qui se voyait encore, il y a
quelques années, dans la principale rue à gauche, en allant vers
Greux. M. le curé de Domremy, dans son Guide du Pèlerin, signale
les croisées Renaissance de cette maison qu'il y a vues, et un
écusson fruste représentant saint Michel vainqueur du dragon.
Au spirituel, Domi'emy, ne faisait qu'une paroisse avec Greux et
relevait de l'évéque de Toul. Cette « ville assise en l'empire, était
hors du royaume et indépendante du duché de Lorraine. » L'évéque
de Toul avait pour métropolitain l'archevêque de Trêves : la popu-
lation du diocèse atteignait un million d'habitants.
Le voyageur a bientôt parcouru les rues de Domremy. La prin-
cipale est formée par la route de Neufchâteau et va de l'entrée du
village, au nord, à l'église, au sud, un peu avant le pont de la
Meuse. Une deuxième rue part de l'église, obliquant un peu à
droite, toujours dans la direction du midi, longe quelques instants
le canal du moulin dont elle porte le nom et monte vers le Bois
Chesnu et la basilique. Les rues transversales n'ont rien de parti-
culier. Seule, la rue de l'Isle, qui descend vers la Meuse à l'endroit
où se trouvait l'ancien pont, rappelle l'île disparue au milieu de
laquelle s'élevait le château fort dans lequel les villageois allaient
chercher un refuge contre les routiers et les pillards.
3° La Maison de Jeanne d'Arc.
Depuis 1818-1820 la maison où naquit Jeanne d'Arc est devenue
propriété nationale et a été mise au rang des monuments histo-
riques. Que ce soit bien celle dont l'héroïne parle dans ses interro-
gatoires, celle qu'habitèrent et possédèrent ses parents et neveux,
une série ininterrompue de témoignages, y compris celui du grand
écrivain Michel Montaigne, jusqu'en l'année 1818, autorise à le
croire : aucun document sérieux n'indique le contraire. On peut
lire ces témoignages dans l'opuscule de l'abbé Mourot. du diocèse
de Saint-Dié, intitulé : V authenticité de la maison de Jeanne d'Arc
à Domremy. In-S", Saint-Dié, 1890.
Montaigne la visita en 1580. Il fait observer que « le devant de
la maison où naquit cette fameuse Pucelle d'Orléans est tout peint
de ses gestes ; mais l'âge en a fort corrompu la peinture. »
(Siméon Luce, Jeanne d'Arc à Domremy, p. 181.)
Après la mort de son mari Jacques d'Arc, la mère de Jeanne,
Isabelle Romée, habita la maisonnette de famille jusque vers 1440.
En celle année, les hahilanls d'Orléans la décidèrent à venir habiter
LE PAYS DE JEANNE d'aRC 459
avec son fils Pierre dans la ville délivrée par sa fille ; elle y mourut
en 1458. Jean d'Arc, l'un des frères de la Pucelle, vint s'établir
dans la maison de Domremy, après s'être retiré du service du roi,
en 1468, et lapropriété de ladite maison ne cessa d'appartenir aux
neveux et arrière-neveux de Jeanne jusqu'à la mort de Claude du
Lys, curé de Greux et Domremy, dont les héritiers la vendirent
en 1587 à Louise de Stainville, comtesse de Salm.
Au commencement du dix- huitième siècle, ce sont les époux
Gérardin qui en sont propriétaires, et c'est l'arrière-petit-fils de
ces Gérardin, Nicolas Gérardin, ancien dragon au service de la
France, retraité pour cause de blessures, qui la possédait en 1818.
Eu 1813, les alliés étant entrés en France, des Autrichiens et
des Prussiens visitèrent l'humble maison de Jeanne d'Arc. L'ar-
chiduc Ferdinand, qui fut plus tard empereur d'Autriche, voulut
emporter comme relique une petite pierre qu'il détacha du mur,
au-dessus du linteau de la porte. Un comte prussien demanda à
Gérardin de lui vendre le tympan sculpté et la statue qui le sm*-
montait. Sur son refus, il lui offre 6,000 francs pour la maison
tout entière. Le brave soldat refuse encore. Chose plus honorable
que ce refus, Géi'ardin cède ladite maison pour 2,500 francs au
Conseil général du département des Vosges, à la condition d'en
être le gardien jusqu'à sa mort. L'acte fut passé le 20 juin 1818
par-devant M^ Edme, notaire à Neufchâteau.
Le roi Louis XVI II, touché de cet acte de générosité, nomma
Gérardin « chevalier de la Légion d'honneur, tant à cause de
ses services comme ancien militaire, qu'en mémoire de Jeanne
d'Arc ».
En son honneur, la ville d'Orléans toujours fidèle à la mémoire
de Jeanne, fit frapper une médaille d'or avec cette inscription :
LA VILLE d'ORLÉANS
a NICOLAS GÉRARDIN
POUR AVOIR PAR UN LOUABLE
DÉSINTÉRESSEMENT CONSERVÉ A
LA FRANCE LA MAISON OU NAQUIT
LA PUCELLE d' ORLÉANS
1818.
Cette médaille fut adressée à Gérardin avec une lettre du comte
de Rocheplatte, maire d'Orléans, qui le louait dans les tei'mes les
plus flatteurs de sa généreuse action. Gérardin mourut à Domremy
le 4 octobre 1829, entouré de l'estime universelle.
460 APPENDICE VIII
Lorsque le Conseil général des Vosges acquit la maison de
Jeanne d'Arc, des constructions en masquaient la vue et en
obstruaient les abords. Telle, par exemple, la maison de Gérar-
din, car il n'habitait pas la chaumière de Jeanne. Le Conseil
général, en 1819, acheta ces constructions, les fit démolir et
dégagea la maison de Jeanne. En même temps, il s'occupa de
faii'e rétablir, à l'intérieur et à l'extérieur de la maisonnette, les
choses comme elles étaient pendant que la famille et les arrière-
neveux de la Pucelle l'occupaient.
En 1823, on y avait annexé deux pavillons construits exprès
et reliés par une grille, l'un pour servir à une école de filles,
l'autre pour servir de musée ; ces deux pavillons ont été récem-
ment démolis.
Aujourd'hui, devant la maison de Jeanne s'étend une petite
pelouse entourée d'une grille fermée par une porte de fer. A côté
de la maisonnette historique s'élève le logis du gardien. Au milieu
de l'espace planté darbi-es qui s'étend devant la maison se dresse
le monument dû au statuaire Antonin Mercié.
Au-dessus de la porte d'entrée de la maison de Jeanne d'Arc, se
développe un encadrement ogival qui embrasse trois écussons :
celui du milieu est aux armes de France, avec ces mots au-dessous
en lettres gothiques :
Vive -{- i,e -}- Roi + Louis.
11 s'agirait de Louis XI, sous le règne de qui les neveux de
Jeanne auraient fait exécuter cette décoration (1481).
L'écusson de gauche porte les armes des Tbiesselin, dont la
fille, en 1460, épousa Claude du Lys, neveu de Jeanne.
L'écusson de droite porte les armoiries données à la Pucelle et
à sa famille par Chai-les Vil ; deux lis d'or sur champ d'azur, et
une épée nue d'argent à la garde dorée, dont la pointe soutient une
couronne.
Au sommet de l'ogive se détachent une gerbe de blé et des ceps
de vigne, au-dessous desquels on lit sur deux lignes :
l'' La devise. Vive Labeur
Z La date, ^ ^^^^ ^jjj ^jjj ^
c'est-à-dire 1481.
D'après Siméon Luce, Vive labeur signifierait Vive le labourage !
Ces mots ne signifieraient-ils pas simplement : Vive le travail !
LE PAYS DE JEANNE D ARC 461
On s'est demandé si cette devise était celle des parents de
Jeanne d'Arc ou si elle n'a été imaginée que plus tard.
D'après une communication faite à l'auteur par M. G. de Braux
à qui l'on doit les Recherches sur la famille de Jeanne d'Arc,
in-8°, Paris, 1828, la devise Vive Labeur était celle, non de la
famille de Jeanne, mais des Thiesselin, dont la fille Nicole avait
épousé Claude du Lys. La devise était la traduction de leui's
armoiries.
Tout l'encadrement de la maison est surmonté dune statue
de fonte, représentant Jeanne, statue placée dans une niche avec
un dais gothique. Cette statue est la reproduction réduite d'une
statue de pierre qui aurait été sculptée en 1456 et qui demeura
plusieurs siècles dans la chapelle Notre-Dame de l'église parois-
siale.
Le rez-de-chaussée comprend quatre pièces :
1° La chambre de famille où Jeanne est née. On y entre par la
porte dont nous avons parlé. A gauche, en entrant et prés de la
fenêtre on voit, préservée par un treillis, la poutre à laquelle la
fille de Jacques d'Arc suspendait sa lampe pour travailler les
soirées d'hiver.
2° La chambre de Jeanne s'ouvre au fond de la chambre de
famille ; elle a une toute petite fenêtre d'où Jeanne pouvait voir
l'église, et un placard à côté. A droite de la fenêtre s'ouvrait le four,
aujourd'hui supprimé. La poutre de cette chambre a été tailladée
à coups de sabre par les alliés en 1815.
3° Le cellier, qui est contigu à la chambre de Jeanne, reçoit la
lumière par un soupirail qui donnait sur le jardin.
4° La chambre des frères de Jeanne était à droite de la chambre
de famille, avec une porte sur le dehors, du côté de l'église.
Au-dessus du rez-de-chaussée s'étend le grenier avec une grande
fenêtre croisée. Il y avait là une pièce qui fut habitée par Claude
du Lys, curé de Greux-Domremy, au commencement du seizième
siècle.
Le jardin où Jeanne eut sa première vision était derrière la
maison. Aujourd'hui, la place qu'il occupait est traversée par le
ruisseau des Trois-Fontaines.
4° L'Eglise de Domremy.
Léglise que l'on voit à Domremy est bien celle où Jeanne d'Arc
a prié; mais elle a été, en 1824. l'objet d'une restaui-ation et d'un
remauiementqui lont transformée. Les subslruclionsqui laportent,
462 APPENDICE VIII
la grande voûte, les piliers, quelques pierres de deux contreforts
sont contemporains de la Pucelle ; mais le transept, l'abside, la
disposition des autels, le clocher, tout cela date de 1824. Déjà,
en 1823, le cimetière avait été transféré loin de l'église, sur le
coteau vpisin. L'année suivante, les modifications commencèrent.
A la place de l'ancien portail on construisit une abside. Le nou-
veau portail souvrit sur la route ; un transept formé par l'adjonc-
tion de deux chapelles latérales donne à l'édifice la physionomie
d'une croix latine.
Les fonts baptismaux, cuve de pierre du douzième siècle où
Jeanne fut baptisée et sur laquelle elle tint un enfant de Gérardin
d'Épinal, sont dans le bras méridional du transept. A droite, en
entrant dans l'église, se trouve un tronçon de colonne creusée :
c'est le bénitier où Jeanne prenait leau bénite.
La chapelle de la sainte Vierge, sur l'autel de laquelle Jeanne
fut déposée, occupait la dernière travée de la nef latérale du sud ;
il n'en reste que la fenêtre ogivale géminée qui l'éclairait. La statue
de Notre-Dame, au pied de laquelle Jeanne a si souvent prié,
n'existe plus ; on la brûla sous prétexte de vétusté.
Une statue de saint Michel, de bois vermoulu, se dresse contre
un pilier ; elle est postérieure à l'époque de Jeanne. Une statue
mutilée de sainte Marguerite, statue de pierre, s'adosse au pilier
opposé : celle-ci serait, croit-on, du temps de Jeanne d'Arc.
Sur cessiijets delamaison deJeanne, de l'église de Domremy, etc.,
voir Abbé Mourot, Domremy et le Monument national, chap. i-iii.
In-12, Nancy, sans date (probablement de 1894).
^^ Notre-Dame de Bermont.
L'un des pèlerinages que les habitants de Domremy appelés à
déposer à l'enquête de la réhabilitation, représentent comme par-
ticulièrement cher à la Pucelle, était celui de Notre-Dame de
Bermont. On ne comprend pas bien pourquoi ses juges ne l'inter-
rogèrent jamais sur ce sujet. Elle leur disait cependant qu'elle
« était venue au roi de France de par la Bienheureuse Vierge
Marie ».
Notre Dame de Bermont, appelée autrefois de Beaumont ou de
Belmont, était un oratoire fréquenté des gens du pays au temps de
Jeanne d'Arc. Us lui donnaient le nom d'ermitage. La petite cha-
pelle où ils allaient vénérer une statue de la bienheureuse Vierge
avait d'abord été placée sous le vocable de Saint Thiébaut qu'on y
invoquait contre les intempéries des saisons. Elle §' élève sur une
LE PAYS DE JEANNE d'AUC 463
éminence encadrée de bois, à gauche de la route de Verdun, en
allant vers le nord, au delà de Gi'eux, à 3 kilomètres de Domremy,
A côté de l'éminence, dans un pli de terrain, coule une fontaine
dite de Saint-Tiébaut, dont les eaux sont réputées guérir miracu-
leusement de la fièvre. A la chapelle furent annexés, à diverses
époques, une léproserie, un ermitage et un asile pour les voya-
geurs. Aujourd'hui, il y a une habitation auprès, et le tout est
propriété privée. Sur la petite cloche qu'on y conserve et qu'on
croit dater de l'année de la réhabilitation, on remarque les initiales
gothiques :
A. V. E. M. P. E. 1. A. D. E. P. M. A. N. G. T.
Ce seraient les lettres initiales des mots suivants :
Ad Virginem E Manibus Populi Extrahentem Imperium Angli-
cani, Dedicatum Est Post Mortem Ad Nominis Gloriam Tintinna-
bulum.
« A la Vierge qui a arraché le royaume des mains du peuple
anglais, a été dédiée, pour la gloire de son nom, cette petite
cloche. »
Plusieurs historiens de Jeanne d'Arc, qui n'avaient point visité
Domremy. Abel Desjardins [Vie de Jeanne d'Arc, p. 10, in-8°,
Paris, 1895); l'allemand Goerres {Vie ,, p. 13, in-8°, Paris,
1886), placent Notre-Dame de Bermont près du Bois-Chesnu, au
sud du village. Cette chapelle est, au contraire, comme nous
l'avons dit, tout au nord, après Greux, dans la direction de Vau-
couleurs.
Elle s'était assez bien consei'vée jusqu'aux premières années du
xix<^ siècle; mais alors elle tomba en ruines. Des mains pieuses la
relevèrent en 1835 et la mirent dans l'état où elle est présente-
ment.'La statue de la Vierge qu'on y voit serait celle devant
laquelle Jeanne d'Arc a prié., Deux statuettes et une cloche qu'on y
conserve seraient aussi de ce même temps. Aujourd'hui, avons-nous
dit, la chapelle est propriété privée. On y accueille gracieusement
Jes visiteurs. Le site est sauvage : des bois l'encadrent au sud et à
l'ouest. En regardant du côté du nord et de l'est, l'on voit se
dérouler la vallée de la Meuse avec ses prairies et ses collines ;
dans cette direction le paysage est riant et découvert. C'est chose
assez vraisemblable que dans cette solitude Jeanne retrouvait ses
visions et. ses voix.
464 APPENDICE VIII
6° L'oratoire ou ermitage Sainte-Marie.
Des interrogatoires du Procès de Rouen, on a inféré qu'il y avait
près du Bois Chesnu, au temps de la Pucelie, une statue de la
Vierge et un oratoire ou ermitage en ruines l'abritant. C'est
autour de cette statue que Jeanne suspendait les guirlandes qu'elle
tressait pi'ès de l'arbre des Fées. « Et faciebat apud arborem serta
pro imagine beatx Marix de Domremy. » (Procès, t. I. p. 67.)
On l'infère aussi d'une pièce où il est dit que « le doyen du
chapitre de Toul, Etienne Hordal, a fait bâtir, sons l'invocation de
Notre-Dame, au finage [territoire) de Domremy, une chapelle
appelée vulgairement la Chapelle de la Pucelle de Dojiremy. »
Bien que la pièce citée soit de 1623, Etienne Hordal a pu rem-
placer le vieil oratoire par une construction neuve, ce qui expli-
querait suffisamment les mots « a fait bàlir ». D'autre part, le
nom de Chapelle de la Pucelle donné vulgairement à cette cha-
pelle, suppose une tradition établie que la construction de la
chapelle à la place de l'oratoire n'aurait fait qu'entretenir. En bas^
dans le lit de la Meuse, on montrait le gué de l'Ermite où passait
le gardien de la chapelle.
Etienne Hordal était de la famille de .Jeanne d'Arc et un de ses
arrière-neveux. On voyait dans la cathédrale de Toul, jusqu'à la
■Révolution, une statue que son oncle Claude Hordal, doyen comme
lui du chapitre de Toul, y avait fait élever. Etienne Hordal fit
placer une statue semblable dans la chapelle restaurée, aux pieds
de celle de la Vierge.
En 1635-1640, les Suédois ayant envahi la Lorraine, détruisirent
la chapelle Sainte-Marie. On put cependant sauver la statue que
l'on recueillit dans la maison de Jeanne d'Arc. Les ruines amon-
celées de la chapelle reçurent le nom de Pierrier de la Pucelle.
L'évêque d'Orléans, Ms"' Dupanloup, eut en 1869 l'heureuse idée de
faire pratiquer des fouilles dans ce monceau de pierres. Ces tra-
vaux amenèrent la découverte des fondements de la chapelle, de
la clef de voûte aux armes de la famille du Lys, et d'un
fronton Renaissance, sur lequel est gravé le nom de E. Hordal.
Sur l'emplacement même de ces ruines de la chapelle de
Sainte-Marie-la-Pucelle s'élève aujourd'hui la Basilique en l'honneur
de Jeanne d'Arc.
Un peu au-dessous de la Basilique, à une centaine de mètres au
sud-est, on a planté tout récemment un nouveau Mai, un jeune
hêtre, là où, d'après la tradition, se dressait dans sa beauté sans
LE PAYS DE JEANNE D ARC 465
rivale le vieil Ai'bre des Fées. Le nouveau Mai sera-t-il jamais
aussi majestueux, aussi célèbre que celui du temps de Jeanne
d'Arc?...
Sur ces divers sujets, voir Fopuscule : Guide el Souvenirs du
ri'lerin à Domrcmy, publié par les soins de M. le chanoine Bour-
gaut, curé de Domremy. Petit in-32 de 85 pages, Nancy. 1878.
7'^ Notre-Dame de Beauregard.
Le sanctuaire de Notre-Dame de Beauregard, se dresse à l'opposé
et presque en face de Notre Dame de Bermont, de l'autre côté de
la Meuse. Il occupe le plateau d'une petite colline dépendant de
la paroisse de Maxey-sur-Meuse dont une dislance de sept à huit
cents mètres le sépare. Le trajet de la gare de Maxey-sur-Meuse à
Beauregard ne demande guère qu'une vingtaine de minutes. Du
seuil de la chapelle, le pèlerin embrasse un panorama des plus
gracieux, — ce qui explique et justifie ce nom de Beauregard.
C'est la vallée de la Meuse qui se déroule en amont el en aval du
fleuve, sur une longueur de trenlc kilomètres, depuis Neufchàteau
et Domremy jusqu'à Vaucouleurs.
Outre le nom de Notre-Dame de Beauregard, ce sanctuaire porte
aussi celui de Notre-Dame de Pitié. Depuis plusieurs siècles, on y
honore sous ce vocable la Vierge Mère, et l'on y voit un groupe qui
la représente tenant son divin Fils sur ses genoux.
Au jugement des archéologues, vu le caractère artistique de ce
groupe, il remonterait, ainsi que la chapelle, au moins au xni°
siècle.
Jeanne d'Arc, avons nous dit, dut aimer et visiter souvent
Notre-Dame de Beauregard. Les textes et les raisons qui induisent
à le supposer sont les mêmes qui autorisent à affirmer comme
chose ti'ès probable que la fille de Jacques d'Arc visita souvent,
en son adolescence, les églises de Maxey-sur-Meuse el de IMoncel
par dévotion pour sainte Catherine et pour saint Michel.
A la tradition constante du pays qui n'a jamais varié sur ce
point, se joint le fait documentaire d'un legs de Messire Claude du
Lys, curé de Domremy et Creux, et petit-neveu de la Pucelle,^
consenti en faveur de Notre-Dame de Pilié. « Je donne, a-t-il dit
en son testament du S novembre 1549, à Nolre-Damc de Beaure-
gard six gros pour une fois. »
Or. l'un des motifs de ce legs pieux fut très vraisemblablement
le dessein, chez le petit-neveu de Jeanne d'Arc, d'honorer les sanc-
30
466 APPENDICE VIII
tuaires où sa glorieuse et bien-aimée parente avait coutume de
venir en pèlerinage.
Depuis 1874, époque à laquelle la chapelle de Notre-Dame de
Beauregard a été restaurée, une plaque de marbre perpétue le
souvenir de la libéralité du petit-neveu de Jeanne.
De Domremy à Beauregard le trajet n'est guère plus long que
de Domremy au sanctuaire de Bermont. La petite .Jeannette pouvait
s'y rendre commodément en suivant un sentier solitaire, à travers
les prairies, sans passer par le village même de Maxey.
Aux beaux jours du printemps et de l'été, il lui était facile, dans
la même après midi, de satisfaire sa dévotion à la Bienheureuse
Vierge, à sainte Catherine et à saint Michel et de venir prier
dans les trois sanctuaires de Beauregard, de Maxey et de Moncel,
ces trois localités se trouvant voisines l'une de l'autre et très
rapprochées de Domremy.
Notre-Dame de Beauregard est toujours chère aux habitants de
la vallée de la Meuse. Chaque année, on s'y rend deux fois solen-
nellement en pèlerinage, le deuxième dimanche après Pâques, et au
mois de septembre, pour la fête de Notre-Dame des Sept Douleurs.
Dans le trajet de Maxey au sanctuaire, les pèlerins chantent des
cantiques où il évoquent le souvenir de .Jeanne d'Arc.
Jeanne la Pucelle
Suivit ce sentier :
Nous venons comme elle
Ici te prier.
Ils ne peuvent être qu'agréablement surpris lorsque, parvenus au
sommet de la colline, ils aperçoivent près de la chapelle, une
statue de Jeanne d'Arc d'un très bel effet artistique.
APPENDICE IX
LA FAMILLE DE JEANNE d'aRC
1» Le nom de la famille d'Arc
Du berceau de la famille de la Pucelle on sait bien peu de
chose, malgré les recherches auxquelles les érudits se sont livrés.
A six lieues de Chaumont (Haute-Marne), en Champagne, se trou-
vait un bourg nommé Arc-en-Barrois, qui a peut-être été le berceau
des ancêtres de Jeanne et qui leur a donné son nom. Mais ce n'est
qu'une conjecture.
Il y avait dans le duché de Bourgogne une localité portant le
même nom : Arc-en-Tille (aujourd'hui département de la Côte-d'Or,
arrondissement de Dijon). En 1392, la châtelaine de ce pays s'appe-
lait Jeanne d'Arc. (SiMÉON Luge, Jeanne d'Arc à Domremy, pp. 25, 32.)
Ce nom d'Arc n'a pas été porté seulement par des cultivateurs et
des châtelaines ; il l'a été aussi par des bourgeois, des chapelains,
chanoines et autres ecclésiastiques. Il y eut un Jehan d'Arc, évêque
de Verdun de 1245 à 1253. En 1353, Simon d'Arc remplissait les
fonctions de chapelain de la chapelle Notre-Dame au château royal
de Chaumont ; en 1375 et 1390, il y avait à Troyes un drapier du
nom de J. d'Arc et un chanoine du nom de Pierre d'Arc; en 1404,
à Bar-sur-Seine, au diocèse de Langres. le curé s'appelait Michel
d'Arc. (Slméon Luge, Jeanne d'Arc à Domremy, pp. 25-26.)
Valletde Viriville a signalé l'existence d'une Jehanne d'Arc à qui
le roi Charles VI lit remettre dix-huit sols pour la remercier de lui
avoir présenté ce qu'on appelait alors chapeaux, c'est-à-dire cou-
ronnes de fleurs. « Le Roy, pour argent donné à une pauvre femme
nommée Jehanne d'Arc qui lui avait présenté chapeaux. Pour ce
dimanche, xn'^ jour de juing 1407, à l'hôtel Saint-Pol, argent :
xviii sols. » (Archives nation... sect. hist. A'A' 31-32, fol. 90.)
Cette pauvre femme appartenait-elle de quelque manière à la
famille de Jacques d'Arc ? on ne saurait le dire. Le lecteur qui aime
468 APPENDICE IX
les rapprochements, à l'occasion de cette couronne de fleurs pré-
sentée à l'infortuné Charles YI, pourra songer à la couronne que la
Pucelle fil mettre à Reims sur le front de Charles VII.
Le nom d'Arc, d'après la Pucelle ( Procès, t, 1, p. 46 : « Pater
vocabatur Jacobus d'Arc », dit-elle : — ibid., p. 191), était le nom
de son père; c'est celui sous lequel les actes authentiques du procès
de réhabilitation désignent sa famille. Quelle en était l'origine ?
On a fait à cette question des réponses diverses. Les uns tirent ce
nom d'une des localités qui le portent et supposent qu'un des aïeux
de Jeanne y était établi. Le père ou le grand-père de Jacques d'Arc
l'ayant quittée pour habiter Monliérendcr. oùl'aïu-ait appelé Pierre
ou Jacques d'Arc,, comme on appela le frère d'Isabelle Ilommée
Jean de Vouthon, du nom du village où il était né.
D'autres font venir ce nom des emblèmes que portait le sceau de
Jacques d'Arc, un arc bandé de trois flèches. 11 y aurait donc à
choisir entre les deux étymologies : ab Arco ou ab Arcu. Le lecteur
curieux pourra consulter YOpusculc de Vallet de Viriville, in-S",
Paris, 1834, ayant pour titre : Nouvelles recherches sur la famille
et le nom de Jeanne d'Arc. Broch. in-S^ de 50 pages, Paris, 1854.
La Pucelle ne porta pas habituellement le nom de Jeanne d'Arc.
à Domremy et en France. Elle-même ne se nomma jamais ainsi,
mais Jeanne ou Jeannette tout court, ou Jeanne la Pucelle. Cepen-
dant, elle fit observer à ses juges, dans la séance du 24 mars, pen-
dant qu'on lui lisait la minute de ses interrogatoires, « qu'elle avait
pour surnom d'Arc ou Ramée, parce qu'en son pays les filles por-
taient le surnom de la mère. » {Procès, t. I, p. 191.)
Dans le Procès de réhabilitation, elle est nommée Jeanne d'Arc
aussi souvent que Jeanne tout court. ( Procès, t. Il, pp. 7b, 82, 95,
d40, etc.)
Les lettres d'anoblissement données en décembre 1429 par
Charles VII à la famille de Jeanne et à tout son lignage, ofîrent
cette singularité que les membres y sont désignés sous le nom d'Ay
et non sous le nom d'Arc : « Johannse d'Ay, cara^ et dilecla^ nos-
ti-jg- — Jacobum d'Ay. patrem ; — Jacqueminum et Jchannem
à'.Kj. » [Procès, t. V, pp. I'dO, 151.)
Edmond Richer ne peut « conjecturer d'où une telle erreur est pro-
venue, sinon de quelque vice de clerc. » [liisloire de la Pucelle, liv. IV,
fo 109 verso.)
J. Quicherat explique cette altération par la manière dont les
Lorrains prononcent les R, qu'ils éteignent presque entièrement.
Le même nom d'Ay pour d'Arc (Jehanne d'Ay, Jacques d'Ay, etc.),
fic'urc dans le texte de la confirmation que Henri H fit, en 1550, du
LA FAMILLE DE JEANNE d'aRC 469
privilège de noblesse accoi'dé aux descendants de la famille de
Jeanne d'Arc. {Procès, t. V, pp. 219-221.)
De l'orthographe du nom « d'Arc ». — Quelle est l'orthographe
exacte et rationnelle du nom d'Arc"? Faut-il écrire Darc ou d'Arc?
Vallet de Viriville, dans la brochure citée plus haut, s'applique à
démontrer qu'il faut supprimer l'apostrophe et écrire simplement
Jeanne Darc. Henri Martin s'est rangé à son a\is. Ce qui n'a pas
empêché l'opinion contraire de prévaloir. L'usage d'écrire Jeanne
d'Arc avec l'apostrophe est aujourd'hui général. A tous les argu-
ments mis en oeuvre pour le combattre — aucun, du reste, n'est
péremptoire, — on oppose les suivants auxquels il n'est pas aisé de
répondre.
Ni les manuscrits du procès ni les imprimés du xvi" siècle ne déci-
dent entre les deux formes Darc eu d'Arc. En ce temps-là, on
écrivait Dalençon, Darmagnac, Dalebret et autres noms à particule
incontestée, sans apostrophe ; comme les descendants des frères de
Jeanne écrivaient du lis ou Du lis, le nom qu'ils avaient été autorisés
à prendre en souvenir du blason que Charles VII avait octroyé à la
Pucelle.
Seulement, la forme sans particule de ces noms est barbare ; la
forme avec particule est française. Ainsi en est-il de la forme d'Arc :
celle-ci seule est française, soit qu'elle dérive d'une localité portant le
nom d'Arc, soit qu'elle ait pour origine « l'arc bandé de trois
flèches. » que portait le sceau conservé dans la famille de Jeanne.
Ce qui semble aujourd'hui probable, c'est qu'on peut, pour le
nom d'Arc, invoquer ces deux origines. Il peut provenir et du nom
du village qui fut le berceau de la famille de la Pucelle, et des
armes qui figuraient dans son signet, pour ne pas dire dans ses
armoiries.
C'est Charles du Lis qui nous apprend le fait et la composition
de ce signet, propriété de la famille de Jeanne.
Un érudit fi*ançais, M. LéonDorez, dans les Archives du gouver-
nement du Luxembourg a découvert que dans le village de Art-sur-
Meurthe, en latin médiéval, Archus, super Mortam Archus, habi-
tait une famille dont le nom était « d'Arc » : il est relevé en des
actes datés de 1315, 1316, 1332, 1345, 1346 ^ N'est-ce pas de cette
famille que descendrait Jacques d'Arc le père de la Pucelle, et n'y
1. Léon Dorez, Les archives du gouvernement à Luxembourg, y». 12, 13,
Paris 1903,
470 APPE^'DICE IX
aurait-il pas là une l'aison de plus pour maintenir l'orthographe du
nom d'Arc avec particule ?
Finissons par une remarque de l'historien américain de Jeanne,
sir Francis G. Lowell. « Les érudits français dont le nom fait auto-
rité sont les plus nomhreux à orthographier Jeanne d'Arc. En anglais,
le nom Joan of Arc, avec l'apostrophe, est couramment adopté. »
(JoAN OF Arc, p. 19, note 2.)
2'^ Le père et la mère de Jeanne d'Arc.
Domremy n'était point le village originaire du père de Jeanne
d'Arc, pas plus que de sa mère. Jacques d'Arc, père de notre héroïne,
était né vers i37o ou 1380, 'de bonne et ancienne famille, à Ce£fonds%
localité champenoise dépendant de la riche abbaye de Montiérender
(Haute-Marne), au diocèse de Trojes. « On montrait dans ce village
la maison d'Arc, que des titres fort anciens désignent comme ayant
appai'tenu, au quinzième siècle, à Jean d'Arc (sans doute le frère de
Jeanne d'Arc), demeurant à Domremy. » (E. de Bouteiller et G. de
Braux, Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d" Arc, introduc-
tion, p. X.) Une plaque commémoralive a même été placée sur la
maison où Jacques d'Arc aurait vu le jour.
Mais les documents découverts par M. Léon Dorez dans les
Archives du gouvernement de Luxembourg ont fait surgir une ques-
tion nouvelle, et Ion s'est demandé comme nous venons de le dire,
si les parents de Jacques d'Arc ne seraient pas originaires du vil-
lage dArc-sur-Meurthe.
Quoi qu'il en soit de ces conjectures, c'est vers le temps de son
mariage, sans doute, que Jacques d'Arc vint s'établir à Domremy.
La jeune fille qu'il épousa avait nom Isabelle ou Zabillet Romée,
et était de Vouthon, village à sept kilomètres ouest de Domremy,
aujom'd'hui dans le canton de Gondrecourt. On suppose que Ro-
mée n'était en aucune manière son nom de famille, mais un sim-
ple surnom donné à l'un des siens, selon l'usage du temps, pour
avoir fait le grand pèlerinage de Rome. (E. de Houteiller et G. de
Braux, Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne dArc, pp. xii-
XHi. — Vallet de Viriville, Hisloire de Charles VII, t. H, p. 43.)
Vouthon était divisée en deux sections, Vouthon-le-llaut et Vou-
1. Ghables Dr h\'à. Traité sommaire. — Dans l'édition de 1610, Charles
du'Lys avait fait naître Jacques d'Arc à- Sermaize. Dans l'édition do
4628, il peeonnut son erreur.
Voir sur ce sujet Siméox Luce, Jeanne d'Arc à Domremy. pp. 26, 27.
LA FAMILLE DE JEANNE D ARC 471
Ihon-le Bas, à un kilomètre l'une de l'autre. A laquelle de ces deux
sections appartenait la famille de la mère de Jeanne ? C'est proba-
blement à V^outhon-le-llaut, car cesl toujours Voutlion-le-IIaut qu'on
désignait quand on parlait de Vouthon tout court.
Le père de Jeanne d'Arc n'avait-il ni frères ni sœurs ? Un de ses
descendants, Charles du Lys, nous apprend que Jacques d'Arc avait
deux frères, nommés l'un Nicolas, l'autre Jean. Nicolas étant mort,
sa veuve fut une des marraines de Jeanne d'Arc (op. cit., p. 7).
Jean prêta serment, en 1436, comme arpenteur du roi pour les bois
et forêts «au département de France » [op. cit., p. 28).
Jacques d'Arc, après le départ de Jeanne pour Chinon, neut la
joie de la revoir qu'à Reims, à l'occasion du sacre. La ville de
Reims se réserva l'honneur de traiter et de défrayer le père de la
Pucelle. Charles Vil lui fit remettre une somme d'argent et le
chargea d'annoncer aux habitants de Domremj et de Creux qu'ils
étaient désormais exempts de toute taille.
Puis vinrent les événements douloureux de décembre 1420, 14.30,
i431, l'échec de La Charité, la sortie de Çompiègne, la prise et la
captivité de Jeanne, enfin le procès et le supplice de Rouen.
Quand le malheureux père apprit la mort cruelle de sa fille, il
ne put supporter ce chagrin. Le poète Yaléran Varanius [Procès,
t. Y, p. 83) au quatrième chant de son poème, I>e gestis Joannw,
fait dire à Isabelle Romée :
Vir meus, audito dilectœ funere prolis,
Oppetiit, mortis causani exsecrutus et ignrs'.
3" La situation de fortune de la famille de Jeanne d'Arc.
Les parents de Jeanne d'Arc étaient-ils pauvres ou riches ;
étaient-ils également éloignés de la richesse et de la pauvreté, dans
ce qu'on appelle une honnête aisance ?
Deux témoins de l'enquête de 14S6, Béatrix. veuve Estellin, et
Jeannette, veuve Thiesselin, disaient d'eux qu'ils « n'étaient pas
bien riches : non erant multiim divites. » (Procès, 1. 11, pp. 395,403).
Qu'exprime le langage de ces témoins : de la compassion ou de
l'ironie ? peut-être ni l'un ni l'autre. Il est difficile d'en ti).*er quel-
que chose de clair.
Sur les trente-quatre témoins de cette même enquête, un seul
parle de pauvreté, à propos de Jacques d'Arc et des siens : bons
catholiques, de bonne renommée « quoique pauvres, — quamvis
1. Yaléran parle-t-il ici en po'te ou en historien?
472 APPENDICE IX
cssent pauperes. » [Procès, t. II, p, 401.) Mais il est à noter que ce
témoin n'était pas de Domremy : c'était le prêtre Etienne de Sionne,
de Roncey, près de Neufchàteau.
Parmi les témoins de Donireinj' même, qui connaissaient exac-
tement la situation de fortune des parents de la Pucelie, nous
entendrons les uns, comme Jeannette, femme Thévenin, comme
Mengette, l'une des amies préférées de Jeanne d'Arc, nous parler
des fi'équentes aumônes de la jeune fille [Procès, ibid., pp. 398. 430) ;
d'autres, comme Perrin le Drappier, marguillier de l'église, ajouter
que ces aumônes étaient considérables [ibid., p. 413) ; d'autres
enfin, et Jeanne elle-même, signaler les cierges qu'elle faisait
brûler à Notre-Dame de Bermont^ et dans l'église de son petit
village.
Ajoutons que l'habitation de la famille ne ressemblait pas à celle
des villageois pauvres et besogneux. Elle était solidement construite,
puisqu'elle a traversé prés de cinq siècles et 'qu'elle est restée
debout ; elle fut restaurée à la fin du quinzième siècle, mais non
reconstruite. De plus, Jacques d'Arc possédait des bétes et chevaux
dont Jeanne parfois s'occupait, et sous ce nom générique de bes-
tiaUx ou animaux, — animalia, — on doit comprendre toutes les
espèces de troupeaux, bœufs, vaches, moutons, brebis, qu'on éle-
vait dans la vallée de la Meuse. Une condition pareille n'est pas
de la pauvreté ; c'est au moins de l'aisance.
Ajoutons à cela que Jacques d'Arc et sa femme fondèrent dans
l'église de Domremy leurs obits et anniversaires et deux messes
annuelles à célébrer pendant « la semaine des Fontaines. » [Extrait
d'un registre paroissial de l'an l'iOO, cité par MM. E. de Boutellier
et G. de Braux dans leur ouvrage : La famille de Jeanne d'Arc.
pp. 181, l!52).
Cette aisance allait-elle pour les parents de Jeanne jusqu'à la
richesse? constituait-elle une petite fortune? Il faudrait le croire,
d'après quelques érudits. Ils font valoir que, en 1419, le château de
l'isle et ses appartenances ayant été mis aux enchères pour sept
années, Jacques d'Arc fut un des deux adjudicataires (acte retrouvé
par M. Jean Chapellier et publié en janvier-février dans le Jour-
nal de la Société archéologique lorraine). Mais la raison principale
se tire de l'allégation suivante :
M. Villiaumé, auteur d'une Histoire de Jeanne d'Arc, déclara
devant MM. de Bouteiller et de Braux tenir d'un de ses grands-
oncles, curé de Damvillers (Meuse), mort vers 1820, des pièces qui
le conduisaient à cette évaluation des biens de Jacques d'Arc et
d'Isabelle Uomée. Ces biens, disait-il, « représentaient environ
LA FAMILLE DE JEANNE D ARC 473.-
vingt hectares, dont douze en tei'res, quati-e en prés et quatre en
bois, dont le Bois Chesnu ; ils avaient de plus leur maison, leur
mobilier et une réserve de deux ou trois cents francs (le franc valait
treize francs de notre monnaie) . Tout cela, d'après l'abbé (l'oncle
en question), constituait une valeur totale de 30,000 francs environ
(pour 1812, année ou l'abbé parlait ainsi ; cela en ferait bien
aujourd'hui 80.000). En faisant valoir eux-mêmes ce bien, leur
l'evenu pouvait atteindre de 4 à 5,000 francs, valeur de nos jours,
« Voilà ce qui expliquerait la possibilité qu'ils avaient de faire
la charité et de donner l'hospitalité aux moines, mendiants et aux
voyageurs qui passaient souvent dans ce pays. »
. (E. de Bouteiller et G. de Braux, La famille de Jeanne d'Arc,
pp. 18:j-i86).
Quelque confiance que mérite l'opinion de M. Villiciumé et du
curé, son oncle, il nous paraît plus sage et plus sur de ne pas attri-
buer une vi'ai fortune aux parents de Jeanne et de voir en eux des
cultivateurs aisés, mais pas davantage.
S'ils n'étaient pas riches, ils étaient du moins estimés et consi-
dérés. Ce qui le prouve, c'est d'abord l'unanimité des témoignages
qui leur furent rendus dans l'Enquête de la réhabilitation ; ce qui
le prouve encore, c'est le titre de doyen (ou sergent, du latin sev-
viens) du village, donné à Jacques d'Arc dans un acte de 1423,
(Chapellier, Documents inédits de l'Histoire des Vosges, t. VIII,
p. 72). Or, ce titre et les fonctions qui en découlaient n'étaient
dévolus qu'à des gens d'une probité reconnue. Le doyen prenait
rang après le maire et l'échevin, quoique un peu au-dessous.
C'était lui qui convoquait les maires, échevins, jurés à leurs réu-
nions ordinaires ou extraordinaires : il était également chargé de
la collecte des tailles (Siméon Luce, op. cit., p. 40). L'acte public
dans lequel Jacques d'Arc est qualifié de doyen fut rédigé à Maxey-
sur-Meuse à la date du 7 octobre 1423.
Autres preuves de la considération dont le père de Jeanne jouis-
sait auprès des habitants du village. En 1423, Greux et Domremy
avaient souscrit un tribut annuel au damoiseau de Commercy.
Sept habitants de chaque localité s'engagèrent et répondirent pour
leurs concitoyens. Jacques d'Arc fut un des sept répondants de
Domremy. (Siméon Luce, Jeanne d'Arc à Domremy, pp. 159-161).
En 1427, les habitants de Domremy ayant un procès important à
soutenir par-devant Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucou-
leurs, Jacques d'Arc est désigné dans un acte du 31 mars rédigé à
Vaucouleurs comme le fondé de pouvoirs de \ ses concitoyens.
(Chapellier, Documents inédits de l'Histoire des Vosges, t. Vlll, p. 72),
474 APPENDICE IX
JI est vrai qu'il ne figure plus dans un acte postérieur de deux
ans relatif au même procès. M. Boucher de Molandon conjecture
que Jacques d'Arc dut décliner un mandat qui l'eût mis en rapport
avec le capitaine à qui sa fille Jeanne, vers le même temps,
demandait de la faire conduire à Chinon. [Jacques ci Arc, père de la
P«cc//e. pp. 23-28. Orléans, Herluison, 1885).
4° Les Armoiries de la famille de Jacques d Arc.
On peut encore invoquer à l'appui des considérations qui pré-
cèdent, le sceau ou les armoiries dont la famille de Jacques d'Arc
était en possession avant que Jeanne eût quitté son petit village.
Nous en avons déjà fait la remarque et nous allons la compléter.
Dans le Traité sommaire déjà cité, Charles du Lys nous apprend
que Jean du Ljs, échevin d'Arras « retint les armoiries anciennes
de la famille Darc, que portait son ayeul Jacques Darc, père de la
Pucelle, qui estoient d'un arc bandé de trois flèches,, auxquelles il
adjousta le timbre comme escuyer, et le chef d'un Ivon passant, à
cause de la province à laquelle son roy L'avait habitué. »
(La famille de Jeanne d'Arc, par E. de Bouteiller et J. de Braux,
pp. 263-268).
Les lettres patentes de 1612 constatent le même fait. Jean du
Lys, disent-elles, « se serait contenté de porter le nom Dulis, rete-
nant les armes du nom et de leur ancienne famille d'Arc, qui sont
d'azur à l'arc d'or, mis en fasce, chargé de trois flèches entrecroisées
es pointes en haut férues, deux d'or, ferrées et plumetées d'argent,
et une d'argent, ferrée et plumetée d'or, et le chef d'argent au lion
passant de gueule. » [Procès, t. V, p. 228).
La famille d'Arc avait donc des armoiries à elle avant que
Charles VII l'anoblît et lui donnât celles que l'on connaît. Encore
que ces armoiries ne constituent qu'un signet et nullement un blason,
le timbre ou heaume y manquant, elles établissent que fia famille
d'Arc sortait du commun. Ces armoiries, les descendants de Pierre
du Lys les avaient gardées, sans y joindre celles qu'avait
octroyées à la Pucelle le roi Charles Vil. Par les lettres patentes de
1512, Louis Xll autorisa les représentants de cette branche cadette
à porter les deux ensemble, « escartelécs en mesme escusson. «
[Procès, t. V, pp. 229-231).
Les mêmes lettres [établirent que « le cri de Charles Dulis (l'un
des sollicitants) serait : La Pucelle ! et que celui de Luc Dulis,
escuyer, sieui' de Reisnemoulin, frère de Charles (le second sollici-
tant), serait : Les Lys ! » [Procès, t. V, p. 2;U.)
LA FAMILLE DE JEANNE D ARC 475
5° Les frères et sœur de Jeanne d'Arc.
Jeanne d'Arc eut une sœur et trois frères. Sa sœur se nommait
Catherine.
Ses frères se nommaient Jacques ou Jacquemin, Jean ou Jehan,
Pierre ou Pierrelot.
De la sœur de Jeanne dArc
Deux questions se posent à ce sujet :
Qu'advint-il de la sœur de Jeanne et qu'en savons-nous ?
Jeanne eut-elle une sœur seulement ou en eut-elle plusieurs ?
1'^ Que savons-nous de la sœur de Jeanne d'Arc ?
Ce que nous savons de la s^ur de Jeanne, c'est quelle se
nommait Catherine ; — qu'elle se maria avec Jean Colin, fils de
Colin, de Greux ; — qu'elle mourut avant le départ de sa sœur pour
Chinon.
Ce que nous ne savons pas, c'est si elle était l'aînée de Jeanne ou
sa cadette. Les textes varient. Vu son mariage, nous croirions volon-
tiers qu'elle était son aînée.
Ce qui prouve que cette sœur de Jeanne avait nom Catherine,
c'est la déposition de Hellouy Robert, femme de Paris et Lengres,
dans l'enquête à laquelle procéda le bailli de Chaumont le 8 octo-
bre 1555 il Vaucouleurs, au sujet d'un membre (Jehan Royer) de
la famille de la Pucelle.
Cette Hellouy Robert était la petite-fille de Jehan le Vauseul et
d'Aveline, sœur de la mère de Jeanne d'Arc. Elle déposa tenir de
sa mère « que ladite Aveline, grandmère de la déposante, aurait
dit à sa mère que lorsque la Pucelle se départit du pays de 'Vau-
couleurs pour aller sacrer le Roy, ladite Pucelle aurait requis ladite
Aveline que, puisqu'elle était enceinte d'enfant, si elle accouchait
d'une fille, elle lui fict mettre en nom Catherine, pour la soubve-
nance de feue Catherine sa sœur, niepce de ladite Aveline ; telle-
ment que la mère d'elle déposant fut nommée Catherine. » Nou-
velles recherches... Enquête du 8 octobre 1455, p. 62).
Ce qui prouve que cette Catherine, sœur de la Pucelle. fut mariée
à Jean Colin, fils de Colin et maire de Greux, c'est l'enquête faite à
Domremy le 16 août 1502, à la requête des cousins maternels de
Jean du Lys, fils de Pierre du Lys, et neveu de la Pucelle.
Cette enquête, citée par M. Boucher de Molandon [La famille de
476 APPENDICE IX
Jeanne d'Arc dans l'Orléanais, pp. 62-69), révéla par la bouche du
huitième déposant, laboureur à Greux, « que Colin, le maire, fils
de Jean Colin, en son vivant maïeur (maire), avait eu espousé la
sœur de la Pucelle. »
Si on objectait que Colin, au Procès de réhabilitation, n'en dit
rien, on répondrait qu'il n'en dit rien parce que rien ne demandait
qu'il le dit, et que, Feût-il dit, les notaires qui reçurent et écrivi-
rent sa déposition purent bien l'oublier ou n'en pas faire mention.
Enfin, la preuve que cette sœur de Jeanne mourut avant le
départ de la Pucelle pour Chinon se trouve dans la déposition ci-
dessus de la femme Robert Lengres, et dans la requête môme dfr
Jeanne. Comme preuve supplémentaire, on peut invoquer le silence
fait sur Catherine d'Arc dans les lettres d'anoblissement de la
famille de Jeanne.
2'^ Jeanne d'Arc eut-elle une ou plusieurs sœurs "?
Isabelle, femme de Gérardin d'Épinal, dit, dans sa déposition :
« Jeanne alla à Neufchàteau avec son père, ses frères et ses sœurs.»'
[Procès, t. II, p. 246.)
Colin, fils de Jean Colin, dit : « Presque chaque samedi, cum
quadam sorure sua et d'autres femmes, Jeanne allaita l'ermitage de
Notre-Dame de Bermont. » [Ibid., p. 433.)
Michel Lcbuin, deDomremy, affirme le même fait que le témoin
précédent, dans les mêmes termes : « Cum quadam sorore sua ibat,
et candelas portabat. » {Ibid., p. 439.)
Faut-il traduire ces mots latins par une de ses sœurs, ou sa
sœur. . . ?
D'aulre part, Jeanne exprimait devant Dunoiset rarchevêque de
Reims, en marchant sur Paris, le vœu que Dieu la laissât aller
rejoindre son père, « ses frères, sa S'iur, qui seraient grandement
joyeux de la voir — cum sorore et fratribus meis. » [Ibid.. t. 111,
p. 15.)
Jeanne avait donc alors une autre sœur que celle dont elle avait
eu à pleurer la mort avant son départ pour Chinon. . . ?
Quelque favorables que les textes précédents paraissent à cette
conclusion, une simple remarque semble résoudre la difficulté.
C'est que l'usage du temps et du pays faisait donner indistincte-
ment le nom de sœur, et aux sœurs proprement dites, et aux belles-
sœurs.
Resterait donc à savoir si les témoins, si Jeanne elle-même
parlent de ses sœurs propres ou de ses belles-sœurs.
LA FAMILLE DE JEANNE D ARC 477
Jean Ifordal, dans une lettre du 19 juillet 1609 à Charles du Lys,
a rencontré et résolu ces difficultés. » Et faire se pourrait, dit-il,
que la déposition du comte de Dunois se devroit entendre de la
femme de quelques-uns des frères de ladicte Pucelle, laquelle par-
lant d'une sœur, entendoit paider d'une belle-sœur et femme d'un
de ses frères. » (E. de Bouteiller... La famille de Jeanne d'Arc...,
p. 17.)
On dit encore que la sœur de Jeanne aurait eu dix-sept ou dix-
huit ans à peine à sa mort, arrivée sur la fin de 1428 ou dans les
premiers mois de 1429, chose peu conciliable avec son mariage que
l'enquête faite en 1:j02 prouve avoir eu lieu.
L'objection est peu sérieuse : qu'est-ce qui a pu empêcher Cathe-
rine d'Arc de se marier à seize ans et de mourir quelques mois
après ?
Ce qui est hors de doute, c'est que cette sœur de la Pucelle n'était
plus de ce monde lorsque Charles Vil anoblit Jeanne et sa famille;
car dans les lettres royales, Jeanne, son père, sa mère, ses trois
frères sont nommés à trois reprises différentes, mais Catherine ne
l'est pas. {Procès, t. V, p. IbO.)
Le lecteur peut juger par là du cas qu'il doit faire de l'hypothèse
d'une deuxième sœur que quelques érudits fantaisistes donnent à
Jeanne, et qui, d'après eux sera plus tard la fausse Pucelle, dame
des Armoises. Compagne de Jeanne, blonde aux longs cheveux,
tandis que Jeanne avait les cheveux noirs et courts ; robuste et mar-
tiale, tandis que Jeanne aurait été timide et mystique ; cette sœur
qu'ils nomment Claudette, aurait porté l'épée, tandis que Jeanne
n'aurait porté que l'étendard. {La vérité mr Jeanne d'Arc, par Fran-
cis André. Paris, in-18, Chamuel, 1895.) Ce n'est pas là de l'histoire,
mais de la fable et de l'imagination pure.
Des frères de Jeanne d'Arc.
Jacque.min. — L'aîné des frères de Jeanne et de toute sa famille
était Jacques ou Jacquemin. Dès 1419, il était marié et il caution-
nait son père dans la ferme du château de llsle et de ses dépen-
dances. En 1427, sa présence à Youthon est mentionnée dans un
Exploit de justice tenu par-devant le prévost et son lieutenant.
{Nouvelles recherches..., pp. xi-xii.) Peut-être s'y était-il transporté
pour gérer et cultiver le patrimoine de sa mère. Il eut une fille qu'il
maria à son frère Jean et qui eut pour fils Claude du Lys, l'auteur
de la décoration de la façade de la maison paternelle en 1481.
L'auteur du Traité sommaive .. de la parenté de la Pucelle, dit de
478 APPENDICE IX
Jacqueniin qu'il demeura sur les lieux, près de ses père et mère,
pour supporter le rnesnage de la maisou » et qu'il y « décéda peu
de temps après de regret et de déplaisir, aussitôt qu'il sceut les
tristes nouvelles delà cruelle mort de ladite Pucelle sa sœur. » Op.
cit., chap. m.)
Edmond Richer, dans son Histoire manuscrite de Jeanne d'Arc,
dit quil en fut de Jacquemin comme de son père : ni l'un ni l'autre
ne survécurent longtemps à leur bien-aimée Jeanne.
D'après MM. E. de Bouteiller et G. de Braux, des raisons sérieuses
autoriseraient à penser que Jacquemin aurait vécu plusieurs années
après le supplice de sa sœur, et qu'il aurait eu non seulement une
fille mais un fils nommé Pierre, comme son oncle, le jeune frère
de Jeanne. Ce fils aurait épousé Jeanne de Prouville, et de cette
branche seraient issus les Maleyssis, les Hordal, les Yillebresme et
les Haldat qui figurent dans la descendance de la famille de Jeanne
d'Arc. [La famille de Jeanne d'Arc, pp. 78-83.)
Les mêmes écrivains mentionnent dans leurs Nouvelles recherches,
pp. XIII, XIV, 109, un arrêt du sénéchal de Fougères qui donne
Jacquemin d'Arc pour ancêtre aux Le Châtelain, par les Le Four-
nier et Villebresme. Jacquemin serait donc allé se fixer en Norman-
die. Cela prouve combien il est difficile de découvrir la vérité sur
certains points d'histoire. Une chose certaine, c'est que l'aîné des
frères de la Pucelle était mort lorsqu'on entreprit le Procès de
réhabilitation ; jamais, en effet, on ne l'y voit mentionné ou
nommé.
Jehax d'ARG (ou du Lys, après l'anoblissement de sa famille),
second frère de la Pucelle, suivit de près sa sœur lorsquelle partit
pour Chinon. 11 était avec elle au siège d'Orléans et fut logé comme
elle dans l'hôtel de Jacques Boucher. Après la mort de Jeanne, il se
tint en la compagnie du Roi.
PiERUE d'AKC (ou du Lys), dit aussi Pierrelot, frère puiné, croit-on,
de Jeanne, était avec elle ainsi que Jean d'Arc au siège d'Orléans.
A Compiègne, il fut fait prisonnier comme sa sœur. 0 demeura
prisonnier plusieurs années entre les mains du Bâtard de Vergy.
Nous dirons tout à l'heure ce que ces frères de la Pucelle et leur
mère devinrent après 1431.
6' Des oncles, tantes et cousins maternels de Jeanne d'Arc.
Nous l'avons déjà dit, Isabelle Romée, mère de la Pucelle, était
née à Voulhon, en 1387. Elle avait une sœur et deux frères, sinon
LA FAMILLE DE JEANNE D ARC 479
trois. Sa sœur, nommée Aveline, fut mariée à Jehan Le Vauseul
ou le Voyseul avant 1410. Ils eurent deux filles : 1° Jeanne qui
épousa Durand Lassois ou Laxart. de Burey-en-Vaux ; 2'^ Cathe-
rine, qui naquit en 1429 et fut ainsi nommée en souvenir de. Cathe-
rine, sœur de la Pucelle. (E. de Bcuteiller et G. de Braux. La
famille de Jeanne (.FArc, pp. 93. 169-170; — Nouvelles recherches...,
Introduction, p. xi.)
Les deux frères connus de la mère de Jeanne furent Jehan dit de
Vouthon et Dominique ou Mougin qui vint mourir dans l'Orléanais,
quelques années api'ès sa sœur. (Boucher de iMolandon, Un oncle de
Jeanne d'Arc oublié.)
Jehan de Vouthon, époux de Marguerite Colnel, quitta le pays en
1416 et vint se fixer à Sermaize (.Mai*ne), avec ses enfants. Il y
exerça le métier de couvreur dont il garda le surnom {Nouvelles
recherches, p. xc) et y vécut jusqu'en 1446. (Boucher de Molandon,
La famille de Jeanne dans iOrléanais. pp. 124-125).
Jehan de Vouthon eut trois fils et une fille. Les trois fils furent
Perresson ou Pierresson, Perrinet et Nicolas; sa fille eut nom Men-
golte. Avec Heni*y Perrinet, son petit-fils mort sans postérité,
s'éteignit le nom de Jehan de Vouthon. Les descendants de sa fille
se sont perpétues jusqu'à nos jours. {Nouvelles recherches.., p. xix.)
Charles du Lys, auteur du Traité sommaire. .., nous apprend que
Nicolas, fils de Jehan de Vouthon, entra comme religieux proies à
l'abbaye de Cheminon, de l'ordre de Cîteaux, à 4 kilomètres de
Sermaize. Jeanne d'Arc, dont il était cousin germain, lui « fit don-
ner dispense et permission de son abbé pour lui servir de chapelain
et aumônier. » [Traité sommaire.., p. 8.)
Nous avons dit que la mère de Jeanne d'Arc eut deux frères
sinon trois. Si elle en eut un troisième, nous le trouverions dans
un certain Henry de Vouthon qui devint curé de Sermaize et mou-
rut dans l'exercice de ses fonctions pastorales. Un des témoins de
l'enquête des 2 et 3 novembre 1476, reproduite par MM. de Bou.
teiller et de Braux, Jehan Collin, laine, natif et habitant de Ser-
maize, dit de son curé Henry de Vouthon qu'il était « natif dudit
Voulton (Vouthon), en Barrois », qu'il répulait les Voulions (Perri-
net et Perresson) ses prochains parents..., et que après son trespas,
lesdits Perrinet, Perresson et Mengotte leur sœur ont piùns et em-
porté par portions égales toute la succession mobiliaire et immo-
biliaire d'icelluy feu messire Henry de Voulton, comme ses plus
prochains linagers habiles à luy succéder, sans que aulcun empes-
chement leur en fust ni ayt été depuis lors mis, fait ou donné. »
[Nouvelles recherches..., p. 14-15.)
480 APPENDICE IX
La parenté du curé de Sermaize avec les neveux d'Isabelle Ro-
mée, et par suite avec elle, se trouve par ce témoignage nettement
établie. Reste à savoir si cet ecclésiastique était l'oncle ou seule-
ment le frère desdits Perrinet, Perresson et Mengotte. le frère ou
seulement le neveu de la mère de Jeanne. MM. de Bouteiller et de
Bt'aux voient en lui frère Nicolas, le religieux de Cheminon. qui,
aj'ant quitté son couvent, « aurait obtenu, en souvenir des services
rendus par lui à la Pucelle, la cnre dune ville où se trouvaient
réunis ses plus proches parents. 11 aurait alors quitté son nom
monastique de Nicolas pour reprendre celui de Henry, qu'il avait
reçu au baptême et qu'il avait déjà donné à Henry de Vouthon, son
neveu, fils de son frère Perrinet, » {Nouvelles recherc]ies,i>'p. xx-xxi.)
Cette explication de MM. de Bouteiller et de Braux est malheureu-
sement difficile à concilier avec la déposition dune certaine
Jehanne, « native de Sermaize, en laquelle elle a continuellement
demouré, âgée d'environ quatre-vingt ans. » La déposante dit avoir
vu audit lieu de Sermaize un nommé messire Henry de Voulton,
lequel depuis qu'il arriva audit Sermaize du pays de Barrois, a esté
curé de la cure dudit lieu, lequel a toujours réputé Perrinet, Perres-
son et Mengotte leur sœur ses parents prochains. » [Op. cit., p. IS-
16.) Or, si Henry de Vouthon eût été le frère des personnages dési-
gnés, ladite déposante l'eût su, ce semble, et l'eût dit.
Si nous ne pouvons savoir à quel degré au juste le curé de Ser-
maize était parent de Jeanne d'Arc, les témoignages qui précèdent
suffisent à établir qu'il était son proche parent, son oncle ou son
cousin, et par conséquent le frère, le cousin ou le neveu de sa mère
Isabelle.
Une circonstance de laquelle nous avons fait mention au cha-
pitre III de cette Histoire se rapporte à la fille de Jean de Vouthon,
Mengotte, cousine germaine de Jeanne d'Arc. Cette cousine fut
mariée à un jeune homme de Sermaize, nommé CoUot Turlaut.
Deux ou trois ans après ce mariage. le comte de Salm assiégea
l'église de Sermaize où les Français s'étaient retranchés. Un coup
de bombarde atteignit Turlaut et le frappa mortellement Un an et
"demi après la mort de son mari, sa jeune veuve se remariait.
(E. de Bouteiller et G. de Braux, Nouvelles recherches sur la
famille de Jeanne d'Arc, p. 8. Enquête des 2-3 novembre 1476).
7" De Durant Laxart. — Etait il i'oncle ou le cousin par alliance
de Jeanne d Arc.
La sœur de la mèi'e de Jeanne, Aveline, habita quelque temps
LA FAMILLE DE JEANNE D ARC 481
Sauvigny après son mariage avec Jean le Voyseul ou le Vauseul.
Plus tard, elle vint s'établira Burey-en-Vaulx ou Burey-le-pelit, et
elle y était en 1428. L'enquête du 8 octobre 1;JS5 faite à Vaucou-
leurs, à la requête de Jean Royer descendant d'Aveline, sœur d'Isa-
belle Romée, nous apprend par la bouche de plusieurs témoins
[Nouvelles recherches... pp. 51, !J4, 56) que la fille d'Aveline.
Jehanne, « fut mariée avec un nommé Durand Lassois, demeurant
au dit Burey » , et plus tard à Sauvoy. Durand Lassois est celui que
le Procès de réhabilitation nomme Durand Laxart, « soit par suite
d'une faute d'écriture, soit par l'emploi d'une forme empruntée au
patois local ; car on trouve à chaque page des enquêtes le nom de
Lassois avec des variantes peu importantes. [IbicL, pp. xxi-xxu). »
Par conséquent, Durand Laxart était, non l'oncle de Jeanne d'Arc,
mais le mari de sa cousine germaine. Ce n'est pas lui, du reste, qui
dans sa déposition se qualifie d'oncle de la Pucelle : il se borne à
dire que Jeanne était de la parenté de sa femme : «Johanna arti-
culata eral de parcntela Johannœ uxoris suœ. » {Procès, t. Il, p. 443).
Jeanne lui donnait la qualification d'oncle, en vertu de l'usage qui
faisait donner ce titre aux cousins germains plus avancés en âge.
(Boucher de Molandon, La Famille de Jeanne d'Arc dans iOrléiincns,
pp. 144-147),
LA FAMILLE DE JEANNE d'aRC APRÈS 1431.
1. La Mère de Jeanne d'Arc.
Parlons d'abord de la mère de Jeanne, Isabelle Romée.
Après la mort de Jacques d'Arc, qui ne survécut guère à la fin
cruelle de sa fille, la mère de Jeanne, resta quelque temps encore
■à Domremy. Mais vers 1440, sur les instances des habitants d'Or-
léans, elle vint dans la ville que Jeanne avait sauvée de la domi-
nation anglaise. Les Orléanais l'environnèrent de prévenances et
lui firent une pension annuelle de trente livres tournois. Pour se
rendre compte de l'aisance que cette pension pouvait donner, il
n'y a qu'à noter qu'un prédicateur recevait alors seize sols d'hono-
raires pour un sermon solennel, et que le traitement annuel du
doyen de l'église collégiale de Saint-Picrre-le-Puellier était de trente
livres. (Boucher de Molandon, La famille de Jeanne d'Arc dans
l'Orléanais, p. 15).
« La pension que la ville servait à Isabelle Romée, dit Bou-
cher de Molandon, est chaque mois inscrite régulièrement dans nos
31
482 APPENDICE IX
comptes de ville, depuis 1440, époque de son arrivée à Orléans,
jusqu'à sa mort. » (les comptes de la ville d'Orléans, des quator-
zième et quinzième siècles, p. 4, noie 1. ln-8°, Orléans, Herluison,
1880).
La mère de Jeanne emmena avec elle à Orléans sa petite fille
Marguerite, fille de Jean, prévôt de Vaucouleurs. Marguerite se
maria avec un gentilhomme Orléanais nommé Antoine de Brunet
et fut dotée par son oncle Pierre. (B. de Molandon, La famille de
Jeanne d'Arc..., pp. 6, 32-33). Ce dernier, qui vint aussi habiter la
cité orléanaise, ne cessa d'entourer sa mère d'égards, quoiqu'il
n'habitât point avec elle. Il se tenait dans sa terre de Baigneaux,
et il venait régulièrement la visiter. (E. de Bouteiller et G. de
Braux, Nouvelles recherches... p. xvi.)
Isabelle eut la joie de voir sa fille réhabilitée solennellement et
d'assister aux fêtes par lesquelles fut célébrée à Orléans cette réha-
bilitation. Elle mourutdeux ans après, le 28 novembre 14y8. [Ibid.,
pp. 42-43).
Du frère disabelle Romée, Dominique ou Mougin, qui vint s'éta-
blir lui aussi dans l'Orléanais, nous n'avons rien à dire de bien
particulier. 11 mourut quelques années après sa sœur.
2. Les frères de Jeanne d'Arc.
Nous n'avons rien à ajouter à ce que nous avons dit de Jacques
ou Jacquemin, frère aine de la Pucelle. Qu'il ait survécu d'assez
nombreuses années au drame de Rouen, ou qu'il soit mort peu
après comme son père, on perd sa trace, et il est certain qu'il
n'était plus de ce monde à lépoque de la réhabilitation.
Jehan ou Jean d'Arc ou du Lys. — Après la mort de sa sœur,
Jean d'Arc ou du Lys se tint en la compagnie du roi qui le nomma
bailli de Vermandois et capitaine de Chartres. Ayant ouï dire, en
1436, que sa sœur Jeanne avait reparu, il vint en Lorraine et y fut
dupe de la comédie de Jeanne des Armoises. Cette même année
1436, il passa à Orléans et y fut généreusement traité par les
bourgeois {Procès, t. V, p. 275), qui lui remirent une somme
de 12 livres tournois pour le défrayer de son voyage. {Ibid
p. 326).
Jean d'Arc ou du Lys épousa sa nièce, la fille de Jacquemin.
Après ce mariage, il sollicita la prévôté de Vaucouleurs, l'obtint et
la garda jusqu'en 1468. Pendant le procès de réhabilitation, il com-
parut à Paris et à Rouen. C'est peut-être à l'occasion de ce procès
LA FAMILLE DE JEANNE d'ARG 483
que Charles VII accorda à chacun des deux frères de Jeanne une
pension de six vingt et une livres dont il est fait mention aux
Comptes de 1454. [Procès, t. V, p. 279). Dans ces comptes'. Jean
du Lys est qualifié à'escuier, et son frère Pierre de chevalier. Il
vivait encore en 1470 {La famille de Jeanne d'Arc dans l'Orléanais,
p. 104, note 1).
Quelque temps avant sa mort, en 1468, il s'était retiré à Dom-
remydans la maison paternelle:le testament de DidonduLvs l'éta-
blit formellement. [Nouvelles recherches... p. xiv). Il avait possédé
quelque temps aussi la maison de Jacques d'Arc à Ceffonds ; mais
on ne sait s'il y habita. Son fils Claude garda la maison de Dom-
remy et y fit les embellissements dont il a été parlé ailleurs.
Pierre d'.\rc ou du Lys. — Ce frère de Jeanne avait été fait pri-
sonnier comme sa soeur à la fatale sortie de Compiègne. Quand il
eut payé sa rançon au bâtard de Vergy [Procès, t. V, p. 210), et
recouvré sa liberté, il vint se fixer dans l'Orléanais. Lui aussi fut
dupe de Jeanne des Armoises, qu'il prit d'abord pour sa sœur. A
son arrivée à Orléans, il était dans la gêne. Le clergé de Sainte-
Croix lui afferma la terre de Baigneaux, à deux lieues de la ville.
Un certain Jean Bourdon, qui avait cette terre en fief, y renonça
pour lui être agréable et se porta caution. [La famille de Jeanne d' Arc
dans l'Orléanais, pp. 19-30). Le duc d'Orléans lui donna en usufruit
une île formée par la Loire, nomméel'Ile-aux-Bœufs (28juillet 1443).
Cette île, qui contenait environ 200 arpents de terres labourables,
bois et pâturages, devint la dot de la fille de Pierre. Outre la pen-
sion de 121 livres tournois dont nous avons parlé plus haut et dont
Jean son fils bénéficia, il paraît avoir joui aussi d'une rente de
10 livres tournois, rente qui devait être prise sur la vente du bois
du duc d'Orléans [Op. cit., pp. 45-46).
En 1457, Pierre du Lys maria son fils aîné, Jean, avec demoiselle
Macée de Vézines, fille de Jean de Vézineséeuyer, seigneur de Villiers,
domicilié en la paroisse de Mensay, diccèse de Bourges (aujourd'hui
commune d'Achères, canton d'Enrichemont. dépîirtement duCher).
Les noces furent célébrées en la cité d'Orléans. Les bourgeois de la
cité voulurent fournir le vin du repas, à savoir « (juinze pintes de vin
blanc et trente-six pintes de vin vermeil ». lis firent de plus au marié
un cadeau de vingt livres tournois, qui lai furent remis dans une
bourse neuve achetée aussi des deners de la \ill". Procès, t. V.,
pp. 278-279) ; — P. Lanéry d'Arc et Luci.'n Je ly, Jeanne a' Arc en
Berry, p. 93).
48ir APPENDICE IX
Pierre était marié avec une jeune fille barroise. Dans l'acte de
fermage delà terre de Baigneaux, elle est inscrite sous le nom de
« Jeanne, du pays de Bar ». {La famille de Jeanne d'Arc dansFOrléa-
nais,p. 22). C'est le duc d'Orléans qui conféra l'ordre de la cheva-
lerie à Pierre d'Arc : de là le titre de chevalier du Lys sous lequel
les pièces de l'époque le désignent.
M. Jules Doinel, archiviste d'Orléans, a établi, d'après des docu-
ments du temps, que Pierre d'Arc acheta, rue des Africains, à
Orléans, un terrain sur lequel il fit bâtir une maison où vécut sa
famille. Pour la construction de cette maison, il alla chercher à
Sermaize son cousin, Henry Perrinet de Youthon, qui était charpen-
tier, et il lui confia la direction des travaux. {Nouilles Recherches,
p. XVI, 20; — La famille de Jeanne d'Arc dansVOrléannais, p. M 4).
L'inscription suivante, placée sur la façade de la maison qu'on
voit aujourd'hui en cet endroit, mentionne ce souvenir. Elle est
ainsi conçue :
14b2-1509.
SUR l'emplacement de cette maison
s'élevait la demeure de pierre du lys
FRÈRE ET COMPAGNOK d'aRMES DE JEANNE d'ABC
Pierre Du Lys mourut en 1467. Son second fils, Jean Du Lys,
fut nommé par Louis XI échevin d'Arras en 1481 {Procès, t. V,
p. 228). «On estime généralement, dit de M. de Molandon, que la
descendance masculine des frères de la Pucelle s'est complètement
éteinte au cours du dix-septième siècle. » {La famille de Jeanne d'Arc
dans l'Orléanais, p, 104, note 2).
De la descendance des frères de Jeanne d'Arc. — A l'occasion de
l'anoblissement de leur sœur et de sa famille, les frères de Jeanne
prirent le nom de du Lys ou du Lis (les documents orthographient
ce nom de onze manières différentes), et il devint celui de leurs
descendants. Le droit de le porter est constaté par Jean Hordal,
dans son Histoire de la Pucelle, pp. 27-28, par Charles du Lys, en
son Traité sommaire..., chap. vu, et par les lettres patentes de
Louis XIII, en date du 2o septembre 1612, par lesquelles ce prince
autorisa les membres de la branche cadette de la famille de Jeanne
à reprendre les armoiries de la Pucelle.
La descendance des frères de la Pucelle fut nombreuse. Nous
n'avons pas l'intention d'en donner la généalogie complète. Le lec-
teur qui voudrait être fixé sur les diverses branches de celte des-
LA FAMILLE DE JEANNE d'aRG 483
cendance jusqu'à nos jours, n'aura qu'à consulter l'ouvrage de
I\1M. E. de Bouteiller et G. Braux sur la Famille de Jeanve cVArc,
pp. 91-260. Dans l'ouvrage de M. Boucher de lAIolandon, La famille
de Jeanne d'Arc dans l'Orléanais, à la fin, il trouvera trois tables
généalogiques : deux sur la descendance directe de Jacques d'Ai'c
et d'Isabelle Bornée, sa femme ; une troisième sur les branches
collatérales d'Aveline et de Jean de Vouthon, sœur et frère d'Isa-
belle.
APPENDICE X
RÉFÉRENCES QU'eDMOND IIGHER, EMPÊCHÉ PAR LA MORT,
n'a pu donner dans le premier livre de son histoire
Lenglet-Dufresnoy a laissé une Histoire de Jeanne d'Arc'-
dans laquelle, selon Le Brun de Gharmettes, il aurait « outra-
geusement pillé Edmond Richer"-. Lenglet n'a garde d'en
convenir. Pour qu'on ne s'en aperçoive pas, il s'applique en
la seconde partie de son ouvrage, p. 148, à déprécier son
devancier en ces termes :
« L'histoire de la Pucelle par Edmond Richer a été faite
vers l'an 1630. Je l'ai lue et bien examinée. D'abord, je l'ai
crue bonne et bien faite. Mais j'ai ensuite remarqué que
Richer n'avait pas travaillé d'une manière assez instructive
et assez lumineuse, ne citant pas les dépositions dont il tire
les faits de son histoire, en omettant des pièces essentielles,
telles que les Lettres de garantie du roi d'Angleterre et la
déposition du sieur D'Aulon. »
Comment s'expliquer chez Lenglet-Dufresnoy un pareil
langage? Est-ce de la légèreté, est-ce delà mauvaise foi? Il
reconnaît avoir eu sous les yeux l'ouvrage de Richer; « il l'a
lu et bien examiné »; et il lui reproche d'avoir « omis des
pièces essentielles telles que les Lettres de garantie du roi
d'Angleterre. » Or, lecteur, notez ceci : ces Lettres se trou-
vent au livre troisième de l'histoire de Richer, folios 96
verso, 97 et 98 recto, ainsi que chacun pourra s'en rendre
compte, en prenant connaissance à la Bibliothèque nationale,
1. Histoire de Jeanne d'Arc, dite la Pucelle d'Orléans. In-1:2, Amster-
dam; 17;J9.
2. Le Brun he Ghar.mettes. Histoire de Jeanne d'Arc, t. I. Discours
préliin.. p. 111 ; Pari?, 1817.
nÉFÉRENCES QU EDMOND RICHER n'a PU DONNER 487
n° 10448, fonds latin, du texte authentique de l'historien.
Edmond Richer n'a pas davantage négligé de mentionner
la déposition du chevalier D'Aulon; il l'a fait plusieurs fois,
et s'il ne l'a pas reproduite tout entière, c'est que, même
dans un ouvrage comprenant 1028 pages in-folio, l'on ne
peut pas insérer toutes les pièces que l'on a sous les yeux.
Il faut faire un choix : chaque écrivain le fait de son mieux.
Mais quelque conscience et quelque sens critique qu'on y
mette, on laissera inévitablement de côté beaucoup de pièces,
même de grande importance.
Mérite que n'a eu aucun autre historien de la Pucelle, pas
même Lenglet-Dufresnoy. Richer a inséré et traduit en fran-
çais dans son ouvrage les pièces essentielles du procès de
condamnation, les quinze interrogatoires, le Réquisitoire,
les douze articles, les deux sentences, l'information pos-
thume, les accompagnant de réflexions critiques ; il a analysé
le procès de revision; il a été le seul qui jusqu'à présent ait
reproduit les cent-un articles présentés par les avocats de la
famille de la Pucelle, et il a fait passer sous les regards du
lecteur les principales dépositions des témoins, assesseurs,
officiers du procès de Rouen qui ont dévoilé les iniquités et
les violations du droit à la faveur desquelles les juges vendus
aux Anglais livrèrent au bûcher l'héroïque Pucelle.
Mérite aussi peu contestable et qui lui fait une place à part
entre tous les historiens de Jeanne d'Arc, Edmond Richer,
n'en déplaise à Lenglet-Dufresnoy, est le premier qui ait tiré
des deux procès de condamnation et de revision la substance
de son récit; et il l'a fait cent vingt ans avant que Lenglet
en ait eu la pensée, et deux siècles avant que la Société de
l'Histoire de France et Jules Quicherat s'occupassent de
publier le texte des deux procès.
Quant aux citations dont on reproche l'omission à l'auteur,
on doit ne pas oublier — et plus que tout autre Lenglet-
Dufresnoy aurait dû s'en souvenir — que Richer est mort
avant d'avoir publié et revu son Histoire de Jeanne d'Arc.
Il l'a laissé à l'état de manuscrit. Il venait d'obtenir la per-
mission, indispensable en ce temps-là, de la livrer aux impri-
meurs, lorsque la mort le surprit. Il n'a pu conséquemment
488 APPENDICE X
y mettre la dernière main. Qu'on ne le rende pas responsable
de l'impuissance à laquelle la mort l'a réduit.
Ce que Richer n'a point fait, l'impression de son ouvrage
permettra de le faire. Nous avons déjà donné un certain
nombre de références au cours du premier livre, le seul d'ail-
leurs où elles soient à désirer. Nous allons compléter ce tra-
vail dans le présent appendice. Prenant le récit page par
page, nous indiquerons fidèlement les sources auxquelles
l'historien a puisé. Ces sources étant d'habitude les deux
procès et le Journal du siège d'Orléans, nous userons pour
ces références de l'ouvrage en cinq volumes de Jules f)uiche-
rat. Les chiffres romains désigneront les divers volumes, et
les chiffres arabes les pages visées, avec les sujets auxquels
les références se rapportent.
L'Éditeur Ph.-IL D.
REFERENCES DU LIVRE PREMIER
DE L'HISTOIRE DE LA PUCELLE
Par Edmond RICHER
CHAPITRE PREMIER
Du règne de Charles VI et du commencement de celui
de Charles VII.
Pas de référenco précise à donner. Voir les historiens et chroni-
queurs connus du temps d'E. Richer, en particulier Robert
(iaguin, François de Belleforest et son Histoire des neuf rois
Charles de France, et les principaux des historiens cités par
Richer lui-même au livre quatrième de son ouvrage, tome
second Pages du texte. 4ù-46
CHAPITRE II
Naissance de la Pucelle.
Sur ce sujet, sur celui de la famille et du pays de la Pucelle, voir
les Appendices Vlil, IX de ce tome premier o7
REFERENCES DU LIVRE I 48^
Sur son nom i}e Jeanne la Pucelle, voir Procès, ],iQ;ihid. 111,103, dé-
position do IVùre Pasquerel ; ibid. 1, 130 ; ioid. III, 107, 175 . Texte p. 58
Les aumônes do Jeanne; soin qu'elle prenait des pauvres : Procès,
11,398, 413. 427, 438. 440, 443 59
Ses confessions : Quasi-unanimité des 34 témoins de Domremy.
Procès. I. 51:11, 386 et suiv 59
Jeûne du vondn'di: Procès. 111,108 59
Dévotion à la 15. Vierge-:Marie, pèlerinage à Bermont, Procès, U,
424,425, 427, 4,33, 439, 452, 462. . . .' 59
Communions, assistanceà la messe : Procès, H, 450. 455: III, 100,
101. 104, 107: I, 164, 163 59
Amour du travail, de la prière: Procès. II. 398, 404, 407, 417, 418,
420, 422, 424. 430 61
CHAPITRE III
La Pucelle et ses voix.
On trouvera dans l'appendice I du présent volume les textes
concernant ce sujet avec-leurs références.
La Pucelle et le curé de Domremy : Procès, I, 128 65
Songe du père de Jeanne : /^/-orès, 1.131,132 66
Fuite à Neufcliàteau; l'Oliicial de Toul : Procès, I, 51, 127, 128,
215; II. 419. 463 66
Du Bois Ghesnu .Procès, I, 66-68 67
CHAPITRE IV
A Vaucouleurs.
De Baudricourt et de Durand Laxart: Procrà, I. 53 : II. 443. ... 69
Voyage à Nancy et à Saint-Xicu!as-du-I'ort ; Procès,], 54 ; II. 447.
457. 71
Jeanne et n^e&sire -Fournior : Procès, II, 446 72
Révélation de la défaite de Rouvray : Procès, IV, 128 72
Départ de Vaucouleurs -.Procès,]. 53-55; II, 406, 432, 445, 4 i7,
448, 457 73
La Pucelle et ses parents: Procès, I, 128, 129, 130, 131 73
CHAPITRE V
A Chinon.
De Vaucouleurs à Chinon: Procès, I, 54, 56, 75: II, 435 et suiv ,
454 7o
Maître Pierre de Versaillos : Procès, III, 202, 203 76
Audience de Chinon: I, 56; 75, 76 ; II, 438, 458: 111,4. 16, 22, 66.
100 et suiv ■ 77
Jeanne chez G. Bellier: Procès, 111,17 7S
Religieux envoyés au pays de Jeanne : Procès, III, 82 78
Examen de Chinon: Procès, I, 75; III, 17, 92, 115 79
490 APPENDICE X
Signe que Jeanne donne au roi de sa mission de par Dieu : Procès.
I, 7o Texte p. 80
Autres révélations qu'elle lui communique: Procès, HI, 103. ... 80
CHAPITRE YI
Virginité et Chasteté.
Voir ProcèsM, p. 438, 457 ; III, Ib, 81, 99 83
Précautions de la Pucelle en campagne. Procès, I, 293 84
Tentative d'un grand seigneur anglais: Procès, II, 8; III, 168 . . 86
CIlAPITRi: VII
A Poitiers et à Tours.
La Pucelle chez maître Rabatcau: Procès, l\l. 19. 74,203 88
La Commission de Poitiers : Procès, 111, 4,17, 19, 22, 74. 82, 93,
116. 203. 209 88
Maître G. Aymeri: /6ic?., 19, 83, 203, 204 88
Maître Seguin,. les quatre prédictions de la Pucelle : Ibid., 202-205. 89
Rapport de la Commission : Procès, V, 471 90
Décision du roi: Procès. III, 210; IV, 510 90
Maison militaire de la Pucelle : Procès, III, 65, 07. 124, 210: IV,
448, 449 91
La haquenée de l'évêque de Senlis : Procès, I, 104, 160 91
L'aumonier de Jeanne, frère Pasquerel : Procès, III, 101 et suiv. . 91
L'épée de Fierbois : Procès, I, 76 91
Habileté de Jeanne à chevaucher : Procès, IH, 8, 18, 88, 92, 100 . 92
Jeanne, les pillards elles folles femmes ; Procès, III, 73, 81, 111 . 93
Jeanne à Tours : Procès, I, 118, 119 ; III, 66 93
De son étendard: Procès. I, 78, 117, 181-183 94
De ses anneaux; Procès, I, 86, 87, 103, 185; IV, 480 94
CHAPITRE VIII
La Pucelle à Blois.
Du pennon de la Pucelle '. Procès, I, 96,-98 96
La lettre aux Anglais: Procès, I, 55, 84, 239, 240 97
La Pucelle et les hommes d'armes. — Départ pour Orléans :
Procès, III, 67, 104, 105; IV, 491 100
Changement de vent: Procès, III, 18,105 101
Marche par la rive gauche: Ibid.,^ 101
Retour à Blois: Procès, 111,6, 105 102
Entrée dans Orléans : lbib.,ii% . . . , 102
A l'église cathédrale : Ibid. ,21 103
Mot de Pierre de Versailles : ièif/., 203 103
La Pucelle et les bonnes femmes: i6(c/., 87 103
REFERENCES DU LIVRE I 491
CHAPITRE IX
La Pucelle dans Orléans.
Des hérauts retenus par les Anglais: Procès, III, 7, 27, 126. Texte p. 103
Départ de Dunois pour Blois : Procès, lU, 211 ' , 195
Retour: Ibid.. 103.211 106
Prise de la Bastille de Saint- Loup : /'rocès-, III, 68. 106, 124-126,
213 108-109
Conseil du jour de l'Ascension : P;océ5, IV, 59-60 108-109
Prise des Augustii)s; Procès, III, 79, 214, 215 110
Prise des Tourelles ; blessure de Jeanne : Ibid., 2b, 94, IJO.
215-217; IV, 159-165, 495 111-112
Les juges de Rouen et ce sujet: Procès, I, 79 113
Du samedi 7 mai au dimanche : Procès, IV, 163,164 114
Procession du 8 mai : Procès, 111, 110 115
CHAPITRE X
Campagne de la Loire.
Conseil tenu à ce propos : Procès, \U, 12, 13 117
Jeanne et la duchesse d'Alençon : f^'ofés. III, 111 120
Prise de Jargeau : Procès, III. 96-97 ; IV, 170-173 121
Suffolk et la prophétie de Merlin : Procès, III, 15 122
A propos du Bois Ghesnu: Procès, I, 66-68; III, 133 122
Mcung-sur-Loire ; Procès, IV, 174 , 122
A Beaugency: Procès, IV, 174 123-124
Arthur de Rfchemont.- Procès, III, 98 ; IV, 173 123-124
Patay: Procès, III, 11, 71,98,99; IV, 177, 371, 420 125
Talbot prisonnier : Procès, III, 99.- 126
Richemont et Charles VII: Procès, IV, 178 127
CHAPITRE XI
De Gien à Reims.
Charles VII à Gien : départ pour Reims : Procès, IV, 180 .... 130
A Auxerre, Saint-Florentin, Troyes: Ibid., I8i 131
Frère Richard : Procès, I. 9J, 102 ; IV, 182, 376, 377 131
Conseil royal devant Troycs : Procès, IV, 182, 183 133
Soumission de Troyes : Procès, IV, 182, 378 134
La Pucelle à Troyes i Procès, III, 111 133
De Chàlons à Reims: Procès, III, 118; IV, 184 133
Jintrée de Charles à Reims : Procès, IV, 184, 183 136
Le père de Jeanne et Laxart: Procès, II, 423, 445 136
Le sacre: Procès, lY, 185, 186, 339, 313 137
Jeanne aux pieds du roi: Ihid., 186 137
Le roi à Saint-Marcoul : Procès, l\. 187 138
L'étendard de Jeanne à Reims : lbid.,\, 187 138
492 APPENDICE X
CHAPITRE \n
Du sacre à Paris.
LeltredelaPucelleauduc de Bourgogne -.i^/'ocèi/V, 116-127. Textep. 130
Le roi à Vailly. Chàteau-Thierry, Soissons, etc. : Procès, IV, 187.
Les 4.000 1). du cardinal de Winchester : 76ù/., 190 141
Manifeste du duc de Belliford : Procès, IV, 340-344 142
La Pucelle et Regnault de Gliartres: Procès, IV., 188, 189 145
Betliford à Mitry : Procès. IV. 189 146
Soumission de Beauvais : Procès, IV, 190 147
A Mentépilloy: Procès, IV, 191-196 148
L'armée l'oyale à Crespy, Compiègnc, Senlis : Procès, IV, 196,197. 149
De Senlis à La Cliapelle, près Paris: 7èf(i., 198 150
CHAPITRE XIII
L'échec de Paris.
Sous les murs de Paris; échec des troupes royales: Procès, IV,
198-199, 391-394 151-152
Blessure de la Pucelle: Ibid., 199 151-152
Elle oiïre ses armes à Saint-Denis: Procès, I, 179 151-152
Le roi à Saint-Denis et Lagny : Procès, IV, 201 153
Enfant quasi-ressuscilé: Procès, I, 105-106 153
Retour vers la Loire : Procès, IV, 201 154
Arrivée à Bourges : lbid.M2 155
A Saint-Pierrc-le-Moutier.- -Procès, III, 218-223 155
A La Charité-sur-Loire: Procès'. I, 106, 109, 119, 147, 169, .... 156
Anoblissement de la Pucelle: Procès, V, 150-153 156
Départ de Jeanne pour l'Isle de France : Procès, I, 114-116. . . . 157
CHAPITRE XIV
A Compiègne. Prise de la Pucelle.
La Pucelle à Melun : Procès, I, 144. — A Lagnv ; Franqnet
d'.Arras : //jùL, 158,264; IV, 91, 399. 422 '..... 158-159
A Ghoisy et Soissons: Procès, IV, 397-399 160-161
Jeanne prisonnière. A Margny : Procès, IV, 402 ; — A Bcaulleu:
I, 163 ; A Beaurevoir: I, 93, 110 163
Tentative d'évasion de la Pucelle: Procès, I, 150, 152, 160 ... . 164
Ce que Jeanne demandait à ses Voi-X : Procès, I, 154 16a
■L\ DU TOME PREMIER
EVr.EU.X. I.\41'U1ME[UE Cil. IIEIUSSEV, PAUL IIÉIÎISSEY, SfCC'
TABLE DES MATIÈRES
DU TOME Pl{E3[IEll
l'agcs
Portrait d'Edmond Richor iv
Dédicace vu
Introduction et notice sl'u E. Richeiî 1
Du Manuscrit de lauteur et de la présente édition 83
Advertissement de Richer au lecteur 37
HISTOIRE DE LA PIJCELLE D'ORLÉANS
LIVRE PIIEMIEH
DE SA NAISSANCE A SA CAPTIVITÉ
GiiApnitE Premier. — Coup dœil sur le régne de Charles VI et
sur les commencements de celui de Charles VII 4b
Chapitre II. — Jeanne d'Arc à Domremy.
Sa naissance. — Sa l'aïuillc. — Sa piétti. — Son ardeui' au tra-
vail.— Son auiour pour la France 57
Chapitre lll. — La Pucelle et ses Voix.
Premières apparitions. — Im^uiétudes des parents de la Pucelle.
— Du bel arbre de Domremy 63
GiiAPiTHK IV. — La Pucelle à Vaucouleurs.
Premier voyage. — Accueil peu encourageant de Beaudricourt.
— Second voyage. — L'exorcisme.— Départ pour Cliinon . . 60
Chapitre V. — La Pucelle à Chinon.
Incidents du voyage. — A Sainte-Gatiierine de Fierbois. —
L'audience royale. — Examen auquel on soumet la Pucelle. —
Secret que la Pucelle révèle au Roi 7:j
Chapitre VI. — La virginité de la Pucelle et sa chasteté.
Virginité de la Pucelle. — Chasteté que sa vue inspirait. — Ses
juges mêmes en conviennent. — Calomnie de Du Ilaillan. . . 82
Chapitre VII. — A Poitiers et à Tours.
Examen de la Pucelle ù Poitiers.— Conclusion lavorable. — Etat
de maison que le Roi lui donne. — L'épée de Fierbois. —
L'étendard de Tours 88
32
494 TABLE DES MATIERES
Pages
Chapitre VIII. — La Pucelle à Blois, départ pour Orléans.
La lettre aux Anglais. — La grande pitié du royaume. — Entrée
dans Orléans 96
Ch.vpitre IX. — La Pucelle dans Orléans. — Levée du siège.
Les bastilles anglaises. — Prise de Saint-Loup, des Augustins et
des Tournelles. — Les Anglais se retirent 105
Chapitre X. — Campagne de la Loire.
Prise de Jargeau et du pont de Meung. — Capitulation de Beau-
genc}'. — Patay. — La Pucelle et Richemont 110
Chapitre XI. — De Gien à Reims, le sacre.
Marche sur Auxerre et Troyes. — Le cordelier frère Richard. —
Conseil royal et soumission de Troyes. — De Troyes à Chàlons.
— Arrivée à Reims. — Sacre et couronnement de Charles VII. 130
Chapitre XII. — Du sacre à la tentative sur Paris.
Lettre de la Pucelle au duc de Bourgogne. — L"armée royale
dans l'Ile de France. — Manifeste du duc de Bethford. — Dépu-
tation envoyée au duc de Bourgogne. — A Grépy-en-Valois. —
Soumission de plusieurs places. — A IMont-Espilloy HO
Chapitre XIII. — Léchée de Paris, retour vers la Loire.
Tentative sur Paris. — La Pucelle à Saint-Denis et à Lagny. —
Retour en Berry. — Prise de Saint-Pierre-le-Moutier. — Echec
sur La Charité. — Jeanne revient auprès du Roi 131
Chapitre XIV. — A Compiégne. prise de la Pucelle.
La Pucelle à Melun et à Lagny.— Prise de Franquet d'Arras.—
Siège de Choisy par le duc de Bourgogne, puis de Compiégne.
— Sortie et prise de la Pucelle. — Sa captivité à Beaulieu et
à Beaurevoir. — Les Français font lever le siège de Compiégne. 158
Note sur ce su.jet : La Pucelle a-t-elle été prise, comme le dit
E. Richer, dans le diocèse de Soissons? 166
Dissertation théologujue sur les apparitions, révélations et mis-
sion de Jeanne d'Arc 168
Observations sur ce document 168
I. La piété de Jeanne jeune iille et ses révélations 171
II. Comment se présentent les révélations de la Pucelle . . . 172
III. Dos apparitions de sainte Catherine et de sainte Margue-
rite 175
IV. Mauvaises raisons des juges de la Pucelle 176
V. De la mission de la Pucelle considérée dans ses elïets. . . 178
VI. La mission de la Pucelle et le relèvement du royaume . . 180
VII. Les missions divines et l'infirmité humaine 181
LIVRE SECOND
LE PROCÈS DE ROUEN
Avant-propos te l'éditeur 185
Section première. — Des procès ecclésiastiques en cause de foi . 186
I. Du pouvoir judiciaire de l'Eglise et des crimes contre la
foi, en particulier du « crime » d'hérésie 186
II. Des juges des procès en cause de foi 187
TABLE DES MATIÈRES 495
Pages
III. Des procès de chute 189
IV. Des deux parties des procès de chute 189
, V. Des procès de rechute et des relaps 191
VI. Les tribunaux de l'Eglise au xv siècle et nos tribunaux
d'aujourd'hui 192
Section deuxième. — Du procès de la Pucelle 193
I. Les pi'éliminaii'es 193
II. Les commencements du procès 194
III. Du procès d'ollicc 195
IV. Du procès ordinaire 196
V. L'abjuration et la sentence de Saint-Ouen 197
VI. Le procès île rechute et la sentence finale 198
Section tkoisié.vie. — Edmond Richer et son exposé critique du
procès de 1431 199
I. Des manuscrits des deux procès dont il s'est servi 2Î00
II. Exposé proprement dit du procès 201
III. Des Adverllsseinents 203
IV. E. Richer thèctlogien et son Histoire de lu Pucelle 206
V. Dernières observations 207
[TEXTE DE. RIGHERl
DE COMPIÈGNE A ROJEN. — CAPTIVITÉ, PROCÈS, SUPPLICE
I. Considérations préliminaires. — .\vant le procès ...... 209
II. Du procès même. — Gomment l'auteur le divise et va
l'étudier 213
PKE.MIÉKE PARTIE
Contenant les actes préambulaires.
Lettre de l'Université de Paris au duc de Bourgogne 218
Advertissement de Richer. 219
Lettre de l'Université de Paris à Jean de Luxembourg 220
Lettre du vicaire de l'Inquisiteur de la foy au duc de Bourgogne. 222
Advertissement 223
Sommation de l'évoque de Beauvais 224
Advertissement 225
Lettre de l'Université de Paris au roi d'Angleterre 228
Advertissement 230
Lettres patentes du roi d'Angleterre 231
Advertissement. — Autres actes préliminaires 232
Des conseillers et assesseurs de l'évêque de Beauvais 235
Sommation au vice-inquisiteur Jean Lemaître. — Citation de la
Pucelle 237
SECONDE PARTIE
Contenant le procès dit d'office.
Première séance 238
49b TABLE DES MATIERES
Pages
Premier interrogatoire public 2>40
Advertissement de Richer sur la première séance 241
Seconde séance et deuxième interrogatoire public 242
Advertissement sur la seconde séance 24f)
Troisième séance et troisième interrogatoire public. — Des Voix
de la i'ucelle 240
Advertissement sur la troisième séance tbh
Séance 1V° et IV« interrogatoire public 26:2
Des apparitions de saint Michel et des saintes 263
De rhabit d'homme 265
De l'épée de Fierbois - 266
De l'étendard. — Au siège d'Orléans 267
Advertissement sur la 1V° séance 268
Séance V» et V» interrogatoire public 274
Des lettres du comte d'Armagnac et de la Pucelie 274
Des saintes Catherine et Marguerite 276
De la mandragore. — De saint Michel 278
Du signe donné au Roy 279
Advei-tissement sur la V» séance 280
Séance VI» et Vl» interrogatoire public 283
De saint Michel, des saintes et de leurs apparitions 284
De l'habit d'homme 285
Des panonceaux de Jeanne et de sa compagnie 286
De frère Richard 286
Des portraits de la Pucelie.— Vénération qu'on lui témoignait. 287
De l'entant de Lagny 288
De Catherine de La Rochelle 239
Du siège de La Chaiité'. — Du saut de Beaurevoir 290
Advertissement sur la Vi° séance 2i)l
Séance VU" et 1" interrogatoii'c dans la prison 292
De la sortie de Compiègne 293
De l'étendard et des biens de la Pucelh; 294
Du signe donné au Roy 295
Advertissement sur la Vil» séance 296
Séance VIII° et 2" interrogatoire dans la prison 297
Des visions de la Pucelie. —, De l'afl'aire de Toul 298
Du silence de Jeanne à l'égard de ses parents 299
Advertissemenl sur la VIII» séance 300
Séance IX" et 3'' interrogatoire dans la prison 302
Encore des parents de Jeanne. — De l'habit d'homme 302
De la délivrance du duc d'Orléans 303
Advertissemenl sur la IX° séance ;{04
Séance X" et 4'^' interrogatoire dans la prison 305
Du signe donné au Roy : 305
De l'assaut de Paris, de La Charité, de Pont l'Evéque 307
Advertissemenl sur la X° séance 308
Séance XI« et 5" interrogatoire dans la prison ;^1G
Du prétendu saut de Beaurevoir 311
Des rapports delà Pucelie avec ses saintes 312
Advertissement sur la Xl^séance 31-3
Séance XII» et 6« interrogatoire dans la prison 317
TABLE DES MATIÈRES 497
Pages
Circonstances dans lesquelles, d'après ses juges, la Pucelie aurait
péché mortellement 317
Advertissement sur \a. \U' séa.ncii 318
Séance XIII" et 7« interrogatoire dans la prison ■i"2Ù
Do la soumission de la Pucelie à la détermination de l'Église. . 320
Do la tentative d'évasion de Boaulieu 320
De l'audition de la messe 321
Rapports do Jeanne avec ses voix 322
Des apparitions de saint Michel en particulier 323
Adverlisseinent sur la XUl» séance 324
Séance XI V« et 8» interrogatoire dans la prison 326
De la soumission à l'Eglise. — De l'habit d'homme 327
Si les saintes liaissaient les Anglais 328
Adverlissemenl sur la XIV° séance 329
Séance XY« ot 9« intorrogaloir'e dans la prison 331
Do l'étendard 331
Témoignages affectueux des saintes envers Jeanne 333
L'étendard de Jeanne au sacre de Reims 334
Adverllsseinenl sur la XV° si'ance 334
Fin du procès d'office 336
APPENDICES ET ÉCLAIRCISSEMENTS
L'ÉDITEUR AU LECTEUK
APPENDICE PREMIER
Les Visions de Jeanne d'Arc racontées par elle-même.
PuEMiÈitE PAiiTiE. — JeanuB d'Arc et saint Michel . 340
Ce que saint Micliel enseignait à la petite Jeanne 341
Comment il l'initia à sa mission 341
Jeanne n'est venue en France que par commandement de Dieu. 343
De son départ contre le gré de ses parents 343
Des apparitions de saint Michel 344
De l'audience de Chinon 346
De l'épée de Fierbois 347
De l'étendard 348
Du signe donné au Roi 348
Que saint Michel n'a jamais failli à la Pucelie 349
Ce que Jeanne était pour saint Michel 350
Drcxième pautie. — Jeanne d'Arc et les saintes Catherine et Mar-
guerite, 350
Do leurs apparitions 330
Rapports de Jeanne avec les saintes 352
Du vrou de virginité. 353
De l'étendard 353
Du signe du Roy 355
Jeanne blessée à la bastille du Pont 355
498 TABLE DES MATIÈRES
l'aies
Uu ilue d'Orléans. — Jeanne el les pauvres. — L'enfant de Lagny. 3.o6
De Catherine de La Rochelle 357
Annonce à Jeanne de sa captivité prochaine 358
De l'évasion de Beaurevoir 359
Dévotion de la Pucelle envers ses saintes 35'J
Des commandements de ses voix 360
Egards qu'elles lui témoignaient 36i
Du Conseil de la Pucelle 362
Troisième partie. — Les juges de Jeanne et les "Voix 365
Premières interrogations 365
Les voix pressent Jeanne de répondre hardiment 365
Des révélations faites à la Pucelle 366
Jeanne adolescente - . 368
De l'habit d'homme 369
De la sortie de Compiègne 370
De l'assaut de Paris. — A La Charité et Pont-l'Evèquc 371
Des armes offertes à Saint-Denis par la Pucelle 371
De la soumission à l'Eglise et de l'appel au Pape 372
Du martjTC de Jeanne 37y
Jeanne envoyée de Dieu 377
Prédictions faites à Rouen. — Soumission de Paris 378
Traité d'Arras 379
Recouvrance du royaume 380
Victoire de Castillon 381
APPENDICE 11
Avant le procès de Rouen, Jeanne na-t elle jamais parlé de ses
Voix? 382
APPENDICE 111
La mission de la Pucelle. — Les origines 387
APPENDICE IV
La question « Jeanne d'Arc » au XV^ siècle, et cette question
aujourd'hui 396
1. — Deux Jeanne d'Arc à Paris et en France au xv siècle. . . 396
IL — Deux Jeanne d'Are à l*aris et en France aujourd'hui. . . 399
GoNCLusiox : Jeanne d'Arc et son portrait traditionnel 404
APPENDICE V
Du secret et du signe du Roi 405
1° De la scène même 405
2» Questions à résoudre 406
i" Questions finales 413
APPENDICE VI
La Pucelle a-t-elle été prise sur le territoire du diocèse de
Beauvais 4
TABLE DES MATIERES 499
Pages
Procès-\ erbal de la remise du corps de Henri III au prieur de
Saint-Corneillc 423
APPENDICE VII
La mission historique de Jeanne d Arc, son objet, son étendue. 429
I. — Opinions en présence 429
H. — Jeanne voyanle inspirée 432
III. — Jeanne guerrière libératrice 437
IV. — Sa mission morale et patriotique , sanctiflcatrice et
rédemptrice 440
V. — Etendue de la mission de Jeanne. — Ses di ux parlies :
« Mission de vie » et « Mission de survie » 444
VI. — Réponse à quelques objections 448
VII.— Conclusion 452
APPENDICE VIII
Le pays de Jeanne d'Arc
1» Aperçu généra! 455
2» Domremy 457
3" La maison de Jeanne d'Arc 458
4" L'église de Domremy 461
5° Notre-Dame de Bcrmont 462
6° L'oratoire Sainte-Marie 464
7» Notr(!-Dame de Beauregard 465
APPENDICE IX
La famille de Jeanne d'Arc.
Avant 1431.
1° Le nom de la famille d'Arc 467
2" Le père et la mère de Jeanne - 470
3o Condition et fortune de la famille 471
4° Des armoiries de Jacques d'Arc 474
5» Des frères et sœur de la Pucelle 475
6» Des oncles, tantes et cousins de Jeanne d'Arc 478
7» De Durant Laxart. — Etait-il oncle de Jeanne ou cous n par
alliance ? 480
Après 1431. — La mère de Jeanne 481
Ses frères et leurs descendants 482
APPENDICE X
Des références (j a' Edmond Richer n'a pu donner dans le livre
premier de son histoire, et que nous donnons d'après l'ouvrage
de Jules Quicherat sur les deux procès.
Avertissement 486
Indication de ces références 489
FIN DE I..\ TABLE DU TOME PREMIER
EVREUX. IMPRIMERIE CH. HÉRISSEY, P AUl- HÉUISSEY SUiX'
statue monumentale de Jeanne d'Arc
Par H. LOUIS-NOEL
A ériger sur le Fort Sainte- Catherine à Rouen
La France a soif d'honneur, de paix et de liberté.
Une Française incarne dans le passé l'honneur de la femme et l'abnégation
du soldat.
Cette fenime est le symbole de la concorde et de l'union. La « grande
pitié ». lauiour immense qu'elle conçut pour la France divisée la conduisirent
de la chaumière de Domrémy au bûcher triomphal de Rouen.
Cette femme, cette enfant fut la Libératrice d'une patrie au.x heures les plus
sombres de ^on histoire.
Sa vie tient du prodige.
Cependant, la légende n'entre pour aucune part dans l'existence de cet être
surhumain.
Jeanne d'Arc relève exclusivement de l'histoire. Des textes irréfutables
répandent une pleine clarté sur les moindres événements de sa brève carrière.
La critique la plus serrée en a confirmé l'exactitude.
Mais, tel est le prestige de la Pucelle, que la poésie s'est éprise de ce type
de vaillance et de patriotisme. I a peinture, la statuaire, la musique, se sont
inspirées de son image ou de ses liants faits.
Jeanne d'Arc est Française, mais toutes les nations d'Europe, les peuples
du Nouveau-Monde ont exalté sa mémoire.
Miss Rose Cleveland. sœur du président des Etats-Unis, a, dans un élan
sublime, salué Jeanne d'Arc comme une force immanente entrée dans l'héri-
ta-^e des siècles, une influence effective, sensible dans la vie de l'humanité,
sans acception de races.
Un tel langage honore la France. Il est beau que le monde civilisé acclame,
dansune enfant de sang français, l'idéal du courage militaire, du culte de la
patrie, du dévouement pousse jusqu'au martyre.
Aussi la terre natale de la Pucelle ne saurait-elle se désintéresser d'une
gloire que lui envient toutes les nations.
L'image de Jeanne a pris place sur les autels.
Il convient maintenant que la France élève, sur le sol reconquis par la
"uerrière, un hommage tangible, une elfigie grandiose, prodigieuse, monu-
mentale, LA STATUE après des statues.
Dominant le Rhin, à Niederwald, se dresse la statue de la Oermania ; Munich
a la Bavaria. c'est-à-dire l'image de la patrie.
New-York a la Liberté, c'est-à-dire l'emblème du droit de tout citoyen à sa
part de justice.
La France se doit à elle-même d'ériger, dans des proportions colossales,
l'évocation radieuse de Jeanne d'Arc qui, aux yeux des deux mondes, demeu-
rera toujours l'ànie visible d'une grande patrie !
Souvenons-nous du cri de guerre de Jeanne : « En avant, tout est vôtre ! «
Confiants dans le succès de l'entreprise, à l'œuvre!
Nations d'Allemagne. d'Amérique, d'Angleterre, d'Autriche-Hongrie, de
Belgique, de Danemark, d'Espagne, de Hollande, d'Italie, d'Océanie. de Russie,
de Scandinavie, de Suisse, dont les historiens, les poètes, les orateurs ont
célébré la Pucelle d'Orléans, vous voudrez participer à la glorification qui se
prépare. La renommée de la vierge lorraine a franchi toutes les frantières.
Jeanne d'Arc a des admirateurs sous toutes les latitudes. La statue, définitive
de la Libératrice d'une nation, le symbole de l'honneur, de a paix et de la
liberté sera l'œuvre universelle des peuples réunis.
LE COMITÉ
JEHANNE LA PUCELLE
REVUE DOCUMENTAIRE BI-MENSUELLE
Organe du Comité de la Statue Monumentale de JEHANNE D'ARC
Secrétaire de la Rédaction :
M. Henry JOUIN. 6, rue Garancière, PARIS
LIBRAIRIE DESGLÉE, DE BROUWER ET O'
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Abbé JOUIN, Curé de Saint-Augustin.
Jeanne dArc Mistère en cinq actes et dix-huit tableaux, accompagni'
de notes critiques. Orchestration de A. Vivet. In-8» de 563 pages.
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